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Orts Auguste (1814-1880)

Portrait de Orts Auguste

Orts Auguste, Englebert, Pierre libéral

né en 1814 à Bruxelles décédé en 1880 à Bruxelles

Représentant entre 1848 et 1880, élu par l'arrondissement de Bruxelles

Biographie

BOCHART, Biographies des membres des deux chambres législatives, Session 1857-1858, Bruxelles, M. Périchon, 1858, p. 13-16)

ORTS Auguste Chevalier de l’ordre Léopold. Né à Bruxelles, le 7 avril 1844. Représentant élu par l’arrondissement de Bruxelles, premier vice-président de la Chambre des représentant.

Elève de l'Université de Liége, M. Auguste Orts a eu pour condisciples les honorables MM. Frère, Malou, Tesch et Vervoort, ses collègues d'aujourd'hui. D'excellentes études et le haut exemple de son père, qui avait été successivement substitut du procureur général, conseiller, puis avocat à la Cour d'appel de de Bruxelles, lui ouvrirent la carrière du barreau. En 1835, le journal l'Observateur belge venait d'être créé par M. Blaes ; le fondateur appela à lui M. Orts; et le jeune avocat, partageant ses travaux entre la science du droit et la polémique, fut l'un des principaux rédacteurs de cette feuille vouée tout entière à la cause libérale.

M. Orts, qui se sentait appelé à approfondir de graves questions effleurées à peine par la polémique quotidienne, cessa, en 1842, de prendre part à la rédaction de l'Observateur ; il rentra dans la spécialité de ses études de droit, et fonda avec MM. Arnst, Bartels et Lavallée, un journal de jurisprudence, la Belgique judiciaire, dont il est encore à présent le collaborateur actif.

Son entrée au barreau eut lieu en 1833 ; son admission dans l'ordre des avocats à la Cour de cassation date de l'année 1848. Dès son début, il se signala par sa science sans affectation, sa logique vigoureuse, sa parole facile et élégante
En 1846, délégué au deuxième Congrès libéral par l'Association libérale de Bruxelles, il se fait avantageusement connaître comme orateur politique, et est élu, l'année suivante, secrétaire de I'Association.

M. Orts voit sa renommée grandir avec ses travaux : il succède, en 1838, à M. Charles de Brouckere, dans la chaire d'Économie politique de I'Université libre de Bruxelles.

Lorsque I'Association libérale, au mois de mars 1848, publia son manifeste anti-républicain, dont la rédaction avait été confiée à MM. Audent, Lebeau et Orts, ce fut ce dernier qui introduisit dans la noble et courageuse profession de foi monarchique, cette phrase à jamais célèbre :

« Pas de république ! Qui craint de s'engager à la combattre, ne saurait marcher avec nous. »

La franchise de cette déclaration, au milieu des troubles incessants qui agitaient l'Europe, valut à M. Orts l'insigne honneur d'être porté comme candidat aux élections de juin. Le vénérable M. Orts père, accablé par le poids des ans, renonçait à accepter un nouveau mandat de Représentant; son digne fils recueillit à une immense majorité son héritage parlementaire.

La loi de l'enseignement supérieur et le budget de la guerre offrirent au nouveau député l'occasion de développer ses idées sur l'instruction publique et sur le rôle destiné à l'armée d'un pays neutre.

En 1849, M. Orts est nommé rapporteur de la section centrale, qui prend l'initiative de la réduction du traitement alloué à Monseigneur le Cardinal-Archevêque de Malines. Un traitement en Belgique peut-il être supérieur à celui d'un ministre secrétaire d'Etat ? Telle est la question que la Chambre est appelée à décider au point de vue politique. Le Ministère se tait, et le traitement est réduit de 40,000 à 21,000 francs.

N'écoutant que sa conscience et ne se laissant guider que par son opinion pratique, M. Orts, la même année, vote seul contre son parti dans la délibération sur les jurys d'examen. On n'offrait pas, selon lui, assez de garanties aux Universités libres ; il refusa de suivre ses amis politiques dans une voie qu'il trouvait dangereuse pour la liberté de l'enseignement.

Membre de la grande commission militaire pour la réorganisation de l'armée, il se montra à la fois patriote et homme d'Etat.

Rapporteur du Code forestier, il ne laissa échapper aucun détail et combattit en jurisconsulte habile.

La commission de la marine militaire le rencontra parmi les opposants dans l'intérêt des finances et du commerce.

A la séance du 9 décembre 1848, lors de la discussion du budget des Affaires étrangères, M. Orts se prononce nettement. Nous recommandons à tous la lecture de son discours, dont nous donnons ici un extrait :

« Le pays, Messieurs, a demandé la suppression de la marine militaire, et Ie Gouvernement lui-même a reconnu aujourd’hui que le pays avait compris l'inutilité de cette dépense, dans l'état où se trouve notre commerce maritime.

« II ne s'agit pas de savoir si la Belgique peut être une puissance maritime; mon amour-propre national ne demanderait pas mieux que de voir partout notre pavillon déployé sur mer et soutenu partout d'une main ferme comme le drapeau belge est sur terre, appuyé par l'armée nationale. Mais je ne pense pas que jamais la Belgique puisse arriver à une position imposante de cette espèce.

« Vous voulez protéger nos côtes de l'Escaut avec nos canonnières ; vous voulez protéger la pêche nationale à l'aide de la Louise-Marie ; il vous reste un navire pour protéger tous les comptoirs que vous allez répandre sur la surface du globe.

« Croit-on, par exemple, que les endroits accessibles aux maisons belges soient de ces côtes inconnues et barbares où la propriété n'est pas respectée, et où le droit des gens est inconnu ? On commerce mal, Messieurs, avec les sauvages. Le commerce belge doit se faire avec des pays civilisés où nos nationaux trouveront pour première protection les lois du pays.

« Pour moi, Messieurs, je souhaite à mon pays l'extension la plus large de son commerce maritime ; mais à ce point de vue je ne souhaite à la Belgique qu'une chose, et je m'en contente. Je lui souhaite une prospérité commerciale maritime égale à celle dont jouit depuis longtemps la cité commerciale si prospère de Hambourg. Hambourg a un commerce maritime important. Ses navires vont aborder à tous les points du globe, et Hambourg n'a pas un navire militaire, Hambourg n'en demande pas. »

C'est sur un amendement de M. Orts, que la réforme postale, à dix centimes pour tout le pays, a été votée en principe par les Chambres, le 7 mars 1849.

M. Orts a pris part aux grands débats économiques, et défendu les principes les plus larges de Iiberté commerciale, notamment l'abolition des droits différentiels. - Traité avec la Hollande en 1850.

Lors de la réforme hypothécaire , en 1851, M. Orts réclama énergiquement la suppression de l'hypothèque légale de la femme mariée.

La même année, dans la discussion du projet de loi relatif à la répression du délit d'offenses envers les chefs des gouvernements étrangers, - Séance du 3 décembre 1852, - M. Orts, ne reniant pas son passé de journaliste, se lève et s'écrie avec enthousiasme :

« Je suis, Messieurs, un ancien soldat de la presse. J'ai longtemps combattu dans ses rangs, j'en suis fier, ct je puise dans ce fait le droit de dire, au nom de la presse, qu'il n'est dans aucune opinion un écrivain quelconque réclamant, au nom de la liberté de la presse, je ne dirai pas la liberté, cc serait prostituer cc beau nom, mais la licence dc l'injure. Cette licence serait le plus funeste cadeau que pût faire à la liberté de la presse son plus cruel ennemi. Car, du jour où la presse userait d'une semblable prérogative, la liberté de la presse périrait écrasée sous le mépris des honnêtes gens, sous le mépris ་ public. »

En 1854, l'honorable représentant reçut la croix de Chevalier de l'Ordre Léopold. C'était la récompense de nobles services rendus à la patrie.

En 1856, les électeurs de Bruxelles, voulant payer un juste hommage à la mémoire de M. Orts père, décédé, le 6 février, dans l'exercice de ses fonctions de Conseiller communal et d'Echevin, offrirent la candidature à son fils; et M. Auguste Orts, recueillant de ses concitoyens un second héritage paternel, vint s'asseoir aux Conseils de la cité.

Heureux père, heureux fils ! L'un succédait à l'autre dans les fonctions civiques, par le droit le plus pur, le droit électoral.

Lors de la discussion de l'adresse en réponse au discours du trône qui ouvrait la session 1856-1857, M. Orts prit la parole sur le paragraphe ayant trait à l'enseignement supérieur. L'enfant de Bruxelles, comme il s'appelle lui-même, débuta par une énergique improvisation en faveur du parti libéral attaqué dans ses doctrines, dans ses actes et dans ses hommes. Le passage le plus saillant de son discours fut celui où l'honorable orateur annonça le triomphe du libéralisme, sorte de prophétie qui se réalisa peu de temps après :

« Je voterai donc contre l'adresse. Je voterai contre l'adresse, quoique moi aussi j'aie pour but, pour croyance, pour ferme espoir que l'on peut, ainsi que l'annonçait M. le Ministre de l'Intérieur, que l'on doit en Belgique, si l'on veut consolider le bien de la patrie, sceller l'alliance de la religion et de la liberté. C'est ma croyance et mon espoir. Mais pour la réalisation de cet avenir, je suis convaincu, depuis hier, qu'il faut, si l'on veut l'alliance sincère, si on la veut solide, qu'elle soit désormais scellée par la main « du libéralisme triomphant. Ce triomphe je l'attends. Et ne croyez pas que je doive l'attendre bien longtemps. Le pays est éclairé. Le pays a vu disparaître les circonstances extérieures qui pouvaient momentanément fausser son jugement et dont on a habituellement profité.

« Le triomphe de l'opinion libérale vient; il arrive ; je le vois et vous le verrez avant peu, comme moi. Que ce triomphe n'effraye personne ; que ce triomphe ne vous effraye pas, n'effraye pas le pays. On aura beau dire que l'opinion libérale porte dans les plis de son manteau le choix fatal entre l'anarchie et le despotisme. On aura beau dire que le libéralisme est condamné, comme une sorte de vaisseau sans boussole et sans pilote, à errer perpétuellement entre deux écueils. On aura beau ajouter aux phrases sonores les grands noms, on aura beau nous dire que le libéralisme porte dans son manteau Catilina ou César, le pays ne le croira pas.

« Le libéralisme est jugé : le pays se souvient. »>

Les hautes questions d'économie politique ne cessaient d'occuper le Parlement. M. Orts y soutint le principe de la libre sortie des céréales et du minerai de fer, ainsi que celui de la libre entrée des houilles, pour arriver enfin au libre transit absolu.

Cependant la loi sur les établissements de bienfaisance allait provoquer des discussions solennelles. M. Orts avait dès longtemps étudié cette importante question. En 1854, le savant professeur avait donné trois conférences publiques sur l'histoire des institutions de charité en Belgique, et fait connaître la plupart des documents historiques publiés ensuite par le ministère Faider, et réédités plus tard dans les brochures sur la charité.

Par ses études et ses antécédents, M. Orts était désigné tout naturellement comme un des principaux adversaires de la loi.

« Messieurs, s'écria-t-il à la séance du 14 mai 1857, nous voulons une charité autre que celle qui est organisée par le projet de loi, parce que cette charité a fait ses preuves vis-à-vis des pauvres et des révolutions, parce qu'elle n'a rien empêché, quoiqu'elle disposât librement de toutes les richesses, de tous les dévouements, de toutes les influences.

« Deux fois, à deux siècles de distance, le paupérisme a engendré les révolutions; la charité libre, que vous voulez restaurer, n'a rien prévenu, rien empêché.

« Au XVIème siècle, au moment où la réforme religieuse allait éclater, quelle entrave était apportée à l'expansion de votre charité ? Elle était libre.

« Et pourtant les classes inférieures, rongées par un inguérissable paupérisme, aspiraient à la réforme sociale avant de songer à la réforme religieuse. Avant Luther, est venue la guerre des paysans.

« Croyez-vous que la réforme du XVIe siècle se serait rendue populaire, si l'état misérable des classes inférieures ne les avait attirées irrésistiblement vers un état de choses meilleur que les idées du temps leur faisaient espérer dans une transformation de l'ordre religieux ?

« En 1789, la charité faisait ce que vous demandez de pouvoir faire aujourd'hui. J'ai entendu réellement encore une fois avec une surprise nouvelle que je n'essayerai pas de caractériser, prétendre que l'état des classes inférieures, avant 1789, était meilleur qu'il ne l'est aujourd'hui. J'ai entendu dire hier que le paupérisme était une maladie née sur le sol européen depuis 1789 et à la suite des réformes de cette époque.

« Mais on oublie l'histoire, en supposant qu'on l'ait ja-ais connue, lorsqu'on vient affirmer de pareilles contre-vérités. Mais il est un fait acquis aujourd'hui, c'est que 1789 a profité au moins aux classes inférieures ; c'est qu'aujourd'hui le travail affranchi leur donne des ressources plus certaines et plus honorables que celles que leur donnait alors l'aumône ; c'est que leur condition morale et leur condition matérielle est au moins aussi améliorée, que s'il y a encore aujourd'hui des malheureux, s'il y a encore des gens qui souffrent, ils ne souffrent plus par suite du vice des institutions sociales, par suite des abus que 1789 a balayés ; ils ne souffrent plus comme ils souffraient, lorsque votre charité dominait.

« Il y a d'ailleurs un fait qui apparaît plus éloquent que tous les raisonnements statistiques. Prenez une table de mortalité quelconque à la fin du dernier siècle. Comparez la mortalité d'alors avec celle du milieu de ce siècle, et vous verrez que dans tous les pays où le régime de 1789 a été introduit, la vie moyenne de l'homme a augmenté.

« Est-ce à dire qu'il ne reste plus rien à faire? Est-ce à dire que parce que le flot du paupérisme, grâce aux réformes de 1789, est resté dans le lit du torrent, il ne faille plus s'en préoccuper et courir au-devant de ces misères et de ces hasards que la charité, organisée comme vous le demandez, n'a pas réussi à prévenir dans les siècles antérieurs ? Non, je le constate tout le premier. Il faut faire plus et mieux que ce qui existe au profit de ceux qui souffrent encore. Mais je proclame avec non moins d'assurance et d'énergie, que ce n'est pas en revenant au vieilles institutions du passé, que ce n'est pas en nous ramenant les fondations, la mainmorte, les couvents et les aumônes que vous améliorerez le sort des classes inférieures. Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est une charité autrement organisée que par les vieux procédés, et si j'ai un reproche à faire à la loi actuelle, à la charité civile, à la charité sécularisée, c'est que cette institution, telle que la loi la conserve et telle qu'elle existe, ressemble encore trop à votre ancienne «charité.

« Il faut aujourd'hui, avant tout, se pénétrer bien de cette idée que les classes qui souffrent demandent le travail avant l'aumône, il faut leur faciliter l'accès à ce travail par tous les moyens possibles, c'est là le véritable, le seul remède au paupérisme; en un mot, il faut ne plus se borner à tendre au pauvre la main qui fait l'aumône, il faut lui tendre la main qui le relève. »

On connaît le sort de la loi, les élections nouvelles, la chute du ministère catholique, la rentrée des libéraux au pouvoir.

M. Orts, deuxième Vice-Président depuis 1856, remonte au fauteuil comme premier Vice-Président avec la majorité libérale.

A l'instant où nous écrivons ces dernières lignes de la biographie d'un citoyen qui, nous l'espérons, rendra encore bien des services au pays, nous sommes heureux de reproduire l'opinion qu'il vient d'émettre à la Chambre des Représentants sur la réforme postale :

« Messieurs, j'ai été un des signataires de la proposition <que la Chambre avait adoptée en 1849, et qui avait pour but d'établir une taxe uniforme pour le transport des lettres à l'intérieur.

« J'étais convaincu, à cette époque, de deux choses; j'étais convaincu d'abord que la réforme ne serait pas obtenue sans résistance de la part des défenseurs légitimes du trésor ; j'étais convaincu ensuite que la résistance une fois vaincue, le temps me donnerait raison, ainsi qu'aux partisans de la réforme, quant aux appréhensions des défenseurs de l'intérêt du trésor.

« Pour moi, je suis déterminé, en 1858 comme en 1849, à insister pour que l'engagement moral pris à cette époque soit tenu.

« La dette que le Gouvernement et les Chambres ont contractée, en 1849, envers le pays, est venue aujourd'hui à échéance, et il est du devoir du Gouvernement et des Chambres de l'acquitter.

« Je termine en disant que si, en 1849, nous avons demandé la réforme postale, c'est qu'elle était désirée depuis longtemps par le pays, et que nous étions certains de ne pas faire une chose mauvaise pour les ressources de l'Etat. »

La liberté monarchique et constitutionnelle fut le premier mot de M. Auguste Orts ; la liberté, appliquée aux intérêts réciproques du Gouvernement et du Peuple, se place encore avec la même force dans son dernier discours.


(Extrait de l’Echo du Parlement, Bruxelles, le 5 novembre 1880)

Nécrologie. M. Auguste Orts, ministre d'Etat. membre de la Chambre des représentants, président de cette assemblée, bâtonnier de l'ordre des avocats près la cour de cassation, conseiller communal et ancien échevin de la ville de Bruxelles, professeur à l'Université libre de cette ville, grand officier de l'ordre do Léopold, commandeur de l'ordre des SS. Maurice et Lazare, est décédé hier, 3 novembre, à 9 heures du soir, à l'âge de 66 ans, muni des secours de la religion.

Ses funérailles seront célébrées samedi, à 11 heures, en la paroisse de Notre-Dame du Sablon.

Auguste-Englebert-Pierre Orts était né à Bruxelles le 7 avril 1814.

Ill était Ie fils de Pierre Jacques Orts comme lui avocat à la cour de cassation et échevin de la ville de Bruxelles. C'est à la mort de son père et pour continuer son mandat qu'il fut nommé conseiller communal. Il fut nommé échevin du contentieux le 1er décembre 1860 en remplacement de M. Watteau. il donna sa démission le 27 novembre 1873, mais il n'en garda pas moins son mandat de conseiller et remplit de nouveau les fonctions échevinales, mais à titre intérimaire, du 9 août 1878 au 12 février 1879.

Au début de sa carrière au barreau, en 1837, M. Auguste Orts collabora à la rédaction de l'Observateur belge, qui venait de se fonder.

Nous avons dit plus haut. qu'il avait été président de la Chambre ; c'était pendant la session extraordinaire de 1859 et la session ordinaire de 1859-1860 ; il avait été deuxième vice-président pendant les sessions de 1856-1857, de 1857-1858 et de 1858-1859.

Ajouton que M. Orts était aussi président du conseil d'administration de la Société du Crédit communal.

La maladie à laquelle il a succombé est un rétrécissement de l'œsophage.


(Extrait de l’Echo du Parlement, Bruxelles, le 5 novembre 1880)

Le pays vient de perdre un grand citoyen, le parti libéral un de ses chers les plus distingués, le barreau une de ses illustrations : M. Auguste a succombé hier soir au mal implacable qui le minait depuis longtemps, mais dont l'issue fatale semblait encore lointaine.

Peu d'hommes laisseront dans l'histoire de leur pays les traces d'une carrière mieux remplie. Après avoir fait de brillantes études à l'Université de Liége, Auguste Orts débute, à l'âge de 19 ans, au barreau de Bruxelles. Sous l'habile direction de son père, il ne tarda pas à occuper au palais une position brillante dont l'éclat n'a fait qu’augmenter jusqu'à son dernier jour. M. fut un grand avocat.

D'un jugement droit et sûr, d'une logique serrée, il alliait à une connaissance approfondie du droit, une rare clarté d'exposition et une exquise distinction de style. Sa parole sobre et incisive était toujours religieusement écoutée. Nul mieux que lui ne possédait le talent de faire jaillir la vérité d'un procès difficile ; son nom restera gravé en caractères ineffaçables dans les annales de notre jurisprudence nationale.

M. Orts avait été récemment appelé par ses confrères à l’honneur de remplacer le regretté M. Dolez comme bâtonnier de l'ordre des avocats près la cour de cassation. La salle d'audience de notre cour suprême retentit encore des échos des félicitations émues que lui adressaient à cette occasion M. le premier président De Longé, et M. le procureur général Faider, lors de la séance solennelle de rentrée du 15 octobre dernier. Hélas ! c'était le dernier honneur que M. Orts devait recevoir de son vivant dans ce Palais qu'il a illustré.

Le barreau ne suffisait pas à satisfaire l'activité infatigable de l'homme éminent dont nous déplorons la perte : dès les premières années de sa fondation, l’Université de Bruxelles appela M. Orts à occuper une chaire dans la faculté de droit.

En 1848 les électeurs de la capitale lui conférèrent un siège à la Chambre des représentants et depuis cette époque son mandat lui fut continué sans interruption.

De même qu'au Palais, à la Chambre, M. Orts brilla au premier rang. Il eut l'honneur pendant plusieurs sessions de la présider comme vice-président d'abord, comme président ensuite.

Patriote ardent, libéral sincère et convaincu, il illustra pendant 32 ans notre tribune nationale ; pas une loi importante ne fut votée, pas une discussion sérieuse ne surgit sans que la parole de M. Orts ne se fit entendre.

Nous n'essaierons pas en ce moment d'examiner la carrière politique du défunt. Les Annales parlementaires témoignent des services éminents que cet illustre homme d'Etat a rendus à son pays ; elles attestent le dévouement et le talent qu'il apporta dans la défense de la cause libérale. Sa modération n'excluait pas une grande énergie, une inflexible fermeté dans les principes.

Peu d’hommes ont plus que lui contribué par la parole comme par la plume à démasquer les tendances du parti ultramontain, à combattre ses fraudes et ses manœuvres. L'ouvrage qu'il a publié sur les corporations religieuses, et où il met à nu la plaie de la mainmorte monacale suffirait à lui mériter la reconnaissance de l'opinion libérale.

M. Orts n'a jamais marchandé le concours de son talent à la défense de ses amis politiques.

II plaida de nombreux procès pour la presse libérale. Pendant de longues années, il se consacra à la défense des intérêts libéraux devant la cour d'appel et la cour de cassation dans les contestations électorales. Nos amis d'Anvers, notamment, conserveront longtemps la mémoire de ses services et de son abnégation.

M. Orts représentait ses concitoyens au conseil communal de Bruxelles depuis la mort de son père ; il remplit les fonctions d'échevin pendant trois ans. Dans ces fonctions souvent ingrates et difficiles, il fit preuve de la mème activité, de la même supériorité qu'au barreau et au Parlement.

Ce qui fait par dessus tout l'honneur de la carrière politique de l'éloquent député de Bruxelles, c'est son abnégation, sa modestie, son désintéressement. Jamais il ne brigua les honneurs ; il ne se laissa guider que par le sentiment du devoir et il lui obéit toujours, au risque, parfois, de compromettre sa popularité.

En janvier 1879, M. Orts fut nommé ministre d'Etat, et le pays entier applaudit à cette distinction qui conférait à l'éminent député les honneurs et les prérogatives des conseillers de la Couronne. M. Orts était depuis douze ans déjà grand-officier de l’ordre de Léopold.

Tel fut l'homme public qui vient de disparaître. Son nom restera gravé dans l'histoire de notre pays à côté de ceux de Verhaegen, de Paul Devaux et d’Hubert Dolez.

Et ceux qui ont vécu dans l'intimité du grand avocat, ceux qui ont eu I’honneur d'être de ses élèves, déplorent la perte d'un ami sûr, d'un cœur aimant et dévoué, d'un patron dont la bienveillance paternelle et les sages conseils les ont toujours guidés. Eux surtout sentiront combien est grand le vide que crée la mort de cet éminent citoyen.


(Extrait de l’Echo du Parlement, Bruxelles, le 7 novembre 1880)

Funérailles de M. Orts

Les funérailles de M. Orts été imposantes, comme le furent celles de M. Anspach. Tout ce que Bruxelles et le pays comptent de personnalités marquantes avait voulu rendre un dernier hommage à l'une des principales illustrations du barreau et du Parlement belges.

La population de la capitale a vivement ressenti la douleur que lui cause la perte d'un citoyen éminent, d'un enfant de Bruxelles, attaché de cœur à sa ville natale, à laquelle il a tant rendu de services.

Le vestibule de la maison mortuaire était tendu de crêpe. Les salons du premier étage étaient transformés en chapelle ardente. Plusieurs couronnes avaient été déposées par des sociétés bruxelloises et anversoises, par le Royal Sport Nautique. par la Société des Etudiants de l'Université de Bruxelles.

Les salons étaient à peine suffisants pour contenir les principales députations officielles. La foule des assistants refluaient sur les escaliers et jusque dans la rue.

Dès dix heures du matin, un grand nombre de personnes arrivaient à la maison mortuaire, rue des Minimes. La maison du Roi était représentée par M. le baron d'Anethan, secrétaire du cabinet et par M. le baron Goffinet, aide de camp du Roi. MM. le capitaine commandant de cavalerie Du Roy de Blicquy, aide de camp, et le capitaine de cavalerie baron Vanderstraeten-Waillet, représentaient la maison du comte de Flandre.

MM. Frère-Orban, ministre des affaires étrangères, Bara. ministre de la justice, Graux, ministre des finances, Van Humbeeck, ministre de l'instruction publique et Sainctelette, ministre des travaux publics. arrivaient des premiers. Puis la députation de la Chambre, conduite par M. Guillery, président, précédée et suivie d'une escorte de cavalerie à laquelle elle a droit d'après les décrets en usage.

Un journal a rapporté à ce propos qu'il s'était élevé un conflit entre le président de la Chambre et les autorités compétentes. Rien de pareil ne s’est produit et ne pouvait se produire.

Les membres du conseil communal au complet, ayant à leur tète M. le bourgmestre Vanderstraeten et les échevins en uniforme, MM. les membres de la cour de cassation, de la cour d'appel, du conseil de discipline des avocats, les professeurs de l'Université, les étudiants portant un drapeau couvert d'un crêpe, le conseil d'administration de la Société du Crédit communal. dont M. Orts était le président. de nombreuses députations d'Associations libérales de province, parmi lesquelles nous avons remarqué celle d'Anvers et celle de Maeseyck, avaient tenu à assister aux funérailles de l'homme éminent que la Belgique vient de perdre.

Parmi la foule de notabilités qui se pressaient dans la demeure de M. Orts, nous avons noté la présence de MM. les ministres d'Etat et représentants Rogier et Malou, MM. les représentants Mineur, Paul Janson, Woeste, d'Elhoungne, Bouvier, Couvreur, Thonissen, Beernaert, Bockstael, Pirmez, le chanoine De Haerne, la députation bruxelloise au grand complet, de M. le baron de Sélys-Longchamps, président du Sénat. de MM. les sénateurs le comte de Renesse-Breidbach, de Haussy, de MM. les sénateurs de Bruxelles, à l'exception de M. Bisschoffsheim. Cet honorable sénateur, qui avait été grièvement blessé à la main, mais qui est hors dc danger aujourd'hui, s'était fait excuser.

Puis - nous citons les noms tels qu'ils se présentent sur nos notes : MM. Vanderstraeten•Ponthoz. grand maréchal de la Cour ; le baron Vander Smissen ; le général Doutrewe ; Vervoort , ancien président de la Chambre des représentants : Hevaert, gouverneur de la Flandre occidentale ; Bruylant. président du tribunal de commerce ; le général-major Creten ; Polydore De Paepe, conseiller à la cour de cassation ; Eugène Vandenpeerebom, président à la cour de cassation ; le lieutenant-général Maréchal ; Emile Cuvelier, bourgmestre de Namur ; le lieutenant-général Ablay, aide de camp du Roi ; Van Schoor, avocat général à la cour d'appel ; De Vadder, ancien échevin de Bruxelles ; De Longé, premier président de la cour decassation ; Melot, avocat général à la cour de cassation ; Casier, président de chambre à la cour d'appel ; Ambroes, président du tribunal de première instance ; MM. les avocats généraux De Rongé, Laurent, Staes et Bosch, ; Jottrand, bourgmestre de St-Josse-ten-Noode ; le général De Puydt ; Ie lieutenant-général Vande Vin ; Gustave de Bavay, conseiller à la cour d'appel ; Léon Weber, directeur de la Banque Nationale ; le lieutenant-général Kessels ; Tiberghien,professeur à l'Université ; Louis Hymans ; Pirson. gouverneur de la Banque Nationale ; Emile Bockstael, bourgmestre de Laeken ; Fr. Pecher, conseiller à la cour d'appel ; Ambroes, président du tribunal de première instance ; le général-major Stoefs ; Louis Gallait ; Verboeckhoven ; le général Gratry ; Faider, procureur général à cour de cassation; Alb. Decrais, ministre plénipotentiaire de la République française ; de Guericke d'Herwijnen, ministre de S. M. le roi des Pays-Bas ; E. Anspach, directeur de la Banque Nationale ; J. Van Praet, ministre de la maison du Roi ; le lieutenant général Collignon ; le bourgmestre de Schaerbeek; Van Hoegaerden, directeur de la Banque Nationale ; Jules De le Court. conseiller à la cour d'appel ; L. Pepin. conseiller à la cour des comptes ; Arntz, professeur à l'Université, ; Pécher, échevin à Anvers ; DeIvaux, conseiIIer provincial à Anvers, une foule de notabilités anversoises, etc., etc.

Nous avons encore remarqué la présence du plus grand des stagiaires, anciens et actuels, de M Orts. Parmi les anciens stagiaires, citons M. Van Berchem, conseiller à la cour de cassation ; M.Van Zele, chef de cabinet du ministre de la justice ; MM. Gustave Joris et Adnet, avocats.

Les honneurs militaires - M. Orts était ministre d'Etat et grand-officier de l'ordre de Léopold - ont été rendus à la dépouille mortelle par la moitié des troupes de la garnison, placée sous les ordres de M. le lieutenant général Bevinck. Un bataiIIon de carabiniers, placé devant la maison mortuaire, a salué d'un feu de peloton la sortie du corps, que le clergé a conduit processionnellement jusqu'à l'église du Sablon.

Le deuil éta1it conduit par le fils du défunt, M. Louis Orts, et ses gendres, MM. Emile de Mot et Louis Alvin.

Sur la bière étaient étendus l'uniforme de ministre d'Etat du défunt, son épée et les cordons des ordres de Léopold, et des SS. Maurice et Lazare. Les coins du poêle étaient tenus par MM. Guillery, président de la Chambre des représentants, Frère-0rban, ministre des affaires étrangères, Vanderstraeten, bourgmestre de Bruxelles, Jamar, ancien ministre et représentant de Bruxelles, De Becker, avocat à la cour de cassation et représentant, et Vanderkindere, recteur de I'Université de Bruxelles.

La bière était portée par des agents de police ayant le crêpe noir au bras.

Le cortège. entre la haie de soldats qui l'escortaient, s'est rendu à l'église au Sablon où se faisait le service funèbre. L'église avait reçu la grande décoration des jours de deuil : les colonnes étaient tendues de noir et sur le jubé, des draperies de même couleur, semées de larmes d’argent, mettaient leur teinte funèbre. L'offrande a montré combien était grand le nombre de personnes qui tenaient à témoigner à la famille de la part qu'elles prennent à sa douleur.

L'office terminé, le cortège s'est reformé et, précédé de la musique des carabiniers qui jouait des marches funèbres, il s'est dirigé vers le vieux cimetière de Léopold, dans lequel la famille de M. Orts possède un caveau.

Sur le passage du cortège la foule se découvrait rendant une dernier hommage à l'homme de mérite que Bruxelles et la Belgique ont perdu.

Les troupes de la garnison et l'escorte accompagnant les membres de la Chambre se sont retirés à l'ancienne porte de Louvain.

Les nombreuses voitures suffisaient à peine pour contenir tous ceux qui avaient voulu accompagner le défunt jusqu'à sa dernière demeure. meure. Parmi ceux-ci nous avons remarqué tout le conseil communal de Bruxelles et un grand nombre de membres du barreau.

L'inhumation s'est faite dans le caveau de la famille et il était une heure et demie lorsque cette triste cérémonie était terminée.

M. Guillery, président de la Chambre des représentants, prit le premier la parole pour rendre un solennel hommage au défunt. II s'exprima en ces termes :

« Messieurs,

» J'étais donc encore appelé à rendre les derniers honneurs à un éminent collègue.

« Le Parlement est actuellement frappé, et c'est l'arrondissement de Bruxelles qui paie à la mort le plus large tribut.

« Il y a deux ans à peine, Ernest Allard, dont la jeunesse était moissonnée dans sa fleur, ouvrait cette marche funèbre, et, depuis cette époque, nous n'avons pas eu le temps de quitter un deuil avant d'en prendre un autre.

« Aujourd'hui, nous conduisons à sa dernière demeure un homme qui a eu le temps de fournir une brillante carrière ; mais il était dans la pleine force da talent ; il avait atteint cet âge où l'homme politique apporte, dans les affaires publiques, I'autorité d'une grande expérience.

« Auguste Orts naquit, à Bruxelles, le 7 avril 1814.

« Issu d'une famille de jurisconsultes distingués qui a fourni plusieurs générations de magistrats au conseil de Brabant d'abord, puis à la cour d'appel de Bruxelles, et plus d'un avocat au barreau, il fut toute sa vie occupé des grands intérêts du pays et, en particulier, de ceux de sa ville natale.

« Comment peindre cette organisation extraordinaire ; cette sagacité si prompte ; cette passion de l'étude ; cette universalité de connaissances ; cette lecture immense qui s'étendait aux sciences les plus diverses ; cette facilité de travail qui simplifiait toutes les questions, en écartait les superfluités el se faisait un jeu des dossiers les plus considérables ?

« Avocat à 19 ans, il prit, tout d'abord, une grande place au barreau où il ne tarda pas à se montrer jurisconsulte de premier ordre. Professeur à l'Université de Bruxelles, échevin de la ville, fondateur de la Belgique judiciaire, bâtonnier de l'ordre des avocats à la cour dc cassation, membre de divers jurys d'examen. et enfin membre de la Chambre des représentants, il suffisait à tout sans fatigue, et trouvait encore des loisirs pour écrire de remarquables ouvrages sur le droit, sur la politique et sur l'histoire du pays.

« Sa carrière parlementaire, qui commence au mois de juin 1848, lorsqu'iI succéda à son vénérable père, compte trente-deux années bien remplies. On peut dire qu'aucune questionne ne le laissait indifférent. Organisation judiciaire, organisation de l'armée, économie politique, instruction publique, beaux-arts, affaires étrangères, législation sur la presse, réforme postale, toutes ces matières le trouvaient préparé et donnaient à l'orateur l'occasion de nouveaux succès.

« A peine entré au Parlement, il se signalait comme rapporteur du budget de la justice, fonctions importantes à une époque où tout était mis en question et où de grandes réformes s'accomplissaient. On admira, dès lors, ce. jugement sain, cette parole sûre d'elle-même, cette profonde érudition qui lui assuraient tant d'autorité.

« Puis vient le rapport présenté au nom de la section centrale sur le Code forestier, œuvre de science qui semblerait émaner d'un homme spécial ; citons aussi le rapport relatif aux fortifications d'Anvers et celui qui concerne la Ioi sur l'organisation judiciaire. Ces travaux étaient une étude approfondie du sujet et une grande idée des intérêts élevés dont il avait à traiter.

« II avait le sentiment profond du droit. Plus d’un étranger de distinction lui doit une efficace protection ; il aimait à rappeler qu'il avait commencé sa carrière politique par la presse et à prendre la défense de la plus précieuse de nos libertés. Enfin, il trouva les plus nobles accents pour défendre la neutralité de la Belgique et provoqua une réponse restée célèbre. Nous l'avons vu souvent, comme rapporteur de la commission de l'Adresse, déployer les qualités de l'écrivain et celles dc l'orateur politique.

« Elu successivement deuxième vice-président de la Chambre en 1856, premier vice-président en 1857, et président en 1859, il exerça ces fonctions avec autant de zèle que de distinction. Sa parole vive et prompte répondait toujours à ce qu'exigeaient les circonstances.

« Son mérite était de ceux qui ne s'annoncent pas avec éclat ; mais son extrême. réserve, une timidité qui ne l'abandonna jamais, une défiance de lui-même que n'ont pu rassurer les plus grands succès, tous ces obstacles disparaissaient dans la lutte. Le discours, soit dans l'improvisation. soit après une longue méditation était toujours incisif et d’une rare lucidité. Il était l'homme de la méditation ; il s'isolait volontiers ; au milieu d'un débat auquel il semblait rester étranger, on le voyait se lever inopinément et donner la solution par une amendement, par une proposition, par un ordre du jour auquel il ralliait souvent tous les esprits.

« J'ai connu pendant trente-cinq ans cet esprit distingué. et j'ai été frappé des contrastes qu'il présentait entre l'apparence et la réalité. Il semblait froid et personnel : nul plus que lui cependant n'a été d'un commerce agréable, dévoué à ses amis, prompt à rendre un service, désintéressé et disposé à donner, sans se préoccuper jamais de la reconnaissance qu'il pouvait recueillir.

« Dans une vie si complète. mêlé aux grands événements de son pays. il s'est montré sans ambition personnelle, semblant ignorer souvent sa propre valeur. II refusa plusieurs fois le ministère et s'il fut nommé grand officier de l'ordre de Léopold et ministre d'Etat, il reçut ces honneurs si bien mérites avec sa modestie habituelle, et sans les avoir ambitionnés.

« Oublieux des services qu'Il rendait, il pratiquait en bon chrétien le pardon des injures.

« Il avait conservé des traditions de sa famille une foi profonde dans la religion catholique, et il en accomplissait pieusement les devoirs. A ses yeux. le libéralisme ne pouvait que se fortifier par l'idée religieuse. Son but était de dégager la religion de la politique, de la laisser dans les sphères sereines - accessibles à tous les hommes de bonne volonté, et inaccessibles aux passions humaines.

« Ce n'est pas des choses les moins extraordinaires de sa Vic. que n'ayant jamais recherché la popularité, ayant semblé la fuir, il fut en réalité si populaire. Aucune élection n'était plus assurée que la sienne et, il y a quelques mois, il passait en tète de la liste. L'arrondissement de Bruxelles était fier du doyen de ses représentants.

« Et puis son attachement à sa ville natale était sincère ct profond. Il revenait sans cesse à I'hôtel de Ville : il en connaissait les traditions, et ses conseils étaient toujours un guide sûr, autant qu'il était recherché.

« Haute intelligence : science profonde: dévouement inaltérable au pays : caractère bienveillant et désintéressé : ami dévoué ; libéral et religieux: tel est l'homme à qui nous venons rendre les derniers devoirs.

« II nous est permis dc croire qu'il a déjà obtenu la récompense que Dieu promet à ses élus. »

M. Vanderstraeten. bourgmestre de Bruxelles, a pris ensuite la parole. Voici son discours :

« Messieurs.

« C'est avec une profonde douleur que je viens. au nom du conseil communal de Bruxelles et de la population bruxelloise, apporter un dernier tribut d'hommages et de regrets sur la tombe de notre cher collègue. Auguste Orts.

« Au barreau, dans I'enseignement, à la Chambre des représentants, dans les conseils de I'Etat, Orts avait conquis une place prépondérante, et sa ville natale a Ie droit d'être fière d'avoir donné au pays un citoyen aussi éminent.

« Cependant, messieurs, quels que soient les mérites da publiciste, la science du jurisconsulte, le talent de l'homme d'Etat, il nous sera permis à nous, mandataires dc la capitale, d'insister surtout sur le vide considérable que laisse au conseil communal la mort de cet homme d'élite. En se dévouant pendant vingt-quatre ans aux fonctions communales, Auguste Orts nous a montré qu'il réservait à la ville de Bruxelles une affection spéciale et consacrait aux intérêts de ses concitoyens une large part de sa vie. A la Chambre il représentait du reste notre arrondissement et l'autorité de ses paroles y servait efficacement les affaires qui concernaient directement la ville. II était resté le dernier de cette brillante pléiade de magistrats communaux aujourd'hui disparus, Anspach, Funck, Ernest Allard, qui portaient au Parlement une sorte de délégation des intérêts communaux.

« Le dévouement à la commune était pour Auguste Orts une tradition de famille, et c'est en remplacement de son père qu'il fut nommé conseiller le 11 mars I856. Depuis cette époque, son mandat fût sans cosse renouvelé. et récemment encore, le 29 octobre 1878, il en obtenait la confirmation à une grande majorité.

« Dès son entrée au conseil communal, Orts acquit la plus grande autorité, et son savoir juridique, sa haute expérience des affaires, son jugement droit et sûr furent un précieux appui pour l’administration.

« Nommé échevin le 1er décembre 1869, il dirigea le contentieux pendant une période où s'accumulaient les difficultés, où les questions les plus épineuses surgissaient à chaque instant. Orts donna sa démission d'échevin le 27 novembre 1873 pour reprendre ces fonctions à titre intérimaire du 8 août 1878 au 12 février 1879 ; mais qu'il fît ou non partie du collège, il n'en resta pas moins le guide éclairé dont les conseils étaient écoutés et suivis pour le plus grand bien de la ville de Bruxelles.

« Dans les débats publics du conseil, comme dans les délibérations des sections, Orts brilla au premier rang et sa collaboration puissante attache son nom aux réformes nombreuses et aux grands travaux accomplis depuis vingt-quatre ans dans la capitale. Jamais il ne ménagea ni son temps, ni ses peines dans ce labeur quotidien, et la reconnaissance de ses concitoyens lui apparaissait comme la plus douce récompense dc ses travaux.

« Cette reconnaissance, messieurs, vient s’affirmer aujourd'hui sur la tombe d'Auguste Orts. La population bruxelloise attristée entoure son cercueil, et de toutes parts s'élève un concert de regrets. Ce suprême hommage rendu à un homme supérieur, ne nous fait que mieux sentir l'amertume de la séparation. Mais si nous avons perdu ce conseiller prudent et sage qui, malgré son âge peu avancé, était en quelque sorte notre Mentor, du moins avons-nous la consolation dc nous dire qu'il a laissé à I'hôtel de ville des souvenirs et des exemples dont la féconde tradition sera précieusement conservée.

« Adieu, cher et regretté collègue ; Orts, adieu ! »

Voici le discours prononcé par M. De Becker, au nom des barreaux de la cour de cassation et de la cour d'appel :

« Messieurs,

« Il y a peu de temps - il me semble que c'était hier - réunis autour de la tombe d'un confrère éminent, qui brille d'ailleurs d'un grand éclat dans plus d'une sphère, et dont on rappelait la couronne d'honneurs et de distinctions, - nous recueillions ces paroles, adressées au nom du barreau à l'illustre défunt :

« Pour nous, avocats de cœur et d'âme comme celui que nous pleurons, la robe qu'il a illustrée décore le mieux sa tombe ; elle nous cache le reste.

« C'est celui dont nous entourons la tombe aujourd'hui, qui parlait ainsi ; - et ce suprême hommage rendu à Hubert Dolez, - j’ai le droit, au nom du barreau également de le reprendre et de I'adresser à Auguste Orts.

« Car à cet homme élite, qui a brillé, lui aussi. dans plus d'une sphère, les distinctions et Ies honneurs n’ont pas manqué non plus ; mais comme toujours et par dessus tout avocat.

« Appartenant à une famille où le culte de la science du droit était en quelque sorte traditionnel, il en fut lui-même un des plus fervents disciples ; à l’âge de 19 ans, il arriva au barreau sous Ie patronage de son vénérable père et il y conquis d'emblée une des premières places.

« Dès 1843. il fit partie du conseil de l'ordre des avocats à la cour d'appel, - cet aréopage de la corporation ; - et en 1848, il fut appelé aux fonctions d'avocat à la cour da cassation. - Là aussi ses confrères l'élurent bientôt membre du conseil de l'ordre ; - et quant nous eûmes perdu celui qui fut notre chef élu pendant 28 ans, celui que M. Orts lui-même a appelé notre chef de fait, par l’autorité du talent el du caractère, c'est Orts que nous élevâmes unanimement à la dignité de bâtonnier.

« Il était un travailleur infatigable ; sa brillante intelligence était servie par une mémoire merveilleuse une remarquable facilité d'assimilation.

« C'est ainsi que malgré les heures données à la politique, à l'administration des affaires publiques, au professorat et à la culture des lettres - ses plaidoiries révélaient toujours l'étude consciencieusement approfondie des affaires dans Iesquelles il prenait la parole.

« L'exposé du fait était net et précis ; l'argumentation serrée et incisive ; - subtile peut-être parfois, toujours marquée au coin de la science du grand jurisconsulte.

« Sa parole, froide et correcte, commandait I'attention ; elle devenait bientôt attachante, et s'élevait à une grande hauteur quand les circonstances de la cause s'y prêtaient.

» Nul aussi occupé que lui, n'était aussi assidu aux audiences, et nous l'avons toujours vu prêt pour la défense des intérêts qui lui étaient confiés.

« II pratiquait scrupuleusement et avec la plus grande délicatesse cette haute mission de notre ministère qui consiste éclairer et à conseiller le client : - il s'efforçait d'apprécier et de concilier avant de plaider ; et soucieux de la dignité de sa profession, il se montrait observateur de nos vieilles et nobles traditions.

« Bienveillant pour tous les confrères, il était rempli de sollicitude pour les jeunes ; il leur donnait avec un rare dévouement de précieux conseils et par l'exemple d'un travail incessant, il leur enseignait la manière d'honorer dignement le barreau ; - sous une froideur apparente, il cachait un noble cœur, dont Ie charme se révélait dans les entretiens de l'amitié.

« L'un des fondateurs de la Belgique judiciaire en 1843, il prit toujours la part la plus active à sa rédaction ; sa plume élégante et facile y conservera un grand nombre d'études ou de dissertations remarquables, ainsi que l'analyse de nombreux ouvrages dont il a fait une judicieuse et savante critique.

« En 1867, il fit paraitre un grand traité sur l'Incapacité civile des corporations religieuses non autorisées ; et si les principes développés par l'auteur ont pu être l'objet d'appréciations diverses, chacun a rendu un hommage au polémiste distingué et au jurisconsulte de la grande école.

« Peu après,- en 1872 - il fit publier, par la Société des Bibliophiles flamands, la Pratique criminelle de Philippe Wielant, d'après le seul manuscrit connu, - et il l’enrichit d’une introduction du plus haut intérêt, au point de vue de l'histoire du droit belge.

« Dans un autre genre d’études, Orts nous laisse encore deux publications estimées : la Guerre des Paysans et le Château de Beersel.

Je ne puis qu'esquisser ici les principaux traits de cette vie toute de labeur, dont l'éclat était rehaussé par leur simplicité antique et une modestie rare.

» Atteint depuis plusieurs mois d'un mal qui ne pouvait être vaincu, se faisant illusion sur la gravité de sa situation, il ne voulut pas prendre Ie repos qui lui était si nécessaire ; il lutta avec héroïsme contre les souffrances qui l'étreignaient et il s’efforçait de les oublier dans le travail.

« Nous l’avons vu à l’œuvre jusqu'à la dernière heure ; et il y a bien peu de jours il était encore parmi nous au Palais, revêtu de la robe, qu'il a si noblement portée pendant de longues années : la maladie avait miné sa robuste constitution, et sa voix brisée nous impressionnait douloureusement ; nous admirions avec respect et avec angoisse la vaillance de ce lutteur, mortellement atteint, et qui semblait vouloir mourir debout, au champ d’honneur !

« Et il est mort comme cela - au milieu de ses livres et dans les bras de ses enfants !

« Orts a parcouru une carrière illustre au barreau ; il nous laissera le souvenir d'un grand maître et d'un excellent confrère ; - je puis le proclamer au nom des barreaux de cassation et d'appel, qui m'ont chargé tous deux d'être ici leur interprète.

« Adieu, Orts ! adieu cher et bon confrère ! que la clémence divine, dans laquelle tu as toujours eu confiance, te récompense pour le bien que tu as fait ! »

M. Vanderkindcre, recteur de l'Université de Bruxelles, prononça le discours suivant au nom du corps professoral :

« Messieurs,

« C'est chose bien rare de voir un homme qui s'illustre au barreau et dans la politique, trouver encore le temps de se consacrer à la science. Mais Ie grand mort que nous pleurons aujourd'hui était de ceux pour lesquels Ie travail semble n'être qu'un délassement, et qui se reposent des luttes de la journée en préparant des leçons et des livres. Allier ainsi l'activité pratique à la recherche patiente et désintéressée du vrai, c'est mettre en valeur toutes les forces dont peut disposer une d'élite, c'est vivre d'une double vie.

« L »Université de Bruxelles est fière de compter Auguste Orts au nombre de ses anciens collaborateurs. Dès 1838. il recevait le titre d'agrégé et il était chargé du cours d'économie politique et de statistique; le 16 août 1839. il fut promu au rang de professeur extraordinaire, et le 7 novembre 1844 à celui de professeur ordinaire. Son cours, aussi savant que méthodique, et toujours tacitement apprécié de ses élèves. portait la marque de cet esprit clair et puissant, qui saisissait d'un coup d'œil les problèmes les plus complexes, et mettait en pleine lumière les difficultés ainsi que leurs solutions.

« Malgré l'importance de ses autres travaux qui se multipliaient sans cesse, Orts donna ses leçons jusqu'en 1860 ; à cette époque il avait éprouvé cette sorte de découragement, que donna à tous les amis des hautes études la triste loi de 1857 ; il avait pu apprécier la valeur des cours à certificats, cette malencontreuse création qui porta un coup fatal à notre enseignement ; il avait vu l'économie politique rangée au nombre des sciences que le professeur devait enseigner, mais qu'il était loisible aux étudiants de ne pas savoir ; il crut, non sans raison, qu'il était au dessous de sa dignité de remplir le rôle stérile de maître qui n'exige de ses auditeurs que Ieur présence matérielle : il renonça donc à sa chaire ; mais il eut à cœur de figurer toujours sur le tableau de l'Université, et jusqu'à sa mort il conserva le titre de professeur ordinaire.

« En quittant I'enseignement, Orts n'abandonnait pas d'ailleurs la science, et les deux ouvrages qu'il publia en 1863 et en 1867, sans parlcr de ses nombreux articles dans la Belgique judiciaire, montrent la remarquable souplesse de son esprit et ses dons extraordinaires qui lui permettaient d'aborder .successivement les études les plus diverses.

La lecture d'un roman de Conscience lui avait inspiré l'idée de consacrer un travail approfondi à l'un des épisodes les moins connus de notre passé, la Guerre des Paysans. Pénétré d'un sentiment patriotique intense, ce livre offre le tableau saisissant des souffrances et des luttes de nos campagnards pendant la domination française. On y sent la main du jurisconsulte, habitué à manier les documents et à leur arracher tous les secrets : sans discipline préalable, Orts était arrivé d'un seul coup à se révéler historien ; son œuvre, ferme, harmonique, unit la précision des détails à un véritable charme dans l'exposition.

« Je ne m'étendrai point sur son deuxième grand ouvrage : De l'incapacité des congrégations religieuses non autorisées. Tous ceux qui ont touché à cette question savent que ce travail fit époque et qu'il demeure Ie manuel indispensable pour déjouer les fraudes de la mainmorte. Si quelque jour une législation plus complète met fin aux abus qui se reproduisent incessamment dans ce domaine, Orts aura toujours la gloire d'avoir révélé l'étendue du péril dont la société était menacée, et d'avoir indiqué les plus prompts remèdes.

« Pourquoi faut-il hélas ! qu'une intelligence si haute n'ait pu pendant de longues années encore contribuer aux progrès de la science ! L'Université de Bruxelles conservera intact le souvenir de l'homme éminent qui a bien voulu lui donner son temps et son travail. Adieu, cher maître et cher confrère, adieu ! »

Enfin, M. Pecher, président de la Fédération libérale. dominant à grand-peine l'émotion qu'il éprouvait, s'exprima en ces termes :

« Messieurs,

« La Belgique libérale porte aujourd'hui le deuil de M. Auguste Orts. et c'est au nom de la Fédération des associations libérales du royaume, que je viens rendre à l'illustre défunt un suprême hommage de respect, de gratitude et d'admiration.

« Son caractère a été d'une intégrité antique - ses services éminents - son talent hors de prix.

« Nous avons tous présente à l'esprit cette grande carrière politique commencée il y a 32 ans. N'est-elle pas remplie d'actes marquants. tous inspirés par un amour élevé du bien public et de la liberté, par un ardent patriotisme, tous aussi ne révèlent-ils pas, à côté d'un profond sentiment du devoir. celui de l'indépendance et de l'abnégation, le respect du droit et de la vérité. - Vie de travail et d'honneur qui dira bien haut aux générations qui arrivent comment l'on peut servir la patrie.

« M. Auguste Orts a apporté une indomptable fermeté à vouloir l'application du principe libéral dans les lois du pays. il voyait dans ce principe le bonheur. le repos, l'avancement de la patrie. II l'a défendu, sans défaillance d'un instant, au conseil communal de Bruxelles comme dans la chaire du professeur de l'université, devant la barre des avocats comme à la Chambre des représentants.

« Constitutionnel par excellence, il était l'incarnation vivante de la société civile, dc son indépendance, de ses principes et de ses droits. Sa vie a été logique comme ses discours.

« Il ne m'appartient pas de relater ici les circonstances mémorables où M. Auguste Orts s’est montré un grand parlementaire, un chef de parti habile, un pilote sagace, un juriste profond. un patriote digne de toutes les libertés et de toutes les garanties que nous assure la Constitution ; - l'expansion de la reconnaissance, du respect et de la douleur échappe du cœur. Au nom du parti libéral, j'ai parlé. Qu'il me soit permis seulement de relever avec un sentiment d'orgueil national ce que valent des institutions qui produisent de pareils hommes.

« Ce n'est point sans la plus vive émotion que j'ajoute encore une parole an nom des libéraux anversois. «

Dès 1869, date d'une réforme notable de notre système électoral. M. Auguste Orts a été leur conseil, leur protecteur, le défenseur de leurs droits politiques devant nos juridictions supérieures.

» Doué d'un esprit pratique incomparable, sa grande position politique ne l'a pas empêché de prendre à côté de nous la place de lutteur. D'ailleurs il luttait pour le droit et il apportait à la défense de notre juste cause son âme tout entière. Ses savantes plaidoiries ont bien souvent contribué à fixer la jurisprudence électorale.

« Dans cette lutte, que son bon sens natif était admirable !

« Il nous disait que les seules victoires durables étaient celles qui avaient pour base une organisation solide étayée sur la défense du droit.

« Celles-là il les saluait avec bonheur, avec confiance. Elles étaient acquises par le droit et pour le droit.

» Maître, ami et protecteur, vos grands exemples ne seront pas perdus pour nous : nous les mériterons, nous les suivrons et votre souvenir vivra impérissable dans nos cœurs profondément reconnaissants et désolés.

« Auguste Orts, adieu ! »

Hier, S. M. le Roi a chargé M. Ie colonel d'Anethan, son officier d'ordonnance, d'exprimer à la famille de M. Orts la part qu'il prend au malheur cruel qui vient de la frapper.