Paternoster Gustave, Dieudonné, Emile libéral
né en 1843 à Enghien décédé en 1906 à Enghien
Représentant entre 1878 et 1906, élu par l'arrondissement de Soignies(Extrait de : Le Sénat belge en 1894-1898, Bruxelles, Société belge de Librairie, 1897, pp. 491-493)
PATERNOSTER, Gustave Dieudonné-Emile-Ernest-Marie-Hubert Ghislain
Sénateur libéral pour la province de Hainaut, né à Enghien le 7 août 1843.
M. Paternoster descend d’une des plus anciennes familles bourgeoises de la ville d’Enghien ; au XVIème siècle, elle était établie dans cette localité. Le père de l’honorable sénateur y tait fabricant de dentelles et y avait rempli, pendant plusieurs années, les fonctions d’échevin.
Après avoir fait ses études humanitaires à l’athénée rotal de Mons, M. Paternoster entra à l’Université de Louvain, où il conquit, en 1867, son diplôme de docteur en droit.
Il a pratiqué ensuite comme avocat à la cour d'appel de Bruxelles jusqu'en 1876, époque à laquelle le canton d'Enghien l'envoya siéger au Conseil provincial du Hainaut.
C'est le 11 juin 1878 que l'arrondissement de Soignies lui confia le soin de défendre ses intérêts au sein du Parlement, en remplacement de M. Paternostre, l'ancien bourgmestre de Marcq, qui avait décliné le renouvellement de son mandat. L'existence parlementaire de M. Paternoster se trouve marquée par de nombreux travaux. Outre son intervention dans la discussion de presque tous les budgets, et particulièrement des budgets de l'Intérieur, de l'Instruction publique, de la Justice et de l'Agriculture, il a participé à nombre de débats importants qui ont occupé la Chambre pendant les quinze années qu'il y siégea.
Mais c'est particulièrement sur le terrain électoral et les brûlantes questions de l'enseignement public officiel que son activité s’affirma.
Il fit partie, en 1880, de la fameuse enquête scolaire. Il faut rappeler à ce propos le plaidoyer qu'il prononça, dans la séance du 2 juin 1882, pour défendre un de ses collègues, contre lequel une demande d'autorisation de poursuites avait été introduite, demande qui fut repoussée par 31 voix contre 23 abstentions.
En matière électorale, citons le rapport qu'il déposa, dans la séance du 11 juillet 1883, sur le projet de réforme électorale pour la province et la commune et la part qu'il prit à la discussion de cette loi, ainsi qu'aux débats relatifs à la révision de l'article 48 de la Constitution. Il s'abstint au vote sur la proposition de révision de cet article, parce qu'il est adversaire de la représentation proportionnelle.
Il participa aussi à la discussion du projet de loi de 1894 réglant la formation des listes des électeurs pour les Chambres législatives.
Notons encore son intervention dans les questions fiscales et agricoles. Successivement, en effet, il a pris la parole dans la discussion des projets de loi relatifs à l'impôt sur le tabac et à l'accise sur les sucres.
Il est l'auteur d'une proposition de loi portant modification de la législation en matière de vices rédhibitoires, qu'il a déposée avec M. le comte de Kerchove de Denterghem. Il s'est fait remarquer aussi dans les discussions soulevées par le projet de loi qui suivit cette proposition et qui modifiait la loi de 1850 relative au même objet.
Ajoutons qu'à diverses reprises M. Paternoster a préconisé des mesures et des réformes immédiates en faveur de l'agriculture.
Une autre branche de notre industrie nationale qu’il a défendue avec une véritable ténacité durant toute sa carrière de représentant, et chaque fois que l’occasion lui en a été offerte, est l’industrie de la pierre de taille, qui intéresse tout spécialement son arrondissement.
Partisan convaincu du service personnel, M. Paternoster s’est toujours abstenu au vote sur le contingent de l’armée.
C’est le 12 novembre 1894 que le Conseil provincial du Hainaut, par 61 voix sur 88 votants, l’envoya siéger au Sénat.
M. Paternoster est officier de l’Ordre de Léopold.
(Extrait de La Gazette de Charleroi, du 14 février 1906)
Les funérailles de M. Paternoster
Les funérailles de de M. G. Paternoster, député libéral de l’arrondissement de Soignies, ont eu lieu hier après-midi, à Enghien.
Jamais foule aussi nombreuse ne s’était donné rendez-vous dans la petite ville flamande. Toutes les sociétés libérales de l'arrondissement étaient présentes, avec plusieurs sociétés de musique.
Enghien, grâce à l'envahissement des congrégations, est devenu ultra-clérical. N’empêche que de nombreux drapeaux bleus, voilés de crêpe, et de drapeaux tricolores flottaient aux fenêtres de nombreuses maisons, dans les principales rues...
On a fort remarqué, vers 2 heures 1/2 de l'après-midi, l'exode des petits-frères, jésuites et nonnettes, vers la campagne, avec leurs élèves, sans doute afin d’éviter à ces derniers la vue d'un enterrement civil.
Dès 2 heures 1/2, les abords de la mortuaire étaient noirs de monde, et il était presque impossible de se frayer un chemin à travers la cohue. II fallait des prodiges pour parvenir jusqu'à la mortuaire, où le cercueil était déposé dans un salon, et disparaissait sous un amas de magnifiques couronnes.
Dimanche dernier, - suivant la volonté expresse du défunt, - le corps avait été exposé, entouré du drapeau de la Jeune Garde libérale d'Enghien. Ce jour-là, les innombrables amis que M. Paternoster comptait dans la canton d'Enghien, vinrent lui rendre un suprême hommage. Cette cérémonie fut extrêmement émouvante et restera profondément gravée dans la mémoire de ceux qui y ont assisté.
Annoncée pour 3 heures, la levée du corps ne put se faire qu'à 4 heures, tant l’affluence était extraordinaire... Plusieurs discours ont été prononcés à la mortuaire notamment par MM. Neujean, au nom des Gauches libérales de la Chambre, Fulgence Masson, député de Mons, au nom de la Loge, Pol Boël, au nom de l'Association libérale de l’arrondissement de Soignies, et Protin, au nom des Boulonneries de La Louvière, dont le défunt était administrateur.
Puis le cortège s'est mis en marche. Il comptait au moins cinq mille participants. Remarqué dans le groupe parlementaire, MM. Buisset, Dewandre, député de Charleroi, Fulgence Masson et Decamps, députés de Mons, G. Lorand, Neujean, Braun, Cambier, Crombez, etc.
Les coins du poële étaient tenus par Buisset, Protin, Lepoivre, Oscar Binot J.-B. Paternoster et Charlier.
Dans toutes les rues, une foule respectueuse était massée sur les trottoirs, qui s'est découverte devant le corbillard disparaissant sous les fleurs.
Nombreuses étaient les personnes qui sanglotaient. C'est que M. G. Paternoster était un philanthrope dans l'acception la plus noble du mot. La majeure partie de ses revenus passait en secours aux pauvres et aux malheureux. Il faisait le bien sans ostentation, mais les Enghiennois savent que, chaque jour, plus de quarante familles pauvres allaient chercher leur diner chez « Pater » comme on appelait familièrement le défunt. Les ouvriers sans travail étaient certains de trouver auprès de M. Paternoster des secours immédiats et de précieuses recommandations.
C'est là tout le secret de la popularité dont il jouissait dans tout l'arrondissement.
Ajoutons qu'au cimetière un dernier discours a été prononcé par le président de la société des « Enfants des Combattante de 1830 » dont M. Paternoster était président d'honneur.
Voici le discours prononcé par M. Boël :
« Messieurs,
« Le Comité de l'Association libérale de Soignies, par suite de l'indisposition de son présidant d'honneur, m’a confié la mission de dire le suprême adieu au chef aimé du libéralisme dans notre arrondissement.
« Le pays vient de perdre un de ses meilleurs citoyens, notre parti un de ses chefs les plus dévoués.
« Il a deux ans à peine, nous étions réunis ici pour fêter le jubilé parlementaire de l’homme distingué, dont le cœur généreux a cessé de battre. Aux acclamations chaleureuses qui accueillaient notre ami, succède aujourd'hui le morne silence de notre deuil.
« Gustave Paternoster consacra toute son existence à la chose publique.
« Elu en 1875, membre du Conseil provincial du Hainaut, il prit part au sein de cette assemblée à tous les débats importants qui y furent soulevés, sa parole autorisée y était écoutée.
« L’arrondissement de Soignies appela Gustave Paternoster à le représenter à la Chambre en 1873, c’était au moment de l’avènement du cabinet libéral à la tête duquel se trouvait Frère-Orban et Jules Bara.
« En 1883, notre député fut rapporteur de la section centrale, qui fut chargée d’examiner le projet de réforme électorale, alors soumis au Parlement.
« Lorsque la question de la révision constitutionnelle fut discutée au sein de la législature, Paternoster, sans se préoccuper de son intérêt personnel, sachant que la première épreuve d’un nouveau régime entraînerait pour lui la perte de son mandat, n’hésita pas à accorder son vote à une mesure qui devait appeler tous les citoyens à intervenir dans l’élection des mandataires de la nation.
« Le scrutin qui suivit l'instauration du nouvel ordre de choses ne fut pas favorable aux candidats libéraux de l'arrondissement de Soignies ; Paternoster accueillit avec sérénité le verdict du corps électoral ; l’homme politique ne doit pas compter sur la gratitude, le devoir accompli doit suffire à sa conscience.
« Mais les libéraux se souvinrent des services rendus par Paternoster, ils comptaient sur ceux qu’il pouvait encore rendre : le Conseil provincial du Hainaut le désigna comme sénateur en même temps que son illustre ami Jules Bara, qui fut aussi victime de l’ostracisme des électeurs du Tournaisis.
« En 1900, après les vote de la représentation proportionnelle, les libéraux de Soignies eurent à cœur d’envoyer Gustave Paternoster à la Chambre des représentants.
« Le parlementaire que fut Gustave Paternoster dans les débats une étude consciencieuse t approfondie des questions qu’il traitait. Sa parole sobre et convaincue était écoutée, parce qu’on la savait sincère.
« Il ne nous appartient pas de rappeler son intervention dans les discussions des Chambres, mais nous nous souvenons du discours d’une émouvante éloquence qu'il prononça au Sénat, lors du terrible accident de chemin de fer à Forest, accident dont plusieurs d ses concitoyens d’Enghien furent victimes.
« Chaque fois que les intérêts de notre arrondissement étaient en jeu, ils trouvèrent en notre regretté député un défenseur énergique.
« Gustave Paternoster fut depuis longtemps membre, puis président de la commission des bourses de la province du Hainaut. Il eut en cette qualité à assurer l'application de la loi de 1861, due à l’initiative du cabinet libéral de l'époque, et qui eut pour effet d'assurer la liberté de conscience des boursiers, en leur permettant de choisir eux-mêmes, d'après leurs convictions, l'établissement où ils voudraient faire leurs études.
« Paternoster était foncièrement imbu des principes du libéralisme, mais tolérant pour tous, respectant les personnalités de ses adversaires et sachant rendre hommage à toutes les convictions sincères.
« Mon ambition, disait-il, n’a été durant toute ma vue que de servir modestement mon pays, d’en poursuivre les destinées par ls voies du libéralisme, qui mieux que nul autre parti pour en assurer la prospérité et la grandeur.
« Répondant en 1903 aux discours de ses amis, il disait en parlant de la chute du ministère catholique : « Je ne sais, Messieurs, si, atteint déjà par l’âge, il me sera donné de voir la délivrance du joug sous lequel nous vivons, mais en contemplant autour de moi, tant d’ardeur, tant de vaillance, je ne désespère pas tout au moins de pouvoir encore saluer l’aurore de ce beau jour. »
« Hélas ! la mort ne lui a pas permis de voir se réaliser l’aurore de ce beau jour.
« J’ai essayé d’esquisser devant vous ce qui fut l’homme public.
« Qui ne sait ce que fut l’homme privé.
« Paternoster était foncièrement bon, modeste, sa physionomie respirait la droiture et la bienveillance, son œil clair appelait la confiance.
« Avocat, il n’exerçait sa profession que pour aider au soulagement des malheureux, il leur donnait ses conseils gratuitement, mettant sa science juridique et sa sagesse à la disposition des déshérités de la fortune, sans distinction ; en quittant son cabinet les malheureux qui l’avaient consulté et dont il ignorait souvent le nom, sortaient réconfortés.
« La perte de Gustave Paternoster crée un grand vide dans le parti libéral ; mais la noble existence de cet excellent citoyen restera pour nous tous un modèle, un exemple que nous avons le devoir de chercher à suivre.
« Au nom de l’Association libérale de Soignies, je salue avec une douloureuse émotion les restes inanimés de son chef à jamais regretté. »