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Jacquemyns Edouard (1806-1874)

Portrait de Jacquemyns Edouard

Jacquemyns Edouard, , liberal

né en 1806 à Verrebroek décédé en 1874 à Minderhout

Représentant entre 1857 et 1870, élu par l'arrondissement de Gand

Biographie

(Extrait de : E. BOCHART, Biographie des membres des deux chambres législatives, session 1857-1858, Bruxelles, M. Périchon, 1858, folio n°60)

JACQUEMYNS, Edouard

Chevalier de l’Ordre Léopold

Né à Verrebroek, le 10 juin 1806,

Représentant, élu par l’arrondissement de Gand

M. Jacquemyns a quitté l'université de Liége, pourvu du diplôme de docteur en médecine, chirurgie, accouchements et pharmacie ; et, après avoir remporté une médaille sur les questions de chimie au concours universitaire de 1827, il alla continuer et perfectionner ses études à Berlin, à l'école de Hufeland; mais il reçut tant d'accueil des professeurs de chimie qu'il s'adonna bientôt exclusivement à l'étude de cette science. Il revint à Liége en 1830, et y reçut le diplôme de docteur en sciences mathématiques et physiques. Chargé, vers la fin de la même année, de faire le cours de chimie à l'école industrielle de Gand, il eut, pensons-nous, le tort de se mêler à une affaire politique en faveur du Prince d'Orange. Après quatre mois de détention préventive, il fut acquitté par la cour d'assises du Brabant, mais il n'en eut pas moins à lutter contre l'opinion du peuple et du gouvernement même, qui ne partageaient pas l'avis de la cour d'assises. Il fut en conséquence obligé de se réfugier en France pour quelques mois, et songea même à s'y fixer définitivement, persuadé que l'antécédent politique qu'il venait de poser lui avait fermé la carrière de l'enseignement en Belgique.

Cependant il fut appelé, en 1832, à faire les cours de physique et de chimie à l'athénée de Gand, qui, de collége royal, devenait athénée municipal.

La réorganisation de cette institution, à laquelle se rattache le nom de M. Jacquemyns, et par la part officieuse qu'il prit à la rédaction du programme, et par celle qu'il prit à l'exécution comme professeur, fait époque dans l'instruction publique, en ce sens qu'elle offre le premier exemple de cette section industrielle de l'enseignement moyen, section qui, bien modeste dans le principe, a gagné constam ment en importance depuis lors. Nous trouvons aussi dans ce même athénée la première introduction en Belgique d'un cours pratique de manipulations chimiques, et cet exemple a été suivi dans l'enseignement moyen et dans l'enseignement supérieur.

M. Jacquemyns publia bientôt, dans l'intérêt de la science, un livre intitulé Éléments de chimie générale, qui devint classique dans plusieurs établissements d'instruction secondaire. Il publia également un petit Traité de chimie dans la Bibliothèque populaire de M. Quetelet.

L'école industrielle de Gand, qui était dirigée par le gouvernement, avait rapidement décliné. L'autorité communale offrit d'en prendre la direction, moyennant une allocation annuelle, et de la réorganiser; le gouvernement y consentit. Cette circonstance permit à M. Jacquemyns de reprendre sa chaire à l'école industrielle de Gand, qui est devenue l'âme des institutions d'enseignement populaire les plus remarquables du pays. Il y fit un cours de chimie en français, des cours de chimie, de mécanique et d'économie industrielle en flamand.

En 1844, des circonstances de famille réclamérent qu'il prît la place que le décès de son beau-père laissait vacante dans l'industrie. Devenu l'associé de M. Voortman, son oncle, qui était, comme lui, demeuré fidèle à la dynastie déchue, et à qui cette fidélité avait failli coûter la vie, il se trouva à la tête de l'une des plus anciennes et des plus importantes manufactures de coton du Royaume. Il dut alors renoncer à la théorie pour mettre en pratique les connaissances qu'il avait acquises dans le silence du cabinet.

Vers la même époque, l'orangisme cessa d'avoir aucune raison d'être, et M. Jacquemyns n'avait évidemment pas lieu de craindre qu'on l'accusât de versatilité pour abandonner une cause perdue depuis bien longtemps. Il se rangea dans le parti libéral, avec la plupart de ses anciens amis politiques.

Elu au conseil communal en 1844, il fut choisi en 1848 pour faire partie du conseil provincial de la Flandre orientale et de la chambre de commerce de Gand. En 1849, il reçut la décoration de chevalier de l'Ordre Léopold en récompense de ses services dans l'enseignement, dans l'industrie et dans l'agriculture.

M. Jacquemyns était en effet devenu tout à la fois manufacturier et agronome. Placé à la tête d'une fabrique de coton, administrateur de l'une de nos grandes sociétés pour la filature du lin, il s'occupait aussi de défrichement et de culture dans la Campine anversoise, et s'y adonna avec passion, au point que, en 1855, il saisit l'occasion de s'entendre avec son associé pour lui céder sa part dans l'industrie cotonnière.

Il s'occupa ensuite presque exclusivement de l'amélioration d'un domaine considérable situé partie en Hollande, partie en Belgique, et il dirigea luimême une grande exploitation, afin de vulgariser les progrès dont la culture locale lui parut susceptible. Mais de nouveaux devoirs civiques l'attendaient.

Aux élections générales du 10 décembre 1857, l'Association libérale de Gand porta M. Jacquemyns à la Chambre des représentants. Une forte majorité lui ouvrit la carrière parlementaire.

L'honorable député comprit sa nouvelle position : Avant d'aborder les questions politiques, il s'est attaché à étudier le terrain de la Chambre pour ne pas se heurter contre des impossibilités volontaires ou parlementaires.

A la session 1857-1858, se renfermant strictement dans sa spécialité, il s'opposa à la réforme de la loi sur le conseil des prudhommes, et montra le danger qu'il y avait à appeler éventuellement un tribunal, composé en majorité d'ouvriers, à juger les patrons.

A la session suivante, il fut nommé rapporteur de quelques projets de loi d'intérêt secondaire. Il vient de se prononcer, dans l'intérêt de l'industrie des Flandres, en faveur de la réduction des péages sur le canal de Charleroi, et de se joindre à ceux qui réclament la taxe uniforme des lettres.

Ancien industriel, il voit un gage de succès plus stable et mieux assuré dans la multiplicité de bénéfices restreints que dans de gros profits qui, en somme, rapportent moins, par la raison qu'ils ne sont pas aussi susceptibles de se multiplier.

Homme de science et de principes essentiellement libéraux, l'honorable M. Jacquemyns est d'autant plus modeste qu'il a plus de connaissances réelles : il a fait son chemin par le travail et par une incessante persévérance; il ne s'arrêtera pas dans cette voie, et nous souhaitons à l'arrondissement de Gand des choix toujours aussi heureux que celui qu'il a su faire en envoyant à la représentation nationale l'honorable M. Jacquemyns.


(Oswald DE KERCHOVE, dans Bulletin d’arboriculture, de floriculture et de culture potagère, Gand, Cercle d’arboriculture de Belgique, 1874, pp. 289-312

ÉDOUARD JAEQUEMYNS.

(page 289) Édouard Jaequemyns, président de la Société provinciale d'Agriculture de la Flandre Orientale, membre du Cercle d'Arboriculture de Belgique, mourut le 31 août 1874, à Minderhout.

La mort ne pouvait frapper un coup plus sensible ; l'agriculture belge a été profondément atteinte par cette perte aussi douloureuse qu'inattendue. L'affection qu'il portait à notre Cercle, l'intérêt qu'il prenait à nos travaux, les encouragements qu'il prodiguait à tous ceux qui voulaient augmenter la richesse agricole de notre pays, nous imposent le devoir de retracer ici ce qu'il a fait pour l'agriculture et pour l'arboriculture en Belgique. Mais comment parler de cet homme de bien sans se sentir entraîné à retracer sa vie tout entière ! Plus qu'aucune autre elle mérite d'être racontée : elle a été toute de probité, d'honneur, d'efforts soutenus, d'études laborieuses et fécondes !

Édouard Jaequemyns était né le 10 juillet 1806, à Verrebroeck, petit village de la Flandre Orientale. Sa famille était d'origine flamande et depuis longtemps établie au Pays de Waes. Son père, ancien élève de l'Université de Paris et excellent médecin, jouissait d'une grande réputation comme praticien et comme agronome. Dans la maison paternelle même, Édouard Jaequemyns vit autour de lui, dès son enfance, les exemples de cet ordre et de cette activité patiente et laborieuse qui ont fait naître la fertilité et la richesse des terres sablonneuses de la Flandre ; et dans son esprit, tout se tourna naturellement vers ces études spéciales auxquelles l'appelaient cet exemple et sa vocation.

(page 290) Après de brillantes et rapides études à l'Université de Liége, Jaequemyns remporta la médaille d'or offerte à l'étudiant auteur du meilleur mémoire sur une question de chimie et ce brillant succès présenta une intéressante particularité : le même jour qu'Édouard Jaequemyns obtenait cette distinction, un de ses frères remportait la médaille d'or attribuée au meilleur mémoire de médecine. Ils offraient ainsi, au dire d'un journal de l'époque (Courrier des Pays-Bas, année 1828, n°228), pour la première fois depuis l'établissement des Universités. belges, le beau et touchant spectacle de deux frères recevant chacun le même jour une médaille d'or. Quelques mois plus tard, Édouard Jaequemyns était proclamé docteur en sciences, en pharmacie et en médecine, après avoir brillamment soutenu devant la faculté liégeoise une thèse qui révélait les caractères particuliers de son esprit : l'amour des sciences exactes, uni à une grande clarté d'exposition et à une sévère logique de déduction. Elle prouvait de plus que le jeune étudiant avait, chose peu commune à cette époque, une connaissance approfondie des ouvrages des savants français et allemands. Cette thèse, traitant de l'acide hydro-cyanique, lui valut de nombreuses félicitations et lui donna l'entrée du laboratoire du célèbre professeur Rose de Berlin qui, charmé par les qualités brillantes de son élève, devint rapidement et resta jusqu'à sa mort son ami fidèle et dévoué. Jaequemyns revint en Belgique en 1829, désireux d'agrandir le cercle de ses connaissances, car, ainsi qu'il le déclarait en 1861 au sein de la Chambre des Représentants, il ne croyait pas, à cette époque, avoir acquis en aucune branche des connaissances assez approfondies pour être satisfait de ses études (Annales Parlementaires, 1861, p. 362, Ch. des R.).

La crise politique que la Belgique traversait en ce moment, ne prédisposait guère les esprits à se livrer à des études (page 291) sérieuses. La révolution de 1830 venait d'éclater et passionnait tous les esprits. Au milieu de la nation troublée et profondément divisée, Édouard Jaequemyns voyait avec regret le renversement de la famille des Nassau dont il avait appris, dès son enfance, à admirer les grandes qualités ; il croyait que, grâce à la réunion des provinces septentrionales et méridionales des Pays-Bas, notre pays avait devant lui un avenir splendide, plein de prospérité et de richesse. Son dévouement à ses opinions orangistes ne lui permit pas de rester inactif au milieu des événements ; dans une de ces effervescences comme toutes les révolutions naissantes en présentent, Édouard Jaequemyns entraîné se trouva même compromis. Acquitté par la Cour d'assises du Brabant, le jeune savant renonça momentanément à la politique et se livra tout entier aux recherches scientifiques. Il s'adonna plus particulièrement aux études de chimie qui étaient depuis longtemps l'objet de sa vive prédilection. L'attention des magistrats de la ville de Gand s'était déjà arrêtée sur lui, et, lorsque l'administration communale gantoise ouvrit la première école industrielle créée en Belgique, ce fut à Édouard Jaequemyns qu'elle s'adressa pour y donner le cours de chimie et d'économie industrielle.

Peu de temps après, il fut appelé aux chaires de chimie, de physique et d'astronomie à l'Athénée de Gand, qu'on venait d'organiser, grâce au concours et au dévouement du professeur Warnkoenig. Le jeune professeur voulut justifier la confiance. dont on l'honorait. Il présenta successivement à l'Académie royale des sciences et belles lettres de Bruxelles des Mélanges de physique et de chimie et un Mémoire sur l'eau de couleur des bijoutiers, qui furent très favorablement appréciés (Bulletin de l'Académie des sciences et belles lettres de Bruxelles, t. 3, p. 11 ; pp. 113 et 300). En 1832, il publiait la Chimie populaire des corps non métalliques et les Éléments de chimie générale ouvrage qui eut deux éditions à quelques années de distance.

(page 292) Une autre carrière s'ouvrit bientôt devant le jeune professeur. Le succès éclatant de ses cours attira sur lui l'attention des principaux industriels de la ville de Gand ; il quitta l'enseignement pour l'industrie. En 1843, il abandonna la chaire de l'Athénée et celle de l'École industrielle. Cette séparation ne se fit pas sans lui causer de profonds regrets : il pouvait en effet revendiquer une large part dans la faveur qui entourait le nouvel établissement : il avait été le principal auteur du règlement organique de cette école, il avait été l'un de ses professeurs les plus aimés et les plus écoutés et, pendant de longues années, il avait contribué à maintenir la prospérité de cet établissement par l'activité qu'il déployait comme secrétaire du collège des professeurs. Aussi, en quittant l'enseignement, Éd. Jaequemyns tint à honneur de prendre congé, dans une séance solennelle, de ceux dont il avait si longtemps partagé les travaux. Lors de la distribution des prix, en 1844, il prononça un discours remarquable dans lequel, passant en revue les succès remportés par l'École industrielle pendant les onze années de son existence, il exprima, d'une façon pleine de cœur, les regrets qu'il éprouvait de se séparer de ses collègues et de ses élèves. Mais il ne put se résoudre à les abandonner d'une façon définitive. En 1851, il fut nommé, par le Conseil communal de la ville de Gand, membre du bureau administratif de l'École industrielle et il tint à conserver cette fonction jusqu'à sa mort. En 1861, dans une discussion soulevée au sein de la Chambre des Représentants, il défendit avec une conviction profonde l'enseignement de l'École à laquelle le rattachaient ses meilleurs souvenirs de jeunesse.

Les sympathies publiques qui avaient suivi le jeune professeur dans sa retraite, ne tardèrent pas à se manifester. Ses concitoyens le portèrent au Conseil communal de la ville de Gand lors de la dissolution des Conseils communaux décrétée par la loi du 13 avril 1848. La même année, il fut élu membre du Conseil provincial de la Flandre Orientale. Le caractère de notre publication, la réserve que nous devons nous imposer ici (page 293) quant aux choses du domaine politique, ne nous permettent pas d'analyser les services rendus par Éd. Jaequemyns au parti libéral, ni de montrer la fidélité constante de ses convictions. Nous devons nous borner à constater qu'il fut membre du Conseil provincial jusqu'en 1854, du Conseil communal jusqu'en 1857 ; que, depuis 1857 jusqu'en 1870, les électeurs de l'arrondissement de Gand comptèrent Ed. Jaequemyns au nombre de leurs représentants et que le dernier acte de sa carrière parlementaire fut la présentation du rapport à la suite duquel la démolition de la citadelle de Gand fut décidée. Les suffrages de ses concitoyens ne furent pas les seuls témoignages de l'estime qu'on lui portait. Des distinctions honorifiques bien méritées lui furent décernées par le roi des Belges et par d'autres souverains (Éd. Jaequemyns était officier de l'Ordre de Léopold, chevalier de la Légion d'honneur, commandeur de l'Ordre du Christ, etc). Ces honneurs auxquels sa modestie se fût volontiers dérobée, il n'en tirait aucune vanité ; il leur préférait peut-être ceux qu'il recevait du suffrage de ses concitoyens et surtout les paisibles jouissances que lui donnait la Société provinciale d'Agriculture.

Dès 1864, la Société provinciale d'Agriculture de la Flandre Orientale l'élut président à l'unanimité, et jusqu'à sa mort, il occupa cette fonction. Il y rendait de grands services au pays ; car, on peut le dire sans crainte d'être démenti, peu d'hommes ont fait autant que lui pour l'amélioration du sort des ouvriers agricoles et pour le développement de l'agriculture.

La question ouvrière s'était de tous temps imposée à son esprit. En 1852, le Conseil communal de Gand avait été saisi d'une proposition tendant à établir une cité ouvrière avec le concours de la ville. Ed. Jaequemyns combattit le projet au nom du Comité de salubrité publique, de toute l'autorité de son expérience et de sa haute raison.

« Nous avons entendu trop souvent répéter, disait-il, que (page 294) l'ouvrier se trouve isolé au milieu de la société comme un paria.

« Prêter un concours officiel à un plan de quartier vaste et complet, exclusivement composé de maisons d'ouvriers, ce serait confirmer cette allégation, se serait la consacrer par un monument.

« Il ne faut pas que l'ouvrier ne soit en contact qu'avec des ouvriers. Ce contact exclusif n'est propre qu'à le décourager, à réprimer l'ambition qui, chez lui, engendre les idées d'ordre et d'économie.

« Le contact habituel avec l'artisan doit au contraire exercer une influence salutaire sur lui. L'artisan a été ouvrier, et il est devenu maître à force de prévoyance et d'économie. L'ouvrier le voit améliorant progressivement son sort et fondant des espérances pleines d'ambition sur ses enfants ; il ne saurait dès lors se tromper sur les moyens d'améliorer son propre sort. Les artisans forment d'ailleurs la classe la plus morale de la société : ils n'ont pas les vices qui sont fatalement liés à la misère, ni ceux que l'opulence entraîne si fréquemment. Leur contact, celui de leurs familles est bienfaisant pour l'ouvrier.

« Ces motifs ont porté le comité à désirer que des maisons d'artisans soient intercalées entre les maisons d'ouvriers. » (Mémorial administratif, p. 324. Année 1852.)

Les opinions, qu'il émettait en 1852, sont celles de sa vie entière. Relever l'ouvrier à ses propres yeux, lui donner le goût de l'ordre et de l'économie, l'appeler à améliorer son sort par une assiduité croissante au travail, tel était le vœu qu'il forma toujours et qu'il s'appliqua à réaliser dans sa propriété de Minderhout. Au sein de ce vaste domaine, il avait bâti un grand nombre de maisons ouvrières. Construites en briquettes rouges, couvertes en tuiles, ces maisons ne contiennent jamais plus de deux habitations destinées chacune à un ménage. Elles se composent d'une cuisine, de deux chambres à coucher bien aérées, d'une laverie, d'une cave et d'un grenier qui, lorsque la famille devient trop nombreuse, sert (page 295) de dortoir aux enfants. Chaque habitation a comme dépendances une petite étable ainsi qu'un terrain cultivé d'une quarantaine d'ares ; Éd. Jaequemyns voulait que chaque ouvrier eut une culture à laquelle il fût obligé d'appliquer ses soins rien n'inspirant plus à l'homme le respect de la propriété d'autrui que la jouissance des fruits de son travail. Le type des maisons ouvrières établies par Éd. Jaequemyns fut fort remarqué lors de l'Exposition universelle de Paris et lui valut une distinction des plus flatteuses.

La question de la salubrité des habitations ouvrières ne préoccupait pas uniquement Éd. Jaequemyns. Tout ce qui, à un degré quelconque, directement ou indirectement, intéressait le bien-être de l'ouvrier, était l'objet de sa vive et constante sollicitude. Économiste, il proclamait hautement que le premier principe en fait de douanes, était de ne point laisser la loi fiscale peser sur l'alimentation du peuple. Membre de la Chambre des Représentants, il combattit pendant longtemps l'impôt prélevé sur le sel, impôt qui avait le grave défaut à ses yeux de frapper également tous les habitants du pays jusqu'aux plus nécessiteux. « C'est le seul, disait-il, qui réclame une part du salaire de certaine catégorie de travailleurs agricoles qui forment l'une des classes les plus nombreuses de la population. Bien des ouvriers agricoles doivent consacrer une part notable du produit de leur travail en acquit du droit d'accises pour eux et pour leur famille. » Il avait depuis longtemps indiqué le moyen de dégrever le pays de cet impôt et il eut le bonheur de contribuer en 1870 à la complète abolition de ce droit odieux au consommateur et nuisible aux intérêts agricoles du pays. Industriel, propriétaire d'une immense briquetterie à Minderhout, administrateur et président d'un des plus vastes établissements industriels du pays dont il avait été le fondateur, la Linière Gantoise, Éd. Jaequemyns traitait les ouvriers avec une justice pleine de bonté. Président ou membre d'honneur de diverses Sociétés ouvrières, il aimait à se rendre au milieu des ouvriers et, dans ce langage simple et persuasif (page 296) dont il semblait avoir le secret, il leur donnait des conseils basés sur sa longue expérience, ou les prémunissait contre certaines idées dangereuses que des esprits imprudents ou coupables tentaient de faire prévaloir au sein de la classe ouvrière gantoise. (Note de bas de page : Jaequemyns était membre fondateur de la société Van Crombrugghe's Genootschap, de la société gantoise des Ouvriers décorés, président d'honneur de la société tot bevordering van Nijverheid en Wetenschappen, des sociétés d'Harmonie van Minderhout et Euterpia de Verrebroek, etc. etc.).

Éd. Jaequemyns eut encore l'occasion de montrer le vif intérêt qu'il portait aux industries nationales ainsi qu'aux classes ouvrières, lors des Expositions internationales et universelles qui eurent lieu à Londres et à Paris. Nommé, par arrêté royal du 23 avril 1861, membre de la commission royale chargée d'organiser et de diriger le concours des producteurs et des artistes belges lors de l'Exposition de Londres, ses collègues le nommèrent vice-président de la section industrielle. Membre du jury belge (arrêté royal du 2 mars 1862), il fut appelé à examiner les substances alimentaires, tant celles que l'agriculture fournit directement à nos besoins, comme les céréales, que celles que l'industrie obtient par la transformation des produits naturels. Les rapports qu'il adressa au Gouvernement belge sur les objets soumis à l'examen de la section du jury dont il faisait partie, ainsi que ceux qu'il fit sur les spécimens de procédés d'impression et de teinture pour les étoffes (Classe XXIIIet sur la pelleteric »indigène (Classe XXV) () (Bruxelles, Bois-Wittouck, 1863) sont fort intéressants et témoignent de la vive sollicitude que Jaequemyns portait à toutes les branches du travail national.

Le dévouement dont il avait fait preuve lors de l'Exposition universelle de Londres, le désignait naturellement au choix du Gouvernement pour faire partie de la Commission chargée de diriger la participation des artistes et des (page 297) producteurs belges à l'Exposition universelle de Paris (arrêté royal du 9 août 1865). Éd. Jaequemyns fut élu de nouveau vice-président de la section industrielle du jury. Un arrêté royal (du 8 février 1867) l'appela à faire partie de la section belge du jury. Chargé, en cette qualité, de juger les produits exposés dans la classe XCI (objets à bon marché), il y rencontrait comme collègues MM. Cochin, membre de l'Institut de France, Bonjean, sénateur et président à la Cour de cassation de France, Ducuing, célèbre économiste, le commandeur Maestri, directeur de la statistique et du commerce du royaume d'Italie, lord Canterbury, etc. etc. Son esprit encyclopédique, prompt et sagace, doué d'un bon sens exquis, fit dès l'abord une vive impression sur ses collègues et ceux-ci le choisirent à l'unanimité pour diriger leurs travaux et le nommèrent vice-président de la section. Son caractère ferme et droit, son jugement clair et précis, sa bonté affable et charmante lui acquirent à cette occasion encore de hautes et précieuses amitiés qu'il tint à conserver jusqu'à sa mort. Comme juré, Jaequemyns déploya toute son activité et se fit rendre compte des moindres détails. Rien ne lassait sa grande bienveillance ; il écoutait attentivement toutes les explications que les exposants lui donnaient, lors même qu'elles semblaient être oiseuses et inutiles. Le rapport qu'il présenta au Gouvernement belge à la suite de l'Exposition de 1867 (Rapport sur les produits exposés dans la classe XCI. Bruxelles, Guyot, 1870), suffit à prouver avec quel soin Jaequemyns s'acquitta de sa tâche. Il y examinait successivement les meubles, les vêtements et les aliments de toute espèce qui se distinguaient par les qualités utiles unies au bon marché, et, rentrant dans ce qui était le but le plus élevé de ses études, il s'efforçait de montrer de quel intérêt doit être pour nos classes ouvrières, l'introduction dans la vie journalière d'aliments, de vêtements et de meubles jusqu'aujourd'hui dédaignés ou inconnus.

(page 298) Une autre préoccupation constante de Jaequemyns, surtout dans les dernières années de sa vie, fut le développement de l'agriculture en Belgique. « L'agriculture, disait-il un jour, occupe à elle seule les deux tiers de la population belge : il est à remarquer que non seulement elle pourvoit à notre alimentation, mais qu'elle est l'une des premières sources, je dirai même la toute première source de la richesse publique » (Annales Parlementaires, Chambre des Représentants, 1866, p. 106). Aussi ne perdait-il aucune occasion de défendre les intérêts de l'agriculture partout où il les croyait attaqués ou seulement menacés. Il savait avec beaucoup de sens pratique distinguer les choses qui avaient besoin de la protection du Gouvernement de celles où cette protection était dangereuse ou nuisible. Défenseur des crédits accordés à l'agriculture lorsqu'ils s'appliquent soit à l'enseignement agricole, soit à la propagation de nouvelles graines, soit aux subsides destinés à venir en aide aux efforts individuels, il les repoussait quand il les voyait solliciter pour des choses coûteuses, peu pratiques ou inutiles : c'est ainsi qu'il combattait la formation de collections d'instruments agricoles, ou l'entreprise de stations expérimentales par le Gouvernement : « La station de Gand, disait-il en 1866, a fait des essais de toute nature : tantôt des essais de graines, tantôt des essais d'engrais et ces essais sont suivis avec intérêt par de nombreux propriétaires et agriculteurs de la province. Cette ferme expérimentale, cette station ne coûte que 1,000 francs par an au plus. Je défie, ajoutait-il, le Gouvernement d'en établir une seule avec un capital décuple. C'est là un service que la Chambre doit demander aux Sociétés agricoles. Ed. Jaequemyns était partisan convaincu de la nécessité de l'intervention de l'État en matière d'enseignement agricole : « c'est là, disait-il, un devoir de l'État, par la raison bien simple que cet enseignement n'est pas rémunérateur. » (Annales Parlementaires, Chambre des Représentants, 1864, p. 236)/ Aussi prit-il une part fort active aux (page 299) discussions de la loi sur l'enseignement agricole (Annales Parlementaires, Chambre des Représentants, 1860, pp. 1374 et 1659). Nommé rapporteur de la Commission parlementaire chargée d'examiner le projet présenté par le Gouvernement, il sut, tant dans son rapport que dans ses discours, réfuter les objections et dissiper les craintes de ses collègues. Grâce à ses efforts, l'établissement d'une école supérieure d'agriculture fut décidé. Par arrêté royal du 30 octobre 1860, Éd. Jaequemyns fut nommé membre et président de la Commission administrative de l'Institut agricole de Gembloux ; il exerça ces fonctions jusqu'en 1870. Il portait à l'enseignement agricole supérieur le plus sympathique intérêt. Son esprit prévoyant lui faisait pressentir le rôle éminemment utile que cet enseignement est appelé à jouer dans le développement de l'agriculture nationale, et Jaequemyns, pendant toute la durée de sa carrière parlementaire, ne négligea aucune occasion de défendre le principe de cet enseignement et de démontrer les droits qu'avait l'agriculture a été traitée par l'État aussi favorablement que les autres sciences. Bien souvent, malheureusement, il eut à exprimer pour l'Institut agricole les regrets que nous avons souvent émis déjà pour l'École d'horticulture de Gand : comment, en effet, peut-on voir sans tristesse que, tandis que l'étranger comprend l'utilité de nos écoles et vient y puiser les conseils de la science et les exemples de la pratique, nos nationaux semblent ou les dédaigner ou les fuir ! Son initiative éclairée et intelligente lui permit de réclamer en faveur de l'agriculture certaines réformes des plus importantes. Il attira à plusieurs reprises l'attention du Gouvernement sur le mauvais état de la voirie vicinale. « Je voudrais voir, disait-il, développer la voirie vicinale parce que je la considère comme d'un intérêt immense pour l'agriculture. Je voudrais non seulement voir multiplier nos routes vicinales qui sont les (page 300) dernières ramifications de ces grandes artères par lesquelles se distribuent les richesses publiques ; mais je voudrais encore voir établir des chemins de fer vicinaux ; je voudrais même voir établir des canaux de vicinalité comme en Hollande. Une grande partie de la prospérité agricole des Pays-Bas est due à la petite navigation. Un jeune garçon suffit pour traîner 4, 5 et jusque 10 tonnes sur l'eau, tandis que pour la même charge, sur nos routes, il faut plusieurs chevaux » ) Annales Parlementaires, Chambre des Représentants, 1866, p. 107.)

Nous avons à signaler encore un éminent service qu'Édouard Jaequemyns rendit à l'agriculture de nos Flandres dans le discours qu'il prononça en 1865 (Annales Parlementaires, Chambre des Représentants, 1864-1865, p. 1115.), il engagea le Gouvernement à garantir les cultivateurs flamands des atteintes des pernicieuses fièvres paludéennes. Il indiquait avec grande connaissance de cause les travaux à effectuer pour mettre nos laborieuses populations à l'abri de la terrible maladie qui les mine encore dans certains districts, et, si ces conseils, dictés par l'expérience, ne furent pas suivis en tous points, il eut du moins la consolation de voir exécuter une partie des travaux qu'il recommandait.

Si, comme membre de la Chambre des Représentants, du Conseil supérieur d'Agriculture (aequemyns fit partie du Conseil supérieur d'Agriculture pour la session de 1867) et de la Commission administrative de l'Institut agricole de Gembloux, Jaequemyns a rendu de grands services, ceux qu'il a rendus en sa qualité de Président de la Société provinciale d'Agriculture de la Flandre Orientale sont encore plus considérables. Nommé en 1864, il sut, et ce sera le perpétuel honneur de sa carrière, tenir cette Société à l'abri des influences politiques, et lui conserver le caractère inhérent à toute Société agricole ou horticole, celui d'un terrain neutre que les passions politiques respectent et où tous les hommes de bonne volonté se réunissent en vue d'un but commun et élevé : le progrès de la culture du sol et de la richesse agricole nationale. Sous sa direction aussi prudente que ferme, la Société prit un (page 301) essor inespéré de nouvelles sections s'organisèrent et plus de deux mille sociétaires, au moment de sa mort, entouraient leur président d'un juste tribut de respect et d'affection.

Quelle activité et quel dévouement ne montrait-il pas dans toutes les occasions ! En 1865, une grande Exposition réunit à Gand une merveilleuse collection d'animaux reproducteurs venus de toutes les parties de la Flandre, ainsi que des instruments agricoles exposés par les constructeurs les plus habiles et les plus renommés du monde entier. Cet heureux résultat était en grande partie dû à l'actif et intelligent dévouement du nouveau président. En 1867, il prit l'initiative du premier concours de fermes qui fût institué en Belgique : bel et fécond exemple donné par la Société provinciale de la Flandre Orientale et qui fut bientôt imité par plusieurs autres sociétés agricoles.

Ce concours produisit des résultats fort remarquables, grâce au rapport de Jaequemyns, qui mérite de devenir le guide. pratique du cultivateur flamand. Examinant soit les conditions de salubrité et d'hygiène que doivent présenter les habitations de ferme et les étables, soit les règles que le climat et le sol imposent aux diverses cultures, il mèle à l'étude de ces questions, de nombreux et précieux conseils.

C'est ainsi que dans son rapport, il attira l'attention des cultivateurs sur l'importance du jardin légumier comme accessoire de la ferme :

La culture du jardin légumier, dit-il dans ce rapport, n'appartient pas à proprement parler à l'agriculture, mais nous verrons avec plaisir que l'attention du conseil soit éveillée à ce sujet afin que cette culture puisse faire un jour l'objet d'un concours particulier.

« Le jardin potager de la ferme ne doit pas être établi comme celui d'un jardinier légumier qui est obligé de déployer un zèle si digne d'admiration il ne doit produire ni des fruits forcés, ni les légumes fins ou rares. On lui demande de fournir pendant toute la saison une série de légumes qui soient (page 302) nourrissants et agréables sans que la production en soit difficile ou coûteuse, et qui soient de nature à rendre plus agréables les mets ordinaires, base de la nourriture journalière. Compris ainsi, le jardin légumier devient une source notable d'économie et est un auxiliaire indispensable de la ferme en améliorant la nourriture des ouvriers agricoles... »

Jaequemyns constatait en terminant que si la culture des vergers s'est heureusement modifiée, il n'en est pas ainsi de celle du jardin légumier qui attend encore aujourd'hui des améliorations indispensables. L'appel fait à cette époque par Éd. Jaequemyns fut entendu. Plusieurs comices, parmi lesquels nous citerons ceux de Deynze, Sleydinge et Saffelare, ont compris dans le programme de leurs concours les produits du jardin potager ; des conférences publiques sur la culture maraîchère ont été données par notre collègue M. Burvenich et elles ont été suivies avec le plus vif intérêt par un grand nombre de cultivateurs ; des distributions de graines potagères améliorées ont été faites à Saffelare. Ces efforts, entrepris sous les yeux et avec les conseils de Jaequemyns, permettent d'espérer que bientôt de notables progrès pourront être constatés.

Un point sur lequel Éd. Jaequemyns aimait à attirer également l'attention des agriculteurs flamands, était la nécessité de se rendre un compte aussi exact que possible de toutes les dépenses faites dans l'exploitation. La tenue des livres était, il y a quelques années, très négligée, pour ainsi dire inconnue : aujourd'hui, elle entre insensiblement dans les usages agricoles. Le cultivateur commence à comprendre la sérieuse importance d'une comptabilité qui lui permette de reconnaître facilement la nature de toutes les dépenses qu'il a faites et d'apprécier sa situation financière réelle, car seule, elle lui offre un moyen rapide de dresser un inventaire exact non seulement de l'argent qui se trouve en caisse, mais de tout ce qu'il possède tant dans ses granges que dans ses étables ou sur ses champs. En s'habituant à rechercher, dans ses livres, les dépenses (page 303) sérieusement productives, l'agriculteur sera amené à se rendre compte de la valeur relative des diverses machines, des semences ou des engrais différents, et appréciant d'une façon plus réfléchie les causes de ses gains ou de ses pertes, il verra une prospérité plus grande et mieux assurée venir récompenser son zèle et ses efforts.

Les conclusions du rapport, nous tenons à les reproduire ici, résumaient fidèlement l'état de l'agriculture en Flandre à cette époque.

Il constatait :

1° qu'un grand progrès s'était accompli dans l'état général des fermes flamandes depuis les dix dernières années. Les dispositions générales sont améliorées et complétées. Les bâtiments sont mieux entretenus et les habitations tenues plus proprement.

2° Que toutefois, il y a des raisons majeures d'appeler l'attention des cultivateurs sur le choix et l'entretien des animaux domestiques, les écuries, les étables et les porcheries pouvant encore être beaucoup perfectionnées.

3° Que les soins donnés à la fumure étaient plus judicieux ; si le développement des récoltes ne semble pas correspondre directement à cette plus value d'engrais, c'est que le cultivateur oublie de tenir compte de l'amélioration apportée au sol par l'emploi de fumiers riches.

4° Que les instruments de ferme et la tenue des livres laissaient considérablement à désirer.

5° Il constatait enfin que bien des améliorations devaient encore être réaliseés, et il espérait que la Société les indiquerait aux cultivateurs.

Au nombre de celles-ci et au premier rang, Ed. Jaequemyns plaçait la culture du verger. Le premier depuis le célèbre agronome Van Aelbroeck, il appela, dans une réunion officielle d'agriculteurs, l'attention des fermiers flamands, sur les revenus que procure un verger bien planté et bien tenu. « Le verger, disait-il dans son rapport de 1869, présente le plus grand intérêt aux cultivateurs. Situé dans le voisinage (page 304) immédiat des étables, il reçoit sans frais de transport les diverses sortes d'engrais tant solides que liquides : entre les haies qui l'environnent, le cultivateur laisse, pendant l'hiver, une partie de ses récoltes soit en silos soit en meules.

« Au commencement du printemps, on voit pousser avec vigueur le gazon fortement fumé et le bétail est abrité du vent par les arbres. Quelques semaines plus tard, quand la chaleur étouffante du soleil fatiguera le bétail, il trouvera sous ces mêmes arbres un air rafraîchi, une ombre bienfaisante et une herbe verte et abondante.

Les résultats ne sont complets que pour autant que l'on fume beaucoup les vergers. Les pâtures ne peuvent rapporter que si le sol renferme une grande quantité de fumier. Sinon les petites radicelles des arbres fruitiers enlèvent les dernières parcelles d'engrais aux racines des plantes herbacées. Ce qu'on enfouira donc dans la terre ne sera pas perdu, mais rien ne sera de trop.

«En revanche, lorsqu'on fume beaucoup, l'herbe vous paye trois, quatre fois et même plus le fumier enfoui. Lorsque la pâture est arrivée à son maximum de fertilité, elle rapporte généralement un kilo de foin pour chaque kilo de fumier enfoui. Quant aux arbres fruitiers, nous n'avons encore aujourd'hui aucune donnée précise quant au rapport existant entre le fumier et les fruits, mais nous avons des données suffisantes pour pouvoir décider sans crainte que l'arbre fruitier choisi avec discernement est de toutes les plantes celle qui rend à l'agriculteur flamand le plus fort intérêt de son argent. »

Ces paroles du président de la Société provinciale d'Agriculture étaient suivies de l'annonce qu'un concours de vergers serait ouvert sous les auspices de la Société pendant l'année 1871. Le Conseil d'Administration mit bientôt à exécution la promesse de son président et, dans sa séance du 29 mars 1870, arrêta les dispositions principales de ce concours, chargeant une commission, sous la présidence de Jaequemyns, d'en rédiger le programme.

(page 305) C'était la première fois qu'un concours de pareille importance était ouvert en Belgique ; c'était la première fois même qu'une Société agricole appelait à elle l'arboriculture et encourageait cette partie si féconde, si riche et si puissante de l'agriculture nationale. La statistique officielle constatait, les chiffres ont déjà été publiés dans ce Bulletin (1870, p. 76), que l'exportation des fruits belges avait atteint en 1867 un poids de 24,517,577 kilogrammes représentant une valeur de 7,355,273 francs et sans nul doute, cette exportation s'est aujourd'hui considérablement accrue. En présence d'un pareil résultat, ne devait-on pas regretter profondément de voir en Flandre la culture du verger presque abandonnée malgré les efforts que Van Aelbroeck avait faits dans la première moitié de ce siècle pour la relever ? Tandis que, comme le disait Jaequemyns (Akkerbouw, 31 décembre 1871), notre agriculture peut être fière des riches moissons qui couvrent le sol, elle semble avoir trop longtemps perdu de vue que ce n'est pas la superficie du sol qui seule est une source de richesse. Elle a trop longtemps oublié que sous cette superficie, se trouve une mine bien plus riche pour tous ceux qui ont le courage de faire les premiers travaux de plantation.

« Et cependant, ajoutait-il, les vergers n'occupaient le 31 décembre 1866 que la cinquantième partie du territoire de la Flandre Orientale. La province de Liége comptait une superficie relative de trois fois plus de terres consacrées à la production fruitière et la province de Limbourg, dont la richesse agricole ne peut être comparée à celle de la Flandre renfermait deux fois plus de vergers. »

Éd. Jaequemyns put constater toutefois que de grands progrès avaient été réalisés depuis 1866 ; et avec sa bienveillance habituelle, il daignait attribuer une large part de ces succès aux conférences arboricoles et à l'influence du Cercle d'Arboriculture qui avait prêté un appui sérieux au concours organisé par la (page 306) Société provinciale. Ces progrès, nous en avons aujourd'hui la conviction, s'accentuent davantage d'année en année. L'exemple donné par la Société a été des plus heureux ; les résultats obtenus sont éclatants et l'importance du verger semble aujourd'hui être comprise du plus grand nombre des cultivateurs. Notre regretté Jaequemyns a eu la joie et le bonheur de voir presque atteint le but qu'il s'était efforcé de tracer à la Société dans son remarquable discours du 27 décembre 1871. Le but auquel doit tendre la Société d'Agriculture est de rendre la culture fruitière économique, en lui offrant autant de certitude que notre climat peut en présenter et en l'empêchant de se surcharger de dépenses trop considérables. Il faut en un mot, arriver à produire les fruits au plus bas prix possible : ce but atteint, leur exportation s'accroîtra considérablement ; elle atteint aujourd'hui une valeur de près de trois millions et chacun sait qu'elle est loin de répondre aux besoins de nos voisins.

« Nous pouvons quintupler aisément notre exportation et alors encore notre production n'atteindra qu'une faible partie de ce qu'elle devrait être : elle s'élèverait à 45 mille tonnes. Le Wurtemberg, royaume qui n'a que le tiers de la population de la Belgique et dont le sol n'est pas généralement favorable à la culture des arbres fruitiers, produit près de 100 mille tonnes de fruits, de même espèce que les nôtres. Le Wurtemberg n'exporte pas ses fruits parce qu'ils servent à la consommation nationale, les habitants étant persuadés que l'arbre fruitier est la base de la vie à bon marché (Wurtembergs Obtsbau von Dr E. Lucas, IV. « Das wohlfeile Leben kommt aus dem Holz »). Et en effet, on comprend facilement l'importance que le bon marché des fruits doit avoir dans la vie des ouvriers indigents, il ne faut pas beaucoup de réflexions pour saisir rapidement les avantages que le fruit présente sur certaines substances alimentaires que leur prix élevé semble devoir faire rejeter de la consommation journalière.» (Akkerbouw, 31 décembre 1871)

(page 307) Comme on le voit, Édouard Jaequemyns fut un des principaux promoteurs de cette réforme si utile à l'agriculture flamande ; il fut le premier agronome belge qui se mît sérieusement à l'œuvre pour faire comprendre aux cultivateurs l'importance pratique de la question des vergers et qui sût les encourager non seulement de son exemple, mais de tous les moyens dont il disposait. Nous aimons à rappeler que ce fut à plusieurs de nos rédacteurs habituels qu'il s'adressa, lors du concours, pour la formation du jury et que, grâce à lui, le rapport de MM. Burvenich, Pynaert et Van Hulle fut publié sous les auspices de la Société provinciale d'Agriculture de la Flandre Orientale. Ce rapport était digne de figurer å la suite de celui publié par Jaequemyns sur le concours des fermes il en était comme le complément naturel : tous deux semblent destinés à devenir les manuels indispensables du cultivateur, l'un pour la création et l'entretien du verger, l'autre, celui de 1866, pour l'entretien et la bonne direction de la ferme.

A l'organisation de ces concours importants, ne se borna pas toutefois le rôle du Président de la Société agricole. Il s'attacha à organiser et à encourager les conférences données dans les divers comices non seulement sur la culture des arbres fruitiers, mais encore sur la chimie agricole, sur les engrais chimiques, sur l'élève et l'entretien des animaux domestiques, sur l'application de la loi concernant les vices redhibitoires, etc., etc. Toutes ces questions offrent un intérêt considérable aux agriculteurs et sont malheureusement peu connues dans nos campagnes. C'est aussi dans le but d'éclairer les cultivateurs sur la valeur relative des engrais chimiques qu'il aida puissamment au développement du jardin agronomique établi par la Société provinciale d'Agriculture. Se basant sur les expériences dont il avait été témoin, il put consigner, dans le rapport du 25 mai 1873, son opinion sur la valeur des engrais chimiques : «Ils peuvent sagement combinés, entretenir la fertilité (page 308) du sol pendant une série d'années sans l'emploi d'aucune autre fumure ; mais nous préférons les employer comme supplément aux engrais pailleux. Nos expériences démontrent qu'il est possible de faire produire à l'aide des engrais chimiques à une même terre, pendant plusieurs années consécutives, une même récolte, sans diminution dans le rendement, ni dégénérescence dans la qualité du produit. La pomme de terre, la betterave à sucre, le lin surtout nous ont fourni des exemples qui doivent lever tout doute à cet égard » (Page 4. Rapport du conseil administratif de la Société agricole de la Flandre Orientale, fait à l'assemblée générale de tous les membres tenue le 25 mars 1873, à l'Hôtel du Gouvernement provincial à Gand. Gand, Gyselinck). C'est également en vue de venir en aide aux cultivateurs de la Flandre Orientale qu'il insista, au nom de la Société provinciale d'Agriculture sur la haute utilité d'une station agricole, pour l'essai des divers engrais, station qu'il eut à la fin de sa vie le bonheur de voir créer à Gand et à laquelle semble dès aujourd'hui promis un rapide et brillant avenir.

La grande popularité qui entourait Éd. Jaequemyns avait sa source surtout dans cette bonté exquise, dans cette expérience si sagement acquise qui lui permettait de joindre aux conseils de la théorie les exemples de la pratique. Il aimait à recevoir ses confrères de la Société d'agriculture en son magnifique domaine de Minderhout, dans la Campine anversoise. C'était sa création et il en était fier à bon droit. Lorsqu'il vint en Campine, au milieu des bruyères arides, il ne trouva qu'un terrain stérile. On avait peur de cette contrée et les terres s'y vendaient, avant 1830, à un prix dérisoire. Leur valeur augmenta lentement, nous disait un jour Éd. Jaequemyns ; en 1846, époque où il acheta ses premières terres, l'hectare valait trente-cinq francs, mais les campagnards de la Campine traitèrent l'achat de folie et prédirent la ruine de l'acheteur. Une simple visite au domaine de Minderhout montre suffisamment combien leurs prédictions étaient peu fondées et lorsque (page 309) le visiteur voit cette magnifique habitation de campagne, cette admirable briquetterie, ces fermes nombreuses et bien établies, ces maisons d'ouvriers aérées et coquettes, entourées de terres arables couvertes de belles moissons ou de bois verts et touffus, il ne peut concevoir que ces terrains où la nature sourit aujourd'hui aux efforts de l'homme, aient pu être, il y a quelques années encore, réputés rebelles à toute culture et devant être à tout jamais abandonnés. Trois choses ont permis à Jaequemyns de réaliser cette merveille sa profonde science, son sens éminemment pratique et son incroyable persévérance. Il avait recherché quelles étaient les causes de la stérilité du sol et, les ayant reconnues, il s'était appliqué avec ardeur et persistance à les combattre. Nous avons, dans un autre travail (Een uitstap in de Kempen, door Oswald de Kerchove en H. Carnewal. Gent, Gyselinck, 1873), eu l'honneur de rendre compte, en nous aidant de ses conseils, des études constantes, des efforts soutenus qui lui permirent de surmonter les obstacles que la nature semblait semer sous ses pas. Nous n'y reviendrons point ici. Nous nous bornerons à constater les brillants résultats obtenus.

Les succès remportés par Éd. Jaequemyns attirèrent rapidement l'attention des agronomes sur la Campine, et lui-même, il faisait tous ses efforts pour la faire mieux apprécier par le pays. Chaque fois qu'il en parlait, il se plaisait à relever les théories erronées qu'on propageait, comme à plaisir, en vue de discréditer toute tentative de défrichement. Les malheureux essais faits par le Gouvernement avaient augmenté encore le discrédit dans lequel ces terres étaient tombées ; aussi ne manquait-il aucune occasion de montrer les causes qui paralysèrent les efforts du Gouvernement et qui causèrent de si amères déceptions à ceux qui y tentèrent alors des défrichements. « Le Gouvernement belge, dit-il, avait essayé d'établir en Campine un village flamand : on donnait à chaque flamand une petite ferme de huit hectares ; on voulait introduire en Campine la culture flamande, mais on oubliait une chose, c'est que les (page 310) flamands qui venaient là n'étaient pas riches, qu'ils manquaient de capital ; aussi le Gouvernement, après avoir vainement essayé ce système, fut obligé de vendre à un prix très modique tout ce qui avait été acquis.

« Le capital roulant engagé dans la propriété en bestiaux, en récolte, en fumier, en ustensiles, s'élève à plus de 1500 francs l'hectare. Et l'on va mettre un mendiant sur une bruyère et lui dire, vous pouvez défricher cela pour votre compte, vous pouvez cultiver et tout ce que vous récolterez sera pour vous. Et l'on ne songe pas que ces pauvres gens doivent d'abord défricher, ce qui coûte cher, et se procurer ensuite tout le matériel nécessaire pour cultiver cet hectare. Il y a là erreur palpable. Aussi non seulement la combinaison de ces colonies de bienfaisance de Wortel et de Merxplas a échoué avec éclat, mais il en a été de même de l'établissement de Fredericksoord. » (Annales Parlementaires, 1870. Séance du 20 janvier.à

Lors de l'établissement des colonies pénitentiaires de Wortel et de Merxplas, Ed. Jaequemyns prit de nouveau la défense de la Campine. Il réussit à vaincre les préjugés d'un grand nombre de ses collègues et à faire adopter le projet de loi présenté par le Gouvernement.

La reconnaissance des services rendus, qui était un des traits caractéristiques de son caractère, avait, quelques années auparavant, poussé Jaequemyns à défendre, devant la Chambre des Représentants, les mesures hardies et éminemment protectrices prescrites en 1866, par le Ministre de l'Intérieur, M. Alphonse Vanden Peereboom. Le typhus contagieux des bêtes à cornes menaçait de ruiner l'agriculture belge. Des dispo sitions énergiques furent prises par le Gouvernement, en vue d'écarter le danger et le fléau fut arrêté dans sa marche terrible. (Note de bas de page : Un agronome hollandais disait : « En Angleterre où le Gouvernement n'a rien fait, il périt 1000 animaux par jour ; en Hollande où le Gouvernement a fait trop peu, il périt 100 animaux par jour ; en Belgique où le Gouvernement a fait son devoir, il ne meurt qu'un seul animal par jour.» (Annales Parlementaires, année 1866)). On attaqua néanmoins les arrêtés pris par le ministre (page 311) belge, on les qualifia d'arbitraires au sein même de la Chambre ; c'est alors qu'Édouard Jacquemyns se leva et avec l'autorité de sa parole et de son nom, fit prompte et sévère justice des attaques dont son ami était l'objet. Bien plus, il ne voulut pas borner au vote des Chambres l'élan de la gratitude nationale ; il tint à faire participer tout le pays à l'acte de reconnaissance qui devait, selon lui, être posé. Président de la Société provinciale d'Agriculture de la Flandre Orientale, il prit l'initiative d'une souscription publique à la suite de laquelle l'agriculture belge reconnaissante offrit un trophée magnifique à son protecteur, au ministre Alphonse Vanden Peereboom, et Jaequemyns eut, à l'occasion de la remise de ce cadeau, l'honneur de réunir autour de lui, sans distinction d'opinion politique, tous ceux qui s'intéressent à la prospérité de l'agriculture en Belgique.

Soutenir et protéger le mouvement agricole belge dans toutes ses manifestations, était l'objet de ses constantes préocupations ; c'est la tâche qu'il nous lègue à tous, comme ce fut celle de son existence, car, nous pouvons le dire, il y consacra les derniers jours de la vie la mieux remplie et la plus utile.

Quinze jours avant sa mort, il parcourait les dernières fermes inscrites au nouveau concours provincial ouvert en 1874 par la Société provinciale d'Agriculture, donnant des conseils aux uns, discutant avec les autres telle ou telle question agricole intéressante. Il réunissait ses documents pour la rédaction d'un rapport qui aurait fait suite à l'oeuvre importante publiée en 1867, lorsque la maladie vint le frapper au milieu du vaste domaine qu'il avait créé.

Il avait appelé près de lui ses collègues du jury et les avait invités à venir le voir dans cette Campine qu'il savait (page 312) rendre si hospitalière et si aimable, lorsqu'il fut atteint d'une bronchite qui l'obligea à se renfermer dans le repos.

Du 14 au 30 août 1874, le mal ne parut pas grave. Jaequemyns continuait à s'occuper des affaires qui étaient le rêve de sa vie. Il avait auprès de lui sa fille, Mme Rolin et ses petits-enfants. Lui-même ne se plaignait d'aucune souffrance et s'attendait à un prompt rétablissement. Le seul symptôme inquiétant était une faiblesse insensiblement croissante. Mais, vers le soir du 30 août, les forces diminuèrent avec une rapidité telle que M. Rolin-Jaequemyns, rappelé en hâte de Genève où le retenaient les importantes discussions de l'Institut de droit international ne put arriver à temps pour recueillir le dernier soupir de son beau-père. Dès la nuit du 31 août, toute espérance était perdue, et, après avoir reçu les consolations suprêmes de la Religion, notre ami s'éteignit sans agonie, laissant dans la douleur tous ceux qui l'avaient connu.

Sa mort eut un grand retentissement dans le pays et à l'étranger, car Jaequemyns était de ces hommes dont l'intelligente et bienveillante activité se répand partout et de qui l'âme généreuse fait naître une universelle et profonde sympathie. Jamais on ne vit de douleur plus réelle, plus profonde que celle qui éclata parmi la population de tout rang, de tout âge réunie le 3 septembre autour de son cercueil dans le modeste cimetière de Minderhout.

Professeur, économiste, homme politique, agriculteur, industriel, financier, on ne saurait dire, tant il était supérieur en tout, en quoi il l'était le plus. Partout on recourait à ses lumières. Son dévouement ne s'est jamais lassé, et c'est à bon droit que l'on a pu dire de lui : « Rien n'était au dessus de son mérite, si ce n'est son cœur qui était au dessus de tout ! »

Gand, 1 octobre 1874.