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Guillery Jules (1824-1902)

Portrait de Guillery Jules

Guillery Jules, Louis libéral

né en 1824 décédé en 1902

Représentant entre 1859 et 1888, élu par l'arrondissement de Bruxelles

Biographie

(Extrait du Journal des tribunaux, du jeudi 27 novembre 1902, col. 1253-1254)

(…) Nous resterons ainsi fidèles aux vues élevées des maîtres du Barreau, que malheureusement la mort nous enlève, nous privant du concours éclairé et précieux de confrères qui furent la gloire de l'Ordre.

Tel était Maître Jules Guillery , dont nous avons à déplorer cette année la perte, et qui laisse un vide profond dans nos rangs. Il naquit à Nivelles, le 14 mars 1824, et prêta le serment d'avocat le 3 novembre 1845. Elu membre du Conseil de l’Ordre en 1861, il y siégea presque constamment jusqu'en 1890, époque où il désira ne plus accepter le renouvellement de son mandat. A trois reprises différentes, en 1872, en 1877 et en 1884, ses confrères l'appelèrent aux honneurs du bâtonnat. Ses brillantes qualités oratoires, ses connaissances juridiques, l'autorité de sa personne, la sûreté de ses relations, lui avaient conquis parmi nous une place de premier rang. Il la justifiait par la loyauté et l'indépendance de son caractère, la noblesse de ses sentiments, la par/aile correction de ses rapports, le labeur constant de sa longue, féconde et belle carrière.

Il avait au plus haut point le souci de la dignité professionnelle et de la solidarité confraternelle. Aussi fut-il appelé, le premier, à la présidence de la Fédération des Avocats belges, dont il devint ensuite le président d'honneur. Il aimait la jeunesse, son action fertile, son activité exubérante. Dès son arrivée au Palais, il prit à cœur d ’organiser la Conférence du Jeune Barreau avec le caractère d’association libre et indépendante qu’elle revêt encore aujourd’hui. Il ne se borna point à porter le fruit de ses connaissances juridiques à la barre, mais il fit également œuvre de publiciste et il écrivit d'importants ouvrages de droit, notamment des traités sur la législation des sociétés, qui constituent des documents précieux en cette matière.

L'intérêt qu'il portait à la chose publique l'amena à se voir confier des mandats politiques. Sur ce terrain aussi ses grandes qualités le conduisirent aux plus hautes situations el il occupa pendant plusieurs années le siège de la présidence de la Chambre des représentants. Ministre d'Etat, président du Conseil supérieur de l'Etat indépendant du Congo, délégué de la Belgique aux Congrès internationaux de droit commercial, il apporta dans toutes ces fonctions le concours de sa grande personnalité el de son expérience, ainsi que le charme de son langage, d'une clarté toute française. Il prit aussi une part active à la confection de notre législation civile et sociale relative à la protection du travail des femmes et des enfants, et son souci des souffrances humaines le fil intervenir activement dans les œuvres de patronage et de bienfaisance publique. Le Conseil de l'Ordre el le Barreau ont été assurément bien inspirés en décidant de perpétuer, par le marbre, le souvenir de ce grand avocat. Dans peu de jours, je pense, le buste de Maître Jules Guillery, dû au ciseau de l’artiste renommé qu'est M. Vinçotte, fera revivre à nos yeux les traits de notre éminent confrère, si digne de prendre place sous la coupole de notre Palais de Justice, auprès des bustes des Verhaegen, des Dequesne. des Dolez, des Orts, des Vervoort, des Louis Leclercq, des De Becker et des Bara.


(Louis BERTRAND, Jules Guillery, dans Les Hommes du Jour, Bruxelles, 1884, n°29)

(page 122) Il existait autrefois, en France, une famille noble, de Bretagne, qui s'appelait Guillery. Ces seigneurs féodaux servirent d'abord le fameux duc de Mercœur et devinrent des brigands qui semaient la terreur à dix lieues à la ronde...

Le député de Bruxelles dont nous esquissons aujourd'hui le portrait, descend-t-il de ces fameux

brigands? Nous l'ignorons. Toujours est-il qu'au début de sa carrière d'homme politique, s'il ne

mit point Bruxelles à feu et à sang, il était considéré comme un homme très dangereux.

Combien il diffère cependant du Guillery l’ « escholier » léger de la comédie d'Edmond About :

« Il était un p'tit homme - Qui s'app'lait Guilleri - Carabi ;

« II s'en fut à la chasse, - A la chasse aux perdrix, - Carabi.

« Titi carabi - Toto carabo - Compère Guilleri! - Te lairas-tu (ter) mouri ? »

Jules Louis Guillery a vu le jour dans la patrie de Jean de Nivelles, le 14 mars 1824.

A peine âgé de 21 ans, Guillery entrait au barreau.

L'avocat est très connu. Il plaide surtout les procès d'affaires importantes et sa connaissance

approfondie de notre législation commerciale fait de lui un excellent avocat d'affaires.

Deux fois déjà il a eu les honneurs du bâtonnat, ce qui prouve en quelle estime il est auprès de ses confrères du palais.

D'un tempérament bilioso sanguin, Guillery est un homme entier et dépasse parfois la mesure. Qui ne se rappelle la critique quasi-générale que suscita sa réponse à l'avocat-général dans le procès Fortamps ? L'ancien sénateur de Bruxelles, on le sait, avait été compromis dans les affaires de la Banque de Belgique.

L'émotion était générale dans le pays et tout le monde réclamait une loi répressive pour les hommes peu scrupuleux de la finance.

Guillery, alors président de la Chambre, défendait Fortamps devant la cour d'assises. Le ministère public réclamait la condamnation de l'ancien gouverneur de la Banque de Belgique, coupable de négligences graves dans sa gestion; et pour donner plus de poids à son argumentation, l'avocat-général parla des débats qui avaient eu lieu à la Chambre . « Laissez donc la Chambre tranquille ! », interrompit tout à coup Guillery, et cette interruption fut vivement relevée par la presse.

Cette protestation laissa absolument froid l'avocat de Fortamps. La presse? Mais il connaît ça, lui. N'est-il pas un ancien journaliste ? En 1880 d'ailleurs, en présence des représentants des principaux journaux de l'Europe, Guillery a fièrement revendiqué ses titres de publiciste.

L'Observateur et l’Indépendance l'ont compté pendant de longues années parmi leurs collaborateurs. Mais il n'a pas seulement été un polémiste. On lui doit un savant ouvrage en trois volumes : Des sociétés commerciales en Belgique, épuisé en deux années et dont la deuxième édition vient de paraître.

On lui doit également un Commentaire législatif sur la loi du 18 mars 1873, sur les sociétés.

Elu membre de la Chambre pour l'arrondissement de Bruxelles, au mois de juin 1859, Guillery a conservé ce mandat sans interruption. Il y a donc vingt cinq années qu'il fait partie de notre parlement.

Dès son entrée à la Chambre, on le voit combattre le projet des fortifications d'Anvers et donner la préférence à la ligne de la Meuse.

M. Frère était ministre des finances alors et, comme aujourd'hui du reste, il ne souffrait pas qu'on le combatte. Guillery, de son côté, ayant des aspirations plus larges, des idées plus grandes que les vieilles perruques doctrinaires, était mal vu par le ministère. Il continua néanmoins son petit bonhomme de chemin sans se soucier de la mauvaise humeur de M. Frère et de ses créatures.

L'orage éclata le 15 mars 1861.

On discutait la fixation de l'ordre du jour. Il s'agissait de savoir quand on s'occuperait du projet de loi allouant un crédit de 15 millions et demi au département de la guerre, pour la transformation du matériel d'artillerie et la démolition de certaines places fortes.

M. Coomans se plaignit de ce que le cabinet exigeait la discussion immédiate de ce projet. Il demanda formellement l'ajournement du débat, pour permettre aux députés et à la presse d'étudier les questions graves qu'il soulevait.

C'est alors que furent échangées les aménités suivantes, extraites des Annales parlementaires :

M. Rogier, ministre de l'intérieur, interrompit l'orateur dans les termes suivants

» Ce n'est pas là de la discussion, c'est de la tactique.

« M. GUILLERY. - Vous avez attaqué la section centrale

« M. ROGIER. - Ce sont des insinuations indignes !

(page 123) « M. COOMANS. - Aucun gros mot ne me fâchera de votre part, vous m'y avez si bien habitué.

« M. FRÈRE-ORBAN, ministre des finances. - C'est absurde !

« M. COOMANS. — Le gouvernement n'a pas même répondu aux questions de la section centrale.

« M. FRÈRE-ORBAN. — Il a été répondu dans les huit jours.

« MM. GUILLERY et GOBLET. - C'est inexact !

« M. FRÈRE. - Dans les trois jours...

« M. GUILLERY. - C'est faux.

« M. FRÈRE. - Il a été répondu incontinent.

« M. GUILLERY. - Cela n'est pas vrai !

« M. FRÈRE. - Vous en avez menti !

« PLUSIEURS voix : à l'ordre, à l'ordre !

« M. LE PRÉSIDENT. - J'invite M. le ministre des finances à retirer la parole qu'il vient de prononcer.

« M. FRÈRE. - Je, vous prie, M. le président, de vouloir bien m'écouter.

« M. LE PRÉSIDENT. - Vous avez la parole.

« M. FRÈRE. - J'ai le droit d'être entendu ; il s'agit de savoir si les membres de la Chambre peuvent insulter, dans une assemblée, les ministres, et si les ministres doivent accepter, sans les relever, toutes les injures qui leur sont adressées ici. Voilà la question... Je maintiens ce que j'ai dit !

« « DES MEMBRES. - A l'ordre !

M. LE MINISTRE refusant de retirer les paroles injurieuses adressées par lui à M. Guillery, est

rappelé à l'ordre. Mais après quelques explications, le rappel à l'ordre fut retiré.

Que dites-vous de cette attitude de M. Frère ?

Cette insolence grossière n'a pas d'exemple même dans les réunions publique qu'il fait décrier et vilipender que les Canler qui sont à sa solde.

Cet incident, faut-il le dire, impressionna vivement la Chambre, et une haine profonde et mutuelleentre MM. Frère et Guillery en fut la conséquence.

Celui-ci, néanmoins, continuait à remplir son mandat avec beaucoup d'activité.

Citons, par ordre de dates, les différents travaux auxquels il prit part, soit comme auteur de projets de lois, soit comme rapporteur, et la part qu'il prit dans les discussions.

En 1862, Guillery revendique le premier une augmentation du traitement des instituteurs. Il

propose un amendement dans ce sens, augmentant le budget de l'intérieur d'une somme de 700,000 francs environ. Dans la même session il propose un nouvel amendement accordant un crédit de 300,000 francs, pour subsides aux communes du chef de dépenses pour l’instruction primaire. Dans le même ordre d'idées, il propose avec MM. Sabatier et Dethuin, dans la séance du 16 décembre 1875, deux propositions de loi ; la première avait pour but d'assurer aux instituteurs primaires un minimum de 1,000 francs de traitement, et la seconde, de créer une pension de retraite à ces mêmes instituteurs. Ces deux propositions furent acceptées par la Chambre, sous le ministère de M. Malou.

En 1864, Guillery s'élève avec une extrême énergie contre la participation des volontaires belges à l'expédition du Mexique, prédisant la défaite inévitable de Maximilien à la suite de ce qu'il appelait » la grande faute de l'Empire. «

Mais Guillery s'est particulièrement occupé des questions se rapportant à la législation et à la réforme des codes. Il a été nommé rapporteur du code pénal militaire et du titre des sociétés coopératives. Dans ce dernier domaine, il n'a guère fait merveille, car notre législation sur les sociétés coopératives laisse énormément à désirer. Il est vrai que comme rapporteur il ne pouvait que refléter l'écho de la Chambre, et cela dit tout.

Dès 1866, Guillery se montrait l'adversaire de la détention préventive et de la peine de mort. La même année il proposa un amendement relatif à cette dernière matière, et qui ne fut rejeté qu'à une faible majorité.

La contrainte par corps trouva en lui un adversaire des plus décidés. N'ayant pu obtenir sa suppression radicale, il proposa néanmoins et fit adopter, en 1869, une disposition transactionnelle.

En 1873, Guillery proposa également l'ordre du jour qui devait avoir pour conséquence de faire cesser les abus de la détention préventive. Il a été rapporteur de la commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi due à feu M. Lelièvre, sur le cumul des peines en matières correctionnelles.

Le 16 mars 1873, Guillery déposa son rapport, au nom de la section centrale, sur le projet relatif à la modification de l'article 29 du décret de 1813, quant à l'âge, pour la descente et le travail des enfants dans les mines et minières. On sait que ce projet de loi, discuté en 1876, fut attaqué avec violence par MM. Bara et Frère et passa néanmoins à la Chambre, grâce à M. Beernaert, ministre des travaux publics. Malheureusement, ce projet, tout anodin qu'il fut, ne passa point au Sénat, parce qu'il était considéré par nos pères conscrits comme une atteinte à la liberté des pères de familles. Tartufes vas!...

Le 22 novembre 1865, Guillery déposa une proposition de loi qui, malgré son caractère restreint, fut le point de départ d'une vive accélération dans les allures de l'opinion, parce qu'elle engageait le principe des capacités. Il demandait, en effet, l'électorat à la province et à la commune pour tous ceux qui, payant 15 francs, savaient lire et écrire.

(page 124) Sur ces entrefaites, poussé par l'opinion qui réclamait une réforme électorale, le gouvernement

déposa un projet de loi de réforme dont M. Hymans fut le rapporteur. Ce n'est qu'en 1870 que

ce projet fut discuté et c'est alors que, d'accord avec plusieurs députés, entre autres-MM. Demeur, Jottrand, Bergé, Couvreur, etc., etc., Guillery déposa un projet de révision de la Constitution. On sait ce qu'il en advint.

L'année suivante, Guillery, avec De Fuisseaux, Demeur, Houtart, Lescart, Cooremans et Bergé

vota contre la dotation du Comte de Flandre.

La rage de Frère-Orban grandit toujours.

Enfin, en 1878, ce dernier revient au pouvoir et Guillery, malgré l'opposition occulte de M. Frère, fut nommé président de la Chambre.

Peu d'hommes ont comme Guillery présidé nos débats parlementaires. Il possédait une énergie morale incontestable et son impartialité était reconnue par tous. Dans les moments difficiles, il suffisait qu'il élevât la voix pour que le calme se rétablit. Il serait resté longtemps encore président de la Chambre sans un incident soulevé par M. Frère-vous-en-avez-menti.

C'était à la séance du 10 mars 1881. On discutait le budget de la guerre. La droite presque entière s'était abstenue parce que la Chambre avait supprimé un poste de 50 mille francs destiné à l'aumônerie militaire. M. Woeste, donnant les motifs de son abstention, s'était permis de dire que le ministre de la guerre était blâmé par l'armée. Sur cela, M. Frère s'est levé et a demandé au président de rappeler à l'ordre M. Woeste. Le président Guillery ne tint aucun compte de cette demande et fit son possible pour que M. Woeste retirât les paroles qu'on lui reprochait. C'est alors que M. Frère se leva de nouveau et demanda formellement un vote sur sa proposition de rappel à l'ordre.

Le colloque suivant eut lieu alors :

« M. LE PRÉSIDENT. - Il n'y a pas de vote par appel nominal sur le rappel à l'ordre : c'est au président seul à prononcer. Mais devant cette demande, il y a ma démission, et je la donne. Mais, aussi longtemps que j'occuperai le fauteuil, et j'y resterai jusqu'à 5 1/2 heures, je ne permettrai pas qu'on manque de respect à mon caractère.

« M. FRÈRE-ORBAN, ministre des affaires étrangères. - Je demande la parole.

« M. LE PRÉSIDENT. - Prenez-la d'office.

« M. FRÈRE-ORBAN. - Certainement, j'ai le droit de parler en vertu de la Constitution.

« M. LE PRÉSIDENT. — Evidemment, mais pas sans l'avoir obtenue du président ; je ne vous

empêche pas de parler.

M, Frère prit la parole et redemanda le vote sur sa proposition. Guillery lui répliqua qu'il avait le droit et le devoir de ne pas mettre aux voix le rappel à l'ordre. « Ma démission est donnée, dit-il, et demain vous ferez ce que vous voudrez. »

A la fin de cette séance, le président prit la parole et remercia ses collègues pour l'honneur qu'ils lui avaient fait en le nommant pour présider leurs débats. Il annonça de nouveau qu'il donnait sa démission et que c'était la dernière fois qu'il occupait le fauteuil.

Pendant cet incident, M. Frère, blême de colère, avait peine à se contenir.

Depuis qu'il a quitté la présidence, Guillery, redevenu simple député, ne prend plus une part active à nos débats parlementaires. Cependant, il y a un grand nombre de députés qui font encore moins que lui.

Parmi les questions dont il s'est occupé dans ces derniers temps, il faut citer son discours sur la loi concernant la presse ; dans le budget de la justice de 1883, il a parlé des frais de police, et dans celui de l'instruction publique, il s'est occupé de l'enseignement moyen. Le concordat préventif de la faillite l'a trouvé également sur la brèche ainsi que la loi sur les livrets d'ouvriers. Mais dans chacune de ces questions, son intervention a été de courte durée. Il ne fait point de longs discours : il ne dit que quelques mots dans la discussion des articles.

Enfin, la question des impôts et celle de la réforme électorale, l'ont mis également en évidence. De même dans la proposition de révision de l'article 47 de la Constitution. Il est un des huit de la petite chapelle, comme disait M. Wascer.

Seulement, il a lâché ses amis de l'extrême gauche lors du second vote de l'impôt sur les alcools. Sans lui, l'impôt en question était rejeté.

Nous connaissons beaucoup de gens qui lui gardèrent rancune de cette faiblesse.

Il en est de même de son attitude lors de l'interpellation de Janson au sujet de Cyvoet. Guillery s'était offert à interpeller lui-même, ce qui ne l'a pas empêché de voter contre l'ordre du jour présenté par M. Janson.

On prétend que son intransigeance a sa source dans la haine de M. Frère et que sans l'incident du « vous en avez menti ! « Guillery serait un de ces progressistes modérés de la nuance Jottrand, Van Humbeek et Cie. Il y a peut-être du vrai là-dedans. Cependant, comment concilier cela avec son vote lors de la demandé du renvoi au lendemain de la discussion faite par M. Frère, et dont il est question plus haut ?

Quoi qu'il en soit, Guillery est un homme, car c'est déjà une qualité rare que de rester 25 années dans une Chambre comme la nôtre, sans avoir complétement tourné casaque.

L . B.