Liénart Albert, Joseph, Leopold catholique
né en 1840 à Alost décédé en 1871 à Alost
Représentant entre 1866 et 1871, élu par l'arrondissement de Alost(Extrait du Journal de Bruxelles, du 25 juin 1871)
M. Albert Liénart, avocat, communal à Alost et membre de la Chambre des représentants, dont nous avons annoncé la mort hier, était âgé de 31 ans seulement. Cette mort a causé une très vive impression de douleur à la Chambra des représentants, où le jeune et savant député ne comptait que des amis.
M. Lienart était un avocat instruit et un homme de conviction. Un grand avenir était ouvert devant lui, si Dieu n’en avait décidé autrement, en l'enlevant prématurément à l'affection d'une famille qui le chérissait profondément et à celle de nombreux amis qui l'aimaient et l'estimaient. M. Liénart jouissait d'une grande considération. Il avait l’esprit droit, le jugement solide et sûr. On l'estimait surtout pour son noble caractère. Nous l'avons déjà dit, cette mort est une perte réelle pour le Parlement et une perte plus grande encore pour l'opinion conservatrice, dont M. Liénart était un éloquent défenseur et l’un des plus nobles champions.
(Extrait du Journal de Bruxelles, du 27 juin 1871)
Les funérailles de M. Albert Lienart, représentant d'Alost, ont eu lieu hier en cette ville, au milieu d'un immense concours de population. Le deuil était partout, dans les maisons, sur les visages, dans les cœurs, c'était un véritable deuil public.
A 3 heures et demie un train spécial amenait à Alost la députation désignée par la Chambre des représentants pour assister à la funèbre cérémonie, et composée de MM. Thibaut. vice-président de l’assemblée, Kervyn de Volkaersbeke, Dethuin, Van Hoorde, Van der Donckt, de Macar et Royer de Behr, membres.
Plusieurs ministres et un certain nombre de membres de la Chambre avaient tenu à accompagner la députation. MM. Kervyn de Lettenhove, ministre de l'intérieur, Jacobs, ministre des finances, Wasseige, ministre des travaux publics ; MM. les questeurs, le baron Snoy et de Zerezo de Tejada ; MM. les représentants Boucquéau, Coomans, E. de Kerckhove, de Monblanc, de Naeyer, Hayez, Pety de Thozée, Thienpont, Van den Steen, Van Overloop, Visart Amédée, Visart Léon et Wouters avaient pris également place dans le train.
A la gare M. le sénateur baron Dalla Faille, MM. les représentants Cruyt, de Moerman, Desmet, Magherman, Van Cromphaut et Verwilghen attendaient la venue de leurs honorables collègues, avec M. Liebrecht, président du conseil provincial de la Flandre orientale.
Aussitôt après l'arrivée du train, l'on se rendit à la maison mortuaire, où se trouvaient déjà MM. Sacqueleu, sénateur et parent de M. Liénart, Van Wembeke, l’ami da défunt et son collègue à la représentation d'Alost, Bethune, sénateur et membre du conseil communal de la même ville.
Un des salons de l'hôtel de ville avait été transformée en chambre ardente. Les diverses députations se massèrent dans le salon voisin, où se trouvait la famille du défunt.
M. Thibaut, vice-président de la Chambre, prit la parole devant la dépouille mortelle, et, d'une voir émue, prononça le discours suivant :
« Messieurs,
« Devant la cercueil qui renferme le corps d’un jeune collègue, d'un ami bien cher, je voudrait pleurer en silence. Un concours fatal de circonstances m’impose le devoir de parler au nom de la Chambre des représentants et j'apporte ici l'expression de sa profonde douleur pour l'unir à la douleur inénarrable d’une famille cruellement éprouvée, à la douleur de la ville et de l’arrondissement d’Alost.
« Albert Liénart fut élu membre de la Chambre des représentants le 12 juin 1866 ; il avait atteint depuis un an à peine la majorité politique. La ville d'Alost l'avait reçu au sortir de l'université de Louvain, comme un diamant merveilleusement taillé, et elle s’était hâtée de le donner à l'assemblée où il devait briller du plus vif éclat.
« Alfred Liénart était alors le plus jeune membre de la Chambre. Sa physionomie ouverte, douce et sympathique, son excellent caractère, sa vive intelligence, son instruction surprenante, sa parole claire, nerveuse et persuasive lui gagnèrent l'estime et l’affection de tous ses collègues. Nous l’aimâmes comme, dans une famille nombreuse, les aînés aiment leur plus jeune frère. Le pari catholique, auquel il appartenait, fondait sur lui les plus grandes espérances. Il lui demandait d’intervenir dans tous les questions importantes, et il lui confiait sans hésitation les travaux les plus difficiles. Pour n’en citer qu’un seul, le dernier qu’il termina, je rappellerai qu’Albert Liénart rédigea le rapport su remarquable qui facilita et abrégea la discussion du projet de loi adopté par la Chambre, le jour même où elle apprit la nouvelle de sa mort.
« Albert Liénart possédait toutes les qualités qui assurent et justifient le succès dans la carrière publique. Mais, je puis l’attester, moi qui le connus intimement, qui, député wallon, fus heureux de rencontrer l’amitié de ce noble enfant de la Flandre, Albert Liénart possédait quelque chose de plus précieux que la science profane et que l’éloquence parlementaire. Il avait la foi et les vertus du vrai chrétien. Ainsi, nos peines, messieurs, doivent être tempérées par une douce espérance. Son âme est sans doute heureuse dans le sein de Dieu, et ce corps, que nous allons confier à la terre, en sortira un jour, vainqueur de la mort, pour resplendir éternellement de beauté et de gloire.
« Adieu, Albert Liénart, cher collègue, adieu ! »
Les paroles de l'honorable président, qui exprimaient si bien le sentiment général, furent écoutées au milieu d’un profond silence, à peine interrompu de temps à autre par les sanglots de la famille et en particulier des deux frères de M. Liénart.
M. le baron Della Faille, sénateur de l'arrondissement, prit ensuite la parole en ces termes :
« La carrière de l’ami auquel nous allons rendre les derniers devoirs a été courte mais bien remplie.
« Doué des plus heureuses dispositions, M. Albert Liénard les a cultivées avec un zèle qui ne n’est jamais relâché. Les traditions de cet excellent collègue d’Alost, où il a fait et terminé ses premières études, conserveront longtemps son souvenir. Combien de fois nous avons, aux solennités scolaires, applaudi à ses perpétuels triomphes ! Louvain, à son tour, l’a compté au nombre de ses élève les plus distingués, et Alost, reprenant pour lui d’anciens usages, a fêté avec un juste orgueil les succès académiques de son jeune concitoyen.
« Parvenu à l’âge d’homme, M. Liénard a su résister à des tentations qui séduisent trop de jeunes gens de sa condition : l’amour du repos succédant au travail et à l’attrait des jouissances, si puissant à cette époque de la vie. Il s’est dit que les dons de l’intelligence, les avantages de la fortune, ceux d’un belle position sociale étaient des talents qui ne devaient ni s’enfouir, ni se dissiper dans les frivolités du luxe ; il a comprit qu’il demeurait comptable à la Providence, dont il les avait reçues, et il n’a pas reculé d’un jour leur sérieux emploi.
« La noble carrière du barreau s’ouvrait tout naturellement devant lui. IL y est entré avec ardeur et il n’a pas tardé à s’y faire distinguer ; mais là n’était pas le terme de la route qu’il devait parcourir, son mérite avait percé malgré sa modestie et la voix publique l’appelait à rendre des services d’un ordre plus général.
« A peine avait-il atteint l’âge fixé par les lois, que le collège électoral se hâtait de lui conférer l’honneur de siéger à la Chambre des représentants, et vous savez, messieurs, s’il a justifié cette confiance si rarement accordée au début de la vie publique. Un peu plus tard, sa ville natale l’envoyait prendre place à son conseil communal.
« Dans l’exercice de ses fonctions, M. Liénart s’est montré laborieux, réfléchi, judicieux. Il n’a point abusé de son talent oratoire pour se livrer à l’inutiles joutes de tribune. Il étudiait à fond et traitait avec maturité des questions d’intérêt réel. Ses opinions, éclairées par le plus soigneux examen, étaient consciencieuses et sa parole, élégante et facile, était sobre, mesurée, toujours conduits par la raison. A l’attachement de ses amis il a joint l’estime de ses adversaires politiques, assez justes pour apprécier sa droiture et la sincérité de ses convictions, et il s’est rendu applicable cette définition de l’orateur digne de ce nom : Vir bonus dicendi peritus.
« Quel espoir nous fondions sur l’avenir d’un mandataire encore si jeune et si haut placé dans l’opinion ! Hélas ! nos augures n'étaient que des illusions et cette vie si belle devait être, comme un météore, aussi courte que brillante. Du moins, notre ami a pu se flatter, en mourant, de n’en avoir rien perdu. C'est dans le travail qu'il vécu; c'est au travail que la maladie l'a saisi et son maître, au jour imprévu de son arrivée, l’a trouvé vaillant.
« Plus les qualités morales de M. Liénart étalent précieuses, plus elles accroissent la douleur de sa famille et les regrets de ses amis, mais plus aussi elles augmentent le seule consolation qui nous reste, en nous donnant l'espoir fondé qu'elles recevront bientôt les éternelles récompenses.
« Elevé par des patents et par des maîtres chrétiens, fidèle à leurs enseignements, M. Liénart n’a jamais abandonné ni dissimulé ses convictions religieuses. et, pour lui, la pratique a toujours été la conséquence rigoureuse de la doctrine. Homme de foi, il n'a point éprouvé de défaillances, et la religion, qu'il a aimée, servie, défendue toute sa vie, est venue le fortifier et le consoler à ses derniers instants. Nous avons donc la ferme confiance que Celui dont il n'a rougi sur la terre ne refusera pas de le reconnaître dans le ciel.
« Qu'il en soit ainsi, et que notre ami repose en paix ! »
Enfin, M. De Wolf, échevin faisant fonctions de bourgmestre, s'exprima ainsi qu'il suit, au nom du conseil communal, dont le défunt faisait partie :
« Messieurs,
« Des voix éloquentes et plus autorisées que la mienne, viennent de retracer la carrière parlementaire de notre collègue et ami M. Liénart.
« Interprète du conseil communal, permettez-nous d'ajouter quelques mots à la mémoire de celui que nous pleurons tous.
« Lorsque la nouvelle de sa mort se répandit vendredi soir, chacun de noua comprit l'immense malheur qui le frappait ; un deuil général se répandit dans la ville. En pouvait-il être autrement ?
« Né parmi nous, apprécié de tous, M. Lienart, à la suite de brillantes études, était parvenu, dès l’âge de 26 ans, à acquérir le plug beau mandat qu'un homme indépendant puisse ambitionner : une majorité imposante lui ouvrit les portes du Parlement.
« Vous venez d'entendu, Messieurs, la place qu'il y avait conquise ; aucune question qui intéressait nos libertés et nos convictions religieuses ou nos intérêts matériels n'y a été débattue sans qu'on le vît sur la brèche ; son noble et éloquent langage captivait l'attention de toute la Chambre.
« M. Liénart serait parvenu aux plus hautes destinées, si Dieu nous l’eût laissé.
« En 1865, il n’hésita pas à accepter le mandat de conseiller communale. Vous énumérer les services signalés qu'il a rendus à la ville serait difficile ; il n’est pas une seule question à laquelle il hésitât à consacrer son temps.
« Dans toutes les discussions publiques, il fit preuve de l’intérêt qu’il portait à sa ville natale, et jamais on ne le vit dévier des principes qu’il était fier de professer au sein du conseil communal comme à la tribune parlementaire.
« Nous qui avons eu le bonheur de connaître M. Liénart dans l’intimité, nous pouvons parler de la bonté de son cœur, du plaisir qu’il prit à obliger, à soulager la souffrance.
« Si sa mémoire est chère à tous ses collègues et compatriotes, c’est que tous ont trouvé en lui un cœur droit, généreux, désintéressé et plein d’abnégation ; c’est que tous l’ont vu faisant le bien uniquement pour le bien.
« Atteint de la cruelle maladie qui le ravit à notre affection, il a vu sans crainte arriver sa fin ; elle fut digne de toute sa vie, ce fut celle d’un bon fils, adoré de ses parents, d’un bon frère, d’un chrétien résigné.
« Imitons tous, Messieurs, le bel exemple qu’il nous a donné, n’oublions pas que la vie n’est qu’un passage et que la mort du juste est la consolation la plus douce qu’on puisse léguer à sa famille.
« Prions Dieu qu’il daigne appeler à lui celui qui a marqué tous les jours de sa trop courte existence par des actes qui feront bénir à jamais sa mémoire.
« Cher Albert, cher et regretté collègue, il ne nous est plus donné d’entendre votre voix, mais votre souvenir ne nous quittera pas ; il restera toujours au milieu de cette population consternée, accourue de toutes parts pour rendre un dernier hommage à celui qu’elle chérissait à si juste titre.
« Adieu, Albert, Adieu… Ou plutôt au revoir ! »
Immédiatement après, le cortège se forma et se dirigea vers l'église Saint-Martin. Un peloton de guides ouvrait la marche, puis venaient Ia musique de la Jeune garde, société locale, en uniforme, les enfants de troupe, avec leur commandant, M. le colonel Vanden Bogaert, la société royale d'harmonie, dont M. Van Wambeke l'honorable député d'Alost, est le président, les vieillards des hospices, les orphelins et les orphelines, le clergé.
Le corps, porté à bas par les huissiers de la Chambre ; MM. Thibaut, M. le baron Kervyn, ministre de l’intérieur, M. le baron DeIla Faille, De Wolf, échevin, tenaient les coins du poêle.
La famille du défunt, MM. les ministres, les sénateurs et les membres de la Chambre des représentants, le conseil communal, la commission des hospices et les autres autorités civiles et militaires, de nombreux membres du clergé des localités voisines, les écoles et entra autres le pensionnat Saint-Liévin et sa musique, l'Association catholique et les délégués des cercles catholiques et des sociétés conservatrices et enfin différentes sociétés particulières.
Un peloton de guides fermait la marche. Puis enfin, en dehors du cortège officiel, s'avançait la foule compacte de citoyens de toutes les conditions, pleurant un bienfaiteur, un conseil, un ami.
On remarquait encore dans le cortège MM. de Portemont, ancien représentant, le général Delannoy, des représentants de la presse catholique de différentes villes, etc.
La vaste église Saint-Martin, entièrement tendue de noir, ne suffit point à contenir la foule.
Après les absoutes, dites par le doyen Deblieck, assiste du clergé, le cortège se reforma dans le même ordre et se dirigea vers le cimetière, les musiques jouant des marches funèbres.
Sur le parcours et dans toute la ville le deuil était général. Des drapeaux en berne, les persiennes closes, tout respirait la douleur et les regrets. Rarement on vit une manifestation plus unanime : c'est que la ville d'Alost pleurait la perte d'un des siens réunissant les trois conditions qui commandent universellement les sympathies ; la vertu, la jeunesse et le talent.
Après s'être associée, dans un pieux recueillement, aux dernières dites par le clergé au bord de la fosse, la foule s’écoula lentement vers la ville.
Avec sa courtoisie habituelle, M. Ie représentant Vau Wambeke voulut retenir dans ses salons jusqu'au moment du départ MM. les ministres ainsi que ses honorables collègues de la Chambre, qu'un train spécial ramenait à Bruxelles à 7 heures du soir.