Neujean Xavier, Léonard, Nicolas, François libéral
né en 1840 à Theux décédé en 1914 à Liège
Représentant entre 1878 et 1912, élu par l'arrondissement de Liège(Extrait deL’Indépendance belge, du 28 janvier 1914)
Mort de Xavier Neujean
M. Xavier Neujean est mort lundi soir
Une émotion profonde répondra dans tout le pays à la nouvelle de cette mort. Le jugement sûr, l'esprit de tolérance, le sens politique et l'éloquence de Xavier Neujean recevront l'hommage de tout le libéralisme belge dont il fut un des chefs la plus aimés.
Sa grande expérience des hommes, son tact et sa volonté soutinrent le rôle considérable qu'il remplit dans les conseils de son parti.
Il jouissait à la Chambre d'une autorité légitime sur la gauche libérale qu'il présidait avec Paul Janson, et c’est à ces deux politiciens surtout qu'est due la reconstitution de l'union libérale.
Xavier Neujean était le petit-fils d'un avocat qui plaida, sous la période française, à Liége. Il était né à Theux en janvier 1840. Elève du Collège de Herve, puis de l'Athénée de Liége, il conquit le diplôme de docteur en droit à l'Université de cette ville et prêta, en octobre 1861, le serment d’avocat.
Pendant un demi-siècle, Xavier Neujean fut un des avocats les plus brillants du barreau liégeois. Il y fut appelé deux fois à l'honneur du bâtonnat.
En 1865, il se mêla déjà aux choses de la politique et obtint une candidature au Conseil communal. En 1870, il fut élu conseiller provincial du canton de Liége et fut, la même année, candidat des libéraux de Verviers à la Chambre des représentants. Mais les élections de 1870 amenèrent la chute du gouvernement, et l'arrondissement de Verviers fut un de ceux qui contribuèrent à cette chute.
Au mois de janvier 1878, Xavier Neujean fut candidat de l’Association libérale de Liége à la Chambra et son mandat fut renouvelé à chaque élection jusqu'à la débâcle du S.U. plural en 1894.
Grâce à la représentation proportionnelle, Xavier Neujean rentra au Parlement en 1900 et y siégea jusqu’en 1912, quand il se retira, sentant son activité fatiguée Le Roi le nomma alors ministre d'Etat.
Pendant cette longue carrière parlementaire, Xavier Neujean avait pris part à tous les grands débat politiques. II avait été l’un des initiateurs et le collaborateur le plus passionné de l'enquête scolaire qui dénonça l'action révolutionnaire des évêques.
Il avait été seul à voter contre l’union personnelle de la Belgique et du Congo, sous le règne du roi Léopold II.
En 1899, il mena avec énergie la campagne extraparlementaire contre le projet électoral Vandenpeereboom, campagne qui fit instaurer la représentation proportionnelle.
En dehors de ma Chambre, le rôle politique de Xavier Neujean fut aussi important. Nommé président de la Fédération libérale en 1889, il eut à organiser le congrès libéral de 1894. L'œuvre était difficile, les libéraux progressistes ayant décidés de marcher seuls, sans attendre les décisions du libéralisme. Xavier Neujean crut pouvoir amener les progressistes au congrès, et proposa un programme social comprenant les réformes « compatibles avec le respect de la propriété individuelle et de la liberté du travail des adultes. » Mais l’accord ne pu se faire.
Il fut de toute les campagnes électorales et de toutes les manifestations du parti libéral.
Avocat, Xavier Neujean était un orateur d’une belle distinction, sa voix grave exprimait la sincérité et la fermeté de sa pensée.
Son éloquence était spontanée et d’une diversité curieuse. Il possédait l'art de varier les expositions et de présenter une argumentation sous des formes différentes. Il fut un des maîtres du barreau de Liége et forma de nombreux stagiaires qui gardent de Xavier Neujean les souvenirs d'un sage et admirable professeur de volonté et de dignité.
Membre du conseil de l'Ordre, pendant de longues années, il fut élu pour la seconde fois bâtonnier en 1911, à l'occasion de son cinquantenaire. Il ne voulut alors que d'une fête tout intime.
A la mort du sénateur, ministre d'Etat, Emile Dupont, dont il fut l’ami, la Ville de Liége demanda à Xavier Neujean d’être son conseil.
Depuis un an, il ne plaidait plus.
Lors de rentrée, en décembre dernier, on avait acclamé avec enthousiasme le nom de Xavier Neujean.
En dehors de vie politiquer et du barreau, c'était un lettré et un artiste ; il cultivait la musique, lisait les poètes et les philosophes.
Longtemps il fut le président de la célèbre chorale « La Légia » et il fut un des protecteurs des concerts créés par Sylvan Dupuis, concerts qui contribuèrent à l’éducation musicale de la population liégeoise.
Xavier Neujean, avec des convictions arrêtées, pratiquait la grande vertu libérale et laïque qu'est la tolérance.
Il était le père de Mme Charles Neer, femme du directeur administratif de la Compagnie des Wagons-Lits à Paris; de Mme Baertsoen, femme du peintre, et de M. Xavier Neujean, membre de la Chambre des représentants
(Extrait de La Meuse du 27 janvier 1914)
Mort de M. Xavier Neujean, Ministre d'Etat
Une douloureuse nouvelle nous arrive : M. Xavier Neujean, l'éminent ministre d'Etat, est mort. On ne peut se résoudre à croire à une pareille nouvelle. Xavier Neujean ! Ce lutteur robuste, cet homme vaillant, dont toute la vie ne fut qu’un labeur obstiné, ce noble caractère qui voua toute son existence à la défense de ses idées : la tolérance et la liberté, n'est plus ! C'est un véritable homme d'Etat qui disparaît.
Cette mort endeuille le pays et le parti libéral. Car avec Xavier Neujean, s’éteint un foyer ardent de patriotisme et de libéralisme. Xavier Neujean appartenait à cette fière génération d’esprits formés à l'école de la liberté et animés du souffle des grands principes démocratiques. Quel tempérament âme d’élite !
Xavier Neujean se souciait peu des honneurs, parce qu’il avait le culte profond des idées. Ceux qui le connaissaient avaient pu apprécier sa ferveur passionnée au travail. Qu'il s'occupât de droit ou de politique, c'était toujours la même fougue, et les heures de loisir qu'il se permettait avec parcimonie, il les consacrait à la littérature et à l'art. Il lisait beaucoup. C'était un admirateur documenté de nos écrivains classiques, et, parmi nos écrivains contemporains, il ne dissimulait pas la prédilection qu'il éprouvait pour Anatole France et dont la clarté et la pureté du style faisaient son émerveillement.
Très artiste, il aimait s'entourer d’œuvres d’art, et, comme il avait en lui une âme de poète, c'est vers la musique - le plus poétique des arts - qu'allaient toutes ses préférences. On le voyait très rarement au théâtre, mais on le rencontrait souvent aux auditions musicales et aux séances de musique de chambre.
Xavier Neujean avait aussi l'amour des idées générales. A notre époque d'ambitions étroites, les idées générales ne sont plus guère en honneur. Xavier Neujean ne s embarrassait pas de la mesquinerie des discussions de personnes ou d'intérêts. Il voyait plus haut et il abordait toutes les questions soumises à son jugement avec l'ampleur qui leur convenait.
Chaque fois qu'il intervenait à la Chambre ou à l'Association libérale, on pouvait être certain qu'il allait élever le débat.
Avec cela, une probité foncière, une honnêteté de pensée et de cœur absolument inattaquable.
L’homme politique
Il était né dans la petite Ville de Theux, en 1841. Très intelligent, il fit de brillantes' études primaires et il ne tarda pas à se distinguer par la vivacité de son esprit et de remarquables facultés d'assimilation. A l'Université de Liége, il passa ses examens de droit avec les plus hauts grades et, à peine entré au barreau, son besoin d'activité le poussa dans la mêlée politique. Il fut d'abord conseiller communal, puis Frère-Orban, qui l'avait distingué entre tous en fit un de ses lieutenants préférés. Xavier Neuiean fut nommé député et, jusqu’en 1893, il remplit son mandat avec la plus active autorité.
Pendant sept ans, il resta éloigné du Parlement, où il rentra à la faveur de l'application de la Représentation proportionnelle. Sur ces entrefaites, en 1900, une crise communale eut lieu à Liége. qui provoqua on s'en souvient, la nomination d'un Collège tripartite. M. Léo Gérard avait donné sa démission de bourgmestre. La situation était très difficile. C'est alors que l'on convint qu'un seul homme pouvait dénouer la crise et l’on songea à offrir la charge de bourgmestre à Xavier Neujean, qui, jugeant ne pouvoir remplir cette mission importante comme il l'aurait désiré, déclina l'honneur qui lui était fait.
Rentré au Parlement, Xavier Neujean, y occupa aussitôt une situation de tout premier plan. Il fut nommé, avec Paul Janson, président des gauches libérales parlementaires, fonction qu'il remplit jusqu'en juin 1912. A ce moment, il résolut de ne plus demander le renouvellement de son mandat parlementaire.
Ayant toute sa vie travaillé sans trêve, ayant aussi été atteint très douloureusement dans ses affections les plus chères par des deuils cruels, il décida de se retirer de la vie publique.
Quelque temps auparavant, voulant reconnaître les services considérables rendus à notre pays par Xavier Neujean, le Gouvernement avait présenté au Roi la nomination de ministre d Etat.
Le dernier discours qu'il prononça à l'Association libérale fut profondément 'émouvant. Il faisait appel à l'énergie de tous et il demandait que tous élevassent leur âme à la hauteur des circonstances. Ce fut un moment pathétique et Xaxier Neujean emporta dans sa retraite la reconnaissance émue de tous, leur considération, leur profonde estime et leurs regrets.
Xavier Neujean est mort avec une grande tranquillité d’âme et sans avoir assisté au triomphe des idées pour lesquelles il avait si énergiquement combattu toute sa vie. Mais il avait en elles une fois très robuste et il est mort avec la certitude qu'avant qu'il soit longtemps la vérité qui est en marche finira bien par vaincre toutes les réticences.
Xavier Neujean était un debatter parlementaire qui possédait une dialectique très vigoureuse et ses avis étaient toujours écoutés avec la plus attentive déférence.
Il prit part à toutes les discussions importantes : enseignement public, question militaire, question coloniale, réforme électorale, et quelques-uns de ses discours sont de véritables modèles d'éloquence parlementaire.
A la tribune, il faisait merveille. Il avait la voix puissante, le geste ample, de belles attitudes. On n'a pas oublié le discours retentissant qu'il prononça au Casino Grétry, à l'époque où, en 1899, M. Vandenpeereboom avait tenté le découpage électoral de notre pays, de façon à assurer au Gouvernement clérical la. perpétuité du pouvoir. C'était un magnifique tribun, à la tête qui impressionnait vivement la foule par la sincérité de son accent, la chaleur de son verbe et l'éclat de ses images. Car il soignait toujours la forme et, même dans ses harangues électorales, on avait plaisir à relever un style délicieux de pureté, d'élégance et de fraîcheur.
L’avocat
Le Palais de Justice eut une grande part dans la noble existence de M. Meujean. Ce fut un grand avocat. Et on peut dire que, durant un demi-siècle, pas un important débat, pas une cause retentissante ne fut portée devant les tribunaux liégeois, sans que sa voix ne s’y fût fait entendre.
Il réalisait, dans son expression la plus complète, le type de l'avocat. Chose rare, il était également remarquable, qu'il plaidât devant les juges civils, devant les tribunaux correctionnels, devant la Cour d'assises.
Il possédait une science juridique d'une étendue, d'une variété immense. Elle était servie par une puissance de travail stupéfiante et aussi par une admirable culture intellectuelle et artistique.. On peut dire de lui, avec justice, que rien d'humain ne lui était étranger.
Lorsqu'il abordait la barre, dans un gros procès civil, il affirmait une connaissance approfondie dg dossier, une étude complète de la question de droit et, cette question, il la posait, d'emblée, au seuil du débat, avec autorité. clarté, débarrassée de toutes les broutilles, de tous les à-côté de l'affaire.
Il se jouait, au milieu des questions les plus complexes des discussions les plus hérissées de chiffres, avec une extrême aisance. C'est ainsi qu'il plaida avec une compétence toute particulière les affaires d'expropriation, relatives à tous les grands travaux qui ont été exécutés dans notre région. Il en fut de même des poursuites en matière de jeux. Dans la plupart des affaires de ce genre, ce fut lui qui porta la parole.
Il plaida de retentissants procès en matière de testaments. Dans tous ces domaines, il se montra égal à lui-même, c'est-à-dire un éminent maitre du Barreau.
Mais peut-être fut-il supérieur encore devant les tribunaux répressifs et surtout devant le jury. Sa voix sonore, son geste ample, sa parole imagée, colorée, vibrante, enflammée, aux périodes harmonieuses, soulevaient les auditeurs. Il déployait une éloquence entraînante, des mouvements irrésistibles, une chaleur émouvante, qui arrachaient aux jurés un verdict d'acquittement. Et quelle autorité ! Toujours il revendiqua avec fierté, avec passion, les privilèges de l'avocat, les droits de la défense. Malheur au Ministère Public qui eût tenté d'y porter la plus légère atteinte. En quelques paroles cinglantes, en un coup de boutoir magistral, il l'avait anéanti. D'un coup d'aile, il élevait un débat au-dessus du procès en cours, pour lui donner une portée générale, une ampleur parfois pathétique.
Toujours, d'ailleurs, il se montra le défenseur ardent des sentiments les plus généreux, des causes les plus nobles et les plus hautes. Et il honora grandement la profession d'avocat, qu’il exerça avec tant de dignité pendant cinquante-trois ans.
Cette profession, il l'aimait du plus profond de son cœur. Ecoutez en quels termes émouvants il en parlait lui-même : « La vérité est que j'ai toujours aimé et que j'aime encore le Barreau par dessus tout, et pour lui-même, et sans autre considération, que je crois avoir toujours eu le sentiment intégral de la dignité professionnelle ; que mes devoirs professionnels m'ont constamment paru les premiers et les plus doux de mes devoirs.
« Je reste convaincu que la fonction du Barreau est, avec celle de la magistrature, et à titre égal, la plus auguste, la plus essentielle à la paix et au progrès social.
« Collaborer à l'application du droit aux innombrables rapports que les évolutions infinies de la vie créent entre les hommes, et entre les hommes et les choses ; coopérer à l'œuvre de justice par une préparation aussi indispensable que la décision même qui la réalise, est-il pour l'homme une tache plus élevée ? »
Ces belles paroles, qui dénote l’idéal poursuivi au Barreau par Maître Neujean il les prononçait le 25 novembre 1911, lorsque le Conseil de l'Ordre des Avocats, les anciens bâtonniers et les anciens stagiaires du maître s'étaient rendus chez lui pour le féliciter à l'occasion du cinquantenaire de son entrée au Barreau, On aurait voulu, au Palais, fêter ces noces d'or par une grande manifestation. Elle eût certainement réuni, dans un même clan d'admiration, et la magistrature et le Burreau tout entiers. La modestie de Maître Neujean se refusa à cette cérémonie publique où il eût été célébré comme il méritait de l'être.
L'anniversaire fut fêté en une réunion intime où, parmi les anciens stagiaires venus se grouper autour du maître vénéré, se remarquaient : MM. Jacques, conseiller à la Cour de Cassation ; Delgeur, président du tribunal : Kleyer, bourgmestre de Liége ; Bia, ancien bâtonnier ; Waleffe,. juge d'instruction ; Jamar, substitut du Procureur du Roi, et un grand nombre d'autres, qui se sont fait un nom au Barreau, dans la politique, dans l'administration, dans la finance.
Maître Neujean était un des vétérans du Barreau liégeois. Il avait, en effet, prêté serment le 15 octobre 1861. Y brillaient à ce moment des hommes éminents tels que Forgeur, Cornesse, Clochereux, dont le souvenir persiste encore au Palais. -Maître Neujean sut, d’emblée, se faire un nom à côté des illustres anciens.
Son autorité ne fit que grandir jusqu'à lui conquérir une des toutes premières places du Barreau belge.
Le Barreau liégeois conservera de Maître Neujean un souvenir ému et reconnaissant. Il fut une de ses gloires les plus pures. Et sa vie, tout entière consacrée au travail, au culte du Droit et de la Justice, demeurera comme un noble exemple.
* * *
Depuis sa retraite volontaire de la vie publique. M. X. Neujean, ministre d' Etat, grand officier de l’Ordre de Léopold, avait peu à peu senti peser sur ses épaules le poids des lourdes années de labeur acharné, de luttes exténuantes où sa vaillance et sa santé s'étaient fortement ébranlées.
Il s'est éteint lundi, vers 4 heures du soir, après quelques jours seulement de suprême souffrance, entouré des soins dévoués et vigilants que la reconnaissance et la vénération de ses enfants et petits-enfants avaient réunis au chevet de son lit.