Goethals Auguste, Charles, Antoine, Louis indéterminée
né en 1812 à Turin (Italie) décédé en 1888 à Bruxelles
Ministre (guerre) entre 1866 et 1868(Extrait du Journal de Bruxelles, du 8 janvier 1889)
LE GÉNÉRAL GOETHALS
Le baron Goethals, que nous avons enterré samedi, était non seulement un homme de mérite, mais un chaud et intelligent patriote. C'était un des derniers types de nos « officiers de 1830 ». Le rôle qu'il a joué dans l'armée nous fait un devoir d'attirer l'attention de nos lecteurs sur sa longue et brillante carrière.
Fils d'un lieutenant-général, il était né, sous l'Empire, à Turin, le 17 janvier 1812, aux jours de décadence de la despotie créée par le génie de Napoléon Bonaparte, à une époque où la fleur de notre jeunesse allait encore mourir dans de lointains pays, en Portugal et en Russie, inutilement pour notre patrie, quoique glorieusement pour ses enfants, ces Flamands et ces Wallons admirables, renommés pour leurs qualités militaires sur tous les champs de bataille, sous Charles-Quint, sous Wallenstein et Tilly, pendant la guerre de Trente ans, sous le prince Eugène de Savoie, dans les guerres de Turquie, sous Marie-Thérèse, pendant la guerre de Sept ans, dans les gardes wallonnes d'Espagne et dans les régiments flamands. Puissent la Providence et la sagesse nous éviter le retour de ces époques troublées ; puissions-nous ne pas voir un jour nos fils monter la garde dans l’extrême sud ou dans l'extrême nord ; puissions-nous conserver pour nous-mêmes, et pour nous seuls et la justice, les profits de notre énergie virile et de notre antique bravoure !
Le jeune Goethals destiné d'abord à parcourir une carrière civile. II commença son droit à l'université de Gand, comme l'intendant général de Bassompierre, mais la révolution de 1830 l'arracha à la toge et le fit rentrer dans la carrière paternelle. Le 30 octobre 1830 il était lieutenant d'infanterie, et le 6 octobre 1831 il portait déjà les épaulettes de capitaine. L'année suivante il fut nommé aide de camp de son père, fonction qu'il garda jusqu'en 1841. En 1838, il fut adjoint au corps d'état-major. Nommé en 1844 officier d'ordonnance du ro Léopold Ier, il passa en 1847 dans la maison du duc de Brabant, en qualité d'aide de camp. Major au 12ème de ligne en 1845, il fut transféré en 1846 aux grenadiers, qu'on appelait alors « le régiment d'élite » et qu'il quitta pour devenir lieutenant-colonel au 9ème de ligne. Mais en 1853 il rentrait aux grenadiers, qu'il commanda ensuite avec distinction et qu'il ne quitta que pour devenir général-major en mai 1859. Voilà en peu de lignes l’état des services du défunt dans la première partie de sa carrière.
Elle n'a pas été la plus importante. Les qualités sérieuses du général Goethals se manifestèrent surtout dans le commandement, dans le conseil et au département de la guerre. II a laissé d'excellents souvenirs au régiment qu'il commanda, et en 1870, quand l'armée fut mobilisée, il déploya, à la tête de sa division, de grandes connaissances techniques et une faculté précieuse à la guerre, le don de l'entraînement : cet homme au corps long et sec et au caractère froid, mais bienveillant, savait « se faire suivre ». Juste et bon pour ses inférieurs, il était aimé de la troupe et respecté par les officiers.
Une des époques les plus intéressantes de sa carrière commença quand il entra au département de la guerre, le 13 décembre 1866. L'ancienne organisation des armées européennes, l'organisation « à la française », qui était la nôtre, venait de s'effondrer dans les plaines de Sadowa. Tous les gouvernements de l'Europe étaient remplis d'inquiétude en consultant l'avenir. Déjà, le 19 décembre, le nouveau ministre de la guerre proposait au Roi la nomination de la grande commission militaire pour la réorganisation de l'armée sur un pied moderne, à la hauteur des progrès de la science militaire. Ce fut le second exemple (mais non le dernier) de ces comités plus ou moins tumultueux que nos divers gouvernements ont inventés pour l'acquit de leur conscience devant l’armée, devant le corps électoral et devant l'Europe. Le malheur des temps ayant fait des questions militaires des questions électorales, les divers cabinets de gauche et de droite ont échappé en partie à la responsabilité politique en « encommissionnant » la difficulté. Au lieu de l'attaquer directement, comme l'exige la raison d'Etat, on la tourne. C'est un système qui est parfois habile, mais qui n'est jamais salutaire. II délaie la difficulté, la complique et la rend plus dangereuse. Deux fois nous avons eu l'occasion de mettre notre organisation militaire à la hauteur des progrès de la science moderne, au surlendemain de Sadowa et au lendemain de Sedan. Le général Goethals était de cet avis, mais le cabinet de M. Frère, dont il faisait partie, n'osa pas le partager.
La commission de 1866 tint 23 séances et formula des conclusions très timides. Cependant le cabinet ne voulut pas les adopter et le ministre de la guerre donna sa démission le 3 janvier 1868. II avait échoué dans ses plans de réforme nécessaire.
Il ne se découragea pas et écrivit, de 1870 à 1878, diverses brochures sur un sujet qui était devenu cher à son patriotisme : Des années de la Belgique, de France et d'Allemagne, étude sir leur constitution morale et matérielle (1870) ; L'armée, quelques considérations sur ses rapports avec la société (1870) ; Du service obligatoire au point de vue de l'équité pour tous (1872) ; Le pays et l'armée (1878). Tous ces écrits, que nous n'avons pas à juger ici au point de vue technique, portent l'empreinte d'un esprit élevé, d'un soldat fidèle, d'un chef expérimenté, d’un citoyen aimant son pays.
Aide de camp du roi régnant le 28 décembre 1865, Goethals fut promu lieutenant-général en juin 1866. Au mois d'octobre 1874 il fut appelé au commandement de la circonscription militaire, qu'il échangea en juillet 1873 pour celui de la seconde. Il a été mis à la retraite en janvier 1877.
Toute sa carrière a été dominée par le sentiment du devoir militaire et de la force que réclame son pays pour une défense efficace de sa nationalité et de son indépendance. C'était un patriote. En 1835, quand il fut créé chevalier de l'ordre de Léopold, son brevet porta : « Comme récompense du dévouement dont il donna des preuves en quittant l'état-major sédentaire, où il était employé, à la première annonce de l'attaque des Hollandais en août 1831, pour rejoindre son régiment, avec lequel il fit campagne. » Ce patriotisme résolu et froid ne l’abandonna jamais, et il l'exprimait même dans la vie privée sous une forme parfois enjouée. Sous l'Empire, il vint ici nous ne savons plus quel personnage français. Un des officiers de sa suite, dans une fête à la Cour, s'entretenait avec le général des hommes et des choses de notre pays et les considérait avec une certaine fatuité. Le baron Goethals était intérieurement vexé, mais il ne le montrait pas. « Mais qui donc est ce gros bonhomme là-bas (c'était le grand maître de la maison de la Reine) ? C'est le comte de Lannoy, de la famille du général qui reçut à Pavie l'épée de François Ier, prisonnier, répondit notre compatriote.. ». Le Parisien comprit, mais un peu tard.
Les derniers moments du général Goethals ont été éclairés par un acte de foi. Il répondait difficilement depuis vingt-quatre heures aux questions qui lui étaient adressées. Le prêtre qui avait été appelé à son chevet avait été très bien accueilli par lui, mais conservait des doutes sur l'absolue sincérité de cet accueil courtois. Il demanda donc au mourant de lui fait savoir au moyen d'un signe s'il avait été compris et s'il était d'accord avec lui. Le général répondit par un énergique signe de croix !
Que son âme repose en paix et que sa loyauté militaire et son patriotisme servent d'exemple à la nouvelle génération !