Grandgagnage Charles, Marie, Joseph libéral
né en 1812 à Liège décédé en 1878 à Liège
Représentant entre 1859 et 1864, élu par l'arrondissement de LiègeRemarque : ne pas confondre Charles Grandgagnage, avec Joseph Grandgagnage, homme de lettres et académicien.
(Extrait de la Meuse, du 7 janvier 1878)
Mort de M. Charles Grandgagnage, sénateur
M. Ch. Grandgagnage, sénateur, est mort ce matin en notre ville, après une courte maladie. II a succombé à une fluxion de poitrine dont il avait éprouvé mardi dernier les premières atteintes.
Esprit élevé, caractère loyal et ferme, M. Grandgagnage ne comptait que des amis. II était un des savants les plus distingués du pays. Avant d'être élu sénateur, il avait représenté pendant plusieurs années la ville de Liége à la Chambre des représentants. Il était président de l'Institut archéologique liégeois et de la Société de littérature wallonne.
Le temps nous manque aujourd'hui pour rappeler toutes les fonctions que le regretté M. Grandgagnage a occupées, ses nombreuses publications et les services qu’il a rendus à la science et au pays.
(Extrait de la Meuse, du 9 janvier 1878)
NÉCROLOGIE.
La presse de notre pays a accueilli, avec d'unanimes et sympathiques regrets, la nouvelle de la mort de notre regretté et savant sénateur, Charled Grandgagnage. Voici en quels termes l’Indépendance trace le portrait de cet homme de bien et de cœur :
La ville de Liége vient de perdre un de ses hommes les plus honorables et les plus distingués. M. Charles Grandgagnage, qui était un des sénateurs pour la ville de Liége, après avoir été un de ses représentants, est mort lundi matin dans cette ville qu’il habitait.
M. Charles Grandgagnage portait un nom bien connu des lettres. Son oncle, le président Grandgagnage, s’était faitn par ses piquants voyages d’Alfred Nicolas, une réputation comme humoriste et comme écrivain. Et lui avait fait œuvre de science, avait fait ses preuves comme historien des transformations de la langue. avec son Dictionnaire d’étymologie wallonne. M. Charles Grandgagnage avait publié aussi un Dictionnaire des noms de lieux du pays wallon. Tous ces travaux, d'une érudition solide, d'une critique ingénieuse, avaient été remarqués et signalés en Allemagne, et M. Littré en a usé souvent dans son grand Dictionnaire de la langue française.
M. Charles Grandgagnage était un esprit ouvert à toutes les choses de la littérature et de l’art. Sa maison avait été très hospitalière, pendant la durée de l'Empire, aux réfugiés français. Et il avait gardé ce goût de la vraie causerie, qui semble ne plus être, dans notre temps d'affectation et da banalité, qu’une étrangeté d'autrefois. Sous une brusquerie apparente, il avait les meilleures qualités du cœur, une grande générosité et une absolue sûreté de sentiments.
M. Charles Grandgagnage été président de la société da littérature wallonne, il a été représentant, sénateur ; mais il a été surtout un de ces honnêtes gens, un peu rudes, d'intelligence cultivée, d’esprit fin, d’intégrité sympathique.
Rappelons que les funérailles de M. Charles Grandgagnage ont lieu demain jeudi, à 10 heures, en l’église Sainte-Véronique. L'inhumation aura lieu à Borset, dans le caveau de famille. On se réunira à la maison mortuaire, boulevard d'Avroy, à 9 1/2 heures.
Trois discours y seront prononcés : le premier au nom du Sénat. par M. le sénateur comte de Looz-Corswarem ; le second au nom de l'Institut archéologique, par M. le baron de Sélys-Longchamps, et le troisième au nom de la société de littérature wallonne, par M. J. Dejardin, vice-président de la société.
(Extrait de La Meuse, du 10 janvier 1878)
FUNÉRAILLES
Nous avons dit avec quel profond sentiment de regret la population de notre ville avait appris la mort de M. Charles Grandgagnage, sénateur, ancien membre de la Chambre des représentants et président de la société de littérature wallonne et de l'Institut archéologique. La perte de cet homme de bien, de cet excellent et savant citoyen a causé dans les autres villes où il était connu et justement honoré, une douloureuse émotion. De nombreux télégrammes ont été adresses à sa famille par les hommes les plus éminents. Sa Majesté Elle-même, ayant été informée du décès de l'honorable sénateur de Liège, a chargé M. Jules Van Praet d'exprimer à Madame Grandgagnage et à ses deux fils la part qu’Elle a prise à leur douleur. Voici le texte de la dépêche royale :
« Palais de Bruxelles, 8 janvier.
« Le Roi apprend, avec grand regret. la mort de Monsieur votre père et prend part à l'affliction de la famille.
« Jules Van PRAET. »
De tels témoignages honorent la mémoire du regrette sénateur. dont les funérailles ont eu lieu aujourd'hui. Dés 9 1/2 heures, un grand nombre de parents, de collègues, d’anciens collègues du défunt, de membres des sociétés de littérature wallonne et d'archéologie de Liége. d'amis et de notabilités de la ville et de la province, se trouvaient réunis à la maison mortuaire, où avait lieu la levée du corps.
Nous y avons remarqué M. le gouverneur de la province. MM. les sénateurs Looz, Braconier, Fleehet et de Sèlys, en costume officiel ; tous nos députes ; M. Jamme. commissaire d'arrondissement ; MM. les échevins Mottard et Magis, ainsi qu'un grand nombre de conseillers communaux ; M. Folie, administrateur-inspecteur de l'Université ; M. le lieutenant-général de l'Escaille ; M. le major d'état-major Crousse ; MM. Chazal et Bocquet et d'autres officiers supérieurs de l'armée ; un grand nombre de magistrats de la Cour et des tribunaux ; M. Angenot, greffier provincial ; des professeurs de l'Université et de l'Athénée ; des chefs d'administration ; M. A. Desoer, président du Bureau de bienfaisance ; M. Cornesse, ancien ministre, etc., etc.
La dépouille mortelle du défunt était déposée dans un des salons transformé en chapelle ardente. (…)
Après la cérémonie religieuse. une voiture funèbre attelée de quatre chevaux a emmené les restes du regretté Charles Grandgagnage vers le lieu de repos, le cimetière du Vieux-Borset, ou se trouve le caveau de sa famille. Des parents et des allies du défunt, ainsi que des amis intimes, ont accompagné jusqu'au cimetière de Vaux-Borset la dépouille mortelle du regretté sénateur, qui y sera inhumée cette après-midi. La nouvelle de la mort de M. Grandgagnage avait causé, dans les villages où se trouvent ses propriétés et où il habitait tout l’été, une véritable tristesse. M. Grandgagnage, fort bienfaisant et excellent homme, y état très aimé et très estimé. Les regrets universels soulevés par sa mort sont le plus bel éloge qu'on pourrait faire de lui et seront pour les siens une consolation, si l'on peut se consoIer de la perte cruelle qu'ils viennent de faire.
(Extrait de la Meuse, du 11 janvier 1878)
NECROLOGIE.
Voici les discours prononcés à la maison mortuaire de feu M. Ch. Grandgagnage, sénateur, dont l'inhumation a eu lieu hier à 3 1/2 heures dans le caveau de la famille au cimetière de Vaux-Borset, en présence de parents, d'amis et de personnes de la localité, qui avaient voulu donner au regretté défunt un dernier témoignage de sympathiques regrets.
Discours de M. le sénateur comte de Looz-Corswarem, prononcé au nom du Sénat
Messieurs,
Permettez qu'en ma double qualité de plus ancien sénateur de l'arrondissement deo Liége et de membre du bureau da Sénat, j'adresse quelques paroles d'adieu au collègue bien-aimé que la mort vient de nous enlever d'une manière si cruelle et si inattendue.
Né Liége le 9 juin 1812, Charles Grandgagnage, avoir fait da bonnes humanités, continua ses études à l'Université de sa ville natale. Dès sa tendre jeunesse, il se fit remarquer par son intelligence, son aptitude et son application au travail. Tout d 'abord il dirigea plus spécialement ses études vers les recherches sur les langues et l’archéologie. Mais je laisse à des voix plus compétentes que la mienne de vous dire ce que fut Grandgagnage et comme linguiste et comme archéologue.
En 1859, ses concitoyens de l'arrondissement de Liége, appréciant son patriotisme et la sincérité de ses convictions libérales, l'envoyèrent à la Chambre des représentants. Plus tard, en 1871, ils le chargèrent de les représenter au Sénat, dont il a fait partie jusqu'à sa mort.
Dans ces deux assemblées délibérantes, Grandgagnage fit preuve d'une grande indépendance et d’une grande fermeté de caractère. Si, par suite de la grande modestie qui le distinguait, il ne prenait pas toujours une part active aux débats, chaque fois qu'il parlait, ses paroles étaient marquées au coin du bon sens et de la logique la plus pure. Jamais il n'émettait un vote qu’après avoir mûrement étudié la question à résoudre, et ce vote était toujours le résultat de la conviction la plus consciencieuse.
Le duc de Saxe-Cobourg-Gotha, voulant récompenser ses travaux de linguistique, l'avait nommé chevalier de l'Ordre de la Branche Ernestine de Saxe.
Il était également chevalier de l'Ordre d'Albert le Valeureux.
Enfin, S. M. le Roi des Belges lui avait décerné la Croix de chevalier de l'Ordre de Léopold, juste récompense des services rendus par lui au pays et à la science.
Grandgagnage était un excellent collègue, dont les qualités sérieuses avaient été appréciées par tous les membres du Sénat. Quoique d’un abord un peu froid au premier aspect, il possédait un cœur d'or, et ceux qu'il honorait d’une amitié particulière pourront témoigner que cette amitié était aussi solide que sincère et dévouée. Il était bienveillant, franc, généreux et toujours heureux de faire le bien. Aussi sera-t-il unanimement regretté parmi nous.
Adieu, cher collègue ! nous conserverons religieusement ton souvenir dans nos cœurs. Adieu, cher Grandgagnage ! reposa en paix.
Discours de M. de Sélys-Longchamps, sénateur, vice-président de l'Institut archéologique liégeois
Messieurs,
Le vendredi 28 décembre dernier, il y a de cela moins de quinze jours, l'Institut archéologique liégeois se réunissait pour renouveler son bureau.
M. Grandgagnage, que j'accompagnais après la séance, était touché de l’unanimité des suffrages que lui avaient accordés ses collègues en le réélisant comme leur président.
Personne, alors, n’eût pu soupçonner la maladie implacable qui devait fondre sur lui trois jours plus tard, et l'enlever si inopinément à notre estime et à notre affection.
Dès sa jeunesse, Grandgagnage se sentit attiré vers les études sérieuses. Le goût de la numismatique conduit aux autres sciences archéologiques. Il avait des connaissances étendues en cette branche.
II se voua ensuite aux études linguistiques, à l'étymologie, que l'on peut appeler l'archéologie du langage ; et ce fut notre dialecte national liégeois, le wallon, qui fut l'objet de ses recherches.
De là ont surgi les travaux spéciaux d'un grand mérite que l'on doit à ses patientes et consciencieuses recherches.
Citons, notamment : son grand Mémoire académique sur les noms de lieux en Belgique, qui est une œuvre magistrale faisant autorité ; son dictionnaire étymologique de la langue wallonne, travail énorme qui, malheureusement interrompu par des circonstances fâcheuses, reste inachevé, la première moitié seulement ayant été publiée. Rappelons encore une étude judicieuse sur les noms wallons des plantes et des animaux.
Grandgagnage était d'une grande modestie ; il croyait toujours n'avoir pas assez approfondi les matières qu'il traitait ; enfin il doutait trop de lui-même. C'est pourquoi il hésita à publier la fin de son dictionnaire, alors qu'il eût pu le faire, car les matériaux étaient prêts. Mais il voulait les remanier, les corriger, les améliorer. Puis, enfin, sa santé assez compromise lui ôta la volonté nécessaire pour achever son œuvre.
La place de Grandgagnage était marquée à l’Institut archéologique, dont son oncle, Joseph Grandgagnage, et son ami, Albert d'Otreppe de Bouvette, furent les véritables fondateurs.
Nous élimes Charles Grandgagnage pour notre président, lorsque la présidence d’honneur fut décernée à son prédécesseur d'Otreppe.
Il avait, pour notre Institut, le dévouement absolu qu'il mettait au service de tout ce qu'il considérait comme un devoir.
Ceux qui ont pu, dans la vie publique comme dans l'intimité, apprécier la droiture et le patriotisme de cet honnête homme d'élite, ne l'oublieront jamais !
Au nom des membres de l'Institut archéologique liégeois, adieu ! notre cher et digne président, adieu !
Discours de M. le notaire Dejardin, vice-président de la société de littérature wallonne
Je viens, au nom de la société liégeoise de littérature wallonne, dont l'honneur d'être le vice-président, vous exprimer les douloureux regrets que nous cause la perte de M. Grandgagnage et rendre un dernier hommage à sa mémoire.
M. Grandgagnage fut, en 1856 un des fondateurs de notre société ; en 1857,il en fut élu président ; ces fonctions lui ont été confirmées tous les ans par le suffrage unanime de ses collègues. Aussi il aimait notre société et il l'a prouvé en fondant plusieurs prix pour des concours annuels. C'est à son initiative que nous devons le glossaire roman liégeois et d'autres œuvres importantes pour lesquelles il avait offert des médailles.
Ses profondes connaissances en linguistique, ses nombreuses publications relatives à notre langage wallon, dont M. le vice-président de l'Institut vient de faire l'énumération, marquaient sa place dans toute société littéraire, et il devait son mérite d'occuper la premier rang dans la nôtre. Ses dictionnaires, ses vocabulaires sont non seulement recherchés par les Liégeois, mais ils ont fait un grand chemin dans le monde érudit et ont valu à notre président l'honneur de faire partie de beaucoup de sociétés savantes. Littré, dans son Histoire de la Langue française et dans son dictionnaire ; Pott, Diez et bien d'autres le citent comme autorité en linguistique. Il pouvait être fier de ses travaux et cependant il resta toujours l'homme simple, modeste et le plus indulgent juré dans les concoure ; lorsque dans un rapport il devait émettre un blâme, toujours il l'atténuait par sa façon bienveillante de l'exprimer.
La science perd en lui un de ses plus fervents adeptes, la société de littérature wallonne un de ses plus solides appuis et nous un collègue aimé et sympathique. C'est avec une vive douleur que nous venons lui adresser notre dernier tribut de regrets.
Au nom de la société liégeoise de littérature wallonne, adieu ! Grandgagnage, adieu !
Voir aussi Elisée LEGROS, dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1964, tome 26