Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Mascart Louis (1811-1888)

Portrait de Mascart Louis

Mascart Louis, Albert, Napoléon libéral

né en 1811 à Ohain décédé en 1888 à Ohain

Représentant entre 1876 et 1884, élu par l'arrondissement de Nivelles

Biographie

(TIRIFAHY Eloge de Louis Mascart, docteur en médecine, chirurgie et accouchements, membre titulaire, ancien président de l'académie royale de médecine de Belgique, ancien conseiller provincial du brabant, ancien membre de la chambre des représentants pour l'arrondissement de Nivelles, ancien membre de la commission médicale provinciale du brabant, bourgmestre de la commune d'Ohain, Bruxelles, Académie royale de médecine de Belgique, 1891)

« Je me représente, disait Diderot, la vaste enceinte des sciences comme un grand terrain parsemé de places obscures et de places éclairées. Nos travaux doivent avoir pour but, ou d'étendre les limites des places éclairées, ou de multiplier sur le terrain les centres de lumières.

« Ce dernier rôle appartient au génie créateur, à ces individualités exceptionnelles, incarnations étonnantes du développement inconscient de l'humanité.

« Mais la reconnaissance et l'admiration que nous devons à ces grands hommes ne doit pas nous faire oublier les chercheurs consciencieux dont le patient travail, complétant les résultats acquis, prépare les voies à l'avenir et constitue la condition, l'antécédent indispensable de l'épanouissement du génie. »

Tel celui dont je viens vous parler aujourd'hui.

Louis Mascart fit ses études médicales à l'ancienne Université de Louvain et à la Faculté de Paris. Dès cette époque, sa valeur intellectuelle fut consacrée par d'importants succès universitaires. Son nom, sa fortune, qui lui permettaient de ne pas se laisser absorber par les mille devoirs de la pratique, tout se joignait à son talent pour lui assurer, dans quelque grande ville, une carrière brillante.

Il préféra se retirer à Ohain, son village natal, et se consacrer tout entier à ses amis, à ses pauvres, à ses études. Mais, dans le cercle restreint qu'il voulait assigner à son activité intellectuelle et morale, il donna de tels exemples que, malgré les résistances de sa modestie, on vint l'arracher à sa studieuse retraite : peu de temps après la fondation de l'Académie de médecine, il en fut nommé membre adjoint ; au mois d'octobre 1848, on l'élut membre titulaire ; à la mort de M. Fossion, il fut appelé par l'unanimité de ses collègues à la présidence de notre Académie.

A l'apogée de sa vie, apportant au service des idées qui lui étaient chères l'autorité scientifique, l'expérience acquise par trente années de dévouements et de labeurs, les sympathies unanimes qui lui avaient valu le beau nom de « Père des pauvres », Mascart se met à la disposition de ses amis politiques et devient successivement conseiller provincial et représentant pour Nivelles. Nous le retrouvons dans cette nouvelle situation constamment préoccupé de ce qui fut toujours le principal ressort de son activité : le plus grand bonheur du plus grand nombre. Ami dévoué des classes déshéritées, il fut de ceux qui réclamèrent la réorganisation de l'enseignement primaire et qui demandèrent la réglementation du travail des enfants dans les mines.

Rarement il prit part à des débats purement politiques ; mais s'agissait-il du développement de l'instruction, de la défense des intérêts du paysan, de la protection du travail industriel, de l'amélioration de l'hygiène publique, cette « moralité physique » des grandes agglomérations, le vieux savant, sans trêve et sans relâche, se dressait à son banc de combat. Nisi post laborem, non honesta quies, telle fut toujours sa devise.

Mascart mourut en 1888, plein de jours, pouvant offrir en sacrifice à la mort plus de cinquante années de travail et d'abnégation. Longue fut sa suprême maladie. A même d'en suivre les progrès, jamais il n'eut de défaillance : « Celui qui donne sa vie la retrouvera », disait le Christ. Peut-être avait-il aux heures dernières cette mystique espérance. Peut-être aussi pensait-il comme P.-J. Proudhon : « J'ai bien combattu, Bonum certamen certavi, je suis bien préparé, je meurs entouré de ceux que j'aime, sans crainte ni désir, car j'ai mon Paradis dans mon cœur. »

Il fut, sur sa demande, enterré de grand matin, dans le cimetière de son village, sans cérémonies et sans discours.

Ce serait peut-être le cas de rappeler ces vers pleins de mélancolie de Sully Prud'homme :

« Sous l'herbe en hâte remuée - Il dort, perdu, ne recevant - Que les pleurs froids de la nuée - Les soupirs sans âmes du vent. »

Mais la presse locale rendit à la mémoire de notre collègue de touchants hommages ; elle honora l'homme politique qui, « combattant toujours avec loyauté, a quelquefois été vaincu, mais est toujours resté à son poste » ; elle redit les mérites du praticien modeste et vaillant qui se dévoua au service de tous, avec un désintéressement admirable, dans les fatigues journalières de la profession comme pendant les rudes périodes des épidémies.

Un de ses concitoyens écrivait, au retour des funérailles, les lignes suivantes :

« La classe pauvre, laborieuse de la commune d'Ohain vient d'accompagner au champ de repos les restes d'un honnête homme. Cet homme de bien était vénéré de tous ceux qui l'approchaient. Personne n'oubliera les services que M. Mascart a rendus aux malheureux. Avec quel plaisir et surtout avec quel désintéressement il a prodigué ses soins aux malades, non seulement dans la commune, mais aussi dans les communes voisines ! Que de malheureux n'a-t-il pas traités sans exiger le moindre honoraire ! Que de soulagements n'a-t-il pas apportés au sein des familles éprouvées par les maladies!

« On peut appeler M. Mascart : le médecin des pauvres, l'homme bienfaisant par excellence. On pourrait citer des centaines de cas où il s'est distingué, pour l'amour du bien, par son courage et par son abnégation.

« Tout le monde se souvient de la réponse habituelle qu'il faisait quand on lui réclamait une note d'honoraires. Cette réponse était invariable : « Nous parlerons de cela plus tard ». Et ce : « plus tard » n'arrivait jamais. Et voilà comment il considérait les pauvres.

« Faut-il s'étonner qu'un homme qu'entourent de pareils souvenirs laisse après lui des regrets unanimes, et qu'une commune entière prenne le deuil pour conduire à sa dernière demeure un citoyen si digne de reconnaissance ? »

Le 11 du mois de juin 1890, on a fait, à Ohain, l'inauguration d'un monument consacré à perpétuer le souvenir de M. Louis Mascart, et auquel ont souscrit plusieurs membres de l'Académie de médecine. Plus de trois mille personnes assistaient à cette solennité, dans laquelle on remarquait diverses notabilités politiques et médicales. Quatre discours rappelèrent les qualités de l'homme privé, politique et médical, sa probité, son dévouement et son abnégation.

Ce qui doit inévitablement frapper quiconque lira, sur la stèle de ce monument ou dans cette biographie, la longue énumération de ses titres scientifiques et politiques, c'est que Louis Mascart, officier de l'Ordre de Léopold, décoré de la croix civique de première classe, président de l'Académie royale de médecine de Belgique, conseiller provincial, représentant du peuple, membre de la Commission médicale provinciale du Brabant, n'en resta pas moins toute sa vie un modeste médecin de campagne, bourgmestre d'un petit village wallon.

Cette simple constatation de fait équivaut au plus pompeux des éloges. Quelle ne doit pas être, en effet, la valeur d'un homme pour vaincre le préjugé qui s'attache à des travaux faits en dehors du cercle habituel des spéculations scientifiques et, surtout, pour résister à l'influence dépressive d'un milieu réfractaire, à l'inertie découragée que produit trop souvent la solitude rurale !

Ce serait une douloureuse statistique que celle des jeunes médecins éloignés des centres intellectuels par la « nécessité de vivre », et dont l'intelligence en fleur, privée du soleil des grandes villes, s'étiole, se fane et pourrit avant la maturité. N'ayant pas la force de se concentrer en eux-mêmes, de réagir contre la somnolence intellectuelle qui les entoure et les étreint peu à peu, organe sans fonction, leur cerveau s'atrophie, de grossières jouissances deviennent le seul but de leur activité, d'envahissantes manies chassent toutes préoccupations plus élevées. Tel ce Charles Bovary, si cruellement décrit par Flaubert.

Mais il est un autre type, qui console de celui-là, qui inspira à Balzac un de ses meilleurs romans, le Médecin de campagne, soutenu par son devoir, pieusement pénétré de sa mission, considérant sa retraite non comme un exil ou une prison, mais comme un ermitage. Hommes d'autant plus méritants qu'ils sont plus rares ! Louis Mascart fut de ceux-là. A preuve ses travaux, plus encore que ses titres.

L'essentielle caractéristique des travaux qui remplissent sa vie et spécialement des publications qu'il inséra dans nos Bulletins, c'est la préoccupation sociale qui toujours s'y révèle. On sent que leur auteur n'a cherché le vrai que pour faire le bien.

C'est ainsi que son étude sur les causes de la fièvre typhoïde lui fut directement inspirée par le spectacle des douleurs dont une épidémie typhique venait de le rendre témoin dans son village et avait fait saigner son cœur compatissant. Écrit-il un mémoire médico-légal sur l'empreinte des pieds, c'est préoccupé à la fois d'éviter des erreurs judiciaires et d'assurer à la justice une action plus efficace. Son mémoire sur l'institution de médecins cantonaux est un chaleureux plaidoyer pour la protection des ignorants et des faibles. Enfin, son dernier travail, interrompu par la mort, portait sur le traitement qu'il venait d'appliquer au cours d'une épidémie diphthéritique, combattue par lui avec un intrépide et infatigable dévouement et un succès inespéré.

Notre intention n'est pas de résumer ces divers travaux, reproduits avec d'élogieux commentaires dans les Bulletins de notre Académie.

Rappelons, cependant, que dans le plus important d'entre eux, celui qui traite des causes et de l'évolution de la fièvre typhoïde, l'auteur, se basant sur l'étude des épidémies typhiques qu'il avait suivies, attribue à l'influence de causes miasmatiques le développement de ces calamités publiques. Il affirme que deux épidémies, l'une de fièvre intermittente et l'autre de fièvre typhoïde, se sont successivement développées dans les environs de la localité qu'il habitait, ici, sous l'influence combinée de la putréfaction des matières végétales et animales, là, exclusivement sous l'action de la décomposition des matières végétales.

Après avoir cherché à prouver par des faits que les miasmes putrides peuvent pénétrer dans l'économie par les diverses surfaces absorbantes, au nombre desquelles la membrane muqueuse pulmonaire tient sous ce rapport le premier rang, l'auteur essaie d'assigner un siège principal à l'élimination de ces principes malfaisants, et conclut que la fin de l'intestin grêle est avantageusement disposée pour remplir dans l'organisme les fonctions d'émonctoire.

Passant à l'étude de l'évolution de la fièvre typhoïde, M. Mascart attribue le point de départ de cette pyrexie à une viciation des humeurs qui a pour effet de diminuer la manifestation des phénomènes de la vie. D'après lui, le sang vicié, privé au début de ses qualités stimulantes, cesserait d'entretenir le degré d'activité nécessaire à l'exercice des fonctions des organes dépurateurs, et les principes putrides retenus, en conséquence, dans l'organisme, causeraient les accidents variés qui caractérisent la période d'incubation. Mais la scène ne tarderait pas à changer : la membrane interne du système circulatoire soumise au contact permanent du corps étranger introduit dans l'organisme s'enflammerait, et bientôt cette inflammation retentirait sur les liquides, changerait, en les régénérant, la phase de la maladie et lui imprimerait une direction nouvelle. Dès lors, l'appareil dépurateur principal, réagissant avec énergie sous l'influence excitante du sang revivifié, s'enflammerait à son tour, s'ulcérerait et donnerait ainsi issue à la cause de la maladie. D'autres localisations secondaires se déclareraient simultanément, tantôt dans les émonctoires secondaires, d'autres fois dans certains appareils sécréteurs, modifieraient la manière d'être de l'affection et ajouteraient à sa gravité et à sa durée. Toutefois, lorsque le mouvement réactionnaire, en s'exagérant, aurait pour conséquence l'épuisement des liquides, le travail dépurateur s'arrêterait et, cessant d'exercer son influence bienfaisante sur la composition du sang, déterminerait des phénomènes combinés de prostration et de putridité.

Mascart s'efforça donc d'expliquer le mode d'élimination des miasmes typhiques d'une manière qui semble présager les théories microbiennes actuelles. En effet, pour lui, ces miasmes entrent dans l'organisme surtout par les voies respiratoires, empoisonnent le sang qui les transporte partout et principalement vers les plaques de Peyer par voie d'élection. Celles-ci, sous leur action, réagissent, se congestionnent, s'enflamment, se mortifient, s'ulcèrent, s'éliminent et livrent un passage libre à la sortie du poison qui, s'il n'a pas trop profondément impressionné sa victime, lui permet de se guérir.

Ne voit-on pas l'analogie d'évolution et d'action qui existe entre ces miasmes et les microbes nos contemporains ? Prenons comme exemple le microbe le plus en vue aujourd'hui, celui du remède de Koch : le microbe antituberculeux ; car, à n'en pas douter, c'est assurément à un microbe ou à une ptomaïne, ce qui est indifférent au point de vue du sujet dont nous nous occupons en ce moment, qu'est due la propriété de la lymphe antituberculeuse de Koch, de détruire et d'expulser le tubercule des tissus et des organes où il siège. Cet agent antituberculeux, quel qu'il soit, introduit dans l'économie par la voie sous-cutanée, grâce à une ponction hypodermique, entre dans le sang qui lui fait parcourir l'arbre circulatoire et impressionner tous les tissus. Il rencontre les tubercules dans les organes où ils existent ; provoque dans ceux-ci une réaction qui est suivie d'une turgescence, d'une inflammation, d'une mortification, d'une ulcération et d'une élimination couronnée d'un processus réparateur si désirable. En concluant ainsi qu'il l'a fait, Mascart, plus que ses prédécesseurs, se rapprochait de la vérité, sans qu'il ait eu le bonheur, ni l'honneur de l'atteindre. Mais en pressentant le vrai, en produisant des faits nombreux que d'autres interprétèrent plus rigoureusement, il apporta sa pierre à l'édifice.

Dans l'éternel devenir de la science, si la gloire est à ceux dont le nom marque les époques intellectuelles, le mérite revient à tous, non seulement à l'initiateur illustre, mais au chercheur patient, au savant laborieux dont le travail obscur prépare et facilite l'efflorescence du génie, Multi pertransibunt, sed augebitur scientia. Aurait-on pu croire, à l'époque où Mascart imaginait de voir dans l'ulcération des plaques de Peyer le procédé employé par la nature pour se débarrasser de ses miasmes typhiques, aurait-on pu croire, dis-je, que cette idée aurait été reprise de nos jours, après quarante-sept ans, par M. Bouchard, et que ce savant professeur aurait pu dire que l'agent infectieux de la dothiénenterie, le microbe de la fièvre typhoïde, n'existe qu'en passant dans le tube digestif par où il envahit le corps humain pour l'empoisonner; que là n'est pas son habitat ; que le lieu où il se développe, c'est le système lymphatique, les follicules clos, les plaques de Peyer, les ganglions mésentériques, la rate ; qu'il peut s'éliminer par l'intestin en tombant au moment de la nécrose des plaques de Peyer et être emporté par les matières alvines?

Le microbe d'aujourd'hui, c'est le miasme d'autrefois ; il n'y a que le mot qui diffère. Il est toutefois vrai de dire que miasme est une expression creuse, vide de sens, tandis que microbe a une signification nette, bien définie, qui satisfait l'esprit, grâce à la lumière faite par la chimie et la physique dans la pathologie. Grâce aux investigations microscopiques et aux réactions chimiques, on sait qu'on a affaire à un organisme d'ordre très inférieur, qu'on peut découvrir, combattre, détruire, multiplier et même quelquefois utiliser.

J'ai peut-être été un peu long dans cette partie de mon travail. J'ai pour excuse le plaisir éprouvé à démontrer que dans son mémoire, écrit il y a près de cinquante ans, M. Mascart avait émis des idées qui, non seulement peuvent encore se défendre aujourd'hui, mais qui, pour certaines d'entre elles reprises par d'autres, peuvent apparaître comme des nouveautés que des faits cliniques et des autorités scientifiques de bonne marque semblent vouloir appuyer.

Après avoir parlé du mémoire de M. Mascart sur la fièvre typhoïde, et après avoir affirmé que ce mémoire fut composé au souvenir des souffrances dont l'auteur avait été témoin et sous l'inspiration de l'intérêt social qu'il portait au peuple, au milieu duquel il vivait et dont il aspirait à soulager les douleurs, citons un second travail : Considérations médico-légales sur le raccourcissement de l'empreinte du pied, travail dans lequel M. Mascart se révèle encore par le vif intérêt qu'il porte à la société. Il pose en principe que des causes nombreuses produisent le raccourcissement de l'empreinte laissée sur le sol par le pied qui l'a foulé ; dans ce fait, il voit une source multiple d'erreurs déplorables pour la société et pour les accusés. Il énumère les causes dont peut dépendre le raccourcissement, telles que la consistance de la surface sur laquelle le pied est appliqué, la forme du pied que porte l'individu et la manière de poser le pied sur le sol. Il examine aussi les causes qui tendent à rendre le raccourcissement difficile ou impossible. Ce travail est fait sous la préoccupation constante à la fois d'éviter des erreurs judiciaires et d'assurer à la justice une action plus facile, plus efficace et plus certaine.

Nous avons cité le discours que Mascart prononça en 1846 sur l'institution de médecins cantonaux.

La question, malheureusement, n'a rien perdu de son actualité ; elle reste, irrésolue, dans les termes mêmes qu'indiquait son auteur. « Il y a dans l'organisation médicale de notre pays une lacune importante. Elle a frappé les esprits ; on a proposé de la combler par l'institution de médecins cantonaux. Certes, les Commissions médicales provinciales ont sur l'exercice de l'art de guérir une influence utile et incontestable, mais, placées au chef-lieu de la province et privées d'agents intermédiaires fermes et intelligents, elles sont dans l'impossibilité d'atteindre le but que le législateur leur a assigné. »

Laissez-moi vous rappeler, messieurs, les principaux arguments qu'invoquait notre collègue. C'est, me semble-t-il, l'hommage qui plairait le mieux à sa modestie, que de contribuer, en rappelant ses efforts, à la réalisation d'une réforme à laquelle il attachait, avec raison, une très sérieuse importance.

Vous savez dans quelles circonstances la question fut mise à l'étude par l'Académie et le rapport fait par le Dr Mascart.

La Commission d'enquête sur la condition des classes ouvrières, instituée en 1843, venait de déposer son rapport. Ses investigations avaient été poursuivies avec une impitoyable sincérité, grâce surtout à l'Académie et aux Commissions médicales. La conclusion était on ne peut plus navrante : on constatait que la durée du travail était exagérée, les locaux trop souvent insalubres, les installations mécaniques dangereuses, « et que la misère, le manque d'une nourriture suffisamment saine et abondante, le mauvais état des habitations, la malpropreté, l'ignorance et l'oubli des principes hygiéniques, les privations de tout genre venaient se joindre à ces autres causes pour altérer la santé et abréger l'existence de la population laborieuse ».

Pour remédier à cette situation, on proposa de nombreuses mesures législatives. Il fallut les émeutes de mars 1886 pour en imposer l'adoption. On rechercha aussi les meilleurs moyens de surveiller l'exécution des dispositions légales, et c'est dans ce but que Mascart proposait l'institution de médecins cantonaux.

Ceux-ci devaient avoir pour mission :

1° De servir de médiateurs entre les intérêts de la société et ceux de l'industrie, dans l'application des lois protectrices du travail ;

2° De surveiller l'exécution des mesures qui auraient pour but d'améliorer l'hygiène des habitations, des écoles et des fabriques, l'organisation des secours en cas de maladie, le développement de l'éducation physique des enfants.

Ils auraient eu également dans leurs attributions l'exécution des lois et règlements relatifs à l'art de guérir, à la sophistication des aliments, à la statistique médicale, à la protection des aliénés, à la surveillance des inhumations.

Vaste programme, dont la réalisation était évidemment subordonnée à la création d'une législation sociale moins rudimentaire que celle qui existait à l'époque où il fut formulé. Maintenant cette législation existe, imposée par l'irrésistible mouvement qui tend à la transformation complète des relations entre le capital et le travail. Mais, il importe que ces lois ne restent pas sur le papier, qu'on ne leur applique pas cette appréciation ironique d'un économiste autrichien sur les lois sociales de son pays : « Elles ont pour but de laver à condition de ne pas mouiller ».

Pour éviter qu'il en soit ainsi, rien de plus efficace que l'institution de médecins cantonaux, missionnaires de la science in partibus infidelium.

Et ce serait le plus bel hommage à rendre à notre collègue que de travailler à réaliser sa conception, de continuer son œuvre en nous efforçant de la faire passer dans les faits. De même qu'il est d'usage, à la mort d'une personne aimée, de faire, en son nom, quelque bonne œuvre, ce serait chose touchante que de voir consacrer la mémoire d'un homme de bien par l'accomplissement d'un des projets que lui dictait son cœur.