Gendebien Alexandre, Joseph, Célestin libéral
né en 1789 à Mons décédé en 1869 à Schaerbeek
Ministre (justice) en 1831. Représentant entre 1831 et 1839, élu par l'arrondissement de Mons Congressiste élu par l'arrondissement de Mons(Extrait de : Th. JUSTE, dans Biographie nationale de Belgique, tome VII, 1880-1883, col. 577-586)
Alexandre-Joseph-Célestin GENDEBIEN, né à Mons, le 4 mai 1789. Il appartenait à la classe supérieure de la bourgeoisie ; son bisaïeul avait rempli pendant soixante et un ans les fonctions de bourgmestre de Dinant. Son aïeul, avocat à Liége, appelé à la direction des affaires de la maison d'Arenberg, avait aussi conservé pendant soixante années ce poste de confiance. Son père Jean-François Gendebien, avocat-pensionnaire des états de Hainaut, siégea en 1790 au Congrès souverain des Etats-Belgiques-Unis et fit ensuite .partie du Corps législatif de France jusqu'au mois de mars 1814.
Alexandre Gendebien, après avoir commencé ses humanités au collège de Tournai, les acheva au lycée de Bruxelles, d'où il sortit au mois d'avril 1808 pour étudier le droit. Reçu avocat en 1811, il épousa la fille unique de M. Barthélemy, un des membres les plus distingués du barreau de Bruxelles. Par un noble labeur, Alex. Gendebien devait aussi conquérir une des premières places dans ce barreau qui, de 1815 à 1830, compta des jurisconsultes éminents et d'autres lutteurs réservés à une haute fortune politique. En 1828, Alex. Gendebien devint un des promoteurs de l'union des catholiques et des libéraux, qui fut comme la préface de la révolution de septembre 1830.. Ardent adversaire de la. Suprématie hollandaise, il aurait voulu tirer parti de la révolution française de juillet pour secouer le joug. Il a avoué qu'il était alors réunioniste et qu'il le resta jusqu'au moment où le gouvernement provisoire, victorieux, proclama l'indépendance de la Belgique. « J'ai vu dans la révolution de juillet, - a-t-il dit, l'aurore de notre délivrance… Dès le 2 ou le 3 août, j'ai espéré, désiré la réunion de la Belgique à la France, comme le seul moyen de nous débarrasser du joug du roi Guillaume... J'ai désiré cette réunion jusqu'au moment de notre victoire du 26 septembre qui nous permit d'espérer nationalité, indépendance et liberté... .
Après les premiers troubles de Bruxelles, Alex. Gendebien avait proposé, le 28 août, d'envoyer une députation à La Haye afin d'obtenir des concessions. Les notables l'adjoignirent à MM. Joseph d'Hooghvorst, Félix de Mérode, de Sécus fils et Palmaert père.
Le 31, ils étaient reçus par Guillaume 1er. « Notre mission, écrivit Gendebien à De Potter, fut sans résultat auprès du roi, qui nous fit des promesses vagues, ne laissant entrevoir que la résolution de renvoyer Van Maanen. Nous étant rendus, d'après l'invitation du roi chez le ministre de l'intérieur (M. de la Coste), il nous dit que le gouvernement était dans une position telle, que s'il faisait droit à nos griefs, il en résulterait une insurrection en Hollande. Cette observation du ministre fut pour moi un trait de lumière, et je conçus dès lors le projet de séparation du Nord et du Midi. » Dans la soirée du 1er septembre, les délégués étaient de retour à Bruxelles. Ils y trouvèrent le prince d'Orange qui, le matin même, n'avait pas hésité à rentrer, sous la seule escorte de la bourgeoisie, dans une ville couverte de barricades. Gendebien eut avec l'héritier du trône un entretien qui ne dura pas moins de quatre heures. Il lui proposa, comme seul moyen de salut, de le faire proclamer roi des Belges, moyennant un compromis préalable. - Non, répondit le prince. La postérité ne pourra dire qu'un Nassau arracha la couronne du front de son père pour la placer sur le sien. .
Le 18 septembre, après avoir fait partie de la Commission de sûreté publique, Gendebien quitta Bruxelles pour aller, d'accord avec ses amis, chercher M. De Potter à Lille, où il lui avait donné rendez-vous. Depuis qu'il avait été condamné au bannissement, M. De Potter possédait .une popularité sans égale, et on supposait qu'il pourrait rallier les patriotes sous un seul drapeau. Gendebien, ayant échoué auprès de M. De Potter, rejoignit S. Van de Weyer à Valenciennes. Lorsqu'ils y apprirent que les troupes royales, entrées dans Bruxelles, y rencontraient une vive résistance, ils prirent la résolution de partir sur-le-champ pour se joindre aux défenseurs de la cause belge. Le 25 septembre, ils constituaient, avec MM. Rogier et d'Hooghvorst ; le gouvernement provisoire.
Bruxelles délivré, Gendebien, chargé par ses collègues d'une importante mission à Paris. Il s'agissait d'obtenir du cabinet du Palais Royal, que celui-ci ferait respecter le principe non-intervention si les Prussiens entraient en Belgique. Le 1er octobre, l'envoyé du gouvernement provisoire vit successivement le maréchal Gérard, le comte Molé et le général Lafayette. Il proposa de son chef à celui-ci le gouvernement de la Belgique, sous le titre grand-duc ou toute autre dénomination. Lafayette répondit prudemment que son grand âge ne lui permettait pas de risquer une entreprise aussi importante.
De retour à Bruxelles le 19 octobre, Gendebien fut adjoint au comité central, chargé du pouvoir exécutif. Il prit en même temps la présidence du comité de la justice. Le 18, Gendebien revenait à Paris, chargé d'une nouvelle mission. Il devait demander au gouvernement français « d’expliquer catégoriquement quelle serait sa détermination si le Congrès national, convoqué à Bruxelles, proclamait pour chef du gouvernement qu'il était chargé d'organiser, un des fils du roi des Français, quelle que fût la forme de gouvernement adoptée par le Congrès.
Gendebien revint à Bruxelles avec la conviction que la marche du gouvernement français devenait hésitante et que l'influence du prince de Talleyrand prévalait, selon ses expressions, sur l'esprit faible du roi Louis-Philippe.
Lors des élections pour le Congrès, Alex. Gendebien obtint à la fois les suffrages de Bruxelles et de Mons : il opta pour Mons. Il allait siéger avec son vénérable père, élu par Soignies, et avec son frère, ancien officier de l'empire français, élu par Charleroi. Le 18 novembre, Alex. Gendebien vota l'indépendance de la Belgique ; le 22, il se prononçait pour la monarchie. « Si nous établissions aujourd'hui la république, disait-il, elle n'aurait pas trois mois d'existence. » Le 24, il vota égale la proposition d'exclusion perpétuelle des membres de la famille d'Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique.
Au mois de décembre, Gendebien repartit pour Paris, accompagné de S. Van de Weyer. Ils étaient chargés « de traiter, de la reconnaissance de la Belgique », et devaient « consulter la cour sur le choix du souverain ». Ils trouvèrent le gouvernement indécis. M. Sébastiani, chargé des affaires étrangères, élevait beaucoup d'objections sur la reconnaissance de l'indépendance belge, sur une triple alliance à conclure avec l'Angleterre, sur le choix éventuel du duc de Nemours, sur le prince de Saxe-Cobourg, moyennant une alliance avec une princesse française, etc. M. Van de Weyer retourna à Bruxelles pour conférer avec le Gouvernement provisoire, et Gendebien resta seul à Paris. Le 2 janvier 1831, il fut reçu par le roi des Français. Il commença par exposer le sujet de sa mission. - Je regrette, dit Louis-Philippe, que le résultat de mes réflexions ne me permette pas d'accueillir comme vous le désirez, comme je le désire moi-même, les vœux de la Belgique pour mon fils, le duc de Nemours. - Si le Congrès persistait à élire votre fils pour roi, V .M. refuserait-elle de nous l'accorder ? - Monsieur Gendebien, vous êtes père d'une famille à peu près aussi nombreuse que la mienne ; vous êtes donc dans une position à pouvoir, mieux que personne, apprécier les sentiments qui m'agitent en ce moment. Il m'est doublement pénible de devoir vous dire que je ne pourrais agréer les vœux du Congrès ; une guerre générale en serait la suite inévitable. - Gendebien dit alors au roi que le second objet de sa mission était de demander son agrément pour l'élection du prince Léopold de Saxe-Cobourg et une alliance avec une princesse d'Orléans. Louis-Philippe fit un grand éloge du prince, Léopold, mais il objecta qu'il y avait « des répugnances de famille, des préjugés peut-être » qui s'opposeraient à l'union projetée.
Le lendemain, M. Sébatiani informait officiellement l'envoyé du gouvernement provisoire, que Louis-Philippe n'accepterait point la réunion de la Belgique et n'accorderait pas le duc de Nemours aux vœux des Belges. Pour des raisons faciles à deviner, le gouvernement français proposait une combinaison impossible : le choix du prince Othon, second fils du roi de .Bavière. Gendebien alla prendre congé de M. Sébastiani. L’entretien fut très vif. « ... Que nous conseillez-vous ? dit Gendebien. Le prince Othon de Bavière, le prince de Naples, deux enfants ! Deux enfants ! pour réaliser, garantir, au dedans et au dehors, les conséquences de notre révolution, les promesses de 1830... Les candidatures du duc de Nemours et du prince de Saxe-Cobourg sont seules sérieuses ; vous les repoussez toutes deux d'une manière absolue ; pour sortir de la périlleuse situation où nous place votre double refus, il ne nous reste qu'une voie : aller à Londres proposer la candidature du prince Léopold avec alliance française. Si le roi des Français persiste dans son refus, nous passerons outre ; nous prendrons le prince Léopold, sans princesse française. » Sébastiani se leva, très irrité, et dit avec colère à son interlocuteur. « Si Saxe-Cobourg met un pied en Belgique, nous lui tirerons des coups de canon ! » - « Eh bien, répliqua Gendebien, nous prierons 'Angleterre de répondre à vos canons. » De retour à Bruxelles, le 11 janvier, il fit au Congrès un rapport sommaire sur les trois missions qu'il avait. remplies auprès du gouvernement de Louis-Philippe.
Quand la candidature du duc de Nemours devint un instant prédominante en Belgique, ce ne fut point le prince de Saxe-Cobourg qu'on lui opposa, mais le duc Auguste de Leuchtenberg. Le gouvernement provisoire s'étant rallié au duc de Nemours, Gendebien s'efforça de le faire triompher. Le 1er février, il prenait la parole au Congrès et prononçait un remarquable discours. En soutenant énergiquement le prince français, Gendebien n'obéissait plus seulement à ses sympathies personnelles, mais il avait foi aussi dans les assurances du comte de Celles, qui l'avait remplacé à Paris. L'espoir de Gendebien fut déçu : Louis-Philippe n'osa pas accepter la couronne de Belgique pour le duc de Nemours ; il recula devant une guerre générale.
Après l'institution de la Régence, Alex. Gendebien devint ministre de la justice. Déjà le gouvernement provisoire l'avait appelé à la première présidence de la cour supérieure de Bruxelles, et cette haute position, Gendebien persistait à la refuser. Il finit toutefois par céder aux instances du régent et aux conseils de ses amis, mais en renonçant aux appointements attachés au ministère de la justice. En conséquence, le 8 mars ; il fut installé en qualité de premier président de la cour supérieure de Bruxelles. - Le 20, le premier ministère du régent était en pleine dissolution, au moment même où une nouvelle, conspiration orangiste tentait de détruire l'indépendance nationale. Dès le 23, pour déjouer cette conspiration qui devenait redoutable, Gendebien, avec d'autres patriotes, fondait une Association nationale. Immédiatement après, il adressa au régent sa démission de ministre de la justice et de premier président de la cour supérieure de Bruxelles. Le régent refusa d'accepter la renonciation au poste de premier président ; mais Gendebien la réitéra le lendemain.
Adversaire de la conférence de Londres, dont il ne voulait point reconnaître les décisions, il ne cessa de combattre les ministres qui, par l'élection du prince Léopold de Saxe-Cobourg et une transaction avec l'Europe, avaient pour but de clore la révolution belge. Il se prononça, avec une extrême énergie, contre l'arrangement que, sous les auspices de l'élu du Congrès, la conférence de Londres proposait à la Belgique et à la Hollande. Dans un discours commencé le 5 juillet et continué le lendemain, il combattit avec véhémence ces préliminaires de paix contenus en dix-huit articles. Le 21, une heure avant l'inauguration de Léopold 1er, il déposa sur le bureau du Congrès la déclaration suivante : . « Mon opposition n'ayant jamais eu rien d'hostile à la personne du prince de Saxe-Cobourg, pas plus qu'aux augustes fonctions qui lui ont été conférées par le Congrès, je puis, sans manquer à mes précédents, concourir à l'inauguration du chef de l'Etat. »
Le rôle d'Alex. Gendebien pendant la campagne du mois d'août 1831 fut très honorable. Lieutenant-colonel d'état-major de la garde civique de Bruxelles, il servit en réalité comme volontaire dans la compagnie des chasseurs de Chasteler. Ses deux fils aînés étaient aussi parmi les combattants, l'un dans l'artillerie, l'autre dans la cavalerie. Du reste, il resta convaincu que la catastrophe du mois d'août 1831 était due à une ténébreuse intrigue de la diplomatie. Ç'avait été sa première impression, et on ne parvint jamais à l'effacer.
Ce qui est certain, c’est que la Belgique dut payer la rançon des vaincus. Les dix-huit articles, naguère accepté par le Congrès, furent remplacés, comme bases de séparation entre la Belgique et la Hollande, par les vingt-quatre articles, que la conférence de Londres arrêta le 24 octobre 1831. Elu membre de la Chambre des représentants par le district de Mons, Gendebien s'éleva avec énergie, avec indignation, contre 1e démembrement du Limbourg et du Luxembourg. Il était surtout exaspéré contre le ministère français, qui avait joint ses instances à celles de l' Angleterre, afin d'obtenir l'adhésion du roi des Belges. - Il demeura pendant plusieurs années le chef de la gauche, c'est-à-dire d'un groupe de libéraux et de catholiques, unis par leur commune aversion contre les œuvres de la diplomatie et contre le système dit du juste milieu. En 1832, il refusa les éminentes fonctions de procureur général à la cour de cassation pour rester simple représentant.
Depuis le Congrès, il existait un violent antagonisme entre Gendebien, d'une part, MM. Lebeau et Devaux, de l'autre. Dans la séance de la Chambre des représentants du 24 juin 1833, cet antagonisme se manifesta par une scène orageuse dans laquelle intervint M. Rogier pour prendre la défense de son ami, M. Devaux. Le 26, Gendebien et Rogier se rencontraient au bois de Linthout ; l'arme désignée par le sort était le pistolet. M. Rogier fut grièvement blessé à la joue droite. Voyant tomber son ancien collègue du gouvernement provisoire, Gendebien accourut pour lui donner la main ; mais les témoins l'obligèrent à se retirer. « Mes regrets, écrivit Gendebien à S. Vande Weyer, suivirent de près le triste événement qui faillit coûter la vie à un de nos anciens collègues. ». - Deux mois après, le 23 août, Gendebien développait à la Chambre une proposition d'accusation contre M. Lebeau, ministre de la justice. Celui. ci fut défendu par M. J .-B. Nothomb, et l'assemblée passa à l'ordre du jour à la majorité de 53 voix contre 18.
Les grandes luttes auxquelles Gendebien prenait une part si active finirent par le lasser. En 1835, il voulut se retirer de l'enceinte législative, et il invita les électeurs de Mons à faire choix d'un autre mandataire ; mais, cédant aux conseils de ses amis, il se remit sur les rangs cinq jours avant l'élection et fut de nouveau réélu à une grande majorité. MM. Lebeau et Rogier avaient quitté le pouvoir au mois d'août 1834, et leur ancien adversaire supportait avec moins d'impatience l'administration dirigée par M. de Theux. Mais tout changea lorsque, en 1838, le représentant des Pays-Bas à Londres reçut l'ordre de signer le traité des vingt-quatre articles, jusqu'alors repoussé par Guillaume 1er avec une invincible obstination. Gendebien personnifiait comme chef de l'opposition le système qui était une protestation permanente contre les arrêts de la conférence de Londres. Le gouvernement belge, abandonné par la France et l'Angleterre, dut se soumettre plutôt se résigner. Après des discussions mémorables, la majorité de la Chambre des représentants adopta le traité, le 19 mars 1839. A l'appel de son nom, Gendebien s'exprima en ces termes : « Non, trois cent quatre-vingt mille fois non pour trois cent quatre-vingt mille Belges que vous sacrifiez à la peur. » Puis il écrivit sa démission de membre de la Chambre et sortit de l'enceinte législative pour ne plus y reparaître.
Quelques temps après, Gendebien donnait aussi sa démission de membre du conseil communal de Bruxelles et de bâtonnier de l'ordre des avocats. Il se consacra presque exclusivement à l'administration des hospices dont il était devenu receveur général après la mort de son beau-père, Antoine Barthélemy. Comme ses ascendants, il atteignit les limites de la vieillesse. Il avait quatre-vingt-un ans lorsqu'il s'éteignit à Bruxelles, le 6 décembre 1869. - Devant l'ancien palais de justice sa statue a été érigée par souscription nationale.
Th. Juste.
BIBLIOGRAPHIE
J. GARSOU, Alexandre Gendebien, sa vie, ses mémoires Bruxelles, Van Sulper, 1930, 521. (Comme son titre l’indique, outre une biographie, cet ouvrage contient les mémoires rédigées par A. Gendebien lui-même à la fin des années 1860. Celles-ci sont reprises sur le site, à la rubrique « documentation. »)