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Dupont Emile (1834-1912)

Portrait de Dupont Emile

Dupont Emile, Joseph libéral

né en 1834 à Liège décédé en 1912 à Liège

Représentant entre 1864 et 1890, élu par l'arrondissement de Liège

Biographie

(Le Sénat belge en 1894-1898, Bruxelles, Société belge de librairie, 1897)

(page 293) DUPONT, Émile-Joseph

Sénateur libéral pour l’arrondissement de Liége. Second vice-président du Sénat.

Né à Liége, le 23 juin 1834.

M. Dupont est l'un de nos plus anciens parlementaires. Il fut durant vingt-six ans le représentant de Liége (1864-1890).

Le 18 novembre 1890, il entra au Sénat, dont il occupe la deuxième vice-présidence depuis 1892.

(page 294) L'honorable membre compte donc, à ce jour, trente-deux années de vie parlementaire.

M. Dupont a été reçu docteur en droit à l'université de Liége en 1858 ; il se fit inscrire au tableau de l'ordre de la cour d'appel de cette ville, et fut par deux fois, en 1886 et en 1890, élu bâtonnier.

En mai 1862, les électeurs du canton de Liége le nommèrent conseiller provincial et pendant trois années il remplit les fonctions de secrétaire de cette assemblée.

Le 11 août 1864, l'arrondissement de Liége l'envoya siéger à la Chambre, où, pendant plus d'un quart de siècle, il prit une part considérable à presque toutes les questions qui furent discutées.

L'activité parlementaire de M. Dupont a, en effet, peu de pareilles. Nul débat sans qu'il y intervienne. Il faudrait plusieurs pages rien que pour énumérer les discussions auxquelles il participa, toujours avec une autorité et une compétence qui en imposaient tant à ses adversaires qu’à ses amis politiques. Sa science profonde de jurisconsulte et ses connaissances extrêmement variées en matière de législation, de sociétés et d’administration ont toujours donné le plus grand intérêt à sa participation aux débats.

D’une très grande activité tant dans sa vie privée que dans sa vie politique, M. Dupont a véritablement la passion du travail et de l’étude. Nature énergique, caractère tenace (page 295) presque jusqu'à la témérité, mais toujours avec cette physionomie franche et ouverte, avec cette verve amusante qui caractérise le Liégeois.

C'est le 18 novembre 1890 que l'arrondissement électoral de Liége lui conféra le mandat de sénateur, laissé vacant à la mort de M. le comte de Looz-Corswarem et, depuis cette époque, le rôle qu'il y joua le plaça au premier plan de cette haute Assemblée.

Dans la séance du 26 juillet 1892, M. Simonis, en présence des graves questions révisionnistes qui allaient être soulevées et discutées, renonça, aux applaudissements unanimes de l'assemblée, à la seconde vice-présidence qu'il occupait, en faveur d'un membre de la minorité qu'il désirait voir représenter au bureau en vue d'arriver plus facilement à l'entente des partis. Le choix de la gauche tout entière se fixa sur M. Dupont, à qui fut confiée la seconde vice-présidence du Sénat, qu'il occupe encore actuellement.

Citons, parmi ses principaux discours, ceux sur la procédure pénale, les contrats de transport, l'organisation des cours d'appel, les pensions civiles, militaires et ecclésiastiques, l'assistance publique, la juridiction des référés en matière commerciale, l'hypnotisme, les traitements d'attente des instituteurs, l'interdiction des jeux dans les établissements publics, l'achèvement des fortifications de la Meuse, la révision constitutionnelle, le code de procédure pénale, le code électoral, les vices rédhibitoires en matière de ventes ou d'échanges d'animaux domestiques, les droits d'entrée, les enquêtes en matière sommaire, l'instruction primaire, et pendant la session qui vient de s'écouler (1895-1896) ses discours sur l'inspection du travail lors de l'interpellation de Vercruysse au sujet d'une circulaire ministérielle, sur les règlements s'atelier, les droits successoraux du conjoint survivant, etc.

Tant à la Chambre qu'au Sénat, il a été le rapporteur d'un nombre considérable de projets de loi.

Il y a, parmi ces rapports, des travaux dont l'importance (page 296) est très grande et qui prennent parfois l'extension de véritables volumes ; au nombre des derniers, nous citerons entre autres le rapport qui fut déposé à la fin de la session dernière sur le projet de loi relatif aux droits successoraux du conjoint survivant, rapport qui constitue un commentaire précieux de la loi.

L'honorable sénateur de Liége prend part chaque année à la discussion de presque tous les budgets.

Lors de la révision de la Constitution, M. Dupont se vit désigner comme vice-président de la Commission des XXI de la haute Assemblée pour procéder à l'examen des propositions soumises à ses délibérations.

Il combattit le système de l'habitation, présenté par le gouvernement, et se prononça pour l'attribution du droit de suffrage à tous les Belges, âgés de 25 ans, qui possèdent les éléments essentiels de l'instruction primaire. Il déposa, en outre, une proposition transactionnelle qui accordait l'électorat à tous les Belges, pères de famille et âgés de 35 ans.

Partisan depuis longtemps de la représentation proportionnelle, il en demanda l'application aux élections législatives. Il repoussa le suffrage universel pur et simple par le motif qu'il constituerait, à son avis, un danger pour la prospérité et l'indépendance du pays.

Notons, au Sénat, l'abstention de M. Dupont lors du vote relatif à la convention avec le Congo. Sans se déclarer systématiquement hostile à la politique coloniale, il ne se sent pas suffisamment renseigné pour engager le pays dans une affaire aussi grave.

Dans la discussion de la loi sur les droits d'entrée, il s'opposa aux projets protectionnistes du gouvernement ; il considérait la politique économique qu'on voulait inaugurer comme tendant à diminuer le bon marché de la vie ouvrière, auquel on ne doit porter aucune atteinte parce que c'est l'élément essentiel de notre prospérité industrielle, notre moyen de défense contre la concurrence qui nous est faite (page 297) par l'étranger. Notre pays, disait-il, ne peut nourrir sa propre population, la plus dense du monde, et c'est au dehors que nous devons acheter les denrées qui sont nécessaires pour notre alimentation, ainsi que beaucoup des matières premières de notre industrie.

Dans la question scolaire, conformément à l'attitude prise de tout temps par la députation liégeoise, M. Dupont défendit le principe de l'enseignement public placé sous la direction exclusive de l'autorité civile. Tout en donnant son approbation aux dispositions de la loi ayant trait à l'avancement et à la fixation du traitement du corps enseignant, il refusa d'approuver l'ensemble de cette législation, dont le but, selon lui, était, en fait, de rendre l'enseignement complètement confessionnel, même dans les écoles publiques, et d'obliger le trésor à entretenir les écoles libres, ayant un caractère strictement confessionnel : double but qu’il déclarait en opposition avec les principes mêmes de la Constitution.

Enfin, le projet de loi sur les règlements d'ateliers, qui est encore un de ceux dans la discussion desquels M. Dupont intervint en ces derniers temps, eut l'avantage d'obtenir l'approbation de l'honorable sénateur.

II considérait cette loi comme une transaction avantageuse intervenue entre les différents intérêts en présence dans le monde de la production industrielle et, par conséquent, un grand moyen de pacification sociale.

Aux élections de 1894, M. Dupont a obtenu au second tour de scrutin 48,422 voix, soit plus de 13,000 voix de majorité sur ses compétiteurs catholiques.

M. Dupont est commandeur de l'Ordre de Léopold.

Adresse : rue Rouveroy, 8, à Liége.


(Extrait de la Meuse, du 12 mars 1912)

Mort de M. Emile Dupont, Ministre d'Etat, vice-président du Sénat

Une grande figure vient de disparaître : M. Emile Dupont, ministre d’Etat, vice-président du Sénat, est mort mardi matin, à 5 heures, des suites d’une pneumonie. Rien ne faisait prévoir une fin aussi brusque : jeudi et vendredi, il avait encore plaidé au Palais, où l’on admirait sa verte vieillesse. Naguère, sa robuste constitution avait vaincu une cécité menaçante. Le 4 février dernier, il était à son poste en excellente santé, à l’assemblée générale de l’Association libérale. Il y a quelques jours, il interpellait avec éloquence M. de Broqueville sur la question du détournement des grands express, qui lui tenait tant à cœur.

Et voilà que, samedi, il éprouva un léger malaise ; le soir, il dut s’aliter. C’était la pneumonie, qui est des résultats foudroyants.

La nouvelle de la mort du grand avocat et du parlementaire éminent que fut Emile Dupont provoqua en ville une émotion profonde.

Il était né à Liége en 1834. Son père était professeur de droit romain à l’université de Liége. Il fit de brillantes études juridiques et conquit son diplôme de docteur en droit en 1858.

L’homme politique

Sa carrière politique fut féconde. Orateur clair, précis et persuasif, sachant rendre attrayantes les questions les plus arides, il joua un rôle parlementaire des plus importants. Il débuta en 1862 au conseil provincial, dont il fut élu le secrétaire.

En 1864, son talent lui valut un mandat législatif. Il fut représentant de 1864 à 1890, année où il entra au Sénat, où il ne cessa de siéger.

C’est à lui en grande partie que l’on doit l’importante loi sur les sociétés de 1873.

Il prit une part active à tous les débats parlementaires. Libéral ardent et convaincu, il défendit constamment et avec ardeur le principe de l’indépendance du pouvoir civil.

Les discours qu’il a prononcés sont innombrables et tous marqués au coin du bon sens et d’une science juridique profonde.

Aussi ses collègues du Sénat lui rendaient-ils hommage chaque année, depuis 1892, en l’appelant à la seconde vice-présidence de la haute assemblée.

A la Chambre et au Sénat, il s’occupa de la procédure pénale des contrats de transport, de l’organisation des cours d’appel, des pensions civils, militaires et ecclésiastiques, de l’assistance publique, de la juridiction des référés en matière commerciale, de l’interdiction des jeux dans les établissements publics, de l’achèvement des fortifications de la Meuse, de la révision constitutionnelle, du code de procédure pénale, du code électoral, de l’instruction primaire, de l’inspection du travail, des droits successoraux du conjoint survivant, etc.

Lors de la révision de la Constitution, il avait été élu vice-président de la Commission des XXI chargée de procéder à l’examen des propositions soumises à ses délibérations relatives aux modifications de l’article 47.

C’est Emile Dupont qui combattit les projets protectionnistes du gouvernement clérical. Dans la question scolaire, il défendit avec une grande élévation de pensée le principe de l’enseignement public placé sous la direction exclusive de l’autorité civile et l’on sait combien il s’intéressait à l’instruction du peuple et à l’organisation de notre défense nationale.

On le voit, sa carrière fut noble et bien remplie et ses adversaires politiques ne peuvent que rendre hommage à l’autorité de son talent, à la droiture de son caractère, à la générosité de son cœur.

En nommant le 6 mai 1907 Dupont ministre d’Etat le roi Léopold II répondit au vœu unanime de la nation, comme le roi Albert vient d’y répondre en appelant à cette haute dignité un autre libéral liégeois, M. Xavier Neujean.

C’est une grande figure qui disparaît, disions-nous au début de cet article. Oui, certes, et c’est aussi et surtout une grande figure wallonne qui va nous manquer.

Emile Dupont était un Wallon ardent et militant, profondément résolu à défendre les droits de la Wallonie, filialement amoureux de son pays natal. On se rappelle ses interventions énergiques au Sénat dans toutes les questions où les droits des Wallons se trouvaient en péril.

Est-il d’autre part besoin de dire avec quelle ferveur il s’occupait de la question des grands express dont il sentait tout l’importance fondamentale pour le pays de Liége et de la question de la rectification de la Meuse ?

L’an prochain on allait célébrer son cinquantenaire politique ; car il état le plus ancien parlementaire du pays.

La mort d’Emile Dupont endeuille le parti libéral et la Wallonie ; c’est une perte irréparable pour notre pays que la disparition d’un homme de son intelligence, de sa valeur morale et de son caractère.

L’avocat

« C’est aujourd’hui grande fête au Palais de Justice ! C’est la fête des anciens qui se souviennent et vous apprécient depuis longtemps, c’est la fête des jeunes auxquels vous servez de modèle. »

Ces paroles, par lesquelles feu Me Julien Warnant, alors bâtonnier de l’Ordre, commençait son discours le 11 avril 1908, lors du Cinquantenaire professionnel de Me Emile Dupont, revêtaient aujourd’hui une mélancolie intense et une vérité nouvelle par les contraste avec la situation actuelle.

Car c’était grand deuil au Palais à cause de la disparition de celui qui y tenait une place si grande par son talent, par son autorité ; par sa science juridique, par la dignité de sa vie.

La nouvelle de cette mort inopinée a causé une véritable stupeur. M. Dupont était vendredi dernier à la barre de la première chambre du tribunal, où il plaidait contre Me Van Marcke.

Il occupait au Barreau le premier rang. Il a hautement honoré l’Ordre des Avocats. Ceux-ci avaient pour lui une réelle vénération. Sa présence à la barre dans un procès donnaît à ce procès une ampleur qu’il n’aurait pas pris sans lui.

Il meurt en pleine gloire, en pleine possession d’un des talents les plus variés, les plus complets que l’on puisse imaginer.

Jamais son esprit n’avait eu plus de lucidité et de pénétration, jamais sa mémoire n’avait été plus sûre et plus fidèle, sa documentation plus complète, sa langue plus précise et plus ferme.

Il n’y a pas quinze jours qu’il terminant les débats d’une affaire de brevets des plus complexes, débats qui durèrent huit audiences, qu’il avait apporté la (mot illisible) d’une science juridique sans bornes.

Et on se souvient encore de cette magistrale plaidoirie, il y a quelques semaines, dans la poursuite correctionnelle qui fut la conséquence de l’agression contre M. l’ingénieur Bailly, à Jemeppe.

Me Dupont apportait dans ses relations avec ses confrères une amabilité, une courtoisie extrême. Les jeunes avocats trouvaient près de lui u guide sûr et un appui certain. Les nombreux stagiaires qui ont fréquenté son étude conservaient pour leur ancien patron une affection dévouée qui avait quelque chose de touchant.

Me Dupont avait prêté serment le 19 avril 1858. Il était, par rang d’ancienneté, le troisième au tableau de l’Ordre des avocats.

Ses confrères l’appelèrent à quatre reprises, aux honneurs du bâtonnat. Sa réputation s’étendait, d’ailleurs, dans le pays entier. Il fut, par deux fois, nommé président de la fédération des avocats belges.

Il a attaché son nom à une création appelée à rendre aux jeunes avocats les plus signalées services ! Ce fut lui, en effet, qui, en 1861, fonda, avec M. Léon Polain, le toujours regretté président de la cour d’appel, la Conférence du jeune barreau. Par son zèle, par son dévouement, il lui inculqua une vitalité et une prospérité que, malheureusement, elle ne possède plus aujourd’hui.

Comme avocat, Me Emile Dupont a brillé également dans tous les domaines. Que ce fut dans les affaires civiles, dans les débats commerciaux, dans des questions industrielles, son autorité, son érudition s’affirmaient avec la même vigueur.

Faisait-il une incursion devant les tribunaux répressifs, aussitôt il occupait la première place.

Dans le compte-rendu qu'il' donna de la fête inoubliable qui eut lieu, le 11 avril 1908, à l'occasion des noces d’or de Me Dupont avec le Barreau, le Journal des Tribunaux apprécie ainsi le talent du jubilaire.

« Emile Dupont, c'est le juriste éminent, démêlant avec aisance le sens des lois les plus obscures, imbu des principes, instruit de la jurisprudence ; c'est l'orateur à la parole persuasive, écouté avec tant de déférence par les magistrats ; c’est le conseil clairvoyant, d’une perspicacité toujours en éveil, d’une finesse et d’une sûreté de jugement étonnantes, d'un rare sens pratique, d'un sens critique plus affiné encore, soutenus par une mémoire exceptionnelle qui lui permet d'accumuler sans jamais en rien perdre ; des trésors d'expérience et d'érudition. Observateur perspicace, il démêle les mobiles avec une aisance qui déconcerte ; négociateur habile, conciliant, sachant concéder les choses justes, il a transigé plus de litiges qu'il n'en a plaidé. Mais c'est par-dessus tout l'homme loyal et droit dans lequel l'on peut placer sa confiance avec la certitude qu'elle ne sera jamais déçue; c'est l'homme sage, ennemi de toute exagération, n’en commettant jamais, n'en laissant jamais commettre. Car une exacte pondération est encore un des traits saillants de son caractère. »

Ecoutez-le plaider...

II parle, et la conviction, petit à petit, s'insinue dans les esprits pour y régner bientôt en maîtresse. Comment ses auditeurs lui résisteraient-ils ? Il ne les violente pas, il ne cherche point à les entraîner ; il les persuade.

Sa dialectique est puissante et redoutable, mais elle se cache sous tant de simplicité que l'on s'en trouve captif sans avoir même aperçu sa force.

Il y a quelques années, l’un de ses confrères disait : « Il est partout à sa place. » Bien banale peut-être cette réflexion, mais combien juste à son égard !

« Les circonstances les plus diverses ne l’ont jamais pris au dépourvu ; grande ou petites, tragiques ou joyeuses ; elles l'ont toujours trouvé prêt à se mesurer avec elles. Quelle que fut leur niveau, il a toujours atteint, sans un effort, sans sembler se baisser, si elles sont petites. sans avoir à se hausser si elles sont grandes. »

A cette cérémonie, Me Warnant, bâtonnier, prit, le premier la parole et fit éloquemment et chaleureusement l’éloge du maître.

Puis ce fur Me Beernaert, président de la fédération des avocats, qui termina ainsi, en rendant ce spirituel hommage à la modestie du héros de la manifestation :

« La caractère et le talent de Me Dupont rejaillissent sur ses confrères et sur la fédération qui les unit, et je m’applaudis d’avoir eu l’honneur de le dire en son nom. J’en aurais dit bien davantage si Dupont n’était pas ici. »

Prirent ensuite la parole :

Me Lacroix, au nom des stagiaires ; Me Paul Forgeur, au nom de la Conférence du jeune barreau ; Me Ebeerhard et Me Decroon, au nom des avoués.

Jamais on ne vit le barreau fêter un jubilaire avec une telle unanimité, avec un tel élan d’admiration. Sa haute personnalité s’imposait à tous.

Un télégramme avait dû la veille apporter au jubilaire les félicitations royales. En voici le texte :

« Permettez-moi, à l’occasion du 50ème anniversaire de votre entrée au barreau, de féliciter vivement et avec gratitude, l’éminent avocat dont le talent m’est bien connu.

« Permettez-moi de lui adresser, à l’occasion de ce jubilé, les vœux que je forme pour son bonheur et que me dicte un sincère attachement.

« Léopold. »

Quelques jours plus tard, c’était la cour d’appel qui, en audience solennelle, toutes chambres réunies, félicitait Me Emile Dupont, par l’organe de M. Ruys de Berrenbroeck, premier président.

Lorsque le maître avait été, le 6 mai 1907, nommé ministre d’Etat, M. Delgeur, président, au nom du tribunal lui avait dit l’admiration que la magistrature ressentait pour sa haute valeur et pour son noble caractère.

Ce mardi, les manifestations se sont produites encore, mais manifestations de deuil et de tristesse pour la perte que fait le monde judiciaire d’une des personnalités qui l’honoraient le plus.

A la première chambre de la cour d'appel, M. le conseiller Waxweaer, qui présidait, a rendu hommage à la mémoire du grand disparu. Et M. Demarteau, premier avocat général, au nom du Parquet ; Me Neujean père, ancien bâtonnier, au nom du Barreau ; Me Jacob, au nom des avoués, se sont associés à cet éloge funèbre.

A la quatrième chambre correctionnelle, ce furent M. le président Masius, M. l’avocat général Bodeux, Me Goblet, ancien bâtonnier, qui rendirent un hommage ému à Me Dupont.

Au tribunal de commerce, c'est M. le juge Aux. Francotte, présidant l’audience, qui a annoncé la triste nouvelle. Et Me Bounameaux a exprimé les regrets du Barreau.

M. Emile Dupont était le père de MM. Léon Dupont, avocat, et Georges Dupont, Biar, ingénieur à la Vieille-Montagne ; le beau-frère de MM. Charles Desoer-Dupont ; Emile Digneffe-Dupont et Louis Spaak-Dupont.

Le défunt était grand officier de l’Ordre de Léopold et de la Légion d’honneur.

Le Parlement et la mort de M. Dupont

La Gauche libérale de la Chambre a adressé cette après-midi à Mme Emile Dupont le télégramme suivant :

« Le bureau de la Gauche libérale de la Chambre vous adresse avec une douloureuse émotion ses condoléances les plus sincères dans le grand deuil qui vous frappe cruellement et auquel le pays et le parti libéral prennent la part la plus vive. Signés ; les présidents, Janson et Neujean ; les secrétaires P. Hymans et Lemonnier.

Le Sénat assistera en corps aux funérailles de son vice-président.


(Extrait de la Meuse, du 13 mars 1912)

La Wallonie vient de faire une perte immense : un de ses défenseurs, le plus autorisé et le plus vaillant, Emile Dupont, est mort. Avec lui une grande voix s'est éteinte : cette voix ne retentira plus pour la grande cause qui nous est chère.

La Meuse a fait hier, l'éloge de l'homme politique et du grand avocat que fut Emile Dupont. C'est au Wallon, qu'il ne cessa d'être valeureusement, que nous voulons porter notre maintenant notre hommage.

Ah ! l'aimait-il sa terre wallonne d'un amour fervent et passionné ! Il ne laissait passer aucune occasion d'affirmer cet amour. Dans la question du détournement des grands express internationaux il avait, jusqu'en ses derniers moments, fait preuve d'une inlassable activité. On le voyait à toutes les réunions où cette grave question était débattue. II sentait et comprenait le très grave péril dont le pays de Liége est menacé. A tout prix il voulait que Les Liégeois se rendissent compte du danger.

Au Sénat il multiplia ses interpellations et ses questions à ce sujet. Il voulait arracher aux ministres des paroles décisives. II paya de sa personne en de nombreuses démarches et jamais son appui ne nous fit défaut.

Il en fut de même au cours de toute son admirable vie de travail pour la défense des droits des Wallons contre les insolents du flamingantisme.

Il faisait partie de tous les organismes de défense wallonne. II s'était fait inscrire le premier au Congrès wallon de 1905 et il prit la parole à la cérémonie d'inauguration de ce Congrès dans la salle académique de notre université.

Les revendications outrancières et vexatoires des flamingants l'exaspéraient et ce grand vieillard, ministre d'Etat, vice-président de la Haute-Assemblée, trouvait alors des accents intensément émouvants pour traduire les sentiments qui agitaient son âme. II voulait très sincèrement la justice pour les flamands comme pour les wallons ; mais il avait en horreur les vexations, parce qu'il savait que rien n'est plus redoutable, plus meurtrier qu'une lutte de races.

Et c'est Emile Dupont qui, cependant, avait le respect profond de notre unité nationale, c'est lui qui, un jour, la suite d'excès flamingants, évoqua au Sénat le fantôme de la Séparation. [Note pour la version numérisée : le 9 mars 2010, voir texte intégral de cette intervention ci-dessous]

Les paroles qu’il prononça dans cette circonstance eurent un retentissement prolongé dans le pays et elles firent comprendre à ceux qui, jusque-là, restaient obstinément sourds aux clameurs grondantes de la Wallonie qu'il est des limites qu'il ne faut jamais franchir.

Aussi, la Wallonie tout entière doit-elle à ce grand soldat de notre cause une gratitude infinie.

Puisse son noble exemple être suivi par tous nos hommes politiques wallons.

Mestré.


(Extrait de la Meuse, du 13 mars 1912, deuxième édition)

De la Dernière heure, cet hommage à la mémoire d’Emile Dupont :

« Le parti libéral tout entier ressentira douloureusement la perte de M. Emile Dupont. Le vénérable ministre d’Etat appartenait, en effet, à cette série de grands libéraux dont la sagesse, la largeur de vue et la fermeté inébranlable de la conscience font en quelque sorte des représentants nationaux de l’idée libérale.

« Et ce n’est pas seulement par la longue durée de ses mandats législatifs ou sa grande expérience des affaires publiques qu’il avait à la longue conquis cette situation morale si élevée. Son activité avisée, son bon sens bien connu, ainsi que la sérénité de son esprit lui avaient valu depuis longtemps une réputation qui' le faisait en quelque sorte planer toujours au-dessus des contingences politiques au moment.

« L'âge n'était point parvenu à le lasser ni à diminuer son ardeur combattive. Avec une indépendance de caractère qu’on ne saurait assez louer, il n'avait pas craint, durant les tristes années du dernier règne, de manifester avec toute l'énergie dont il était capable combien il réprouvait la politique personnelle dont la veulerie du parti clérical et son amour de l'argent étaient les principaux responsables.

« Lors de la discussion des projets d'annexion, M. Dupont exprima avec éloquence, au Sénat, toutes ses appréhensions, toutes les critiques que soulevait la politique gouvernementale, et il défendit les intérêts du pays jusqu'au bout.

« Au moment où le fléchissement des consciences s'accentuait le plus dans les sphères dirigeants du pays, M. Dupont ne voyait toujours que la satisfaction intime de sa conscience de mandataire loyal du parti libéral. Au moment où les ministres cléricaux rampaient devant le trône de Boula-Matari, M. Dupont seul ministre d'Etat libéral tenait tête à l'absolutisme, et restait debout parmi toutes ces échines courbées comme un exemple de ce qu'auraient être de dignes ministres de la Belgique.

« Ce sont là des événements qui permettent à un homme d'Etat de donner la mesure de sa dignité et de son caractère.

« L'esprit libéral pénétrait toute sa pensée, dans les multiples domaines où se manifesta son activité : toujours il mit son talent et son autorité au service des progrès démocratiques les plus généreux.

« L'enseignement public perd en lui un défenseur ardent ; adversaire résolu du subside officiel aux écoles confessionnelles. il avait tout naturellement adhéré avec enthousiasme au mouvement d'opposition au bon scolaire ; il n'aura pas la joie de voir luire le jour où l’enseignement public reprendra la place qu'il n'aurait jamais dû perdre dans notre pays.

« M. Emile Dupont a loyalement, brillamment et généreusement servi la cause libérale. Il jouissait parmi ses adversaires d'une autorité égale à celle qu'il avait chez ses amis. Sa vie tout entière honore son parti. Le libéralisme belge se souviendra de lui comme il se souvient des Rogier, des Frère-Orban, des Bara des Van Humbeek, des Graux, des Rolin-Jaequemyns... »

La Gazette de Bruxelles apprécie ainsi l'homme politique dont le parti libéral pleure la perte :

« Le parti libéral vient de perdre de ses vétérans, l'un des hommes qui le représentaient le plus dignement M. Emile Dupont est mort hier à Liége ; brusquement s’arrête une carrière que l'on pouvait espérer longue et active, et utile.

« Il y avait près de cinquante ans qu’il siégeait au Parlement - il était entré à la Chambre en 1864, il y avait siégé jusqu'en 1890 et depuis faisait partie, sans interruption, du Sénat. Il y a quatre ans on avait célébré lé cinquantième anniversaire de son entrée, à 24 ans, - il était né en 1834 - au barreau, et dans quelques mois. on allait fêter ses noces d'or avec le parti libéral ; il avait été conseiller provincial du canton de Liége en août 1862.

« Avocat de grand talent, de talent sobre, classique, esprit clair, ferme et calme, répugnant aux excès de langage, Emile Dupont avait pris au Sénat une très large place.

« Il y était le leader incontesté de la Gauche et était, depuis 1892, vice-président de la Haute Assemblée. En 1907, il avait été fait ministre d'Etat, et l'on se rappelle que, récemment, le Roi l’avait fait appeler à Bruxelles, lors de la crise provoquée par le projet Schollaert, pour le consulter, pour savoir, par lui, le sentiment du pays libéral.

« Ce sentiment, il était particulièrement qualifié pour l'exprimer avec autorité. Ce libéral du passé, ce modéré, cet esprit plein de traditions – il représentait un peu les tendances libérales des hommes de robe de jadis - avait su accorder ces traditions à l'idéal nouveau et aux nécessités présentes, se rallier aux réformes aujourd'hui réclamées par le parti libéral rajeuni. Par cela, sa personnalité avait quelque chose d’émouvant et était représentative de I histoire de son parti, du caractère de ce parti pour lequel des tâches ne sont jamais achevées, qui veut assurer l'évolution pacifique des idées et des institutions.

« Le parti libéral perd en Emile Dupont une des personnalités qui l'honoraient le plus. »


(Extrait de La Meuse, du 16 mars 1912)

Les funérailles d’Emile Dupont

La Meuse rose d'hier a publié une relation complète des imposantes et solennelles funérailles faites au grand citoyen et au wallon militant que fut Emile Dupont. Elle a donné un résumé de tous les discours qui ont été prononcés à l’hôtel de ville. Voici le texte de deux de ces discours qui ont profondément ému l'assistance.

Discours de M. Berryer

M. Berryer, ministre de l’intérieur, a parlé au nom du gouvernement et s’est exprimé en ces termes :

« Messieurs,

« Le pays attend certainement du gouvernement qu'il rende en ce jour de deuil, à la mémoire du citoyen qui vient de tomber en pleine activité, l'hommage de son admiration et sa gratitude. La ville de Liége a la fière ambition de voir l'Etat s'associer à la manifestation de douloureuse sympathie dont elle entoure aujourd'hui le départ d'un des meilleurs de ses enfants. Au nom du gouvernement du roi, j’obéis à cet appel pour remplir. avec une patriotique sincérité, le triste devoir qu'impose l'épreuve commune.

« Au moment où ma parole doit fournir le premier écho à la plainte qui, de tous les rangs de la population, monte vers ce grand cercueil, quelle est bien celle qu'il faut retenir la première de toutes les manifestations d'attachement à nos institutions, à nos chères libertés. d'amour immense pour la Patrie qui se pressent dans la vie d'Emile Dupont ?Le Sénat, le barreau, les divers corps dont il fit partie et auxquels il voua, avec une égale générosité les incomparables ressources de son intelligence et de son cœur, loueront l'excellence de sa collaboration et s'attristeront du vide que crée sa mort. Le Parti qu'il a servi, avec une inaltérable fidélité remémorera ses directions et les progrès réalisés par son concours. II essaiera de mesurer la place qu'il délaisse et la perte subie.

« Ces tâches ne sont les miennes.

« Mais, s'il ne n'appartient pas d’apprécier son rôle politique proprement dit, il me plaît de proclamer sur les grands chemins où se débattent encore les intérêts communs à tous les Belges, nous avons, maintes fois, rencontré pour leur défense le concours de son patriotisme et de son autorité.

« Il avait placé son idéal sur d'autres sommets que nous et il en poursuivait la réalisation avec toute la ferveur de sa conviction, l’opiniâtreté d'une volonté indomptable et la souriante sérénité d'un incomparable talent. Mais, jamais il n'apportait dans les débats une note d'animosité personnelle et, loin de chercher le mot amer ou blessant, sa préoccupation visible était de l'éviter et, s'il craignait qu'il lui eût échappé, de le réparer sans retard. Il avait conservé des joutes parlementaires d'autrefois le sens très exact de la le mesure, le souci constant de l'élévation de la pensée, la répugnance de donner à son verbe une sonorité suspecte. Sou cœur battait fortement, cependant, quand il abordait certains sujets, comme son attachement à la monarchie, à la patrie, à ses institutions fondamentales, à sa ville natale. à sa Wallonie bien aimée ! Son éloquence toujours contenue savait trouver, dans ces circonstances, malgré des notes encore volontairement étouffées, des accents véritablement pathétiques.

« La caractéristique de ses discours était la puissance, la force et la clarté. Sa maîtrise ne consistait pas à fatiguer son adversaire par des passes brillantes ou à le harceler sous les assauts répétés d'une verve pétillante, il préférait l'enserrer dans une argumentation solide qu’à première vue, il conduisait d'une façon un peu lente, avec des contours un peu vagues. Il y avait là, en vérité, une apparence d’indécision dans la ligne ; à y regarder de près, on constatait vite que le dessin était d'une grande fermeté et que l’orateur s'était acheminé vers le point où il voulait conduire son adversaire et lui fermer toute retraite. Il mettait au service de sa parole une conscience infinie dans son labeur, une mémoire prodigieuse, une documentation impeccable. Toutes ses œuvres, comme sa personne, donnaient l'impression d'une robustesse qui leur assurait, dans tous les domaines, une autorité de premier ordre.

« Je voudrais surtout retenir de la belle vie d'Emile Dupont l’exemple d'une existence, longue de trois quarts de siècle, consacrée tout entière avec un inlassable dévouement à la chose publique.

« Emile Dupont, homme privé, avait le culte de la Bonté et du Foyer. Emile Dupont, homme public, avec le culte du Droit et de la Loi.

« Ce n’est pas qu’il eût pour les textes un fétichisme qui lui fît oublier l’esprit qui doit les animer. Il avait au contraire une rare sagacité pour découvrir dans les lois, qu’il se refusait à considérer comme une juxtaposition de formules sans vie et dans lesquelles il voyait toujours des œuvres humaines, la volonté qui les avait dictées, le but social qu'elles devaient réaliser.

« Mais il avait foi dans la loi comme instrument de progrès et du bonheur social de l'humanité. Et c’est pourquoi il les voulait bonnes et c'est pourquoi il travaillait, avec une ardeur sans pareille, à doter ses concitoyens d'une législation aussi parfaite que possible.

« Dans tous les domaines, qu’il s'agît de l'organisation judiciaire ou de la compétence, du droit civil, du droit commercial, du droit industriel, chaque fois qu'il apparaissait que des nécessités pratiques de la vie sociale réclamaient l'intervention bienfaisante du législateur, Emile Dupont était là, prenant une part prépondérante dans les discussions parlementaires, à moins qu'il ne fût lui-même rapporteur de la loi, toujours mettant au service du pays sa haute culture, son grand talent, sa profonde expérience. Pour n'en donner qu'un exemple récent, il suffira de rappeler le magistral rapport qu’il fit au Sénat sur les modifications à apporter à la loi sur les concessions des mines, dans lequel il fit preuve d'une science juridique profonde en même temps que d'une connaissance parfaite des nécessités de notre industrie.

« Car, et c'est la note caractéristique d'Emile Dupont comme législateur, c'était avant tout un homme pratique. Ce n'était pas un législateur de laboratoire. Dans la complexité de notre vie sociale, il considérait que les bonnes lois étaient celles qui ne procédaient pas de conceptions théoriques, mais d'une connaissance des réalités qu'elles devaient réglementer.

« Son exemple, à une époque où la confiance dans le pouvoir bienfaisant des lois, peut-être parce que trop souvent elles ne sont pas bien faites, est mise en doute par de bons esprits, où d'autre part le parlementarisme est en discrédit parce qu'il s'absorbe de plus eu plus dans des préoccupations politiques et néglige la fonction législative, ne saurait être mis en lumière pour provoquer au sein de tous les partis, dans l'intérêt du pays, d’utiles résolutions.

« L’homme privé complétait admirablement chez Emile Dupont l’homme public. Sa personnalité représentait un ensemble de qualités diverses merveilleusement équilibrées.

« Certes, il apparaissait aux générations parlementaires d'aujourd'hui entouré du prestige des combats dont il avait été, des hommes d'Etat dont il fut l'ami et le collaborateur, de la grande école libérale à l’ombre de laquelle s’était formée sa personnalité, s’était affirmé et épanoui son talent. Mais quelle gloire tranquille lui venait aussi de sa haute respectabilité, de sa dignité et de son intégrité parfaites et de la rayonnante bonté qui illuminait sa vie comme elle éclairait son constant et bienveillant sourire.

« Il appelait à sa personne, à son caractère et à ses opinions, le respect qu’il professait pour la personne et les opinions de ses adversaires. Il acceptait pour les autres la fidélité à leurs convictions qu’il réclamait jalousement pour lui-même et dont aux dernières heures de son existence il donnait encore une chrétienne manifestation.

« Le nom d’Emile Dupont évoquera longtemps dans la mémoire des générations qui l’ont connu, comme de celles qui viendront, le souvenir d’un grand et probe travailleur, d’un homme d’Etat éminent qui, bien loin des préoccupations d’intérêt personnel, aura poursuivi la grandeur et la prospérité de sa Patrie.

« Au moment de m’incliner devant sa dépouille mortelle au nom d’un gouvernement représentant d’un parti qu'il a toujours combattu, j'ai la satisfaction de proclamer que ses adversaires politiques lui rendent hommage sans avoir exiger d'eux-mêmes ou l'effort d'un oubli ou le silence d'une rancune.

« Après une carrière de plus de cinquante ans, Emile Dupont n’a provoqué dans nos rangs ni ressentiment ni amertume. C’est devant le grand citoyen que le gouvernement s'incline, ému de voir comment la cité liégeoise, juste et reconnaissante, pleure l'un de ses enfants qui l'ont le plus noblement servie et le plus profondément aimée. »

Discours de M. Gustave Kleyer

Le bourgmestre de Liége a prononcé, au nom de notre chère cité, le discours qu'on va lire :

« La cité est en deuil.

« Liége vient de perdre l’un de ses plus grands citoyens, l'un de ceux dont elle était le plus fière, l'un de ses enfants qui l'ont le plus aimée et qui lui ont consacré généreusement le meilleur de leurs pensées, de leur énergie et de leur talent.

« « Emile Dupont était, avant tout, le représentant de cette race wallonne, à laquelle il appartenait par l'origine et par les idées, de cette laborieuse population liégeoise au milieu de laquelle il était né et dont il partageait les tendances et les aspirations.

« Au conseil provincial, à la Chambre, au Sénat, il défendit avec fermeté, avec ardeur, ces principes de la liberté de la conscience humaine et de l'indépendance du pouvoir civil, qui ont été professés, de tout temps, dans cette ville de Liége, comme étant le fondement même de la vie d'un peuple libre.

« Il combattit sans trêve ni défaillance, pour la cause de l'enseignement public, pour l'instruction populaire, pour l'émancipation de la classe ouvrière, pour l'amélioration du sort des malheureux.

« Son patriotisme éclairé et vigilant le rangea au nombre de qui croient qu'un peuple, pour réclamer sa place parmi les Etats, doit pouvoir protéger lui-même son territoire, par le concours de tous ses habitants et au prix de tous les sacrifices.

« Il redoutait les divisions et les déchirements que la question des langues menace de provoquer entre le Belges, et il s’opposa, avec une résolution et une ténacité remarquable, aux revendications exagérées et sans renaissances qui mettaient en péril à la fois les droits des Wallons et l'unité de la Patrie.

« L'un des objets les plus importants sur lesquels se porta dans les récentes années son inlassable activité, fut le projet de construction d'une ligne de chemin de fer directe entre Louvain et Aix-la-Chapelle.

« La réalisation de ce projet lui apparut, dès l'abord, comme devant être funeste pour l'avenir des bassins industriels de Liége et de Verviers, et il mit en œuvre toute son admirable vaillance pour éviter ou, du moins, en atténuer les conséquences.

« Le dernier discours qu'il prononça au Sénat le 28 février, eut trait à cette affaire.

« En le relisant, on est impressionné par l'émotion qu’il y a mise et par le dévouement absolu qu' y montre aux intérêts économiques du pays de Liége.

« Mais si le rôle brillant d’Emile Dupont au Parlement belge doit être remémoré par les Liégeois avec une admiration et une gratitude particulières, je ne puis me dispenser d’ajouter que l'illustre avocat a rendu à la Cité des services non moins considérables en qualité de conseil de l’administration communale dans les affaires contentieuses.

« Sa désignation par arrêté du collège des bourgmestre et échevins, comme avocat-conseil de la ville, remonte à l’année 1870.

« Durant le long espace de temps qui s’est écoulé depuis lors, c’est-à-dire pendant 42 ans, Emile Dupont a été mêlé de près à tous les incidents de notre existence municipale.

« Ses innombrables avis, ses multiples consultations écrites étaient, pour le collège et l'assemblée communale, des guides précieux et sûrs. Nous y trouvions toujours la marque de cet esprit si judicieux, si clair, si avisé, d'une si pénétrante érudition dans la science du Droit.

« Il a plaidé pour la ville devant toutes les juridictions, les procès les importants et les plus difficiles.

« Sa vive intelligence, son éloquence persuasive, sa dialectique serrée. une facilité extraordinaire d'assimilation des dossiers les plus ardus, une expérience consommée des débats judiciaires, une puissance de travail incomparable, lui avaient acquis auprès du barreau et de la magistrature une autorité devant laquelle tous s'inclinaient.

« A côté des procès politiques – telle, notamment, la retentissante affaire des Processions jubilaires de 1876, où il fit reconnaître les prérogatives du pouvoir communal - comment ne pas rappeler, entre autres, l’affaire de la concession du gaz et aussi les centaines d'affaires d'expropriation pour cause d'utilité publique dont il eut à s'occuper, - à ce point que l’on a pu dire qu'il a collaboré d'une manière prépondérance à l'étude et à l’exécution de tous les grands travaux qui devaient transformer, agrandir et embellir la cité.

« Et, de même que dans son dernier discours au Sénat, il s'inquiétait de l'avenir et de la prospérité de notre région, de même, dans le dernier plaidoyer qu’il prononça il y a huit jours, au Palais de Justice, il parlait au nom de la ville de Liége.

« Ainsi, sa pensée était constamment préoccupée de la sauvegarde de nos intérêts.

« Brusquement, la mort est venue nous l'enlever, devançant l'heure du repos qui, pour lui, semblait lointaine encore, et terrassant ce robuste lutteur que les ans n'avaient pas atteint.

« Cette mort soudaine sera vivement ressentie la Nation belge tout entière.

« Mais, nulle part, elle ne laissera un vide plus cruel et plus douloureux que dans la grande cité wallonne, qui l’entourait de sa vénération et de son regret, et dont la reconnaissance le suivra au-delà du tombeau. »


Discours prononcé au Sénat lors de la séance du 9 mars 1910

(Annales parlementaires, Sénat, session 1909-1910, pp. 351-352)

(page 351) (…) M. Dupont. - Messieurs, je suis convaincu que le Sénat, s’inspirant des considérations élevées que M. Braun vient de faire valoir, maintiendra le vote qu'il a émis.

Mon estimé collègue de la députation liégeoise, M. Coppieters, vient de dire qu'il s'agit de 100 mille ouvriers qui se trouvent en pays wallon. Ce chiffre est très exagéré. Il y a, d’après l'annuaire officiel, environ 32.000 personnes, hommes, femmes et enfants, appartenant à toutes les conditions, ne parlant que le flamand dans la région wallonne.

M. Coppieters. - II y a les ouvriers qui résident et ceux qui, sans résider, font le voyage tous les jours ou toutes les semaines.

M. Dupont. - Les ouvriers flamands qui viennent travailler régulièrement chaque jour en pays wallon et à qui nous, Wallons. nous donnons très volontiers du travail, apprennent très facilement le wallon que l'on parle tout autour d'eux, le wallon qui est la langue de leurs camarades, de leurs compagnons de travail.

M. Hiard. – Il ne leur faut que six mois pour cela.

M. Hubert, ministre de l’industrie et du travail. - S'ils veulent travailler en pays wallon. n'ont qu'à apprendre la langue !

M. Dupont. - Mais exiger que les magistrats prud’hommes connaissent le flamand en pays wallon, me paraît exorbitant. Je tiens à faire ressortir qu'il n'y a aucun avantage pratique à revenir sur le vote émis en première lecture.

On l’a dit et répété. Il ne s'agit en effet, dans la disposition qu’on veut rétablir dans l’article 103, que des greffiers d'appel dont la mission consistera le plus souvent à examiner, dans des affaires d'une certaine importance, les dossiers qui leur seront soumis par les parties ou envoyés par les conseils de prud’hommes de première instance. Pour l’accomplissement de cette mission, la connaissance du flamand n’est absolument pas nécessaire ; d’autant plus que ces greffiers d’appel n’auront plus généralement à remplir la mission de conciliation, dévolue principalement aux greffiers de première instance, chargés surtout d’entendre les parties et de les mettre d’accord.

Il est donc certain qu'au point de vue de la classe ouvrière, le rétablissement de la disposition dans l'article 103 ne présente aucun intérêt sérieux. Voilà la première considération.

La seconde, c'est qu'il ne serait utile d'avoir des greffiers connaissant le flamand dans la juridiction d'appel que si la juridiction de première instance comprend des communes flamandes.

Or, il a été décidé que ce serait une loi qui déterminera les ressorts des juridictions de première instance et d'appel, et, dès lors, rien ne sera plus facile de réunir, dans un même ressort d'appel, exclusivement des conseils de prud'hommes établis dans des communs wallonnes.

Les motifs que l’on invoque pourraient expliquer, dans une certaine mesure, une disposition exceptionnelle pour certains conseils de première instance, où il serait établi que des litiges nombreux intéressant des ouvriers flamands, ignorant le français et le wallon d'une façon complète ; mais vouloir l’insérer dans l'article 102 pour les greffiers d'appel, c'est uniquement la tendance, parfaitement caractérisée par M. Braun, la volonté de donner satisfaction aux revendications flamandes, les plus inadmissibles et les plus exagérées. Sans doute, le nombre des greffiers à nommer pour les conseils d’appel dans les provinces wallonnes n'a pas beaucoup d'importance.

Il pourra ne s'agir que de 8 à 10 greffiers. Mais c’est le principe que l’on pose qu’il faut considérer ; il est de la plus haute gravité par sa nouveauté.

Jamais, jusqu'aujourd'hui, le législateur n'a eu à imposer la connaissance du flamand pour l'exercice des fonctions judiciaires dans les régions wallonnes. Nous sommes en présence d’une revendication nouvelle que jamais on n’avait osé formuler clairement ! Outre le monopole des fonctions judiciaires et notariales dans les provinces flamandes, il faudrait encore concéder aux candidats flamands un second monopole dans les provinces wallonnes ! En vérité, c’est dépasser la mesure !

Et puis, est-il juste de priver de tout avancement, au pays wallon, les greffiers wallons actuels des conseils des prud'hommes, qui ont rempli, avec honneur et dévouement, leurs fonctions ?

L'honorable M. Braun a exposé au Sénat, de la manière la plus exacte, qu'aucune loi dans notre pays n'a jusqu’à présent exigé en pays wallon la connaissance du flamand pour les fonctions judiciaires. En pays flamand, les Wallons sont impitoyablement exclus aussi bien des fonctions administratives que des fonctions judiciaires et notariales ; mais dans les provinces wallonnes, Jusqu'à présent, jamais la moindre prescription relativement à la connaissance obligatoire du flamand n'a été édictée pour ces fonctions.

Et c'est à propos d'une question qui n'offre en réalité aucun intérêt pratique - je viens de vous le démontrer - que vous iriez trancher cette grave question !

L'honorable M. Coppieters trouve que la question n'a pas d’importance ; qu'il me permette de dire que, s’il y avait réfléchi davantage, il aurait aperçu la gravité du débat, qui est d’empêcher une atteinte inique à l’organisation judiciaire actuelle de notre pays, en ce qui concerne la région wallonne.

M. Dufrane. - C'est un premier pas.

M. Dupont. - M. Coppieters, qui est un entrepreneur distingué, se place au point de vue exclusif de ce fait : la nomination de quelques greffiers. Il a raison, dans bien des cas, de considérer surtout le côté pratique des choses ; mais ici, il faut élever le regard un peu plus haut et se préoccuper du principe qu'on veut poser. Ce principe, M. Keesen nous l'a dit ingénument, c’est de soumettre le juge wallon, en pays wallon, à l'obligation de la langue flamande. Après les conseils de prud'hommes viendront les juges de paix ; après ceux-ci, et en appel de leurs décisions, les tribunaux de première instance auront leur tour.

Notre organisation judiciaire existe depuis que la Belgique existe, depuis quatre-vingts ans. Les auteurs de la Constitution, le Gouvernement provisoire et le Congrès national avaient exclu le flamand de tous nos tribunaux. Nous avons aboli ce privilège injuste depuis 1878 pour la justice répressive, depuis 1890 pour la collation des fonctions judiciaires et notariales en pays flamand.

Aujourd'hui, dans toute région flamande s'applique le principe que, pour les fonctions administratives, judiciaires, notariales, il faut justifier de la connaissance de la langue flamande, soit ! Mais ce qui n’est pas admissible, c’est qu’on change la loi d’organisation judiciaire par un véritable coup de parti, qui constituerait un danger pour l’avenir de notre pays, en décidant que la connaissance du flamand sera désormais exigée des greffiers des conseils de prud’hommes en pays wallon.

Si l'on tranche la question dans un autre sens que celui indiqué par M. Braun, c’est parce qu'on veut poser un principe nouveau, et ce principe, c'est la connaissance obligatoire du flamand par les magistrats des provinces wallonnes, par le motif que le Flamand qui comparaît devant un tribunal wallon a le droit de trouver, dans ce tribunal qui doit le juger, des magistrats connaissant la langue flamande. II ne suffit pas qu'il ait à sa disposition des interprètes, ce qui existe partout dans nos tribunaux.

Eh bien, messieurs, j'ai une certaine expérience des affaires judiciaires, et je puis dire qu’il est extrêmement dangereux pour un ouvrier wallon de comparaitre devant un tribunal exclusivement flamand, en Flandre, ou en partie composé de Flamands, comme cela arrive parfois en pays wallon. L'ouvrier wallon parle difficilement le français. Lorsqu'il comparaît, il demande toujours à s'expliquer dans sa langue populaire, que, naturellement, le magistrat flamand ne comprend pas. Et le Wallon, dans ces conditions, ne peut avoir d'interprète. II n'en existe point devant nos tribunaux, ni en Flandre, ni en pays wallon.

Je pourrais vous citer l'exemple d'un juge d'instruction flamand en pays wallon, homme des plus distingués, animé des meilleures intentions, et qui avait bien malgré lui altéré le procès-verbal qu'il était chargé de dresser parce que, ignorant le wallon, il avait interprété les dépositions des témoins et les déclarations du prévenu de la façon la plus inexacte.

II y a là, messieurs, une situation sur laquelle j'appelle l'attention du Sénat, c'est la situation dans laquelle se trouve le prévenu wallon en présence de juges qui ne comprennent pas la langue populaire, la langue usuelle dans laquelle il s'exprime toujours. C'est un cas fréquent, et cependant, jusqu’à présent, nous n'avons pas, nous, Wallons, demandé (page 352) que l’on fasse subir aux magistrats flamands un examen pour nous assurer qu'ils connaissent le dialecte parlé dans la région wallonne où ils exercer leurs fonctions. Et surtout nous ne l’avons pas demandé pour les juges de la région flamande, en Invoquant la présence d'ouvriers wallons dans leur ressort.

M. Dufrane. - II faut le demander. On va créer un mouvement wallon.

M. Dupont. - Nous discuterons la question dans toute son ampleur quand elle se présentera devant les Chambres et nous verrons alors la solution qu'il convient de lui donner. J'espère qu'alors on respectera les droits de la Wallonie, qu'on se contentera du monopole obtenu dans la Flandre, sans vouloir, en pays wallon, monopoliser une partie des fonctions publiques au profit de candidats flamands. Nous avons consenti, parce que c’était juste, la destruction des lois édictées par les auteurs de Constitution belge pour les réglons flamandes, mais nous n’irons pas au delà.

Et ce serait aujourd'hui plus qu'une faute, ce serait une atteinte dangereuse aux droits de la Wallonie que de vouloir, à propos de quelques greffiers des conseils de prud'hommes d'appel, apporter une modification essentielle à notre loi d'organisation judiciaire, (Très bien ! très bien ! à gauche.)

M. le président. - Les trois premiers alinéas de l'article 103 n'ont pas amendés. Je dois soumettre à un nouveau vote les alinéas qui ont été supprimés en première lecture.

L'alinéa était de la teneur suivante :

« II est tenu de connaître les langues flamande et française. »

Demande-t-on l’appel nominal ?

- Sur divers bancs. – Oui ! oui !

M. le président. - L'appel nominal étant régulièrement demandé, il va y être procédé.

Les membres qui sont partisans du rétablissement de cet alinéa répondront oui, ceux qui veulent maintenir la suppression répondront non.

Il est procédé au vote par appel nominal.

74 membres y prennent part :

46 répondent oui,

25 répondent non,

3 s'abstiennent.

En conséquence, l'alinéa est rétabli.

M. Dupont. - Vive la séparation administrative !

Ont répondu oui : (…)


(Extrait de l’Indépendance belge, du 12 mars 1910)

L'Etoile belge souligne la gravité de l'incident qui s'est produit au Senat lors du vote de l'article 103 du projet de loi sur les conseils de prud'hommes.

Les sénateurs libéraux wallons ont énergiquement combattu cet article, qui exige des greffiers d'appel la connaissance du flamand, dans les provinces wallonnes.

M. Dupont, sénateur de Liége, tout en reconnaissant que les greffiers d'appel auront peu de rapports avec le public, s'est élevé avec force contre la tendance à fermer les emplois publics aux Wallons. Au point de vue des principes, a-t-il dit, la question prend une grande importance. Et lorsque le président a proclamé le résultat du vote, M. Dupont s'est écrie, aux applaudissements de ses collègues wallons : « Vive la séparation administrative ! »

Est-il nécessaire de faire remarquer la gravité de cet incident ?

M. Dupont n'est pas seulement un homme d’âge et d'autorité, un jurisconsulte éminent : il est aussi ministre d'Etat et l'un des vétérans de la politique. Il ne peut être suspect ni de légèreté, ni d'emballement. S'il a traduit avec une telle énergie les sentiments de révolte excités dans la partie wallonne du pays par les revendications flamingantes, c'est que la situation est devenue grave. Les Wallons commencent à être excédés des prétentions flamingantes et de la manière dont le gouvernement les encourage.

Dans un pays comme le nôtre, la protestation d'un homme comme M. Dupont devrait faire réfléchir les dirigeants et leur faire comprendre qu'ils n'ont plus une faute à commettre.


(COLLETTE Francis, Nouvelle biographie de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1999, volume 5, pp. 137-139)

DUPONT, Joseph, Emile, avocat, vice-président du Sénat, ministre d'Etat, né à Liège le 23 juin 1834, y décédé le 12 mars 1912.

Emile Dupont naît dans une famille de juristes. Son père, Evrard-Nicolas-Joseph Dupont (Liège, 1799-1880), docteur en droit de l'université de Liège en 1823, débute sa carrière au barreau avant d'assurer l'intérim de certains cours à l'Université. Le 8 juillet 1827, il fut nommé titulaire de la chaire des pandectes. Doyen de la faculté de droit, il exerce les fonctions de recteur ad intérim de l'université de Liège de 1836 à 1838. Le 15 août 1833, il avait épousé Marie-Elisa Dupont. De cette union naquirent deux enfants, le 23 juin 1834, Emile-Joseph et le 14 juillet 1835, Lambert-Adolphe.

Par sa mère, Emile Dupont est apparenté à une dynastie de juristes. Son grand-père, Louis-Lambert-Joseph Dupont fut président de la cour d'appel de Liège. Sa grand-mère, Marie-Anne-Françoise Fabry est issue d'une famille illustre : les de Fabry dont le nom est associé aux événements de la révolution liégeoise. Les sœurs de Marie-Elisa Dupont sont mariées à des personnalités politiques de la ville de Liège. L'une épouse Gérard-Théodore-Pierre Nagelmackers, une autre le député liégeois Jean Gisbert de Leew, une troisième l'avocat Joseph Forgeur.

Emile Dupont accomplit ses humanités au collège communal de la ville de Liège devenu en 1850 athénée royal. Il entre ensuite à l'université de Liège et obtient le 15 avril 1858 le titre de docteur en droit. Afin de parfaire ses connaissances, il fréquente, mais peu de temps, l'université de Berlin. Le 19 octobre 1858, il est reçu au barreau liégeois et entre au bureau d'avocats de son oncle Joseph Forgeur.

Joseph Forgeur est le père professionnel et politique d'Emile Dupont. Père professionnel, il l'aide à plaider ses premiers procès. En 1861, Emile Dupont fonde avec Polain, l'Association du jeune barreau et en devient le premier président. Père politique, Joseph Forgeur introduit Emile Dupont à l'Association de l'Union libérale qu'il préside à ce moment. L'année suivante, Emile Dupont est élu conseiller provincial pour le canton de Liège et assume les fonctions de secrétaire du conseil provincial.

Le 29 juillet 1863, Emile Dupont épouse Marie-Victorine-Léonie Dubois, fille de Victor Dubois, conseiller près la cour d'appel et conseiller provincial de 1836 à 1848. De cette union naissent cinq enfants. Tous noueront des liens avec des familles influentes de la ville de Liège.

Le 11 août 1864, l'arrondissement de Liège envoie Emile Dupont siéger à la Chambre. La gauche libérale est, à l'époque, dominée par la forte personnalité de Frère-Orban. Emile Dupont reste dans l'ombre de l'homme d'Etat. Cette victoire d'Emile Dupont à la Chambre explique le choix de l'Association de l'Union libérale de le choisir comme secrétaire en 1865. Il conserve cette fonction jusqu'en 1871.

Une des premières préoccupations d'Emile Dupont est la condition ouvrière ; libérale doctrinaire, il considère que l'instruction et le respect de certaines valeurs morales sont les garants de l'amélioration du sort misérable des ouvriers et de leur accession au pouvoir politique par l'exercice du droit de vote.

Suite aux congrès de Malines de 1863 et de 1864, où l'on assiste à la volonté de créer un parti catholique, la protection accordée par les libéraux aux sociétés catholiques d'éducation ouvrière cesse à Liège dès l'année 1865. La création à Liège d'une section et d'une fédération liégeoise de l'Association internationale des Travailleurs, incite les libéraux à prendre en main l'éducation des ouvriers. A l'initiative d'Emmanuel Desoer, le 30 décembre 1865, une trentaine de libéraux doctrinaires liégeois fondent une société d'éducation ouvrière : la Société Franklin. Afin de présider celle-ci, le choix des fondateurs se porte sur Emile Dupont. Au suffrage universel, Emile Dupont, ainsi que tous les libéraux doctrinaires, préfère donner à l'ouvrier les valeurs morales qui lui permettront de s'élever dans la hiérarchie sociale. Emile Dupont apparaît comme un ardent défenseur du suffrage capacitaire. Le travail de plus en plus important auquel doit faire face Emile Dupont le pousse à renoncer au bout de dix ans au mandat de président de la Société Franklin.

De 1874 à 1875, Emile Dupont réoccupe les fonctions de secrétaire de l'Association de l'Union libérale. Il profite de sa position pour encourager les libéraux liégeois à s'unir aux libéraux du pays au sein d'une fédération libérale nationale.

Acquise depuis longtemps au parti libéral, la ville de Liège choisit en 1876 Emile Dupont comme avocat-conseil. Cette nomination le conduit, alors qu'il n'a jamais eu ni n'aura de mandat communal, à être mêlé à toutes les affaires qui émaillent la vie politique de la cité. Le choix des responsables de la ville s'explique par le talent avec lequel il avait défendu le bourgmestre de Liège dans l'affaire des processions jubilaires. Bien que catholique pratiquant, Emile Dupont avait été choisi par les autorités communales en fonction de ses capacités juridiques et de son rôle politique. Le prestige d'Emile Dupont n'en sortit que renforcé, il mêla subtilement les concepts de liberté, d'égalité et de privilèges en retournant contre l'évêque les arguments qu'il tirait de la Constitution belge.

Les compétences juridiques d'Emile Dupont de même que son rôle politique se révèlent être non seulement appréciés de la ville de Liège, mais aussi des milieux économiques. Ces derniers ne sont pas étrangers à Emile Dupont, ses relations familiales ont très certainement favorisé son insertion dans le monde des affaires. Emile Dupont entre ainsi dans de nombreux conseils d'administration. En 1875, il est nommé administrateur de la Société anonyme des Tramways liégeois; dès 1881, il siège au conseil d'administration de la Société anonyme des Railways économiques de Liège, Seraing et extensions. Enfin, il est également l’avocat-conseil de la Société anonyme des Chemins de fer du Nord belge. Outre le domaine des transports, Emile Dupont est intéressé par le domaine des mines. En 1866, il entre au conseil d'administration de la Société anonyme des Charbonnages de Marihaye. Emile Dupont est également l’avocat-conseil de deux entreprises industrielles, la Société anonyme Vieille Montagne et la Société anonyme John Cockerill.

L'activité parlementaire d'Emile Dupont durant la période 1864-1890 est relativement importante. Non seulement il prend part à tous les débats, mais rédige également de nombreux textes de lois. Son travail s'oriente principalement vers le domaine des mines et des transports.

Député, Emile Dupont a grandi à l'ombre de Frère-Orban. Suite aux élections partielles du 18 novembre 1890 qui ont suivi la mort du sénateur de Looz-Coswarem, Emile Dupont, éligible au Sénat dès 1889, se présente et entre à la haute assemblée. Avec l'héritage de la fortune familiale, Emile Dupont a pratiqué divers investissements fonciers, de sorte que le montant du cens qu'il payait n'a fait qu'augmenter au cours de ces années. Cette politique témoigne d'une volonté certaine d'entrer au Sénat, « loin des débats houleux, aux séances moins pénibles et où le travail effectué peut s'avérer tout aussi utile. » Il y donne toute la mesure de ses talents politiques et oratoires. Dès 1892 il est élu deuxième vice-président du Sénat.

En cette fin du XIXème, le débat concernant l'extension du suffrage électoral anime la vie politique. Depuis les événements de 1886, le parti libéral s'interroge et se divise. Emile Dupont se déclare hostile à l'idée d'instaurer le suffrage universel pur et simple. Selon lui, cela équivaut à favoriser le parti socialiste dans les bassins industriels et le parti catholique dans les zones rurales. Dupont s'oppose à l'aile progressiste du parti et défend, avec d'autres, le principe du vote capacitaire qui, selon lui, est le seul à offrir réellement aux travailleurs les moyens de se défendre. L'instauration en 1893 du suffrage universel tempéré par le vote plural est une œuvre qui ne reçoit l'appui total ni des progressistes, ni des doctrinaires. Frère-Orban la résume sous la formule : « Vote plural, vote rural, vote clérical ».

Son principal combat, sa véritable originalité est son engagement dans le mouvement wallon, dont il devient un des chefs de file. En réaction aux progrès du mouvement flamand, dès 1888, des sociétés de propagande wallonne se créent à Liège et à Charleroi. Ces différentes sociétés tentent alors de se fédérer, le résultat en est la tenue de quatre congrès wallons. Suite à l'échec de ces congrès et au dépôt de la loi sur la promulgation bilingue des textes légaux, se crée à Liège sous l'impulsion de Julien Delaite la Ligue wallonne de Liège à laquelle le sénateur Emile Dupont, concerné par cet aspect du problème, s'empresse d'adhérer et de collaborer, en acceptant la présidence d'honneur de cette ligue. L'œuvre essentielle de la Ligue wallonne est la tenue en 1905 d'un congrès national wallon dont la présidence d'honneur revient de nouveau à Emile Dupont. La Ligue wallonne se met à l'étude d'un projet de séparation administrative, qui était la thèse principalement développée dans les colonnes de son journal : L'âme wallonne.

Wallon et défenseur d'un état unilingue francophone, Emile Dupont l'est certainement, son adhésion totale à la thèse fédéraliste n'est que beaucoup plus tardive. Le 9 mars 1910, suite au vote d'une loi obligeant les greffiers des conseils d'appel de prud'hommes à connaître les deux langues sur tout le territoire de la Belgique, Emile Dupont s'écrie en pleine séance du Sénat : « Vive la séparation administrative! ». Longtemps, le Sénat a été considéré comme le rempart contre le flamingantisme : le vote de la loi donne au mouvement wallon une impulsion nouvelle. Le bastion de la haute bourgeoisie francophone étant tombé, le fédéralisme apparaît désormais à Emile Dupont comme la seule issue. Il élabore un projet de séparation administrative que seul la mort interrompra, mais qui devait avoir une importance suffisamment considérable pour qu'un nouveau venu dans le mouvement wallon en parle dans une lettre au Roi : Jules Destrée.

Malgré son intense activité parlementaire, Emile Dupont ne néglige en rien son métier d'avocat. A quatre reprises, en 1880, 1890, 1900 et 1908, le barreau de Liège le choisit comme bâtonnier de l'Ordre. Emile Dupont est élu en 1905, président de la Fédération des avocats belges. C'est à ce titre qu'il préside le deuxième Congrès international des avocats qui s'est tenu à Liège de septembre à octobre 1905. Emile Dupont voit au-delà de ce congrès la « constitution fraternelle d'un grand barreau international européen. » Malheureusement, malgré la mise sur pied d'un comité permanent, dont fait partie Emile Dupont, l'association internationale des avocats reste lettre morte.

Emile Dupont n'a jamais été ministre, néanmoins les quarante-deux années passées au Parlement, ses compétences juridiques incontestées et incontestables, une sagesse dont témoignent même ses opposants ont fait de lui un homme écouté de tous et même du Roi. En 1907, le roi Léopold II le nomme ministre d'Etat.

La dernière lutte que conduit Emile Dupont est lourde de symbole, il s'agit du détournement des grands express qui lui permet trois jours avant sa mort de défendre au Sénat à la fois la ville de Liège, l'industrie sidérurgique et charbonnière, les transports et la Wallonie, ses quatre chevaux de bataille.

Emile Dupont meurt inopinément à Liège le 12 mars 1912, les obsèques ont lieu dans l'église Saint-Jacques le 15 mars. Des funérailles nationales lui sont rendues.

Entré en politique par tradition familiale, il défend les intérêts d'une classe dominante, la bourgeoisie industrielle. Homme de loi, il façonne les textes qui donnent au monde des affaires, l'assise juridique de son pouvoir. Cependant, en près d'un demi-siècle de vie parlementaire les choses évoluent et Emile Dupont n'est pas de ceux qui y reste indifférents. En 1910, contre le courant conservateur de son propre parti, il soutient un cartel socialiste-libéral. Emile Dupont entre à la Chambre lieutenant de Frère-Orban, il quitte le Sénat en 1912 à la tête d'un mouvement neuf et réputé progressiste : le mouvement wallon.