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Janssens Théodore (1825-1889)

Portrait de Janssens Théodore

Janssens Théodore, Pierre, François catholique

né en 1825 à Saint-Nicolas décédé en 1889 à Saint-Nicolas

Représentant entre 1852 et 1889, élu par l'arrondissement de Sant-Nicolas

Biographie

(Extrait de : E. BOCHART, Biographie des membres des deux chambres législatives, session 1857-1858, Bruxelles, M. Périchon, 1858, folio n°61)

JANSSENS Théodore-Pierre-François

Né à Saint-Nicolas le 25 avril 1825

Représentant, élu par l’arrondissement de Saint-Nicolas

M. Janssens a acquis une haute réputation industrielle ; sa fabrique de tissus et sa filature de laine à Saint-Nicolas l'ont désigné à ses concitoyens pour sa rare habileté et sa prudence commerciale.

Membre du conseil des hospices et de la chambre de commerce de sa ville natale, M. Janssens a eu l'occasion de déployer ses connaissances administratives et de développer ses vues en fait d'améliorations d'utilité générale.

Appelé, en 1850, au conseil communal, il s'est montré l'ami du progrès sans admettre les utopies. Homme sage et modéré, il a voté pour les économies profitables à ses concitoyens, et contre les dépenses sans résultat.

Elu membre de la Chambre des représentants en 1852, par l'arrondissement de Saint-Nicolas, l'honorable M. Janssens a apporté à ses collègues son contingent d'expérience industrielle.

Dès sa première année parlementaire, il demandait une loi définitive pour l'exemption des droits de douane en faveur des machines nouvelles ou perfectionnées.

Plus tard, dans la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires, il a prononcé un remarquable discours dont voici la conclusion :

« Je voterai la loi, malgré la conviction qui me reste que la liberté complète et permanente du commerce des grains serait, pour la Belgique, le système qui offrirait le plus de garantie d’un approvisionnement suffisant et de prix relativement bas. »

L’honorable député de Saint-Nicolas n’est pas partisan des ateliers d’apprentissage subsidiées par le gouvernement, et il offre pour preuve pratique de cette inutilité que le centre industriel de l’arrondissement qu’il représente prospère et a toujours prospéré sans ces ateliers.

Lorsqu’on proposa l’établissement d’une seconde chambre au tribunal de Termonde, M. Janssens fut d’avis qu’il serait préférable, dans l’intérêt des justiciables, de créer un tribunal de première instance à Saint-Nicolas. Son opinion ne prévalut pas, mais ses observations restèrent comme un modèle d'argumentation logique.

Un autre projet de loi d'intérêt public invoquait naturellement le secours des lumières du digne représentant. Nous voulons parler du projet sur l'organisation des conseils de prud'hommes. Toute une vie dévouée à l'industrie montrait à l'honorable M. Janssens les services rendus par ces conseils. Il en fit l'historique avec une noble indépendance, et sans aucune préoccupation d'intérêt personnel.

Il voulait que ces tribunaux d'arbitres fussent composés par moitié de maîtres et d'ouvriers. C'est la balance exacte qu'il demande entre les patrons et les travailleurs. Seulement il aurait voulu reporter de vingt-cinq à trente ans l'âge des ouvriers ayant le droit de voter pour la nomination des prud'hommęs. Cette idée n'a pu prévaloir en présence de notre système général d'élections ; mais elle a eu plus d'un approbateur parmi les hommes de l'opinion conservatrice, à laquelle appartient l'honorable M. Janssens.

Dans les divers rapports que le représentant de Saint-Nicolas a été chargé de faire à la Chambre, on distingue cet esprit d'exactitude et de lucidité qui annonce une longue habitude des affaires. Opposé à toutes les mesures que réprouve la conscience publique, l'honorable M. Janssens n'est pas un homme de parti, mais un mandataire sérieux que ses collègues, même sur des bancs opposés, écoutent avec fruit, et principalement lorsque s'élèvent des questions spéciales qui intéressent le commerce, l'industrie et l'honneur du pays.


(Extrait de Précis historiques. Mélanges religieux, littéraire et scientifiques, Bruxelles, Alfred Vromant, 1889, t. 38,, pp. 91-96)

THÉODORE JANSSENS, Représentant de Saint-Nicolas.

La Belgique entière et la Flandre, en particulier, viennent de faire une grande perte dans la personne de M. THÉODORE JANSSENS-BEECKMAN, pieusement décédé le 18 janvier 1889, à Saint-Nicolas (Waes), dans la 64e année de son âge. Grand industriel et grand chrétien, M. Janssens a été enlevé trop tôt à la sainte mission, à laquelle il s'était voué, de résoudre le problème social par les principes de l'Evangile et par la pratique sincère des vertus chrétiennes. Ses funérailles ont pris à Saint-Nicolas les proportions d'un événement et ont eu dans le pays entier un sympathique et instructif retentissement. Aussi croyons-nous devoir dépasser, en cette circonstance, les étroites limites d'une notice nécrologique ; nous espérons qu'une plume autorisée nous retracera bientôt, plus en détail, la noble et utile carrière du regretté représentant de Saint-Nicolas.

M. Janssens naquit en 1825, d'une ancienne et patriarcale famille de ce beau pays de Waes, si profondément attaché à notre sainte religion ; il était l'aîné de douze enfants et par le décès prématuré de son excellent père, il se trouva placé, à peine âgé de vingt ans, à la tête d'affaires considérables ; il se montra tout d'abord à la hauteur de cette tâche difficile. Inspiré, dirigé par une mère incomparable, Mme Janssens née Amélie De Decker, qui, elle aussi, fut la mère et la bienfaitrice de ses nombreux ouvriers et laissa la réputation d'une sainte, M. Théodore fit présager dès lors ce qu'il réaliserait un jour pour le bien de la religion et de la société. Il n'avait pas encore atteint sa vingt-huitième année, quand ses concitoyens l'appelèrent à les représenter au Parlement national. Pendant les trente-sept années consécutives qu'il siégea à la seconde Chambre, il y déploya toutes les qualités qui distinguent le député exact, consciencieux, dévoué ; il était très au courant de toutes les questions industrielles et très attaché aux principes catholiques qui sont par excellence des principes d'ordre et de progrès. Si sa parole sobre et calme n'avait pas l'éclat nécessaire aux grandes joutes oratoires, elle était l'écho d'une conviction profonde, basée sur une étude approfondie des matières qu'il avait à traiter; par là même, elle avait une force de persuasion beaucoup plus efficace que tous les artifices de la rhétorique et du beau langage. On aimait à écouter en lui l'homme pratique, l'homme de bon sens et l'homme de cœur : il avait sur bien des orateurs l'avantage inappréciable d'être lui-même parfaitement initié à tous les détails des affaires et de se trouver sans cesse en contact avec toutes les classes de la société, plus spécialement avec les humbles et les pauvres, avec les ouvriers et les artisans, avec les laboureurs et les gens de la campagne. Ce fut dans ces dernières années surtout que son rôle grandit au Parlement, quand, à la suite des crises commerciales, des grèves et des agitations populaires, la Chambre décréta la vaste enquête ouvrière pour laquelle M. Janssens était admirablement préparé et à laquelle il prit une part considérable. Il contribua aussi, avec un soin extrême, à la préparation, à la discussion et au vote des différents projets de loi qui avaient pour but l'amélioration matérielle et morale des classes ouvrières. Ce fut même l'excès de travail qu'il s'imposa à cette occasion qui provoqua la grave maladie qui devait l'emporter après quelques mois, victime de sa charité et de son dévouement aux intérêts du pauvre peuple.

Cependant M. Janssens ne se dissimulait pas l'impuissance de tous les règlements officiels et de toutes les mesures purement extérieures. Il croyait que, pour la solution de problèmes aussi délicats, qui touchent à tant de passions, à tant d'intérêts divers, et qui atteignent les profondeurs de l'âme humaine et de la société, il ne suffisait pas de quelques articles de loi, mais qu'il fallait aller à la racine du mal, qu'il fallait pacifier, unir, rattacher intimement les diverses classes de la société par un mutuel échange de bons procédés, par le dévouement réciproque, en un mot par la pratique individuelle, constante, désintéressée de la divine Charité, dont Jésus-Christ seul nous a donné le précepte absolu et l'efficace exemple. Aussi tous les instants de M. Janssens étaient-ils comme absorbés par l'application intelligente et dévouée des lois de la charité chrétienne. C'est elle qu'il avait en vue dans ses affaires personnelles, dans ses relations privées comme dans la gestion des intérêts publics; c'est ce qu'ont parfaitement fait ressortir les journaux et les personnages politiques qui ont rendu hommage à la mémoire de l'éminent député de Saint-Nicolas.

« Le scepticisme, disait naguère le Bien Public, le scepticisme contemporain nie parfois l'influence de la religion sur la solution des questions sociales. A Saint-Nicolas, dans l'usine de M. Janssens, on a pu voir la réfutation vivante de cette négation. On a cité souvent, et avec raison, dans les congrès catholiques, l'usine dirigée au Val des Bois par M. Harmel, comme un type accompli de l'organisation chrétienne du travail. Nous doutons fort cependant qu'on puisse y constater, entre le patron et les ouvriers, des rapports plus faciles et plus affectueux que ceux qui règnent à Saint-Nicolas dans la manufacture Janssens-De Decker. L'autorité y est acceptée avec amour parce qu'elle s'exerce avec bonté ; on n'y connaît point le farouche antagonisme du capital et du travail qui ailleurs aboutit si souvent à des conflits, quelquefois à des catastrophes. L'huile douce de la charité mutuelle a eu raison des secousses et des grincements des rouages purement économiques. Et quel est le secret de cette pacifique entente? Il ne faut pas beaucoup de peine pour le découvrir. Entre maîtres chrétiens et ouvriers chrétiens, la foi commune devient un indestructible trait d'union. Le patron chrétien se garde bien de ne voir dans ses ouvriers que des machines articulées et animées. Ne sait-il pas qu'ils sont ses frères et qu'à beaucoup de titres il est responsable de leurs âmes ? On nous citait récemment à Saint-Nicolas des traits particulièrement touchants de la sollicitude de M. Th. Janssens pour ses ouvriers : son usine formait une tribu patriarcale dont il était le chef ; il connaissait personnellement chaque travailleur, la composition de chaque ménage, les besoins particuliers de chaque maison ; on venait le consulter, et il donnait son avis et son généreux concours dans toutes les occasions importantes : éducation des enfants, premières communions, tirage au sort, mariage, décès, etc. Bien que sa vie, singulièrement occupée, lui donnât le droit de goûter largement les joies du repos dominical, il avait voulu consacrer aux ouvriers les meilleures heures de ses dimanches ; secondé par ses frères et par ses enfants, il faisait aux travailleurs une conférence l'après-midi et, plus tard, il aimait à passer avec eux la soirée dans une douce familiarité.

« C'est pourquoi il n'était pas seulement respecté, mais aimé de toute la population laborieuse de Saint-Nicolas. Celle ci le lui a prouvé maintes fois durant sa vie, elle l'a montré surtout au jour de ses funérailles qui ont été une sorte de canonisation populaire. Il n'y avait pas sur le cercueil de M. Janssens, recouvert d'un simple drap funèbre traversé par la croix, de ces couronnes dont une mode parisienne et maçonnique veut surcharger l'austère simplicité des obsèques catholique s; mais il y avait mieux que cela : il y avait les sympathies et les larmes de milliers d'ouvriers, s'unissant au deuil et aux prières des parents et des amis du défunt. Nos lecteurs ne l'ignorent pas ce n'est pas la première fois que l'attention du pays et des hommes compétents a été appelée sur les heureux résultats obtenus, grâce à MM. Janssens, par le patronage chrétien et par l'organisation chrétienne de l'industrie. Au dernier Congrès des Œuvres sociales, tenu à Liège, l'usine Janssens-De Decker a fait, pour ainsi dire, l'objet d'une monographie spéciale. Ce que la modestie chrétienne voilait, dans les rapports publiés à cette époque, peut se dire maintenant plus à l'aise, et la reconnaissance publique, sur la tombe même de M. Th. Janssens, a fait en termes éloquents l'éloge de la vie de dévouement et de charité chrétienne de cet homme de bien. Nous savons que cet héritage d'abnégation et de vertu est tombé entre des mains dignes de le recueillir et que loin de péricliter et de languir, les œuvres de M. Th. Janssens lui survivront et, comme une moisson posthume, fructifieront sur sa tombe.

La conclusion générale que nous voudrions tirer de ce magnifique exemple, que la mort vient de mettre particulièrement en relief, c'est que la véritable solution, la solution pratique et durable de la question sociale, se trouve dans une large et généreuse application de l'Evangile. Mettez en présence des maîtres chrétiens et des ouvriers chrétiens, leurs mains se chercheront naturellement pour se joindre et scelleront une union pacifique et féconde que toutes les menées du socialisme ne parviendront point à ébranler. Cela est possible ailleurs encore qu'à Saint-Nicolas, puisqu'à Saint-Nicolas même, ce bienfaisant travail a été opéré et a réussi sur un sol qui semblait particulièrement ingrat. Il suffit pour mener l'entreprise à bonne fin de trouver des hommes de foi, et, le Ciel en soit loué, la race n'en est pas encore éteinte en Belgique ! »

M. de Lantsheere, President de la Chambre des Représentants, a tenu un langage semblable dans les nobles et chrétiennes paroles qu'il a prononcées aux funérailles de son regretté collègue. Cet éloquent discours est le plus bel éloge qu on puisse faire de M. Janssens, et c'est à ce titre que nous croyons devoir le reproduire ici en entier.

« Messieurs, nous venons, mes collègues et moi, rendre au nom de la Chambre des représentants un suprême hommage à l'homme de bien que la mort nous a enlevé. Mais alors qu'ailleurs la mort se présente inexorable et cruelle, qu'aux pleurs et aux regrets de la séparation elle mêle, pour les uns, les angoisses de l'inconnu, pour les autres, la crainte du châtiment, il semble qu'en pénétrant dans cette demeure chrétienne elle ait dépouillé ses rigueurs et n'ait laissé place, à côté de larmes trop légitimes, qu'à une sereine confiance. Elle n'a pas apparu comme la main fatale qui brise l'homme et ne laisse de son être qu'un stérile souvenir ; elle a été la messagère des justes récompenses promises à une vie qui fut toute faite de Foi et de Charité. La Foi et la Charité, ces deux mots éclairent tous les actes, résument toute la carrière de M. Théodore Janssens. Au sein de sa famille dont il était l'idole, au milieu de ses ouvriers comme parmi nous, là est son guide, là aussi est sa force et son refuge. Chef d'une industrie considérable, vivant au milieu d'une population ouvrière nombreuse, connaissant ses besoins, s'identifiant avec ses aspirations, M Janssens était placé mieux que personne pour concourir à l'étude de ces questions redoutables qui, à l'heure actuelle, préoccupent toutes les législatures. Assurer à l'enfance et à la faiblesse une protection, au travailleur le respect et la rémunération dus à son labeur, à la vieillesse et à la maladie mieux que des secours précaires, qui donc aurait pu avec plus de sûreté que notre regretté collègue agiter ces problèmes ? Il apportait à cette étude, avec l'autorité d'une longue expérience, une sorte de dévouement religieux, comme s'il avait eu présente à l'esprit cette parole des Ecritures: « Celui qui dit qu'il aime Dieu alors qu'il n'aime pas ses frères est un menteur. » Ce n'est pas qu'ii vît avec une satisfaction exempte de soucis la sollicitude des pouvoirs publics pénétrer dans ces sphères nouvelles, considérées naguère comme le champ inviolable de la liberté et la responsabilité individuelles. « Je ne crois pas, disait-il dans la séance du 19 février 1878, que ce soit un signe de progrès que de multiplier des lois comme celles-ci. Je <crois au contraire que c'est un signe de décadence que d'en avoir besoin. » Et lorsqu'on lui vantait certaine mesure comme un pas de fait vers la réglementation du travail, il répondait : « Oui, mais c'est ce pas que je vous prie de ne pas faire. Il vous engagerait dans un labyrinthe dont vous ne sortiriez pas sans rencontrer le droit au travail et le droit à l'assistance. » Beaucoup reste à faire, ajoutait-il, pour améliorer la condition des ouvriers et leurs rapports avec les patrons. Mais je n'espère rien de sérieux et d'efficace que du développement de l'idée chrétienne chez les << uns et chez les autres, » Et ensuite : « Ce qui est certain et de toute évidence pour moi, c'est que plus se développera l'idée chrétienne, et avec elle le sentiment du devoir, moins seront nécessaires ces dispositions légales qui restreignent la liberté et demeurent inefficaces; et plus, au contraire, on aura réussi à affaiblir le sentiment religieux, plus il faudra multiplier ces lois et règlements qui sont comme des étançons qui déparent et soutiennent mal l'édifice social miné par la base. » Si je me permets, messieurs, de reproduire ces paroles devant cette tombe, c'est qu'en elles se retrace toute la longue et active carrière parlementaire de M. Janssens. De 1852 à 1889, dans ses nombreux discours, dans ses rapports, dominent ces mêmes principes : la liberté, mais la liberté éclairée par l'esprit chrétien, fortifiée par la charité. Et l'on peut dire que ces principes n'étaient que l'expression des sentiments de la contrée si profondément chrétienne dont, durant ce long espace de 37 ans il fut, sans une seule défaillance, le mandataire et l'interprète. Cette constante fidélité du corps électoral fut pour notre ami une première et légitime récompense.

« La reconnaissance publique s'affirma avec un éclat particulier lorsqu'en 1877 l'arrondissement de St-Nicolas célébra son jubilé parlementaire. Mais toutes ces manifestations s'effacent devant le spectacle émouvant de cette foule qui le lendemain de sa mort se porta devant les autels, priant Dieu pour son bienfaiteur et qui en ce moment entoure sa dépouille mortelle comme en un triomphe. Les honneurs ne lui firent point défaut. S. M. le Roi l'avait nommé commandeur de son Ordre. La croix de chevalier de l'ordre du Lion Néerlandais lui avait été décernée par S. M. le Roi des Pays-Bas. Il a plu à Dieu d'enlever notre excellent collègue à ceux à qui il a consacré sa vie à ses enfants, à ses ouvriers, aux populations de l'arrondissement de Saint-Nicolas. Mais sa mémoire demeurera impérissable au milieu d'eux ; ses œuvres lui survivent; elles parlent pour lui et continuent ses leçons. Nous nous inclinons avec respect devant sa tombe, persuadés que le Dieu de justice et de miséricorde l'a reçu au nombre de ses élus. »

On ne peut trop le redire : les vertus politiques de M. Janssens avaient leur racine dans ses vertus religieuses; c'est précisément parce qu'il était un chrétien convaincu et conséquent, qu'il fut tout à la fois un père de famille accompli, un patron modèle, un citoyen dévoué.

Il se multipliait en quelque sorte pour répandre le bien autour de lui. pour rendre service à tous, à ses inférieurs comme à ses égaux. Il était à la tête de toutes les œuvres pieuses et charitables: les conférences de Saint-Vincent-de-Paul avaient en lui un zélateur des plus actifs ; président de la confrérie du Saint-Sacrement et du comité organisateur du Gildenhuis, co-fondateur du Denier de Saint-Pierre et membre du comité des écoles dominicales, il était depuis longtemps président du conseil de fabrique de l'église Notre-Dame, et c'est à lui, c'est à son zèle et à son goût éclairé pour les arts que ce beau temple doit ses magnifiques peintures murales, œuvres de MM. Guffens et Sweerts. Enfin, il profitait de ses fonctions de membre de la Caisse d'épargne et de retraite, et de président du conseil d'administration du chemin de fer Malines-Terneuzen pour veiller aux intérêts moraux et matériels des nombreux employés sous ses ordres. Partout son influence était d'autant plus grande, qu'il joignait à un dévouement universellement reconnu, une grande aménité de formes, une courtoisie exquise qui lui attiraient l'estime et le respect même de ceux qui ne partageaient pas ses convictions religieuses et politiques.

Aussi n'y eut-il jamais à Saint-Nicolas des funérailles aussi magnifiques que celles de M. Janssens. A côté des démonstrations officielles de tous les corps constitués, on voyait surtout la sincère et unanime expression de la reconnaissance populaire. Le deuil d'une famille estimable qui venait de perdre son chef était devenu le deuil de la population entière. Les nombreux ouvriers du défunt avaient demandé de contempler une dernière fois les traits de leur cher maître plus de trois mille personnes défilèrent avec un pieux recueillement devant la couche funèbre où le corps était exposé, revêtu du scapulaire et du cordon du tiers ordre de saint François ; ces braves gens voulurent offrir la sainte Communion pour leur ami et leur père, comme ils l'appelaient, et, le dimanche 20 janvier, près de neuf cents ouvriers reçurent la divine Eucharistie de la main des deux fils du défunt. Le jour de l'enterrement, tous voulurent assister au service

funèbre et accompagner le cercueil jusqu'au cimetière. Au bord de la fosse, l'un d'eux prit la parole au nom de ses compagnons et, d'une voix entrecoupée de sanglots, il adressa à leur bon maître un suprême et religieux adieu. Autour de lui tous ces rudes travailleurs, la tête découverte et les mains jointes, pleuraient comme des fils qui viennent de perdre leur père. « Ce spectacle émouvant, dit le Bien public, contenait une grande leçon qu'il nous paraît utile de faire ressortir ici comme l'épilogue de ces funérailles vraiment religieuses. »

Nous nous associons chrétiennement au deuil de l'arrondissement de Saint Nicolas et de la famille Janssens. Les enfants du défunt, héritiers de sa foi, puiseront dans cet héritage les seules consolations efficaces à leur trop juste douleur ; ils sauront demeurer fidèles aux beaux exemples que leur père leur a laissés et, dans les voies diverses où Dieu les a appelés, servir, avec le même dévouement, avec la même abnégation, la religion et le pays.


(Extrait du Journal de Bruxelles, du 20 janvier 1889)

Nécrologie. Théodore Janssens

Nous lisons dans le Bien public, aux condoléances duquel nous nous associons :

M. le président de la Chambre a communiqué hier aux députés réunis en séance un télégramme annonçant la mort de leur estimé collègue, M. Théodore Janssens, représentant de l’arrondissement de Saint-Nicolas depuis 1852.

M. Janssens s'est doucement éteint à 3 heures de l’après-midi, entouré de tous les siens, parmi lesquels trois fils prêtres ou religieux et ses frères, M. le chanoine Janssens et le R.P. Janssens de la compagnie de Jésus.

Cette triste nouvelle était malheureusement prévue depuis plusieurs semaines. C'est l'an dernier, au sortir de la Chambre, que M. Janssens a ressenti les premières atteintes du mal auquel il vient de succomber et que plusieurs rechutes avaient, depuis lors, successivement aggravé.

L'arrondissement de Saint-Nicolas et le pays entier perdent en M. Théodore Janssens un député modèle, exact, consciencieux, dévoué, loyalement fidèle à la religion et à la patrie.

Si sa parole sobre et calme n'avait pas l'éclat nécessaire aux grandes joutes oratoires, elle était l'écho d'une conviction profonde et acquérait par là même une force de persuasion beaucoup plus efficace que les artifices de la rhétorique. On aimait à écouter en lui l'homme de sens et l'homme de cœur.

Les vertus publiques de M. Janssens avaient leur racine dans ses vertus religieuses et privées. C'était un père de famille accompli, un patron chrétien plein de sollicitude pour ses nombreux ouvriers, un grand et généreux ami des pauvres. Les conférences de Saint-Vincent-de-Paul, si florissantes dans le pays de Waes, perdent en lui un président et un zélateur des plus actif.

Nous nous associons chrétiennement au deuil de l’arrondissement de Saint-Nicolas et de la famille Janssens. Les enfants du défunt, héritiers de sa foi, puiseront dans cet héritage les seules consolations efficaces à leur trop juste douleur ; ils sauront aussi demeurer fidèles aux beaux exemples que leur père leur a laissés et, dans les voies diverses où Dieu les a appelés, servir avec le même dévouement, la même abnégation, la religion et le pays.


(Extrait du Journal de Bruxelles, du 24 janvier 1889)

Funérailles de M. le représentant Janssens

(Dépêche de notre correspondant)

Saint Nicolas, 23 janvier.

La ville de Saint-Nicolas a fait ce matin de magnifiques funérailles à son regretté représentant, M. Théodore Janssens Beeckman.

A toutes les fenêtres - sauf quelques rares exceptions – flottent les drapeaux en berne. Toutes

les gares de la ligne Malines-Terneuzen avaient également arboré des drapeaux couverts de crêpes.

La population entière est sur pied. Une foule innombrable est rangée le long des rues que le cortège doit parcourir. La gendarmerie a peine à la contenir.

Vers 10 heures la foule est immense à la mortuaire. Toutes les communes de l'arrondissement y sont représentées. Nous remarquons les ministres Beernaert et Druyn, les sénateurs comte de Berghyck, Lammens, Vilain XIIII, le président de la Chambre, M. de Lantsheere, les vice-présidents, MM. Van Wambeke et Tack, les représentants de Jonghe d'Ardoye, De Sadeleer, Anspach, Puissant, de Barré de Comogne de Decker, de Kepler, de Malander, chevalier de Moreau, De Winter, Fiévé, Guyot,Raepsaet, Reynaert, Slingencyer, Struye. Van Cleemputte, Vandensteen, Vanderbruggen, Van Hoorde, Van Naemen, Vercruysse, Verbruggen. M. de Kerkhove, gouverneur de la Flandre occidentale, se trouve également là. Il avait été recevoir la députation de la Chambre à la gare avec le conseil communal, ayant M. Van Naemen, bourgmestre, en tête.

Aucun vain ornement, ni fleurs ni décorations sur le cercueil ; un grand crucifix seulement : telle avait été une des dernières volontés du défunt.

Quatre discours sont prononcés par M. De Lantsheere, au nom de la Chambre ; par M. Verwilghen, au nom de la députation et des catholiques de l'arrondissement; par M. Vandenbroeck, au nom du conseil d'administration du chemin de fer de Malines-Terneuzen, dont le défunt était président; par M. Dedecker, au nom de la fabrique de l'église de Notre-Dame.

A 10 h. et demie le clergé de Notre-Dame vient procéder à la levée du corps. Deux bataillons du régiment de ligne, avec la musique et le drapeau, sous les ordres du colonel Kraus, rendent les honneurs à la sortie du corps.

Le cortège funèbre est très imposant. La musique du I1r de ligne ouvre la marche. Toutes les sociétés et confréries de la ville suivent. La musique de la garde civique vient en dernier lieu.

Le clergé et le corbillard ferment le cortège. Les coins du poêle sont tenus par MM. De Lantsheere, Beernaert, Raymond de Kerkhove, Van Naemen.

Le deuil est conduit par M. Joseph Janssens, fils aîné du défunt, accompagné de Mgr de Battice, évêque de Pella, et le chanoine Stillemans. président du séminaire de Gand. Derrière la famille viennent les membres de la Chambre, du conseil communal et du conseil provincial les autorités civiles et militaires, et la foule, qui est immense et comprend toutes les notabilités de la ville et de l'arrondissement.

A 11 heures commence la messe.

L'église est archicomble. L'offrande dure 45 minutes. Le service est terminé à midi 20 seulement.

Tandis que le cercueil est conduit au cimetière, la députation de la Chambre et les autorités venues de l'étranger se rendent à la gare.


(Extrait du Journal de Bruxelles, du 25 janvier 1889)

Funérailles de M. le représentant Janssens

Voici le discours que M. de Lantsheere, président de la Chambre, a prononcé mercredi aux funérailles de M. Janssens, le très regretté représentant de Saint-Nicolas :

Messieurs, nous venons, mes collègues et moi, rendre, au nom de la Chambre des représentants, un suprême hommage à l'homme de bien que la mort nous a enlevé.

Mais alors qu'ailleurs la mort se présente inexorable et cruelle, qu'aux pleurs et aux regrets de la séparation elle mêle pour les uns les angoisses de l'inconnu, pour les autres la crainte du châtiment, il semble qu'en pénétrant dans cette demeure chrétienne elle ait dépouillé ses rigueurs et n'ait laissé place, à coté de larmes trop légitimes, qu'à une sereine confiance. Elle n'est pas apparue comme la main fatale qui brise et ne laisse de son être qu'un stérile souvenir. Elie a été la messagère des justes récompenses promises à une vie qui fut toute faite de foi et de charité.

La foi et la charité. ces deux mots éclairent tous les actes, résument toute la carrière de M. Théodore Janssens.

Au sein e sa famille, dont il était l'idole, au milieu de ses ouvriers, comme parmi nous, là est son guide, là aussi sa force et son refuge.

Chef d'une industrie considérable, vivant au milieu d'une population ouvrière nombreuse, connaissant ses besoins, s'identifiant avec ses aspirations, M. Janssens était placé mieux que personne pour concourir à l'étude de ces questions redoutables qui, à l'heure actuelle, préoccupent toutes les législatures.

Assurer à l'enfance et à la faiblesse une protection. au travailleur le respect ct la rémunération dus à son labeur, à la vieillesse et à la maladie mieux que des secours précaires, qui donc aurait pu avec plus de sûreté que notre regretté collègue agiter ces problèmes ?

Il apportait à cette étude, avec l'autorité d'une longue expérience, une sorte de dévouement religieux, comme s'il avait eu présente à l'esprit cette parole de l'Ecriture : « Celui qui dit qu'il aime Dieu alors qu'Il n'aime pas ses frères est un menteur. »

ce n'est pas qu'il vit avec une satisfaction exempte de soucis la sollicitude des pouvoirs publics pénétrer dans ces sphères nouvelles considérées naguère comme le champ inviolable de la liberté et de la responsabilité individuelles.

« Je ne crois pas, disait-il dans la séance du 10 février 1878, que ce soit un signe de progrès que de multiplier des lois comme celles-ci. Je crois, au contraire, que c'est un signe de décadence que d'en avoir besoin. »

Et lorsqu'on lui vantait certaine mesure comme un pas de fait vers la réglementation du travail, il répondait : « Oui, mais c'est pas que je vous prie de ne pas faire. Il vous engagerait dans un labyrinthe dont vous ne sortiriez pas sans rencontrer le droit au travail et le droit à l'assistance. »

« Beaucoup reste faire, ajoutait-il, pour améliorer la condition des ouvriers et leurs rapports avec les patrons. Mais je n'espère rien de sérieux et d'efficace que du développement de l'idée chrétienne chez les uns et les autres. »

Et ensuite : « Ce qui est certain et de toute évidence pour moi, c’est que plus se développera l'idée chrétienne, et avec elle le sentiment du devoir, moins seront nécessaires ces dispositions légales, qui restreignent la liberté et demeurent inefficaces, et plus. au contraire, on aura réussi à affaiblir le sentiment religieux, plus il faudra multiplier ces lois et règlements, qui sont comme des étançons qui déparent et soutiennent mal l’édifice social miné par la base. »

Si je me permets, messieurs, de reproduire ces paroles devant cette tombe, c'est qu’en elles se retrace toute la longue et active carrière parlementaire de M. Janssens.

De 1852 à 1889, dans ses nombreux discours, dans ses rapports dominent ces mêmes principes: la liberté. mais la liberté éclairée par l'esprit chrétien, fortifie par la charité.

Et l'on peut dire que ces principes n'étaient que l'expression des sentiments de la contrée si profondément chrétienne. dont, durant long espace de trente-sept ans, il fut, sans une seule défaillance, le mandataire et l'interprète.

Cette constante fidélité du corps électoral fut pour notre ami une première et légitime récompense.

La reconnaissance publique s'affirma avec un éclat particulier lorsqu'en 1877 l’arrondissement de Saint-Nicolas célébra son jubilé parlementaire. Mais toutes ces manifestations s'effacent devant le spectacle émouvant de cette foule qui le lendemain de sa mort se porta devant les autels, priant Dieu pour son bienfaiteur, et qui en ce moment entoure sa dépouille mortelle comme en un triomphe.

Les honneurs ne lui firent point défaut. Sa Majesté le Roi l'avait nommé commandeur de son ordre. La croix de chevalier de l'ordre du Lion néerlandais lui avait été décernée par Sa Majesté le roi des Pays-Bas.

II a plu à Dieu d'enlever notre excellent collègue. à ceux à qui il a consacré sa vie : à ses enfants, à ses ouvriers, aux populations de l'arrondissement de Saint-Nicolas. Mais sa mémoire demeure impérissable au milieu d'eux. Ses œuvres lui survivent. Elles parlent pour lui et continuent ses leçons.

Nous nous inclinons avec respect devant sa tombe, persuadés que le Dieu de justice et de miséricorde l'a reçu au nombre de ses élus.