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Jamar Alexandre (1821-1888)

Portrait de Jamar Alexandre

Jamar Alexandre, Marie, Auguste libéral

né en 1821 à Bruxelles décédé en 1888 à Bruxelles

Ministre (travaux publics) entre 1868 et 1870 Représentant entre 1859 et 1882, élu par l'arrondissement de Bruxelles

Biographie

(KAUCH. P., Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, 1956, t. 29, col. 719-722)

Jamar (Alexandre), éditeur, homme politique, gouverneur de la Banque Nationale, né à Bruxelles le 6 novembre 1821, mort dans la même ville le 15 août 1888.

Après de brèves études, Alexandre Jamar devint commis de son père, greffier de justice de paix à Bruxelles. Ayant sollicité sans succès la succession de ce dernier à dix-sept ans, il fut associé à la petite maison d'édition et à l'imprimerie de son frère aîné ; deux ans après il était chef de cette entreprise qui devint l'une des premières de Belgique.

Elle dut sa fortune en grande partie à la « contrefaçon littéraire » rendue possible par la loi de 1817 sur le droit de copie, par l'absence de toute convention internationale en matière de droits d'auteur et d'édition, par les encouragements du gouvernement hollandais et les rigueurs de la censure sous la Restauration jusqu'en 1830, ainsi que par le manque d'esprit commercial des libraires français. Il n'y fut mis fin qu'en 1852, par la conclusion d'un accord franco-belge. Dans l'intervalle, imprimeurs et éditeurs s'étaient multipliés en Belgique et les exportations de livres accrues au point que les principaux éditeurs ouvrirent des comptoirs en Angleterre, en Allemagne, en Italie. En 1834 Stendhal écrivit d'Italie à Sainte-Beuve : « Rome et moi, nous ne connaissons la littérature française que par l'édition belge. »

Jamar publia notamment le Museum Littéraire qui fournit, à très bas prix, des séries de volumes compacts,  reproduisant un choix d'œuvres diverses, prises dans la production des auteurs à la mode, ainsi que d'autres collections, la Bibliothèque universelle d' Instruction et d'Éducation et l’Illustration littéraire. D'un autre côté, il eut le grand mérite de favoriser la production des écrivains, des savants, des historiens belges, afin d'exalter la grandeur de leur jeune patrie ; il publia des œuvres de Théodore Juste, d'Henri Moke, d'André Van Hasselt, d'Henri Conscience, ainsi qu'une Biographie nationale, Les Belges illustres, et La Belgique monumentale. Il s'efforça en outre d'améliorer le sort des classes ouvrières en diffusant l'instruction, désir très répandu à 'époque, mais qu'il réalisa mieux que la plupart des bourgeois qui se contentaient de créer ou de subsidier des écoles. En 1849 il édita L'Encyclopédie populaire ou Répertoire universel et élémentaire des Connaissances humaines, et par après le Panthéon national et la Bibliothèque classique et populaire, qui se composait de petits traités à quinze centimes, souvent tirés à cent mille exemplaires, comprenant nombre d'œuvres de vulgarisation de premier ordre auxquelles collaborèrent des savants réputés.

Ses qualités intellectuelles el morales, son ascendant dans le monde des affaires, incitèrent ses amis libéraux à lui suggérer de se présenter au Parlement. Il fut élu en 1859. Peu d'années après, ayant fait fortune et placé des capitaux importants dans les entreprises patronnées par la Banque de Belgique, il céda sa firme.

Au sein de son parti comme à la Chambre, Jamar fut un élément modérateur, moins doctrinaire que Rogier ou Frère-Orban, moins progressiste que Janson et Picard. Il fit de l'excellent travail tant en commission qu'en séance publique. Il n'était pas orateur, mais il avait une grande facilité de parole, des convictions et une argumentation fermes, un jugement pondéré. Pénétré de la prééminence de la liberté absolue, il savait cependant faire les concessions commandées par l'intérêt général. Il favorisa la conclusion de la convention franco-belge de 1852 garantissant les droits de propriété des œuvres littéraires. Il défendit avec vigueur la cause des ouvriers, proclama que la législation sur la coalition était une « iniquité criante », appuya la création de la Caisse d'Épargne comme banque des ouvriers, refusa de voter une augmentation des tarifs qui aurait accablé ces derniers.

Le 4 juin 1866, Vanderstichelen ayant troqué le portefeuille des Travaux publics contre celui des Affaires étrangères, Jamar le remplaça. Deux ans après, les élections générales provoquèrent la retraite du cabinet Frère-Orban. Mais dans l'intervalle Jamar avait pu donner sa mesure. De son passage au gouvernement, trois faits importants sont à retenir. Il prescrivit une enquête sur la situation des ouvriers dans les mines et les usines métallurgiques ; un an après, l'enquête était publiée et des conclusions utiles étaient dégagées. Il établit le 8 septembre 1869 des tarifs ferroviaires favorables aux ouvriers. On a dit que cette décision a été le facteur essentiel du développement de la mobilité de la main-d'œuvre qui contribua équilibrer la répartition régionale de celle-ci, à arrêter l'abandon des campagnes et à freiner une concentration urbaine si rapide qu'elle engendrait des conditions de logement lamentables. Il prit l'initiative de faire reprendre par l'État plusieurs lignes de chemin de fer concédées. Dans ce domaine aussi, il posa un jalon. Depuis 1870 1'État abandonna le régime des concessions dont beaucoup étaient aux mains de l'étranger et renforça sa politique da rachat.

Le passage de Jamar au gouvernement avait complété un bagage déjà remarquable dans lequel ses connaissances financières ne constituaient pas la moindre part. Il était en effet commissaire de la Banque de Belgique, administrateur de la Compagnie immobilière de Belgique, membre du conseil et administrateur de la Caisse d'Épargne, administrateur du Crédit Communal, membre du Comité d'Escompte de la Banque Nationale à Bruxelles et censeur de cette institution.

Tous les dirigeants de l'Institut d'émission étant ses amis politiques, il était dans l'ordre des choses établies qu'on songeât lui pour prendre la succession du directeur E. Prévinaire quand celui-ci remplaça le baron de Haussy comme gouverneur.

Jamar rendit d'appréciables services à la Banque Nationale, peut-être surtout en matière d'impression des billets, chose délicate à cette époque où la lutte contre les faussaires était rude.

En 1877, il devint vice-gouverneur. Il termina sa carrière comme gouverneur, fonction à laquelle il avait accédé en 1882.


(KAUCH P ; Alexandre Jamar. Quatrième gouverneur de la Banque Nationale de Belgique (1821 -1888), Extrait tiré à part, de la revue du personnel de la Banque Nationale, n°11, novembre 1954)

(page 3) Une nuit, revenant avec Louis Hymans d'une réception chez Lord Palmerston à Londres, Alexandre Jamar trouva la porte de leur chambre commune fermée. Hymans en avait perdu la clef. Le concierge leur conseilla de prendre une échelle et d'entrer « par effraction et escalade... »

« C'était un moyen extrême, raconte Hymans dans ses Souvenirs. Mon waiter en imagina un autre. Dans le fond de l'alcôve de notre chambre à coucher, il y avait une porte condamnée, derrière laquelle se trouvait le lit d'un étranger arrivé le soir même. Il n’y avait qu’à réveiller ce monsieur, le faire lever, le prier de déplacer son lit, ouvrir la porte et puis entrer chez nous.

« Tout bien considéré, c'était le plan le plus pratique. On se mit en mesure de l'exécuter. L'étranger ronflait comme une toupie d'Allemagne. Il mit du temps à se réveiller, vint ouvrir en chemise, et se montra fort heureusement d'excellente composition. Il avait cru que le feu était au logis. L'explication qu'on lui donna eut pour effet de le rassurer.

« Ce n'en fut pas moins un étrange spectacle que celui de deux messieurs en habit noir travaillant, la nuit, à déplacer un lit pour ouvrir une porte, en présence d'un inconnu qui les regardait tout ébahi et trouvait fort « shocking » d'être ainsi surpris en déshabillé. »

Le lendemain - un dimanche - pendant qu'il cherchait à sortir, ce qui fut encore plus laborieux, Jamar eut le loisir de se rappeler que s'il était à Londres à ce moment, s'il était devenu éditeur, président du tribunal de commerce, député, banquier, au lieu de moisir dans un bureau, il le devait au fait que, vingt ans auparavant, il s'était trouvé devant une autre porte fermée.

En effet, fils du greffier d'une justice de paix à Bruxelles, il s'était promis de succéder à son père. Il l'avait aidé dès son adolescence en qualité de commis. Mais lorsqu'il sollicita sa succession, il fut éconduit.

Cette déconvenue fut à l'origine de sa fortune. Jamar avait dix-sept ans. Il reculait devant l'idée de rester commis. Il démissionna. Ses frères lui montraient deux voie s différentes : l'un était magistrat et fit une carrière brillante; l'autre était imprimeur-éditeur. Jamar entra dans les affaires de celui-ci ; deux ans après, il dirigeait l'entreprise qui devint rapidement une des premières du pays.

La Belgique, patrie de la « contrefaçon littéraire »

Le moment était propice. L'application des droits d'auteur et d'édition, instaurés en 1793, et la censure impériale si défavorable à l'imprimerie, avaient disparu de nos provinces avec la chute de l'Empire, Par la loi de 1817 sur le droit de copie, le régime hollandais avait rouvert « la porte au fructueux commerce de la (page 4) contrefaçon » en l'absence de toute législation internationale concernant cette matière. Jusqu’en 1852, année au cours laquelle une convention franco-belge mit fin cet état de choses, n'importe qui avait le droit d'éditer et de vendre les ouvrages de tout auteur n'habitant pas le Royaume-Uni. La « contrefaçon » donna un essor considérable à l'imprimerie et à l'édition nationales. Elle fut favorisée d'ailleurs par les encouragements du gouvernement hollandais jusqu'en 1830, par les rigueurs de la censure sous la Restauration et par la maladresse commerciale des libraires français d'alors.

Imprimeurs et éditeurs se multiplièrent rapidement en Belgique. Les exportations de livres s'étendirent à tel point que les principales maisons ouvrirent des comptoirs en Angleterre, en Allemagne, en Italie. En 1834 Stendhal écrivit d'Italie à Sainte-Beuve : « Rome et moi, nous ne connaissons la littérature française que par l'édition belge. »

Le bon marché de celle-ci et la qualité de l'impression ne furent pas étrangers à ce développement. A cette époque les livres français, généralement des in-8° d'environ 300 pages, coûtaient 7.50 fr. Les éditeurs belges en arrivèrent rapidement à éditer des in-18 beaucoup plus maniables et à donner pour 3 fr. puis pour 2,50 fr. ce qui coûtait le triple à Paris. Pour descendre plus bas encore, ils divisèrent les romans en petits volumes de 100à 200 pages qui furent vendus 1,50 fr. puis 0,75 puis 0,35 fr.

Cette concurrence, qui permit d'accomplir ce qui parut d'aucuns une gageure, ruina les plus hasardeux ; mais beaucoup d'éditeurs, dont Jamar, firent fortune, donnant raison à Balzac quand il se plaignait à Mme Hanska : « J'ai trente ans, plus de 200.000 fr. de dettes ; la Belgique a le million que j'ai gagné. »

Jamar avait des idées et un idéal, mais aussi le sens des affaires. Il fut pami ceux qui, entre 1830 et 1845, rendirent l'édition belge presque maîtresse du marché des livres français en Europe et en .Amérique. Mais loin de se confiner dans la contrefaçon, il fit de l'édition pure et simple. Riche d'initiatives qui trouvèrent des imitateurs nombreux, il contribua à l'éducation populaire et au développement de la conscience nationale.

Prudent par ailleurs et consciencieux. il ne développa jamais exagérément ses installations typographiques, contrairement à ces entreprises-champignon qui disparurent au bout de peu d’années. Il préféra confier à la concurrence l’impression de la plupart de ses volumes qui se succédèrent souvent à raison deux ou trois par semaine. Aussi, quand les grandes sociétés s'effondrèrent vers 1845, le futur gouverneur de la Banque Nationale fut l'un des rares qui parvinrent à développer encore leurs affaires.

Jamar, éditeur à succès

Lorsque Jamar avait quinze ans, la maison dont il allait devenir bientôt le chef avait lancé une collection restée connue, le Museum Littéraire qui fournit, à très bas prix, des séries de volumes compacts, reproduisant un choix d'œuvres diverses, prises dans la production des auteurs à la mode. Deux ans après, en 1838. elle édita la Bibliothèque universelle d'instruction et d'éducation, puis l'Illustration Littéraire composée de romans historiques.

Ces collections se vendaient et de façon très lucrative. En 1844, la Revue Britannique estimait que les deux mille souscripteurs du seul Museum Littéraire, avec ses publications hebdomadaires à 70 centimes, rapportaient de 12.000 à 14.000 francs l'an, soit un peu plus que le traitement dont Jamar bénéficiera plus tard comme gouverneur de la Banque Nationale. Et cependant il avait abaissé de 150 p.c. les prix courants.

Outre de nombreuses « contrefaçons », la firme Jamar publia, dans ses suites, ce que Fernand Vanderem a nommé des « préfaçons. ». Ce sont des éditions originales de contrefaçon, rarement publiées l’accord de l'auteur, mais ayant sur les « originales » françaises la priorité de date, l'éditeur belge ayant gagné de vitesse son collègue français. Elle lança ainsi un grand nombre de véritables éditions « originales » de Balzac ct Musset entre autres, actuellement fort recherchées par les collectionneurs.

Loin de s'en tenir aux œuvres étrangères, Jamar s'intéressa à la diffusion d'œuvres nationales. Mais la formule des collections se révéla peu adaptée à ces dernières, dont le marché était trop étroit ct le nombre insuffisant. La Belgique Littéraire, puis La Bibliothèque Nationale ne connurent que quelques numéros.

(page 5) Dès lors Jamar s'en tint à l'édition isolée, encourageant les écrivains, les savants, les historiens à accroitre leur production, dans le but d'exalter la grandeur de leur jeune plutôt que dans celui d'arrondir encore ses revenus. Un tel idéal, un enthousiasme aussi remarquable ne sont pas rares dans le monde de l'édition, tout comme les faillites en sont la conséquence habituelle. Mais Jamar avait le vent en poupe.

Parmi tant d'autres œuvres, il publia l'Histoire de Belgique de Théodore Juste, - un prédécesseur honorable du grand Henri Pirenne, - qui eut l'honneur de trois éditions successives, chose rare pour des travaux de ce genre, et une quinzaine d'autres ouvrages du même historien; les Mœurs, usages, fêtes et solennités des Belges, d’Henri Moke, rival de Juste ; une Biographie Nationale dirigée par André Van Hasselt ; la Geschiedenis van België d'Henri Conscience et la relation flamande des Fêtes de juillet du même auteur ; Les Belges illustres et La Belgique monumentale, petits chefs-d'œuvre illustrés par les meilleurs artistes de l'époque. Hymans et Rousseau. parlant du goût des Belges pour les lectures de qualité, en diront : « M. Jamar trouve à remplacer ses Belges illustres comme il parviendrait à remettre en vogue sa Belgique monumentale, s'il voulait la réimprimer. » Entreprise difficile et à laquelle Jamar ne se hasarde pas.

Toute sa carrière d'éditeur montre qu'il était cultivé, sélectif. Une preuve de son souci d'offrir le meilleur est la publication d’une Revue de la Presse contemporaine, une sorte de précurseur du Reader's Digest, donnant outre l'annonce de ses nouvelles éditions un choix d'articles publiés dans les ouvrages nouveaux et les périodiques, mais qui n'eut pas la vie longue. Son désir de perfection se constate surtout dans ses efforts déployés pour s'assurer des collaborateurs de premier plan. L’Encyclopédie populaire accueillit entre autres de Brouckère, le baron de Sélys-Longchamps, Fétis, Juste, Schayes, Tarlier, • Trasenster et Van Hasselt. Pour d’autres travaux il reçut l'aide des savants barons de Reiffenberg, de Saint-Genois et de Stassart, ainsi celle de Laveleye, du général Liagre, de Stas et Quételet. Ce dernier rendit cet hommage à Jamar dans sa préface de 1849 de l'Astronomie populaire : « Quand (il) … vint me parler de son projet… les choses avaient changé de face : l'éditeur intelligent que j'avais cherché en vain autrefois se présentait maintenant spontanément... »

Jamar n’épargna rien pour illustrer ses volumes et orner les éditions à bon marché tout au moins d'un frontispice agréable. Certaines de ces illustrations font encore aujourd'hui la joie des amateurs.

Jamar, éducateur du peuple

La préoccupation essentielle de Jamar, - elle dominera également toute sa vie - fut d'améliorer le sort des classes ouvrières, matériellement et moralement, en diffusant l'instruction. Souci très répandu à l'époque, mais qu’l réalisa mieux que la plupart des bourgeois qui se contentaient de créer ou de subsidier des écoles.

S'il publia La nouvelle encyclopédie des gens du monde en 1846, il édita trois ans après L'Encyclopédie populaire ou répertoire universel et élémentaire des connaissances humaines. On lit, dans in prospectus-•préface de sa main : « Depuis près d'un siècle, toutes les idées émises par les hommes sérieux, toutes les innovations théoriques et pratiques, toutes les révolutions de doctrine comme toutes les révolutions de fait, (page 6) ont but réel ou apparent l'amélioration du sort des classes inférieures de la société. leur émancipation intellectuelle, leur participation plus ou moins complète, plus ou moins rapide à la puissance et au bien-être. Ce but est juste, humain, honorable: il faut donc chercher l'atteindre, mais avec honneur, avec humanité, avec justice. Pour cela. il n'y a guère qu'un moyen : instruire le peuple et le moraliser; ce qui est tout un. Car la morale populaire, ce qu'on appelle la conduite, consiste presque entièrement en deux choses : travail et économie, deux choses qui s'apprennent. »

Pour romantiques qu'elles paraissent maintenant, ces phrases étaient d'actualité. A preuve la conception que Jamar avait du « peuple » et qui était partagée par la plupart des bourgeois : « l'ensemble de la nation. par opposition à que l'on appelait jadis les classes privilégiées; c'est non seulement cette honorable bourgeoisie qui a su conquérir sa place par un demi-siècle en faveur du progrès, mais encore et spécialement la partie de la nation qui, sachant le moins, pouvant le moins et possédant le moins, doit être amenée, constitutionnellement et graduellement, à savoir plus, à pouvoir, à posséder plus. »

Que le futur gouverneur de la Banque Nationale exprimait ainsi sa pensée intime se vérifie par les soins qu'il donnait non seulement à la publication de romans à bon marché, mais surtout à celles de livres d'instruction et de formation générale. Son Panthéon National, son Encyclopédie populaire et sa Bibliothèque classique et populaire, qui comprenait de petits traités à 15 centimes, souvent tirés à 100.000 exemplaires, peuvent être considérés comme des publications de premier ordre auxquelles collaborèrent des savants réputés.

Il défendit d'ailleurs les mêmes thèses dans les autres fonctions qu'il remplit. Devant l’assemblée des commerçants notables de l'arrondissement de Bruxelles, il déclara, en sa qualité de président du tribunal de commerce : « Il faut, par tous les moyens possibles, répandre l'instruction dans nos populations ouvrières… Il ne faut plus chercher seulement dans l'ouvrier une force matérielle, directement et péniblement agissante, à laquelle la concurrence n'assigne plus qu'un salaire trop souvent insuffisant; il faut développer cette force sans limites que Dieu a mise dans l'homme, l'intelligence. »

Il comprenait la mentalité et les aspirations de la classe ouvrière, non seulement à travers le monde remuant de la typographie, qu'il connaissait à la perfection, mais encore à travers les autres milieux ouvriers et ceux des employés qu'il eut l'occasion de voir de près. Il en a fourni des preuves directes dans son rapport sur la classe Imprimerie et Librairie de l'Exposition universelle de Paris en 1878, où il abonde en vues pénétrantes sur l'organisation ouvrière et la place de celle-ci dans l'entreprise. Mais cela résulte aussi indirectement du fait que la vieille Association libre des compositeurs et imprimeurs n'a enregistré à son nom aucun des nombreux conflits que connut cette industrie au milieu du siècle dernier. Son attachement au progrès des ouvriers s’est d'ailleurs manifesté de façon tangible à diverses occasions, entre autres par une généreuse contribution à la création d'une bibliothèque syndicale au sein l'Association susdite en 1862.

Jamar, député modéré

Sa situation dans le monde de l'édition et de la typographie, sa fortune devenue florissante et l'étendue de ses relations incitèrent certains de ses amis du parti libéral à suggérer sa candidature au Parlement en 1859.

A ce moment Jamar songeait à céder sa firme, ce qu'il fit peu après. Il était entré dans des affaires financières patronnées par la Banque de Belgique et arrondissait un avoir qu'il avait acquis tout en enrichissant ses frères. En 1858. il avait fait construire, avec ceux-ci, trois maisons, chaussée de Charleroi, dont l'architecte Beyaert, qui allait bientôt construire la Banque Nationale avec Wynant Janssens, était particulièrement fier.

L’année suivante, les doctrinaires reprirent le pouvoir sous la conduite d’un nouveau cabinet Rogier-Frère. Mais la fin de cette tendance du libéralisme approchait : il s’opérait dans son sein une évolution démocratique et libre-penseuse. En 1858 déjà, les Bruxellois avaient élu deux progressistes, L'an d'après, cinq radicaux inauguraient la « politique nouvelle » de la Chambre, à côté d'un grand nombre d'autres députés moins avancés parmi lesquels Jamar, Louis Hymans qui avait appris à connaître l'éditeur en 1847 lorsqu’'il obtint « la faveur » d'écrire l'histoire du marquisat d'Anvers pour la Bibliothèque Nationale et Pirson qui précédera Jamar à l’institut d’émission comme gouverneur.

(page 7) Les progressistes, qui allaient bientôt devenir révolutionnairement démocratiques. sc contentaient alors d'être avant tout férocement anti- cléricaux. En 1864, l'année même où Jamar, parlant du progrès industriel au tribunal de commerce, proclamait « qu'un chef d'industrie a charge d'âmes, aussi bien que le prêtre », son collègue libéral à la Chambre, Van Humbeeck, s'écriait avec emphase, dans une loge maçonnique d'Anvers : « un cadavre est sur le monde, il barre la route du progrès. Ce cadavre du passé, pour l'appeler par son nom, carrément.. c'est le catholicisme. »

Au sein de son parti, comme à la Chambre, Jamar fut un élément modérateur, beaucoup moins doctrinaire que Rogier ou Frère-Orban, beaucoup moins progressiste que Janson et Picard qui confondaient par leur audace les parlementaires de la vieille école.

Comprenant le danger des excès de tout genre, bon croyant du reste, mais anticlérical comme tant d'autres à l'époque, il avait pu déclarer, sans forcer sa nature, dans un de ses prospectus : « Nous faisons un appel au catholicisme comme au libéralisme, aux amis de l'ordre et de la conservation comme à ceux de la liberté et du progrès ; et si ces tendances, moins qu'on ne le croit d'ordinaire, sont dirigées par une raison saine et par une intelligence éclairée, si surtout elles sont animées de l'amour dominant de la patrie, cet appel sera entendu par tous. »

Sa formule était bonne en librairie, mais elle n'était pas la meilleure pour sa popularité parmi les libéraux. Quand, en 1870. dans une de ces discussions véhémentes que le parti connut alors, on lui reprocha d'avoir publié une édition du Catéchisme de Malines, on le traita de « borne, obstacle, doctrinaire ossifié et pétrifié. » A quoi il répondit : « J'ai fait ce qu'ont fait en France tant d'éditeurs dont s’honore la démocratie française. Si l’on a cru me froisser en rappelant que j'avais été libraire, (page 8) on s'est trompé, on a évoqué le plus beau souvenir de ma vie. C'est alors que j'ai publié les livres pour l'éducation du peuple. Voilà ma vie d'industriel. »

Sa situation politique ne fut cependant ébranlée qu'un instant ; il n'abandonna son mandat qu'en 1882 lorsqu'il devint gouverneur de l’institut d'émission.

Jamar fit de l'excellent travail au Parlement, tant en commission qu'en séance publique. Il n'était pas orateur, mais il avait une grande facilité de parole, de la mémoire, des phrases élégantes, une courtoisie enveloppante. Ses exposés étaient solides, ses convictions et son argumentation fermes, son jugement pondéré.

Pénétré de la prééminence de la liberté absolue – « l'idée de liberté exerce sur moi une attraction presque inébranlable », dira-t-il - il sait cependant faire les concessions nécessaires quand l'intérêt général le commande. Il défend ardemment la convention franco-belge garantissant les droits de propriété des œuvres littéraires, qui avait sonné le glas d'une contrefaçon très profitable pour lui : « L'intérêt industriel, quelque qu'il soit dans cette question, dit-il, me touche infiniment moins qu'un grand intérêt moral et politique.

Il a souvent l'occasion d 'exploiter ses thèmes favoris en faveur des ouvriers. Il considère la législation existante sur la coalition « comme une iniquité criante. » Il défend la Caisse d'Epargne comme « banque des ouvriers. » Il se refuse de voter une augmentation des tarifs ferroviaires qui aurait accablé ces derniers.

Il est constamment sur la brèche pour défendre le progrès de l'industrie. du commerce et de l'art. Ses interventions se caractérisent par leur intelligence et leur pénétration. Son rapport sur le projet de loi relatif au prêt intérêt, que Barthélémy Dumortier, contradicteur éternel des libéraux, appelle « loi de l'usure », est si clair que l’économiste français Coullet le reproduit en entier dans un ouvrage alors fort (page 9) remarqué sur la monnaie et le crédit, et que d'autres le considèrent comme la justification de son entrée au conseil d'administration de la Banque.

Jamar, ministre des Travaux Publics

Le 4 juin 1868, Vanderstichelen ayant quitté le ministère des travaux publics prendre le portefeuille des affaires étrangères. Frère- Orban, qui dirigeait le cabinet avec cette sorte d'omnipotence que son prestige lui conférait, offrit à Jamar de remplacer le démissionnaire. Jamar accepta. Deux ans après, les élections générales provoquaient la retraite du cabinet libéral. Mais pendant ce temps, Jamar avait pu donner sa mesure. De son passage au gouvernement, trois faits surtout sont à retenir.

Les deux premiers le montrent à nouveau fort préoccupé du sort des travailleurs. Par une circulaire adressée, peu après son arrivée au département, aux ingénieurs en chef des mines, il prescrivit une enquête sur la situation des ouvriers dans les mines et les usines métallurgiques. Un an après, l'enquête était terminée et publiée et des conclusions utiles en furent tirées.

Dans le même ordre d'idées, il établit, par arrêté ministériel du 8 septembre 1869, des mesures exceptionnelles en faveur des ouvriers qui empruntaient le chemin de fer pour se rendre à leur travail : des abonnements hebdomadaires de troisième classe prix réduit. On a pu dire que cette décision a été le facteur essentiel du développement de la mobilité de la main-d'œuvre qui contribua à équilibrer la répartition régionale de celle-ci, à arrêter l'abandon de la campagne et à freiner une concentration urbaine si rapide qu'elle engendrait des conditions de logement lamentables. Ce fut le début d’un mouvement qui, en 1910, fera jubiler Emile Vandervelde ; comparant le coût du transport par fer des ouvriers à celui des « voyageurs ordinaires » il s'écriera. parlant de ces derniers : « Ils paient donc plus pour un seul billet que les abonnés ouvriers pour toute une semaine. »

Mais l'acte auquel on attacha peut-être le plus grand prix fut la reprise par l'Etat de plusieurs lignes ferroviaires concédées, surtout de celles exploitées par la Compagnie du Luxembourg. Cet acte mérite d'être replacé dans l'atmosphère du moment.

Dès le début de la Belgique. le gouvernement avait lui-même créé et exploité les lignes, non pour des raisons de doctrine économique ou politique, mais simplement parce qu'il redoutait qu'en les abandonnant à l'industrie privée. elles ne tombent aux mains des orangistes, - les gros capitalistes d'alors - et ne renforcent la puissance de ceux-ci, jugée dangereuse pour l'existence du jeune Etat belge.

Vers 1844. quand fut construit « le gros tronc dont les branches pousseraient naturellement » et que le danger orangiste se fut affaibli, le gouvernement laissa aux capitaux privés le soin d’étendre le réseau. Ces derniers firent si bien qu’en 1870, sur 3.136 kilomètres de voies, 902 kilomètres seulement appartenaient à la collectivité.

La poussée avait été trop violente. Le plan général manqua d’unité et les compagnies ne tinrent pas toujours compte ni des intérêts généraux du pays ni des nécessités futures du trafic. Ce fut une des raisons qui incitèrent le gouvernement à inaugurer l'ère des rachats.

Il trouva un soutien dans la crainte des influences française et allemande. Napoléon III et Bismarck désiraient s'emparer des lignes frontalières. Leur rivalité inquiéta d'autant plus les publics qu'elle prit un aspect aigu. Le gouvernement défendait la thèse qu'aucune ligne concédée ne pouvait être louée ou cédée sans autorisation ; mais cette thèse n’avait qu'une faible valeur en droit international.

Jamar fut en première ligne lorsqu'en 1870 l'Est français voulut acheter le Luxembourg. Ni ses interventions ni celles de Frère-Orban ne purent empêcher les transactions de se nouer et de se poursuivre entre intéressés au grand émoi du public et du Parlement. Jamar tint ferme. Il affirma devant la Chambre : « cette cession ne s'accomplira pas » et poussa le gouvernement à recourir à la loi pour interdire tout transfert sans autorisation expresse.

En cette matière il posa un jalon. Depuis ce moment l'Etat abandonna le régime des concessions, renforça sa politique de rachat. Par une convention du 25 avril 1870 Jamar obtint la cession d'environ 700 km. de lignes exploitées par la Société des Bassins Houillers.

Ces mérites n'empêchèrent pas beaucoup d'esprits charitables de parti de lui conseiller (page 10) la retraite lors des élections si agitées de 1870. Il est vrai que les progressistes réclamaient une réforme électorale dont le gouvernement n'avait pas voulu, et que Frère-Orban venait de leur jeter l'injure à la face... en les comparant aux Grecs du Bas-Empire... Ceci explique cela.

Un nouveau directeur à la Banque Nationale

Le passage de Jamar au gouvernement avait complété un bagage déjà remarquable.

Il ne s'était effet pas confiné dans son métier d’éditeur. Riche, avisé, intelligent, connaissant tout le monde en Belgique et fort répandu à l'étranger, il était depuis des années dans le monde de la finance.

Sans doute son amitié avec le sénateur Fortamps, gouverneur de la Banque de Belgique qui avait contribué largement à l'expansion de l'édition nationale, et avec le beau-frère de celui-ci, le député Prévinaire, second gouverneur de la Banque Nationale, n’y était-elle pas étrangère.

Il avait été nommé membre du conseil général et administrateur de la Caisse d'Epargne depuis la fondation de celle-ci en 1865. Deux ans après, il devenait administrateur du Crédit Communal. Depuis longtemps, il était commissaire de la Banque de Belgique et administrateur de la Compagnie immobilière de Belgique.

Dès 1865, il avait fait partie du Comité d'escompte de la Banque Nationale à Bruxelles. Six mois après, il fut nommé censeur. Tous les dirigeants de l'institut d'émission étaient ses amis politiques ou ses amis tout court. Prévinaire, Bischoffsheim. Pirson étaient ou avaient été ses collègues au Parlement, à la Caisse d'Epargne. dans nombre d'autres institutions et entreprises.

En toute circonstance, il avait protégé la Banque au Parlement. Pendant l'affaire de 1870, quoiqu'ayant des opinions mêlées sur l'attitude de la direction, il la défendit bec et ongles devant l'opinion publique. même devant ses adversaires de l'Association libérale. « Le censeur de la Banque Nationale, dit-il à cette occasion, n'a pas été plus ménagé que l'ancien éditeur. L'idée de faire d'un censeur une victime expiatoire a dû paraître étrange à ceux qui savent qu'un censeur ne prend aucune part à l'administration de la Banque. Mais je prends la défense des actes de la Banque, dans la mesure où cette responsabilité doit être prise. Au lieu de laisser à la Banque, en temps de crise, les ressources dont elle dispose en temps ordinaire, on lui a donné l'ordre de tout préparer pour que, sur l’heure, l’encaisse du Trésor pût être transportée à Anvers. De là cette panique dont nous avons été témoins ces jours-ci. J'espère que la correspondance entre la Banque et le gouvernement sera publiée. Si j'accepte la responsabilité des actes de la Banque. je repousse celle des actes du gouvernement. »

Il était donc dans l’ordre des choses qu’on songeât à lui pour le premier siège de directeur vacant. Or une vacance se présenta peu avant le moment où le gouvernement libéral allait démissionner, à la suite du décès du gouverneur de Haussy, et il ne manqua pas de gens pour soupçonner que Frère-Orban voulait réserver cette place un de ses amis politiques. « Le premier bruit qui a couru à ce sujet – même avant que le titulaire fût enterré - c'est que M. Vanderstichelen, ministre des affaires étrangères, allait succéder au défunt. Cette rumeur persiste pendant une durée de vingt-quatre heures, et d'autres bruits lui succèdent », écrit le Journal de Bruxelles et il ajoute « 1° que gros bonnets de la finance guignent la succession de M. de Haussy, entre autres MM. Prévinaire, Fortamps et Cie ; 2° que M. Eugène Anspach, frère de M. le bourgmestre de Bruxelles, serait nommé directeur de la Banque, au cas où M. Prévinaire emporterait la position ; 3° que si M. le Ministre de l'Intérieur ne troque pas son portefeuille contre le gouvernement de la Banque Nationale, M. Jamar, ministre des travaux publics, pourrait bien avoir des chances à ce haut poste. »

Bien que l'Echo du Parlement Belge traitât de « langage effronté » de « pareilles balivernes », la prédiction du Journal se réalisa en partie, plusieurs mois après : Prévinaire succéda à Haussy comme gouverneur. Jamar succéda à Prévinaire comme membre du Conseil d'administration.

La Banque n'eut pas se plaindre de cette nomination. Jamar fut une acquisition excellente. Il le montra dans sa façon de préparer le premier renouvellement du privilège avec Malou. Il en fut, plus encore que De Pouhon, le négociateur. Prévinaire, qui avait eu de sérieux accrocs avec Malou lors du « scandale Banque Nationale » en 1870. eut tout lieu d’être (page 11) satisfait, comme le ministre des finances lui-même. Tout se passa si rapidement et dans un si grand secret que Malou put répondre aux députés mécontents de cette diplomatie, qu'il fallait se réjouir de ce que, dans un pays « où les amitiés sont si vives, les confidences et les épanchements quelquefois si exagérés, un secret confié à quinze personnes eût pu être gardé pendant vingt-quatre jours… »

Dans la vie courante de la Banque, Jamar rendit d'incontestables services surtout en matière d'impression des billets. Ses connaissances techniques furent d'un grand secours à l'institution qui menait, depuis des années, une rude bataille contre les faussaires. Ceux-ci disposaient alors des perfectionnements de la photographie qui facilitaient les transports sur pierre lithographique ; ils avaient le jeu d'autant plus facile que la circulation des billets était entrée dans les habitudes. Le problème était d'importance pour les banques d'émission, car dès que le public était averti de l'existence de faux, il se détournait longtemps des coupures qui avaient été imitées.

L'avenir du billet dépendant en quelque sorte de sa perfection technique. Jamar s'adjoignit Stas, chimiste réputé, en guise de conseiller, tout comme la Banque de France eut recours à l'illustre Berthelot, membre de l'Institut.

Il y avait d'ailleurs péril en la demeure, car peu après l'entrée de Jamar à la Banque on découvrit trois contrefaçons, l'une du billet de fr. 100, en novembre 1872, l'autre du billet de fr. 1.000 en avril 1873, la troisième, du billet de fr. 100 également, en décembre de la même année.

Jamar améliora considérablement l'impression du billet, le papier, les encres, la gravure, et donna un nouvel essor aux ateliers. Il s'efforça même de rendre la Banque indépendante des sources d'approvisionnement françaises qui fournissaient le papier, en confiant à l'industrie nationale la fabrication de celui-ci avec la participation financière éventuelle de l'institut d'émission. Mais ce projet échoua, comme toutes les autres tentatives faites dans ce sens par après.

Jamar termine sa carrière comme gouverneur

Lorsque Prévinaire mourut, en 1877, Pirson lui succéda et Jamar prit le titre de vice- gouverneur. En 1882 il accéda lui-même au gouvernorat. Le choix du gouverneur au sein du Conseil d'Administration était alors une règle non écrite. imposée par Frère-Orban dès 1850, et qui sera fidèlement observée jusqu'après la première guerre mondiale. La raison qui avait motivé cette façon de procéder était que les dirigeants de la Banque, à une époque où l’opposition politique des partis était très aiguë, ne pouvaient assumer leur charge de façon efficace sans constituer un groupe cohérent aux fluctuations des constellations politiques.

Jamar fut cependant le dernier gouverneur à présider un conseil d'administration entièrement libéral. Il y trouva un appui très précieux chez Eudore Pirmez, qui joua un rôle éminent dans les négociations relatives à l'Union latine. Ces négociations étaient plus ardues que celles suivies de nos jours au sein de l'Union Européenne de paiements ; leurs répercussions étaient infiniment plus vives sur la politique intérieure, car elles étaient liées aux luttes relatives à l'étalon monétaire. aux conflits entre monométallistes et bimétallistes qui s'intégraient en quelque sorte dans le programme des partis.

Pendant son gouvernorat, Jamar eut à puer aux conséquences de la crise 1880-1882 ; il y déploya une grande compréhension et une fermeté exemplaires en prenant des mesures de nature exceptionnelle pour parer à de dangereuses exportations de capitaux.

La dépression qui suivit maintint le gouverneur en état d'alerte. De plus, cet homme dont un leitmotiv était : « moralisons les ouvriers et ils ne se coaliseront pas contre nous » eut (page 12) la peine de constater que cette moralisation progressait trop lentement, qu’elle n'allait pas dans le sens désiré et que la classe ouvrière, qui était restée si longtemps morne et affaissée, s'était décidée brusquement à s'occuper de son sort. Au surplus c'étaient surtout des gens de la branche connaissait que Jamar connaissait si bien qui prenaient la direction des opérations. César De Paepe, un ancien imprimeur, s'était fait le premier apôtre belge du collectivisme marxiste vers 1870. Edouard Anseele, un jeune typographe, avait fondé en 1880 une boulangerie coopérative, le Vooruit de Gand. Jean Volders, un employé la Banque Nationale elle-même, constituait définitivement, en août 1885, avec Anseele et Louis Bertrand, le Parti ouvrier belge, se lançait dans le journalisme et devint rédacteur en chef du Peuple.

Lorsque, le 18 mars 1886, l'anniversaire de la Commune fut Liège, des manifestations de caractère ouvertement révolutionnaire nécessitèrent l'intervention de l'armée, ce qui envenima les troubles. L'agence de la Banque Nationale à Liége, se mit en état siège. Jamar, regrettant ces « événements déplorables », demanda la protection de l'armée dans la région de Charleroi, Centre, de Mons, où des usines, des verreries, des châteaux étaient saccagés ou incendiés.

La vie du gouverneur. si bien remplie. approchait de son terme cependant que les problèmes qui s'étaient posés à la direction de la Banque continueront à évoluer. L'Union Latine venait d'être renouvelée pour cinq ans en 1885, mais les mesures de précaution prises pour se débarrasser de l'héritage encombrant des écus ne furent exécutées que de façon imparfaite par le gouvernement : au début de 1888, le fonds de prévision monétaire n'atteignait qu'un demi-million, somme dérisoire : le retrait des monnaies divisionnaires étrangères languissait, tout en accumulant des valeurs mortes dans les caisses de la Banque. La circulation commençait à s'accroître à un rythme qui ne s'arrêtera plus jusqu'à la guerre, sous l'effet d'une expansion économique fondamentale. C’est en 1894 seulement que sera gagnée « la bataille du billet en quatre couleurs » engagée par Jamar, et que inauguré le service des Dépôts à découvert dont il avait étudié la création avec ses collègues, dès 1872.

Il mourut le 15 août 1888. Une longue maladie lui avait cependant laissé deux joies : son fils Fernand était entré au Comité d'escompte de Bruxelles précédente l’année précédente ; le roi venait de le promouvoir grand-officier de l’Ordre de Léopold ; à 66 ans, cette distinction lui était apparue « comme l'indice d'une convalescence prochaine… »

Au service funèbre ) Sainte-Gudule, on remarqua surtout Frère-Orban, ce vieux lutteur que seules les années avaient pu courber et qui accompagnait à sa dernière demeure le quatrième gouverneur déjà de l'établissement qu'il avait créé et qui demeure son plus grand apport à l'organisation financière de la Belgique.