Hanssens Léopold, Ferdinand, Joseph libéral
né en 1832 à Turhout décédé en 1904 à Liège
Représentant entre 1879 et 1894, élu par l'arrondissement de Liège(Extrait de L’Etoile Belge, du 23 mars 1904)
Mort de M. Léopold Hanssens
Nous apprenons la pénible nouvelle de la mort de M. Léopold Hanssens, le doyen de nos conseillers communaux, enlevé à l'affection des siens à l'âge de 71 ans. Il y avait bien une quarantaine d'années que M. Hanssenns ne cessait de représenter l'opinion libérale au conseil communal de Liége, où il occupa à plusieurs reprises les fonctions d'échevin de l'Instruction publique.
M. Hanssens avait été également conseiller provincial et représentant ; il était ancien bâtonnier, président fondateur de la Royale Liégeoise de gymnastique, président d'honneur du Royal Lion belge, commandeur de l'Ordre de Léopold, décoré de la croix civique et officier de l'Instruction publique en France.
(Extrait du Peuple, le 25 mars 1904)
Le parti libéral liégeois vient de perdre un de ses plus dignes et de ses plus dévoués membres et la ville de Liége, l'un des plus anciens mandataires communaux.
M. Léopold Hanssens est mort mardi matin, succombant à une courte mais cruelle maladie, à l’âge de 71 ans. Il était le fils de ses œuvres et s’il occupa au barreau de Liége une des premières places, ce fut grâce à son travail, à sa grande honnêteté, à sa grande érudition et aussi à son beau talent oratoire.
Jeune encore, il s'était lancé dans la politique : élu conseiller communal en 1865, il ne cessa, depuis lors, de siéger à l’Hôtel-de-Ville. Quelques mois après, il fut appelé aux fonctions d’échevin de l’instruction publique et fit partie du collège jusqu’en 1869.
En 1885, il fut de nouveau désigné pour l’échevinat de l’instruction, qu’il quitta en 1888 ; enfin, le 19 octobre 1896, il occupa encore ces fonctions jusqu’au 15 février 1900.
Le parti libéral, en 1880, le désigna comme candidat aux élections législatives. Léopold Hanssens fut élu député et le resta jusqu’en 1894.
Léopold Hanssens fit également partie de la commission administrative des hospices civiles, et du conseil de l’industrie et du travail. Ce travailler inlassable consacra, on peut le dire, toute sa vie à la défense des intérêts de ses concitoyens.
Ce fut un libéral sincère, loyal et d’un rare désintéressement ; aussi jouissait-il de l’estime et du respect de ses adversaires politique et, on peut le dire, de toute la population liégeoise.
D’une simplicité rare, Léopold Hanssens était bienveillant, d’une grande bonté et très généreux. Il aimait les pauvres, et bien que relativement peu fortuné, il donnait très souvent sans compter.
La classe populaire, aux intérêts de laquelle il s’était attaché doit à son échevinat l’organisation de nos jardins d’enfants ; il établit aussi les bibliothèques destinées au personnel enseignant et créa la première école supérieure d’adultes.
Le regretté défunt a exprimé le désir d’être enterré aussi modestement que possible, refusant les honneurs militaires auxquels il avait droit comme commandeur de l’ordre de Léopold ; il demanda aussi qu’aucun discours ne fût prononcé sur sa tombe, ne réclamant de ses nombreux amis qu’un souvenir de lui de temps à autre.
Nous nous inclinons respectueusement devant la dépouille mortelle de cet homme de bien et nous présentons nos condoléances émues à Mme Hanssens et à la famille endeuillée.
L’enterrement aura lieu le jeudi 24, à 10 h.
(Extrait de La Meuse, du 24 mars 1904)
Les funérailles de M. Hanssens
La ville tout entière, peut-on dire, a fait à M. Léopold Hanssens, avocat et ancien bâtonnier de l’Ordre, ancien membre de Chambre des représentants, conseiller communal et ancien échevin de l'instruction publique, commandeur de l'Ordre de Léopold, décoré de la croix civique, ancien membre de la Commission des Hospices, président de la Royale Liégeoise de Gymnastique, président d’honneur du Royal Lion Belge, etc., des funérailles imposantes.
Imposantes en leur simplicité puisque le défunt, dans une intention où se retrouvent toute la modestie et la simplicité de sa vie, avait renoncé aux honneurs auxquels il avait droit par son rang dans l’Ordre national et par les fonctions publiques qu’il occupait ou avait occupées. Imposantes par le concours de monde qui se pressait à la triste cérémonie, par la foule où toutes les classes de la population étaient largement représentées.
Il était nécessaire de prendre la file dès le milieu de la rue. Et il fallait plusieurs minutes avant de parvenir à l'intérieur de la maison mortuaire. La rue tout entière était noire de monde.
* * *
Le Conseil communal, qui perd en M. Hanssens son vénéré doyen, s'était réunie à l’Hôtel de Ville. L'assistance était très nombreuse. Les trois groupes politiques étaient très largement représentés.
Le Conseil a pris place dans la salle des séances, et, debout, a écouté le discours prononcé par M. le Bourgmestre.
Discours éloquent et ému où M. Kleyer a dit excellement la reconnaissance qui est due à M. Hanssens par la population, et les éclatants services que le défunt a rendus à la chose publique.
« Cette mort, a-t-il dit, frappe surtout l'Administration communale, dont il fit si longtemps partie et à laquelle il a consacré, avec une abnégation et un désintéressement absolus, toute une vie de labeur et des qualités vraiment exceptionnelles : une activité infatigable, une grande érudition, une éloquence élevée, une indépendance et une générosité d'âme rarement rencontrées.»
M. le Bourgmestre dit des trois passages de M. Hanssens à l'échevinat de l'instruction publique : « L’organisation de l’enseignement communal fut l'objet de ses constantes préoccupations. Il n'épargna aucun effort, aucune peine pour le développement des écoles populaires. Il voyait dans le progrès de l'éducation des enfants la sauvegarde et l'avenir même de la société. Il contribua pour une large part à doter notre ville des admirables établissements de toute sorte dont elle est fière aujourd'hui. »
Et, parlant des opinions politiques du défunt :
« Léopold appartenait au parti libéral dont il fut, pendant toute sa longue carrière, l'un des plus ardents et des plus fidèles défenseurs. Ses convictions politiques étaient fermes, résolues. Il les soutenait avec énergie et ténacité, il voulait la liberté avant tout et en toutes choses. Il savait respecter les convictions de ses adversaires. Pour lui, la liberté était inséparable de la dignité même de la vie humaine. »
Voici la péroraison de ce discours émouvant :
« La mort de Léopold Hanssens fait un vide profond parmi nous. Nous sentons que disparaît avec lui un collègue loyal et généreux, affable, bienveillant, d'une dignité, d'une droiture et d'une intégrité à toute épreuve. Il a donné l'exemple du travail. Il a sacrifié sa vie au bien public. Il n'a jamais écouté d'autre voix que celle de sa conscience. Il a été l'homme du devoir, de la justice et de l'honneur. Ses concitoyens reconnaissants lui garderont un souvenir ineffaçable
« Le Conseil communal voudra, je n'en doute pas, se joindre nous pour assister à ses funérailles et rendre à la dépouille mortelle de notre regretté collègue un suprême et respectueux hommage. »
La séance a été levée. Et le Conseil monté en voiture pour se rendre à la maison mortuaire, rue de la Paix.
[Suit un aperçu des notabilités présentes lors des obsèques, non repris dans cette version numérisée mais disponible sur le site de la Bibliothèque royale Albert Ier (Belgicapress)]
(Extrait de Les Hommes du Jour, Bruxelles, Maheu, 1883, n°15)
M. Léopold Hanssens
M. Léopold Hanssens, membre de la Chambre des représentants et du Conseil Communal de Liège, est né à Turnhout en 1832. Comme le poète Glatigny, M. Hanssens avait pour père un gendarme , sous-officier lors de la naissance du député de Liége, et qui devint, par la suite, officier.
Léopold Hanssens ne fut pas de ceux qui trouvent, en naissant, leur pain cuit et leur position à moitié faite.
La famille était nombreuse et il fallut tout le dévouement, toute l'énergie de madame Hanssens, mère, une femme de tête et de cœur, pour élever et instruire, avec les maigres ressources dont on disposait, tous les enfants, lesquels occupent aujourd'hui des emplois honorables - sinon très lucratifs.
Léopold Hanssens fit ses études un peu partout au hasard des garnisons. Ce fut cependant à Mons qu'il fit la plus grande partie de ses humanités. Il fut même, pendant plusieurs années, le condisciple de MM. Bockstael, Houzeau et Masquelier, aujourd'hui ses collègues à la Chambre.
C'est en entrant à l'Université de Liége que Léopold Hanssens commença à s'occuper de politique. Bien qu'il dût, pour passer ses études, donner des répétitions, il trouva le temps de collaborer à plusieurs -journaux et fonda notamment en compagnie de Guinotte (écrivain aujourd'hui établi à Paris où il écrit sous le pseudonyme d Paul Heusy) Joseph Delbœuf, François Folie, etc., La Belgique Contemporain - revue qui eut son heure de célébrité et où Victor Arnould publia sa » brabançonne des étudiants. »
Léopold Hanssens contribua aussi à fonder la Société Franklin, laquelle organise ces concerts coupés de conférences, destinés à faire patienter les ouvriers qui sont dans la misère. Le but n'est d'ailleurs, pas atteint, car dans le public des séances de la société Franklin, la petite bourgeoisie domine.
* * *
C'est chez M. Forgeur, le célèbre avocat liégeois dont la fille a épousé M. Emile Dupont, député doctrinaire catholique de Liége, que Léopold Hanssens fit son stage.
Les débuts furent difficiles. L e futur député, dans ses articles comme dans les conférences qu'il avait données à Liége et dans les environs, s'était déjà révélé comme un progressiste convaincu - pas bien farouche, il est vrai, mais suffisamment rouge pour effrayer le libéralisme liégeois.
C'est alors que le futur député fit connaissance avec le doctrinarisme, si bien organisé à Liége, qui, avec une ténacité et un art inouïs, parvient à entraver à chaque instant les hommes de talent peu disposés à entrer au service de la coterie. Cette guerre sourde que lui fit alors le doctrinarisme doit être, à présent, bien connue du député de Liége, qui l'a repoussée à tous les instants de sa carrière.
Malgré cette opposition, M. Hanssens , travailleur acharné qui possède une science réelle du droit, s'est fait, petit à petit, une clientèle considérable, dans les affaires civiles. Son travail constitue, d'ailleurs, ses seuls moyens d’existence car M. Hanssens , déplorablement radical en cette circonstance, n'a pas , comme M. Frère-Orban et tant d'autres jeunes avocats-politiciens, épousé une femme riche et appartenant à une famille puissante.
Aussi quand Léopold Hanssens posa sa candidature au conseil communal de Liége, le doctrinarisme combattit à outrance cette candidature. Le Journal de Liège, ennemi-né de tous ceux qui au talent joignent quelque indépendance, déploya un acharnement particulier, et ce ne fut qu'en 1867, après deux échecs, qu'il parvint à conquérir au conseil communal le siège qu'il occupe encore aujourd'hui et qu'il ne quitta, pendant quelques années, que pour s'asseoir au fauteuil de l'échevin des beaux-arts, sous le règne de l'ex-progressiste-révisionniste, M. Julien d'Andrimont, aujourd'hui sénateur.
Au conseil provincial, où il siégea de 1868 à 1879 - époque à laquelle il parvint à entrer à la Chambre, après avoir échoué, l'année précédente, dans sa lutte contre M. Xavier Neujean, Hanssens était considéré comme le chef de la fraction progressiste. C'est lui, notamment, qui suscita les discussions relatives à l'extension du droit de suffrage à tous les citoyens sachant lire et écrire, l'instruction obligatoire, la réglementation du travail des enfants dans les houillères et les manufactures, la révision de la législature sur le temporel des cultes, etc. Sur sa proposition des vœux furent votés par le conseil provincial liégeois en faveur de ces réformes. Il est à remarquer d'ailleurs, qu'au conseil provincial de Liège, la majorité est généralement très disposée à voter des vœux à tendances progressives.
A la Chambre, c'est différent et la plupart des députés de Liége, anciens conseillers provinciaux et communaux progressistes, s'empressent de ne pas voter les lois en faveur desquelles ils ont précédemment émis des vœux.
Cette anomalie tient probablement à ce qu'un vœu ne sert à rien, tandis qu'une loi doit être exécutée.
Au conseil communal de Liége, dont il est une des fortes têtes - ce qui n'est pas beaucoup dire d'ailleurs - M. Hanssens occupe une situation prépondérante. Connaissant à fond les affaires de la ville, il possède une compétence indiscutée et son intervention dans les discussions est souvent décisive. Toujours il s'est refusé à entrer dans les petites combinaisons qui, dans cette assemblée homogène, avaient pour but de cacher au public quelque faute susceptible d'être exploitée par les cléricaux. Les intérêts des contribuables sont, chez lui, en bonnes mains ; aussi M. Hanssens passe-t-il généralement en tête de la liste aux élections communales.
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On voit que le rôle de Léopold Hanssens au conseil communal et au conseil provincial de Liége a été brillant. A la Chambre, il n'a malheureusement pas été aussi beau ; mais pour l'expliquer il convient de dire quelques mots de l'homme et de son caractère.
L'extérieur du député liégeois répond assez bien à son caractère, à son talent.
Assez carré, un peu massif même, le député liégeois a dans la démarche certaine hésitation. Cela tient à son extrême myopie, à peine tempérée par un pince-nez, instrument qu'il a en horreur et dont il ne se sert que dans les grandes circonstances. En politique, M. Hanssens est également massif, carré, et un peu myope. Très franc, très loyal, le député liégeois s'emballe facilement. L a contradiction l'excite particulièrement et seule elle a le pouvoir de faire disparaître à peu près complètement certain embarras de la langue qui fait grand tort à sa diction seulement ; après s'être lancé, tête baissée, sur l'obstacle, le député liégeois s'arrête, ne voyant pas assez loin devant lui et craignant de trébucher. En politique comme ailleurs, Léopold Hanssens n'a pas la vue excellente - et se refuse à porter lunettes.
En théorie, il a des principes extrêmement larges. Il est peu de questions sociales qu'il n'ait étudiées et résolues, d a n s le sens le plus démocratique. En pratique, si une contradiction entachée de mauvaise foi ne le fait pas sortir de ses gonds, le théoricien hésite, craint d'aller trop loin et… s'abstient.
On a eu des exemples de cette timidité, chaque fois que le député Liégeois a dû se séparer du ministère par un vote. E n 1881, après avoir signé, de concert avec les membres de l'extrême gauche, la proposition tendant à accorder le droit de suffrage, pour la commune et la province, à tous les citoyens sachant lire et écrire, il abandonna ses amis quand M. Frère-Orban, avec sa morgue ordinaire, eut déclaré qu'il posait la question de cabinet.
Ce fut même cette défection qui amena la retraite, inexplicable alors, de l'extrême gauche, et la démission de Léon Defuisseaux. Ajoutons cependant que le député Liégeois avait prévenu ses collègues progressistes, qu'il retirerait sa signature si l'existence du ministère était mise en péril.
Lorsque l'extrême gauche présenta cette année, un projet de révision de la constitution, M. Hanssens, grand partisan de cette révision en principe, s'abstint de voter même la prise en considération.
Lors du vote des impôts, le député Liégeois, adversaire en principe des impôts de consommation, qu'il considérait comme anti-démocratiques, vota cependant la plupart de ces impôts - toujours dans la crainte de provoquer la chute du cabinet actuel , lequel, dans sa pensée, serait remplacé par un ministère clérical.
Lors de la discussion de la magnifique réforme électorale proposée par le ministère, les progressistes liégeois retrouvèrent leur député qui vota continuellement avec l'extrême gauche - en dépit de toutes les criailleries doctrinaires et de l'excommunication du Journal de Liége - lequel signala aux rancunes doctrinaires les noms des députés qui avaient voté contre le ministère.
En résumé, M. Hanssens est un progressiste bourré de bonnes intentions, malheureusement annulées, très souvent, par une circonspection poussée jusqu'à la pusillanimité.
Avec un peu plus de décision, de suite dans sa conduite politique, le député liégeois, honnête, indépendant, instruit, serait un précieux appoint pour l'extrême gauche ; son indécision extrême fait qu'à présent il est un éternel sujet d'inquiétude pour ses amis progressistes de la Chambre, qui craignent toujours de le voir lâcher pied, pris d'un scrupule honnête, mais intempestif, au beau milieu de la bataille.
Les ménagements gardés par Léopold Hanssens ne l'ont pas, cependant, rendu sympathique aux doctrinaires liégeois. On raconte même à ce sujet, des petites histoires qui tendraient à prouver que si Liége passe pour une ville spirituelle, ce n'est assurément pas à ses députés doctrinaires qu'elle doit cette réputation. C'est ainsi que les députés de Liége affecteraient de ne jamais adresser la parole à leur collègue progressiste et qu'ils auraient même déjà poussé la niaiserie jusqu’à sortir avec ostentation d'un compartiment de chemin de fer, où se trouvait M. Hanssens. Si la chose est vraie, elle prouve simplement une chose : c'est qu'il ne suffit pas d'être député pour être intelligent et bien élevé - au contraire.
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Deux derniers traits achèveront de déterminer la distance qui sépare Léopold Hanssens d'un grand nombre de ses collègues doctrinaires.
C'est un honnête homme dans le sens absolu du mot - qui n'a jamais retiré d'avantage pécuniaire de sa situation politique, - et, ensuite, il écrit le français d'une façon correcte, élégante, et même spirituelle.
Que de députés, de sénateurs, de ministres même n'en pourraient dire ou faire autant !