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Jullien Dieudonné (1805-1878)

Portrait de Jullien Dieudonné

Jullien Dieudonné liberal

né en 1805 à Hamipré décédé en 1878 à Liège

Représentant entre 1848 et 1851, élu par l'arrondissement de Neufchâteau

Biographie

(BOURGUIGNON Marcel, Dieudonné Jullien (1805-1878), dans Biographies Chestrolaises, Arlon, G. Everling, 1972, pp. 59-65)

(page 59) Né à Hamipré le 12 fructidor an XIII (30 août 1805), Dieudonné Jullien était fils de Gilles-Joseph et de Marie-Jeanne Pierret. Son père, né le 15 octobre 1765, après avoir été choisi comme membre de l'administration municipale du canton de Neufchâteau. fut nommé maire de la commune de Hamipré avec la réorganisation consulaire le 2 messidor an VIII (21 juin 1800). Il devait le demeurer de longues années, ayant encore été renouvelé le 9 mars 1813 et même après l'installation du régime hollandais. Le 20 décembre 1810, il fut élevé au rang d'électeur dans son arrondissement. Sa fortune était considérable, car il avouait en l'an XI qu'elle atteignait 30.000 francs et qu'il disposait de 3.000 francs de revenus. Il avait compté parmi les acquéreurs de biens nationaux et, s'il exploitait ses terres, il exerçait aussi le négoce comme tous les notables de village à cette époque. Il eut jusqu'à huit enfants et contribua en 1813 à la formation des Gardes d'honneur, déclarant payer 206 francs 23 d'impositions, ce qui était sans doute exact, pour un revenu de 400 francs qu'il avait, certes, délibérément sous-évalué.

Dieudonné Jullien naquit donc dans un milieu fort bien nanti ce qui, tout autant que ses talents, explique ses réussites. Parmi ses (page 60) frères, citons Jean-Pierre. né à Hamipré le 13 germinal an VIII (3 avril 1800), marié à Longlier le 4 septembre avec Suzanne Colette et plus tard bourgmestre de sa commune natale. Une de ses sœurs, Marie-Victoire, née à Hamipré le 15 septembre 1808, qui épousa à Longlier le 8 avril 1833 Augustin-Eugène-Joseph Dehanne, de Séviscourt. docteur en médecine, vint habiter à Neufchâteau ou son mari exerça sa profession et où elle mourut, veuve, le 20 juillet 1892.

Dieudonné put faire des études supérieures et les mener à bonne fin. Reçu docteur en droit à l'Université de Liège le 1er juillet (page 61) 1825, il s'inscrivit au barreau de Neufchâteau et y occupa plutôt comme avoué que comme avocat encore qu'il fût l'un et l'autre, comme c’était l'usage. Sa réussite fut rapide et le mit en évidence aux yeux des autorités et de la population.

Après les événements d'août-septembre 1830 où il joua un certain rôle, Jullien fut nommé le 18 octobre, par arrêté du Gouvernement provisoire, commissaire d'arrondissement à Neufchâteau. II prit ainsi la succession de François-Louis Tinant qui avait été révoqué comme suspect d'orangisme et se trouva en présence d'une tâche immense qu’il dut concilier avec les exigences de sa profession d'avocat-avoué.

Le 23 septembre 1832, il épousa sa concitoyenne Henriette-Joséphine Jacob, de trois ans sa cadette, fille du brasseur et minotier François Jacob. De son mariage allaient naître à Neufchâteau plusieurs enfants : le 6 décembre 1833, Clémentine ; le 31 août 1835, Jean-Baptiste-Dieudonné-Camille ; le 22 mars 1837, Lucien, décédé le 5 avril suivant ; le 9 février 1838, Adrien ; le 4 avril 1841, Charles-Louis-Adolphe. Comme nous n'avons pas poussé très loin nos recherches à cet égard, nous n'assurons pas que cette énumération soit complète.

Il apparaît bien que Jullien eût très volontiers accordé la préférence à ses fonctions de commissaire d'arrondissement si elles avaient été suffisamment rémunérées. Dans l'espoir d'obtenir une augmentation de son traitement, il présenta sa démission en 1835, croyant que le ministère ferait l'impossible pour le conserver, vu les services rendus. Il se trompait. S'il reçut une fort belle lettre de remerciements signée par le gouverneur de la province de Luxembourg, le Baron de Steenhault, un arrêté royal du 28 novembre 1836 conféra le (page 62) poste à l'avocat gantois Henri de Kerchove, commissaire d’arrondissement à Diekirch, qui désirait se rapprocher de Bruxelles.

Dans l'intervalle, la loi provinciale avait été promulguée le 30 avril 1836, mettant fin à une situation provisoire qui durait depuis la Révolution. Les élections pour la formation des conseils provinciaux eurent lieu le 29 septembre et ces assemblées se constituèrent le 6 octobre.

Jullien fut un des élus du canton de Neufchâteau : choisi immédiatement comme secrétaire, il passa vice-président dès la dès la session de 1837.

Il avait repris ses activités juridiques, d'où les circonstances allaient encore une fois le détourner. Henri de Kerchove obtint, en effet, sa mutation pour Bruxelles par arrêté royal du 2 février 1839 et l'avocat bruxellois François désigné pour le remplacer ne vint pas occuper son poste. C'est Jullien qui fut mis à contribution et assura l'intérim en attendant l'arrivée d'un titulaire. Or. l'année 1839 fut sans doute la plus mouvementée dans toute l'histoire du conseil provincial, qui eut à résoudre toutes sortes de problèmes en raison de la séparation des deux Luxembourg que suivit une réorganisation des circonscriptions administratives et judiciaires. La compétence de Dieudonné Jullien en ces matières lui permit de jouer un rôle prépondérant dont les procès-verbaux de cette assemblée nous ont transmis l’écho.

Il n'est pas certain que le poste de commissaire d'arrondissement à Neufchâteau lui ait paru à cette époque un objectif à sa mesure. Comment eût-on pu, désormais, le lui refuser ? Nous croyons même qu'il salua avec satisfaction la nomination de Philippe Hanno en vertu d'un arrêté royal du 8 avril 1840. Le nouveau titulaire accepta, (page 63) d’ailleurs d'assez mauvaise grâce, mais on peut dire qu'il n’avait pas le choix.

Jullien trouva d'un autre côté sa récompense, lors du renouvellement du conseil provincial en 1840. Il fut élu à la fois par les cantons de Paliseul et de Neufchâteau. Il opta très naturellement pour ce dernier, et, dès la session de 1841, fut appelé à la présidence de l’assemblée. Il allait l'exercer pendant sept ans et amplifier encore son rôle. Ses interventions furent nombreuses et toujours fort appréciées. La question à l'ordre du jour était celle du chemin de fer dont il fut l’un des meilleurs défenseurs, ce qui lui valut l’amitié de Victor Tesch et une popularité de bon aloi. En réalité, aucun problème ne le laissait indifférent. Nul ne fut mieux au fait des intérêts luxembourgeois, nul surtout n'a su donner plus d'éclat à sa fonction et de prestige au conseil.

Lors des élections législatives du 13 juin 1848, il se porta candidat à la Chambre des Représentants pour son arrondissement et fut élu sans lutte, obtenant 405 voix sur 416 votants. Il vengea ainsi un échec de justesse encouru le 10 juin 1845 lorsqu'il s'était présenté contre Léopold Zoude. qui l'avait emporté par 213 suffrages contre 196. Un nouveau succès l'attendait à l'occasion du renouvellement du 11 juin 1850 : 200 voix sur 209 votants le plébiscitèrent, mais, comme il n'y avait pas de compétition, la grosse majorité des 556 électeurs inscrits avait jugé superflu de participer au scrutin.

Le passage de Jullien par la Chambre des Représentants a été trop court pour qu'il pût y exercer une quelconque influence. On peut même être surpris de voir qu'il avait quitté la scène provinciale. où il était un incontestable « leader » de l'opinion, pour l'atmosphère très différente du Palais de la Nation, où sa connaissance profonde des problèmes luxembourgeois ne trouverait plus d'emploi. Subit-il l'influence de Victor Tesch, élu par l'arrondissement d'Arlon à la même date du 13 juin 1848 et très désireux de conserver à ses côtés un homme tout dévoué au chemin de fer, objet principal de ses préoccupations ? Ou bien désirait-il plus simplement changer d'horizons et voir du pays ?

(page 64) Il demeurait cependant strictement fidèle à sa ville, où il conserva jusqu’au bout sa maison de la rue de Longlier, et à sa profession qu’il exerçait concurremment avec son mandat. Bien mieux, il s’improvisa homme d’affaires, pour aider son beau-père, François Jacob, qui avait obtenu de la députation permanente, le 2 février 1839, le droit de maintenir et d’aménager un moulin à farine à deux tournants ainsi qu’une scierie et une huilerie. Ses connaissances juridiques le servirent dans ce domaine, car cette usine était en conflit avec celle d’avl, exploitée par Marie-Joseph Mathelin, veuve de Mathieu Castagne, qui obtint de pouvoir transformer sa scierie en moulin à tan le 11 décembre 1839.

Plus tard, devenu seul propriétaire, Jullien aura encore des difficultés en 1867 au sujet de cet établissement industriel, qu’il avait, du reste, donné en location à Joseph Evrard.

Après sa réélection du 11 juin 1850, sa carrière va s’orienter d’une manière toute différente. Victor Tesch est devenu, le 12 août suivant, ministre de la justice dans le cabinet Chalres Rogier et ne manquera pas de placer dans la magistrature un grand nombre de Luxembourgeois. Au début de 1851, c’est la nomination de Jullien comme procureur du Roi à Namur, ce qui réjouit les libéraux de l’arrondissement, et bientôt les consterna. Car son remplacement à la Chambre nécessita une élection partielle le 22 avril, qui vit triompher Alphonse Nothomb, à la fois cousin et ennemi de Tesch. Le vaincu prendra d’ailleurs bientôt sa revanche, car l’élu refuse le mandat, d’où un nouveau scrutin le 21 juillet. Cette fois, Louis Orban, qui n’a recueilli que 114 voix trois mois plus tôt, en obtient 274 et l’emporte assez facilement sur son concurrent Edouard de Moor. Ces chiffres montrent assez bien que la décision d’abandonner la vie politique, que venait de prendre Jullien, avait laissé assez perplexes les électeurs de Neufchâteau.

La carrière judiciaire du nouveau procureur du Roi à Namur, si longtemps administrateur et mandataire public, connaît maintenant (page 65) son orientation. Le second passage de Victor Tesch au ministère de la justice (9 novembre 1857-14 novembre 1865) vaudra à Jullien un siège de conseiller à la cour d’appel de Liège le 26 août 1860. Au sein de cette haute juridiction, il se spécialisera dans les affaires de cantonnement des forêts, branche que sa longue activité dans sa province lui avait rendue familière et où ses jugements firent autorité. En principe, il recommanda toujours une transaction entre les propriétaires et les communautés usagères. attitude sage et mesurée qui a connu récemment ses derniers prolongements.

Dieudonné Jullien est décédé à Liège le 17 avril 1878, laissant le souvenir d'un grand honnête homme et d'un éminent magistrat. Bornons-nous à ajouter que c'est une des belles figures de notre passé provincial.

Les Communes Luxembourgeoises ont publié son portrait. D'autre part, M. Fasbender. de Liège, a bien voulu communiquer à l'Exposition « Terre de Neufchâteau » organisée du 11 avril au 4 mai 1968, une esquisse au crayon qui a figuré sous la cote F33. Espérons que la présente notice suscitera la révélation d'une iconographie digne du plus remarquable des présidents de notre conseil provincial.