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Funck Jean-Michel (1822-1877)

Funck Jean-Michel libéral

né en 1822 à Bruxelles décédé en 1877 à Bruxelles

Représentant entre 1864 et 1877, élu par l'arrondissement de Bruxelles

Biographie

(DE COSTER Sylvain, dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1973, t. 38, col. 229-234)

FUNCK (Jean-Michel-Ghislain), avocat, homme politique, né à Bruxelles le 6 octobre 1822 d'une famille originaire d'Anvers, décédé dans la même ville le 8 avril 1877.

Doué d'une vive intelligence, Ghislain Funck termina rapidement ses études secondaires et entra, dit-on, à l'âge de quinze ans à l'université libre de Bruxelles, où il entreprit et acheva ses études de droit. A vingt ans, il aurait été inscrit au barreau de Bruxelles et, dès ce moment, il s'engagea activement dans la vie politique. En 1846, il s'occupa de l'organisation du Congrès libéral, qui ouvrit ses assises, le 6 juin, à l'hôtel de ville de Bruxelles.

Après les événements de 1830 qui agitèrent l'Europe, s'amorça une période de réaction née de causes complexes et qui connut des succès divers. Des libertés furent accordées. Beaucoup craignaient cependant le retour de bouleversements sociaux. Ainsi la loi sur l'enseignement primaire que Guizot fit voter en France, en 1833, comportait un programme d'études réduit à des notions utilitaires. Il ne fallait point que le peuple s'émancipât intellectuellement et accédât ainsi à une dangereuse maturité politique.

Il n'empêche que, dans les pays francophones, le socialisme romantique de Charles Fourier séduisait les intellectuels. Ghislain Funck n'y fut pas insensible. Encore étudiant, il manifesta des idées révolutionnaires et, pendant longtemps, on lui en garda rigueur dans la bourgeoisie belge. Il désirait ardemment supprimer certaines injustices sociales. Il lui semblait que la liberté - dont l'idée gagnait toute l'Europe occidentale - devait s'accompagner d'une culture progressivement dispensée à toutes les couches sociales.

Sa carrière politique s'inspire de ces préoccupations. Il désire pour notre pays une liberté réelle acquise grâce au développement de l'instruction publique.

Avocat, il plaida le procès intenté au journal La Nation, dont certains articles avaient été considérés comme offensants envers le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte. Il obtint l'acquittement. Il devait plus tard s'élever avec une rare vigueur contre le régime politique instauré en France après 1851. Cette attitude lui valut l'amitié des proscrits français, tels Louis Blanc, Etienne Arago, Edgard Quinet et Victor Hugo, avec qui il se lia.

Il se présenta, sans succès, aux élections législatives de 1859. La confiance des électeurs lui fut toutefois acquise en 1864. Il fut réélu député quatre fois consécutives.

En 1861, il entra au conseil communal de Bruxelles ; l'année suivante, il devient échevin de l'Instruction publique. Il était âgé de quarante ans et donna rapidement la mesure de sa valeur.

C'est à cette époque, en effet, qu'il rencontra la grande pédagogue Isabelle Gatti de Gamond. Elle l'intéressa au problème de l'éducation des jeunes filles, fort négligée à ce moment. Cette personnalité remarquable avait conçu l'idée de former, grâce à la constitution d'un enseignement secondaire, des femmes instruites dans des domaines qui leur étaient - pour la plupart - étrangers : la philosophie, les sciences, l'histoire et les langues vivantes. Ghislain Funck accueillit son projet.

Le conseil communal de la ville de Bruxelles vota, grâce à lui, en 1864, l'ouverture d'un cours d'éducation, véritable établissement d'enseignement secondaire. La lecture de la presse de droite de cette époque révèle bien des critiques dont cette initiative fut l'objet. Ghislain Funck y demeura insensible. L'institution nouvelle connut immédiatement un succès considérable.

Ghislain Funck se rendait compte, cependant, qu'il n'avait œuvré que pour les jeunes filles des classes aisées de la société bruxelloise. Il estima que cette création devait se doubler d'une autre, au bénéfice des enfants de la classe ouvrière.

Il se réjouit dès lors de la tentative d'un grand mécène de l'époque, le sénateur Jonathan-Raphaël Bischoffsheim, de constituer une Association pour l'Encouragement de l'enseignement des femmes, dont il devint aussitôt le vice-président. Grâce à son intervention au conseil communal, la ville de Bruxelles contribua à l'ouverture, en 1866, d'une école professionnelle pour jeunes filles, appelée École puis Institut Bischoffsheim. Les promoteurs désiraient soustraire les jeunes filles à la promiscuité des ateliers, leur apprendre une profession susceptible, grâce à la qualité des connaissances acquises, de les arracher à l'exploitation de certains chefs d'entreprise. Les options comprenaient notamment la couture, le commerce et les métiers d'art. Le succès couronna une fois encore cette initiative.

Insatiable, Ghislain Funck devait, en 1873, créer une seconde école du même genre ; elle porte son nom, à juste titre, et est actuellement spécialisée dans l'enseignement commercial et linguistique au niveau supérieur.

Dans le même temps, il s'intéressait aux écoles primaires communales.

A l'instar de Victor Hugo, qui exerça sur bien des précurseurs belges une influence considérable, il pensait que seule l'instruction du peuple était susceptible d'assurer à celui-ci la dignité et le pouvoir de participer à la vie de la nation. Aussi allait-il consacrer le reste de son existence à promouvoir l'émancipation de la classe ouvrière. Pour comprendre cette orientation finale de sa carrière politique, il importe de ne point négliger le choc psychologique et moral produit, en 1865, par la publication de L'Instruction du peuple, ouvrage dû à la plume de Pierre Tempels. Ce livre bouleversant révélait le sous-développement de la population des campagnes et des villes.

Les superstitions et l'ignorance allaient de pair avec les misères sociales les plus graves : mortalité infantile, absence d'hygiène, logements insalubres, maladies abrégeant la vie des adultes, manque de biens matériels les plus élémentaires, alcoolisme, etc. Dans ce sombre tableau, l'auteur comparaît l'arriération de l'enfant du peuple avec l'avancement de l'enfant du riche. Il proposait des remèdes : le plus important et le seul efficace apparaissait être la diffusion du savoir et de la culture dans les classes sociales défavorisées.

Dans la brochure qu'il publia en 1870, Libéralisme, aux électeurs de Bruxelles (Bruxelles, Lebègue et Cie, 142 pages), Ghislain Funck traite notamment de la révision de la loi sur le travail des enfants et de la nécessité du vote d'une loi sur l'instruction obligatoire.

Il déposa d'ailleurs, la même année, sur le bureau de la Chambre des représentants, le premier projet de loi en ce sens. Ce projet ne fut pas mis en discussion, la droite s'y opposant. Son auteur eut beau insister (il le représenta avec obstination à chaque législature), on se moquait de lui. On lui assurait que « son projet était enterré d'avance ». Il ne se lassa point.

Ghislain Funck était de ces hommes qui, ne recherchant pas les honneurs, possèdent un courage d'autant plus serein. Il aimait se dévouer à la chose publique, défendre ses idées quand il les jugeait favorables au progrès. Il savait s'armer de patience pour réaliser ses desseins.

En 1870, il quitta l'échevinat de l'Instruction publique pour assumer la charge du contentieux de la ville de Bruxelles, dont il devint le premier échevin. Il craignait, à ce moment, que le bourgmestre Jules Anspach ne disparût prématurément : il était persuadé que ses amis politiques lui eussent proposé de le remplacer. Sans doute eût-il refusé : ce juriste se refusait aux intrigues. Il avait son franc-parler et ne pratiquait point l'habileté parfois nécessaire en politique.

La fièvre typhoïde rendit vaines ses appréhensions. Elle l'emporta en effet en quatre jours. Il était âgé de cinquante-cinq ans.

Le roi Leopold II l'avait pris en affection. Il le recevait parfois à sa table. Ce grand monarque, si peu compris de ses compatriotes, devait aimer s'entretenir avec cet homme simple et convaincu, dont les conceptions progressistes, tout comme les siennes, allaient au-delà de leur époque.

Ghislain Funck n'avait pas prévu que la véritable émancipation du peuple se fît grâce à la mobilité sociale. Utilisant les ressources de l'enseignement, les parents de la classe ouvrière allaient, au lendemain de la guerre 1914-1918, aider leurs enfants à gravir les échelons de la hiérarchie sociale. Mais pour que cette opération puisse avoir lieu, il fallait au préalable rendre obligatoire l'instruction primaire. Ce fut pour Ghislain Funck un mérite exceptionnel d'avoir proposé celle-ci à la Chambre des représentants trente-quatre années avant son instauration.