Lucq Victor, Charles, Jules libéral
né en 1829 à Chimay décédé en 1887 à Marchienne
Représentant entre 1878 et 1886, élu par l'arrondissement de Charleroi(Extrait de La Gazette de Charleroi, du 27 janvier 1887)
La mort ne se lasse pas de frapper dans nos rangs. Une tombe est à peine fermée pour l'un des nôtres qu'une seconde s'ouvre et réclame une nouvelle proie.
Hier, à midi, au moment même où nous rendions les derniers devoirs à l'un de nos anciens administrateurs, notre président expirait.
M. Victor Lucq, avocat, ancien magistrat, ancien membre de la Chambre des représentants, a succombé à ses longues souffrances.
Il est mort à Marcinelle, au milieu de sa famille, sans agonie, presque sans secousse, en prenant son repas. Mais pour n'avoir pas eu l'agonie finale, il n'a pas moins subi un long martyre sous l'étreinte d'un mal qui ne pardonne pas.
Sa perte sera douloureusement ressentie par les nombreux amis que son caractère éminemment affable et bienveillant avait su lui concilier.
Le parti libéral perd en lui un de ses soutiens les plus fermes et les plus vaillants ; le pays un représentant de mérite dont la place la Chambra a été noblement et laborieusement occupée. Le vide qu'il y a laissé est loin d'être comblé.
Celui qu'il laisse chez nous est immense. Depuis cinq ans il dirigeait et partageait nos travaux, nous guidant d'une main sûre et ferme dans le chemin bordé de ronces et d'épines sans jamais s'être départi de cette aménité, de cette inaltérable bonté dont il possédait des trésors. Nous l'avons vu à l'œuvre ; nous avons senti l'influence de cette âme ardente et communicative, ouverte à toutes les grandes aspirations, accessible à tous les sentiments de tolérance et de conciliation ; et dans ces rapports de tous les jours jamais un nuage, jamais un reproche, jamais rien que d'affectueux et de réconfortant.
II n'est plus ! rendons lui l'hommage de notre douleur sincère et profonde.
* * *
Monsieur Victor Lucq est né à Thuin en 1829.
En 1852, il s'installait à Bruxelles comme avocat. II avait 22 ans. II y fit un stage sérieux et quoique presque absolument étranger dans cette ville, il ne tarda pas à s'y créer des relations de clientèle et d'amitié.
C'est qu'en effet, nul mieux que lui ne semblait fait pour exercer avec succès la profession qu'il avait choisie. Son élocution brillante, son abord sympathique, l'enthousiasme avec lequel il embrassait et défendait toutes les idées justes et généreuses, ses connaissances étendues l'y prédisposaient. Et puis, il avait le je ne sais quoi qui attire et qui charme.
Et c'est ainsi qu'il recrutait, parmi ceux dont il avait été l'adversaire, ses meilleurs clients dont la plupart ne tardaient pas à devenir ses amis.
Nature ardente et pleine de sève, il fallait d'ailleurs à son besoin d'activité un vaste champ ; et vraiment il semblait, à cette époque, - qu'il vécût en même temps plusieurs existences.
Les uns le connaissaient comme un homme de plaisir ; et c'était pour eux un sujet d'étonnement de découvrir un beau jour l'avocat sérieux et occupé.
La littérature était d'autre part son étude préférée ; poète à ses heures, journaliste, publiciste, II a laissé de nombreux souvenirs dans la mémoire de ceux qui le connurent à cette époque de sa belle jeunesse.
Pour ne parler que de ses travaux juridiques, en 1854, il publiait une étude sur la Constitution.
En 1860 il faisait paraître une brochure remarquable par le style et la justesse des idées contre la législation surannée de cette époque en matière de contrainte par corps. Ce travail ne fut pas sans influence sur la réforme qui ne tarda pas à être décrétée par une loi dont il publia le commentaire l'année suivante.
II avait, à son début dans la carrière, sollicité une place de substitut... qu'il n'avait pas obtenue. Des amis, peut-être trop zélés, crurent lui être agréable en appuyant cette demande à une époque où il n’y songeait guère.
Il hésita à accepter la place qu'on lui offrait à Charleroi, II ne se sentait pas attiré par cette carrière dans laquelle il voyait une barrière à son esprit d'indépendance, l'en errement de ses aspirations.
Néanmoins, sur les instances de sa mère, il finit par céder, pour se rapprocher ainsi de sa famille, de cette mère surtout qu'il adorait.
Napoléon a dit que l'avenir d'un enfant est toujours l'ouvrage de sa mère. – C’est avec la femme que la nature écrit dans le corps de l'homme, dit Sheridan.
Rien n'est plus vrai.
La mère de Lucq, femme d'un esprit élevé, dont l'éducation virile avait été dirigée en dehors de l'énervant contact des nonnes par un professeur de mérite, instruite et adorant son fils, exerça sur lui la plus heureuse influence.
Il se plaisait à répéter que c'est à sa mère qu'il devait ses goûts, ses aspirations, tout ce qu'il pouvait avoir de bon.
- Ce qui m'a évité bien des sottises dans ma jeunesse – une jeunesse quelque peu orageuse - ce qui m'a préservé de bien des souillures, c'est la pensée de ma mère, nous disait-il souvent.
Devenu magistrat, il se dégoûta bien vite de ses fonctions. Son esprit avait besoin d'air et d'espace. Lui qui aimait à aborder les grands problèmes de l'humanité, les hautes questions sociales, se trouvait à l'étroit dans cette existence bornée à l'application du code pénal et à l'éloquence du tribunal correctionnel.
Les désagréments ne lui manquèrent d'ailleurs pas dans cette carrière. Son indépendance d'allures et de caractère, son franc parler, en même temps qu'ils lui attiraient les sympathies publiques, lui méritaient souvent les tracasseries de Messieurs ses supérieurs hiérarchiques. Elles le laissèrent froid et il eut le tort grave d'en rire parfois un peu haut.
On s'en vengea en lui refusant tout avancement.
Cependant M. Lucq n'avait pu s'empêcher de donner carrière à son amour des belles lettres. Un des premiers, il avait patronné l'institution de l'école industrielle de Charleroi et y avait donné plusieurs causeries sur Chateaubriand, sur Mirabeau, sur Rabelais, etc., etc. Le Cercle de Marchienne l'entendit aussi parler des femmes pendant la révolution française ; et « Le Clou », journal marchiennois de l'époque, appréciait ainsi sa conférence : « un langage élégant et imagé, une parole chaude, une forme originale, le mot toujours piquant et spirituel ; une érudition solide et variée. »
Dès ce moment, M. Lucq est lancé, une destinée nouvelle s'ouvre devant lui, il va devenir un homme politique.
C'était en 1878 ; il eut l’extrême audace de faire annoncer par les journaux qu'il allait donner à Lodellnsart une conférence sur la loi de 1842 que le pouvoir clérical appliquait alors dans toute sa rigueur à l'enseignement officiel. M. de Lantsheere, ministre de la justice « ad majorem episcopi gloriam », n’hésita pas un instant. et signifia à M. le substitut Interdiction absolue de formuler publiquement la moindre critique contre une loi qui faisait les délices du clergé catholique.
C'est alors que les électeurs de Charleroi lui offrirent un siège à la Chambre, où sa parole acquit d'emblée une grande autorité.
C'est un homme de haute stature, disait L'Europe en 1882, la tête un peu rentrée dans les épaules. Physionomie sévère et hardie. Sa parole est claire, bien accentuée. Dans ses discours, dont la forme est toujours un peu sentencieuse, l'orateur aborde sans ambages ni détours les grandes questions sociales. Les réformes progressistes défendues avec ardeur par M. Lucq sont : le service personnel obligatoire, la séparation des églises et de l'Etat, l'enseignement gratuit, laïque et obligatoire, la réforme électorale et l’amélioration du sort des classes ouvrières.
En 1881, les membres de l'Association libérale de Charleroi en offrirent la présidence à M. Lucq. II déclina cet honneur et fit, à cette occasion, un discours reproduit par toute la presse belge. M. Lucq y proclamait résolument l'incompatibilité du mandat de représentant de la Nation avec les fonctions de président d'une assemblée chargée de contrôler ledit mandat.
M. Lucq a siégé à la Chambre de 1878 à 1886. Atteint par le mal qui vient de l'emporter, lors des dernières élections, il ne voulut pas affronter la lutte parce qu'il ne se sentait plus la force d'y suffire. II se retira de la lice où ses amis avaient voulu quand même l'engager.
Son bagage parlementaire est considérable. Nous retrouvons dans les collections officielles traces de ses nombreux discours, rapports et travaux, aussi bien dans les grandes questions d'intérêt général que dans celles d'intérêt local.
Il rompit plus d'une lance contre les immunités ecclésiastiques en matière de service militaire et son dernier discours à la Chambre traite précisément la question qui s'agite aujourd'hui et dont la solution était, à son avis, le service personnel comme en Suisse, c'est à-dire l'organisation de la nation armée.
Sans être spécialiste nous le voyons s'occuper ardemment des questions industrielles ; le grisou, les canaux, les tarifs, les péages, l'établissement de chemins de fer, stations et lignes locales. II traite aussi avec grande compétence de l'organisation judiciaire et administrative.
Enfin, lutteur redoutable pour le clergé romain, il demanda la réduction du budget des cultes et la suppression du traitement des chanoines. A l'enquête scolaire, il préside un des bureaux dans la région wallonne, et pousse les travaux avec tant de fermeté et de vigueur qu'il attire sur lui les haines particulières du clergé. On se souvient encore de la demande du petit vicaire distributeur d'imprimés qu'il avait fait empoigner par les gendarmes et qui demandait, de ce chef, à la Chambre, l'autorisation de le poursuivre. Autorisation qui fut refusée d'enthousiasme.
Rentré le mois de juin dans la vie privée, M. Lucq vivait dans sa villa de Marcinelle, au milieu de sa charmante et nombreuse famille qui l'entourait des soins les plus minutieux. Si la tendresse et le dévouement des siens avaient pu le guérir, il eût été sauvé.
Un instant nous eûmes de l'espoir Le repos, le beau temps, avaient raffermi ses forces et il put faire quelques petits voyages de villégiature, qui semblaient nous promettre une prolongation de son existence menacée. Ce fut un vain espoir. La mauvaise saison défit rapidement l'œuvre de la précédente, le mal fit en peu de jours des progrès effrayants. La mort qui le frappa hier n'en fut pas moins un coup de foudre.
Les siens le pleurent, tous le regrettent.
M. Lucq est mort fidèle aux convictions de tout sa vie. Il n'a pas voulu de prêtre à son chevet. Sa vaillante compagne a respecté ses volontés.
Les funérailles civiles auront lieu samedi prochain, à 3 heures 1/2. Réunion à trois heures à la maison mortuaire, rue de l'Ange, Marcinelle.
(Extrait de La Réforme, du 28 janvier 1887 )
M. Victor Lucq, ancien député de Charleroi, vient de succomber à la maladie qui le minait depuis longtemps.
II était âgé de cinquante-huit ans. II est mort en libre penseur.
En 1878, il était substitut à Charleroi. Comme il allait donner à Lodelinsart une conférence sur la loi de 1842, le ministre De Lantsheere lui notifia une interdiction de donner cette conférence.
La riposte fut prompte.
Les électeurs de Charleroi envoyèrent M. Lucq à la Chambre, voter l'abrogation de la loi de 1842.
M. Lucq était d’un libéralisme très net.
Souvent, il vota avec l’Extrême gauche, et s'il s’en sépara parfois, c’est qu’il était bien difficile alors à un député enveloppé dans la doctrinaire députation de Charleroi, de résister toujours à la pression ministérielle.
M. Lucq avait volontairement renoncé à la candidature de 1886.
* * *
M. Victor Lucq, notre ancien représentant libéral, est mort hier à midi, à Marcinelle : il a succombé à la cruelle maladie de cœur qui le minait depuis de longues années.
M. Lucq était l’auteur de plusieurs publications qui ont fait assez de bruit lors de leur apparition ; citons, entre autres, une brochure parue en 1860 sur les abus de la contrainte par corps ; les idées justes et généreuses qu’il y émettait n’ont pas été sans exercer une certaine influence sur l’abolition de cette mesure judiciaire.
Ses longues et cruelles souffrances n’ont pu altérer en rien la fermeté de ses convictions. M. Lucq est mort en libre penseur et ses funérailles civiles seront célébrées, avec solennité, samedi prochain, 29 courant, à trois heures de relevée.
(Extrait de La Gazette de Charleroi, du 30 janvier 1887)
Funérailles de M. Victor Lucq
Cérémonie touchante par sa simplicité, imposante par sa dignité et aussi par la grande manifestation d'estime et de sympathie dont elle a été l'occasion. M. Victor Luc été une conduit hier à sa dernière demeure par une foule considérable et recueillie qu'on peut évaluer à deux mille personnes environ. Beaucoup de monde officiel et pourtant sur tous les visages l'expression d'une tristesse affectueuse. On peut bien dire que tous ceux qui ont assisté à ces obsèques regrettaient sincèrement la perte de l’homme de bien qu'ils accompagnaient au cimetière.
Point de prêtres, partant point de lucre. Les enterrements civils ont cet avantage sur les enterrements dits religieux que le caractère mercantile, qui est l'essence de ces derniers, en disparaît complètement. Ici plus que jamais. Le corbillard lui-même n'a pas été utilisé : des amis se sont partagé l'honneur de porter à bras le cercueil.
Dès trois heures de l’après-midi, la rue de l'Ange était envahie. Les amis défilaient silencieusement devant le corps placé dans la pièce d'entrée transformée en chapelle ardente. La famille recevait dans le salon voisin.
Le défilé à peu près terminé, le cercueil fut descendu devant le perron, sur lequel se placèrent les orateurs pour les discours d'adieux.
M. Defontaine, bâtonnier de l'ordre des avocats, prit la parole au nom du barreau de Charleroi ; M. FourcauIt-Frison, président de l'Association libérale, membre du Conseil d'administration de la Presse libérale, parla au nom de l'Association et de la Presse ; M. Sabatier, représentant de Charleroi, prononça les adieux des anciens collègues de M. Lucq à la Chambre tous présents à ses funérailles.
Enfin le cortège se mis en marche dans l'ordre suivant :
En tête les trois drapeaux du Cercle libéral de Marcinelle, de la Jeune Garde de Charleroi et de celle de Dampremy, derrière lesquels étaient venus se grouper de nombreux membres e cette associatons : la Lyrique de Marcinelle jouant des marches funèbres : les bouquets et couronnes offerts notamment par l’ordre des avocats, le Cercle libéral de Marcinelle, la Loge « les Amis Philanthropes » de Bruxelles et la Gazette de Charleroi.
Venait ensuite le corps porté à bras ; ls coins du poële étaient tenus par MM. Lemaigre, président du tribunal, Sabatier, membre de la Chambre des représentants, Defontaine bâtonnier de l’Ordre des avocats, Fourcault, président de l’Association libérale Olivier Destrée, ami du défunt et David, directeur de la Gazette.
Le deuil était conduit par MM. Georges Lucq, Delacuvellerie, Lassalle et Oblin, fils, beaux-fils et neveux du défunt.
Enfin, derrière, s’étendait une foule immense et recueillie au sein de laquelle nous avons remarqué une délégation nombreuse de l'ordre des avocats où catholiques et libéraux se confondaient ; une délégation du Cercle littéraire de Marchienne ; M. le major de la garde civique de Charleroi et le corps des officiers des Chasseurs-EcIaireurs au complet, reconnaissants l'aide puissante que leur avait prêté M. Lucq à l'époque de la formation de la compagnie ; les sénateurs et représentants de l’arrondissement ; nombre de conseillers provinciaux, de bourgmestres, d'hommes politiques et de notabilité industrielles. On s'est rendu au cimetière par le centre de la commune et la route de Beaumont, pour permettre à cet immense cortège de pouvoir se dérouler.
Au cimetière on se rendit au caveau de la famille Detombay qui a bien voulu offrir provisoirement à M. Lucq une hospitalité précieuse, le défunt étant le premier de sa famille qui meurt dans la commune de Marcinelle et n’y possédant pas encore de sépulture.
Devant la tombe ouverte deux discours furent encore prononcés : le premier par M. Roullier, au nom e la Jeune Garde libérale de Charleroi ; le second par M. Bellière, au nom du Cercle libéral de Marcinelle.
Pendant toute la journée les drapeaux de l’Association libérale de Charleroi et du Cercle libéral ont flotté en berne au local respectif de ces Associations en signe de deuil.
Voici les discours :
Discours de M. Defontaine, bâtonnier de l’ordre des avocats.
« Messieurs,
« Au nom du barreau de Charleroi, je viens dirai un dernier adieu au confrère, à l'ami que nous avons perdu et lui donner un dernier témoignage d'estime et ‘affection.
« Victor Lucq avait à peine 23 ans quand il commença son stage à la cour d’appel de Bruxelles : il ne tarda pas à se faire apprécier, et déjà, grâce à son talent et à sa parfaite honnêteté, sa clientèle lui était venue quand il prit la résolution d'abandonner le barreau pour la magistrature.
« Pendant près de 30 années, nous l’avons connu à Charleroi, successivement substitut du procureur du Roi, représentant et avocat et il a conquis parmi nous une place éminente due autant à son caractère qu’à son talent.
« Esprit fin, distingué, aimant tout ce qui est noble et grand, orateur entraînant, d’une loyauté, d’une sincérité à toute épreuve, cœur excellent, ami dévoué, Victor Lucq avait toutes les qualités qui provoquent la sympathie et créent les solides amitiés.
« La tâche du ministère public vis-à-vis des membres du barreau est souvent délicate, dans les instances criminelles principalement ; les nécessités de la répression, les devoirs de la défense, l’examen des éléments de la cause étudiée à des points de vue différents seraient de nature à provoquer de fréquents conflits et des froissements personnels, si de part et d’autre on n’apportait dans la discussion, le bon vouloir le plus extrême, la plus complète loyauté.
« Victor Lucq fut, sous ce rapport, le modèle des substituts, au milieu des luttes les plus ardentes, il ne se départit jamais de sa plus courtoise urbanité. Entre ses adversaires et quand il reconnaissait que les arguments de la défense avaient ébranlé l’accusation, il était le premier à la proclamer.
« Que de fois ne l’avons-nous pas vu abandonner la prévention quand il ne na trouvait plus suffisamment justifiée, et se substituant en quelque sorte à la défense, faire valoir les faits qui parlaient en faveur des prévenus, ou les circonstances qui atténuaient leur culpabilité. C’est là, messieurs, dans sa plus haute expression la véritable mission de l’organe de la loi.
« Il ne lui est pas demandé de poursuivre quand même, mais de rechercher la vérité et, s’il est convaincu de l’innocence de l’accusé, de la déclarer hautement.
« C’est toujours ainsi que Victor Lucq a compris le rôle de ministère public. Ardent à la poursuite des coupables, mettant au service de sa conviction un talent oratoire de premier ordre, il savait à l’occasion reconnaître que l’instruction à l’audience avait changé son opinion et il le faisait avec une spontanéité, une bonne grâce extrême. Aussi avait-il non seulement l’estime, mais l’amitié sincère du barreau.
« Il en reçut une preuve éclatante le jour où, cédant à de pressantes sollicitations, il accepta un mandat politique.
« Je suis certain de ne pas me tromper en affirmant que sa candidature présentée à l’Association libérale fut appuyée par la presque unanimité des avocats de Charleroi.
« Les qualités dont il avait fait preuve, pendant qu’il était magistrat, brillèrent d’un nouvel éclat au Parlement ; là encore il se fit admirer comme orateur, il se fit estimer et aimer par sa droiture, la fermeté de ses convictions dont il ne se départit jamais ; par sa bonté et son inébranlable dévouement à son parti, à ses amis et aux intérêts de l’arrondissement qu’il représentait.
« Après avoir renoncé à la magistrature, Lucq s’était de nouveau fait inscrire au barreau, et nous avons retrouvé en lui un confrère excellent qui semblait ne nous avoir jamais quitté.
« Aussi a-t-il reçu la plus haute marque de considération qu’il nous soir possible de donner ; à deux reprises, il a été élu membre du Conseil de l’ordre. Il exerçait encore ces fonctions au moment où la mort l’a surpris, et nous n’oublierons jamais qu’il y a à peine un mois, terrassé déjà par le mal qui devait l’emporter, il sut trouver dans son dévouement la force nécessaire pour venir une fois encore prendre part à nos délibérations.
« Je ne veux, messieurs, vous parler ici que de l’avocat, d’autres vous retraceront sa carrière politique, vous rappellerons que Victor Lucq était un lettré au goût fin et sûr, un conférencier charmant autant que sérieux.
« Qu’il me soit permis seulement, avant de finir, de dire à la veuve de Victor Lucq, à sa famille éplorée, tous les regrets que nous font éprouver le malheur qui les frappe.
« Victor Lucq, au nom du Barreau tout entier, au nom spécialement du Conseil de l’ordre, je te dis adieu pour la dernière fois. »
Discours de M. Fourcault-Frison, président de l’Association libérale
« Messieurs,
« Au nom de l’Association libérale, je viens rendre un dernier hommage de gratitude et de regret à l’un de ses chefs les plus vaillants et les plus dévoués.
« Victor Lucq, dès sa jeunesse, s’adonnait à la politique : il s’y sentait attiré par son tempérament, ses goûts, son amour de la chose publique.
« A peine sorti de l’Université, il sut, malgré ses occupations au barreau, s’essayer dans la Presse, à la discussion des questions que plus tard nous l’avons entendu traité, avec plus de maturité, au Parlement.
« Sa destinée se marquait déjà. Elle se fut accomplie plus tôt, si des considérations de famille, le rappelant au pays natal, ne l’avaient déterminé à accepter des fonctions dans la magistrature.
« Mais sa nature indépendance, son esprit portée aux œuvres d’imagination, ne surent se faire aux exigences de la vie de fonctionnaire.
« Il eut des désillusions qu’il s’efforça d’oublier dans ses études favorites d’histoire et de littérature.
« Cependant son instinct l’entraînant toujours vers les débats politiques, il ne peut se résoudre à ne point s’exprimer sur les questions agitées aux époques électorales.
« L’interdiction d’une conférence sur une loi politique le fit quitter avec éclat une carrière qu’il n’avait adoptée qu’à regret.
« Cette résolution lui valut immédiatement un siège à la Chambre où il put donner un libre essor à ses goûts, à ses aspirations.
« Par ses études, il était parfaitement préparé à ce rôle.
« Quoi qu’il abordât par prédilection les questions purement politique et sociales, il ne traita pas avec moins de savoir et de succès les sujets d’intérêt économique ou matériel.
« Les services rendus par Lucq ne se bornèrent pas à ses travaux législatifs.
« A chaque lutte électorale, nous le voyions sur la brèche, d’autant plus ardent et dévoué que le sort de ses amis était menacé.
« Qui ne se rappelle la laborieuse campagne qu’il mena aux élections de 1884, défendant courageusement et victorieusement la politique libérale au lendemain d’une amère défaite.
« Mais hélas ! sous ce généreux effort, la maladie dont il portait le germe s’était développé d’une façon inquiétante.
« Quand vint l’élection de 1886 où sa propre candidature était en jeu, le mal avait fait des progrès tels qu’à peine notre ami put-il d’une main défaillante signer sa renonciation à la lutte.
« Depuis quelques heureuses éclaircies lui donnèrent de courtes périodes de calme, qu’avec son dévouement habituel il consacra encore à l’œuvre libérale.
« La charge si délicate de Président du Conseil d’administration de la Presse lui tenait à cœur, elle occupait sa pensée pendant les rares moment de répit que lui laissèrent ses angoisses et ses souffrances.
« Jusqu’à son dernier souffle, Victor Lucq se consacré donc à la défense des principes qui furent la préoccupation de sa vie entière : la liberté, le progrès, la tolérance.
« Que cet exemple ne soit pas perdu. Qu’il reste l’honneur de l’ami dont nous consacrons le souvenir, qu’il serve de guide à ceux qui le suivront dans la carrière.
« Victor Lucq, adieu ! »
Discours de M. Sabatier, membre de la Chambre des représentants
« Messieurs,
« Je viens au nom des représentants de l’arrondissement de Charleroi, anciens collègues de Victor Lucq, rendre à cet ami un dernier hommage de sincère regret et de profonde sympathie.
« L’inexorable maladie qui le minait depuis de longs mois a achevé son œuvre. Déjà, l’an dernier, alors que son mandat de député allait être renouvelé, l’état de souffrance de notre regretté collègue, en lui faisant craindre de ne pouvoir suffire à la tâche assumée, le détermina à décliner l’honneur de représenter cette fois encore à la Chambre notre arrondissement.
« Les vives instances qui lui furent faites pour l’amener à revenir sur sa résolution restèrent infructueuses.
« Messieurs, les qualités qui distinguaient Victor Lucq, la notoriété dont était entouré cet esprit élevé et l’indépendance de son caractère ont été retracés en termes éloquents par les organes de la presse et par les membres de l’Association libérale et du barreau qui viennent de me précéder.
« A notre tour, rendons hommage à la mémoire de ce cœur d’élite, de ce caractère justement qualifié de forte trempe.
« Très jeune encore, Victor Lucq entra dans la magistrature et il fit partie du parquet de Charleroi.
« Il montra dans ces délicates fonctions beaucoup de fermeté et un grand esprit de justice.
« Les idées libérales trouvaient en lui un ardent défenseur. C’est en voulant, en 1878, les exprimer, les développer publiquement au sujet de la loi électorale et de la loi sur l’instruction primaire, qu’il se heurta à des obstacles qui lui vinrent de haut.
« L’opinion publique s’indigna de la disgrâce dont il était menacé, elle prit fait et cause pour son conférencier populaire et bientôt des offres lui furent faites d’une candidature à la Chambre, au nom du parti libéral de l’arrondissement de Charleroi.
« Il reçu un mandat de député dès 1878, et il prit de suite une place distinguée à la Chambre ; ses travaux, ses discours en font foi.
« Pas un budget, par une loi importante, aucune réforme à obtenir qui ne furent de sa part un objet d’études sérieuses ou de propositions dues à son initiative.
« De même les intérêts spéciaux à notre arrondissement de quelque nature qu’ils fussent, trouvaient en lui un défenseur zélé.
« Victor Lucq portait haut et ferme le drapeau du libéralisme, sous lequel nous combattons ensemble.
« Les rapports qui existaient entre lui et nous étaient ceux qui s’établissent entre les défenseurs d’une même cause, et nous n’avions qu’à nous louer de la loyauté et de la franchise qu’il y apportait.
« Lorsque dans les questions si multiples et si graves qui composent la politique, un dissentiment survenait entre nous, nous constations combien notre collègue savait tempérer ces dissentiments par cet esprit de conciliation élevé, que chacun aimait à lui reconnaître.
« Messieurs, la douleur, les regrets président à cette cérémonie, grande dans sa simplicité.
« C’est qu’aussi l’immense foule qui se presse ici vient rendre les derniers devoirs à un homme de bien, à un véritable ami. Tous nous pleurons la perte d’un de nos plus vaillants soldats ; tous nous nous associons au chagrin d’une famille que nous entourons de notre profond respect et de notre plus vive sympathie.
« Cher Victor Lucq, chez ami, nous te disons adieu. »
Discours de Gustave Rouiller, secrétaire de la Jeune Garde libérale de Charleroi
« Messieurs,
« Au nom de la Jeune Garde libérale de l’arrondissement de Charleroi, nous venons adresser à Victor Lucq un dernier et suprême adieu.
« Son existence, vous la connaissez remplie d’un labeur incessant et longtemps consacré au bien public. Avocat, magistrat ou parlementaire, il laisse de nombreux écrits qui témoignent de son ardente activité.
« Laissez-nous retourner vers ces dernières années, vers cette époque où nous autres jeunes, nous commençâmes à nous intéresser à Victor Lucq.
« Il s’était révélé à nous dans de remarquables conférences sur Mirabeau, Chateaubriant, Rabelais, sujets toujours neufs et toujours attrayants.
« Nous aimons à lui voir peindre à grands traits ces étonnantes personnalités.
« Il nous semble entendre encore résonner dans ce cher lointain cette voix chaude, pénétrante, scandant d’une façon tout harmonieuse la période romantique. Car les grands prosateurs français du commencement de ce siècle avaient exercé sur lui une évidente influence.
« Son élocution était large et nourrie d’une grande abondance d’images – puissante en couleur et en reliefs.
« Il se dégageait surtout de ces réunions pleines d’attrait de magnifiques leçons de tolérance, qualité maîtresse que Lucq possédait à un si haut degré.
« Ses études d’un passé curieux, sujet d’observations et de comparaisons constantes lui devaient mieux faire connaître et apprécier le présent.
« Progressiste en philosophie, Lucq l’était aussi en politique.
« Ce fut un heureux jour que celui où nous le vîmes l’élu des libéraux de notre arrondissement. Et en effet ses idées jeunes, généreuses, franchement avancées, l’avaient porté à la Chambre des représentants.
« Lucq ne trahit pas son mandat par l’abus du silence. Il n’hésita pas à aborder l’examen des grandes réformes qui constituent aujourd’hui les principaux points de notre programme : service personnel et obligatoire, enseignement gratuit, laïque et obligatoire, réforme électorale. Toujours il était écouté avec une religieuse attention.
« Plus d’une fois aussi, il se laissa entraîner à l’étude de questions relativement neuves pour lui : grisou, canaux, chemins de fer, impôts – objets de volumineux rapports.
« Son activité était égalée par sa bienveillance obligeance que souvent mirent à contribution ses mandataires qu’il accueillait avec une exquise cordialité.
« Si nous examinons ce qu’est notre Chambre des députés, miroir fidèle, dit-on de notre corps électoral, nous songeons que Lucq avec son esprit droit et honnête a dû y éprouver de nombreuses déceptions.
« Qui doutera que lui, l’homme aux nobles pensées, n’ait souffert parfois de se trouver dans ce milieu parlementaire, simulacre de la souveraineté nationale, où rarement s’affirment les principes, où rarement les questions sont regardées en face, où l’on doit si souvent imposer silence à ses aspirations ?
« Qui s’étonnera que parfois un geste de découragement se soit fait jour en Lucq, lorsqu’il voyait combien l’opinion publique était condamnée avant de se faire entendre à passer vers la filière si imparfaite de notre corps électorale censitaire ?
« Toutes ces contradictions entre les vœux du peuple et les agissements du Parlement devaient sans doute dérouter sa nature loyale et provoquer chez lui des défaillances, toutes passagères du reste.
« Mais où sa pensée brilla sans cesse avec la plus parfaite netteté, ce fut dans ses luttes avec le clergé.
« Comme il s’entendait à lancer contre les tartufes ses traits les plus vifs et les plus acérés ; comme il flagellait leur intolérance, leur scandaleuse avidité et leur hypocrisie révoltante !
« Caractère courageux, il désirait la solution de cette grande idée : la séparation des Eglises et de l’Etat. Aussi toutes les mesures qui pouvaient s’en rapprocher trouvaient-elles en lui un fervent adepte. Toujours ses votes furent acquis aux réductions du budget des cultes.
« Point de religieux salariés par la nation, pensait-il ; plus de privilèges. La liberté en tout et pour tous ! Lucq croyait avec les libres-penseurs que la raison finira par régner sur le monde. Elle a su braver les tortures et les bûchers, elle saura triompher des séductions et des perfidies des prêtres modernes.
« C’est peut-être avec cette pensée consolante que se sera endormi dans l’éternel sommeil Victor Lucq, fidèle aux convictions de toute sa vie.
« Si parmi nous le vide est grand, combien immense n’est-il pas au sein de cette famille qu’il laisse à jamais inconsolable.
« Les paroles sont vaines et ne peuvent taire les sanglots de sa malheureuse épouse et de ses pauvres enfants. Nous ne pouvons que déposer à leurs pieds l’homme de nos regrets et de nos profonds sympathies.
« Maintenant que la terre va recouvrir tes restes, cher et honoré défunt, permets-nous de croire qu’il luira des jours plus heureux pour notre patrie.
« Espérons de la voir débarrasser de la domination des prêtres qui sont ses plus cruels ennemis.
« Espérons que l’instruction répandue à flots et d’une façon rationnelle dans les masses populaires ne les courbera plus sous le joug sacerdotal.
« Espérons enfin que les privilèges politiques et religieux disparaîtront au soleil de la vérité et de la justice et que les hommes deviennent alors meilleurs et plus fraternels.
« Adieu, Lucq ! Adieu ! »
Discours de M. Bellère, secrétaire du Cercle de Marcinelle
« Messieurs,
« C’est au nom du Cercle libéral de Marcinelle que je dis un suprême adieu à son regretté vice-président, M. Victor Lucq.
« D’autres vous retraceront mieux que moi la part considérable qu’il a prise dans les affaires publique.
« Les points saillants du caractère de M. Lucq étaient la générosité, un dévouement sans bornes à son parti, mais il était surtout ennemi convaincu des superstitions et de tous les préjugés.
« Membre fondateur de notre cercle, qui fut le premier fondé dans le pays, il sut de suite lui donner une grande impulsion, par ses conseils, son assiduité à nos réunions et principalement par les nombreuses et brillantes conférences qu’il y donna.
« Malgré le rôle modeste attribué à un cercle tout à fait local, il participait à tous nos travaux, s’attachant à nous garder, à notre pousser dans la voie du progrès. Souvent dans notre réunion, il se plaisait à nous entretenir de la tâche importante, qui lui avait été confiée par ses collègues de la Chambre des représentants, en le désignant pour conduire l’enquête scolaire dans les provinces wallonnes.
« Lui, quoique tolérant, il aimait à nous dévoiler les agissements du clergé intolérant, prêchant la discorde et la désobéissance aux lois du pays.
« La mort de M. Victor Lucq est également une perte pour notre commerce, car amis ou adversaires ne frappaient jamais inutilement à sa porte, son caractère généreux le mettait à la disposition de tous, si parfois on le payait d’ingratitude, il haussait les épaules et recommençait le lendemain. Mais jamais, jamais une parole d’amertume et de reproche n’est sortie de ce noble cœur.
« Pour le Cercle libéral de Marcinelle, c’est une perte irréparable, il voit disparaître son guide le plus sûr, son meilleur appui.
« Adieu, chez Lucq, adieu ! »