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Drubbel Louis (1814-1887)

Drubbel Louis catholique

né en 1814 à Gand décédé en 1887 à Gand

Représentant entre 1870 et 1878, élu par l'arrondissement de Gand

Biographie

(Extrait du Bien public, du 28 juin 1887)

Une funèbre nouvelle s'est répandue hier matin en notre ville : « M. l'avocat Drubbel est mort soudainement cette nuit des suites d'un accident, éprouvé la veille. »

La nouvelle hélas ! n'était que trop exacte ; bientôt on en connut les détails.

Samedi, après-midi, vers 4 heures, M.Drubbel, rentrant chez lui, s'était trouvé arrêté, à quelques pas de sa demeure, devant le pont des Dominicains, ouvert à ce moment pour livrer passage à un bateau. L'honorable avocat était gai, souriant, et, comme il l'a dit lui-même, il s'était laissé distraire par le spectacle des petits enfants du batelier qui jouaient l'arrière de l'embarcation. Au moment où le pont allait se refermer, M. Drubbel - d'ailleurs avait la vue basse - s'engagea trop tôt sur le rebord, puis, se retirant, en s'apercevant de son erreur, il fut pris entre la balustrade fixe, placée au bord du quai, et l'extrémité de la rampe du pont qui continuait à tourner. I.e choc fut violent : M. Drubbel était atteint la hanche d'une profonde blessure.

Transporté chez lui par quelques passants, il reçut les premiers soins de M. le docteur Van Peene qui traversait également le pont. Celui-ci trouva l'état du blessé relativement satisfaisant, ne constata aucune lésion et exprima l'espoir qu'après quelques jours de repos, le patient serait en voie de guérison.

Cet espoir était d'ailleurs partagé par tous ceux qui entouraient M. Drubbel et lui prodiguaient lours soins. Celui-ci, parfaitement présent d'esprit, causant avec cordialité comme d'habitude, contribuait lui-même à les rassurer. Pouvaient-ils croire que quelques heures plus tard, une hémorragie interne serait venue subitement enlever le cher malade ? C'est vers 4 heures du matin que cet accident s’est produit et avec une telle soudaineté que M. l'abbé Adolphe Drubbel, qui habite cher son père, à la hâte, a eu à peine le temps de lui donner une absolution in extremis

La mort de M. l'avocat Drubbel a causé dans notre ville une profonde émotion. C'est que le jouissait d'une estime universelle et qu'il occupait, et au barreau et dans le parti catholique, une place considérable.

Avocat, il avait su bien jeune encore, se placer au rang parmi ses confrères et s'y maintenir jusqu'à la fin de sa carrière. C'était un esprit droit, perspicace et de bon conseil, tout dévoué ses clients et poussant jusqu'à l'extrême la délicatesse et le désintéressement.

Dans ses relations d'affaires, il était la loyauté même. On le savait bien à Gand et maints plaideurs l'ont pris pour arbitre.

Aux dons intellectuels les plus précieux, M. Drubbel joignait des sentiments pleins de générosité. C'est lui rendre justice et faire en même temps son plus bel éloge que de dire que chez lui le cœur valait encore mieux que la tête.

Ses confrères du barreau, qui l'appréciaient sa juste valeur, lui conférèrent plusieurs fois les honneurs du bâtonnat.

Pacifique et affectueux, M. Drubbel était naturellement peu enclin aux ardentes mêlées de la politique. Sa rare modestie le poussait d'ailleurs à fuir le retentissement et la publicité. Il fallut de longues instances, il fallut faire appel au patriotisme et au sentiment du devoir chrétien, pour l'engager se laisser imposer les mandats publics dont il était digne à tant de titres.

A diverses reprises, il accepta, dans ces conditions, les candidatures de l'Association électorale catholique. En 1870, il fut élu dans l'élan victorieux du « soulagement universel » et, pendant 8 années, il représenta avec talent et distinction l'arrondisscmcnt de Gand à la Chambre des représentants. Sa parole faisait autorité : chacun savait que c'était la parole d'un homme compétent et d'un honnête homme.

Il détestait le libéralisme, dont l'impiété froissait ses croyances religieuses et dont l'arbitraire révoltait son esprit de justice, mais il savait tempérer l'ardeur ec cette conviction, en accordant toujours aux personnes les égards auxquels elles ont droit. Il est bien peu d'hommes, lancés dans l'arène des luttes publiques, dont on puisse dire avec tant de vérité : il eût des adversaires, il n'eût jamais d'ennemis.

Enfin ce qui dominait tout son caractère, ce qui lui donnait une physionomie propre, c'était la bonté. Ceux-là savent qui l'ont connu dans l'intimité. Quelle bienveillance pour tous ceux qui recouraient à lui ! Quelle sollicitude paternelle du patron pour ses stagiaires ! Quel ami fidèle et dévoué ! Mais surtout quel père ! Et quels trésors de tendresse il avait pour ses enfants et ses petits-enfants !

Ils faisaient sa joie et son légitime orgueil. Entouré d'eux, il avançait gaiement dans la vieillesse, tenant la vie surtout pour les charmes que lui offraient les douces affections de la famille.

Le Maître de la vie en a décidé autrement, mais il a du moins épargné au cœur de ce père si aimant les douleurs de la séparation.

Nous nous associons chrétiennement au deuil de la famille Drubbel. Quant à l'héritage de foi, de talent, d'honneur et de patriotisme que laisse le défunt, il ne périra pas : il est en bonne mains !

M. Drubbel venait d'entrer dans sa 74ème année ; il était officier de l'Ordre de Léopold.


(Extrait du Journal de Bruxelles, du 28 juin 1887)

On mande de Gand, le 26 : « M. Drubbel, avocat, ancien représentant de Gand, est mort cette nuit à la suite d’un terrible accident. Hier soir, arrivant au pont des Dominicains, M. Drubbel, qui avait la vue basse, ne remarqua pas le chaîne indiquant que le pont était tourné, fit une chute et fut pris dans la manœuvre du pont. Il a vécu encore quelques heures et a beaucoup souffert avant de mourir. Ce fatal événement a produit en ville la plus douloureuse émotion. »

M Drubbel était un des hommes les plus considérés de la Flandre, un citoyen d'élite et un jurisconsulte de grande réputation. Il fut l'honneur de la députation de Gand à la Chambre. L'élévation de son caractère, la modération de son esprit, la noblesse de ses sentiments lui avaient attiré à Gand une juste réputation. Le défunt laisse derrière lui de grands regrets et la mémoire du plus honnête des hommes. R. I. P.


(Extrait du Handelsblad van Antwerpen, du 26 juin 1887)

Gent, 26 juni.

M. Drubbel, advokaat en gewezen volksvertegenwoordiger is gisteren nacht gestorven ten gevolge van een schrikkelijk ongeluk. Eene brug werd open gedraaid en M. Drubbel, die bijziende is, zag de afsluitingketting niet. Hij struikelde en viel tusschen de kaai en de draaiende brug. Hi werd zoo ernstig gewond dat hij eenige uren nadien in de schrikkelijkste pijnen bezweek. M. Drubbel is schoonvader van den volksvertegenwoordiger M. Begerem. Dit ongeluk heeft een diepen indruk in de stad gemaakt.

(Extrait du Journal de Bruxelles, du 30 juin 1887)

Louis Drubbel.

Gand, 28 juin.

Vous avez déjà, dans votre notice nécrologique, annoncé la triste et navrante nouvelle. Une belle et honnête existence - honnête dans toute l'expression du verbe - vient de s'éteindre fatalement bien avant le terme fixé par la nature. Louis Drubbel, l'une des personnalités les plus sympatiques de la ville de Gand, est inconnu à Bruxelles ; il partage cet honneur avec l'illustrz physicien, Plateau, ignoré au conseil communal de Bruxelles cœur-et-cerveau, de M. Vauthier, avocat, ex-échevin de l'instruction publique, et de M. Pierre Van Humbeeck, ex-ministre de l'instruction publique. Arcades (c'est le cas ou jamais de le dire !) ambo. Un comble, n'est-ce pas ? surtout quand on veut bien se rappeler que Plateau, l'une des plus belles gloires de la Belgique contemporaine, est mort « Petro Van Humbeck regnante » au ministère dont César était le gardien. Mais passons. Drubbel, mort si malheureusement, naquit à Oostacker lez Gand le 31 janvier 1814. Je l'ai connu en 1849, époque troublée ! Alors il était lancé dans le mouvement flamand, qui était son aurore. C'était du temps où les libéraux n'aboyaient guère à la soutane.

Drubbel fut lié avec Constant Leirens, cet intègre et désintéressé républicain dont j'ai écrit récemment la biographie dans vos colonnes, et il peut revendiquer avec celui-ci l'honneur d'avoir fondé la première bibliothèque populaire, celle du journal le Broedermin - n'en déplaise aux Jean Macé, d'Alsace, aux Julius Vuylsteke et Julius De Vigne, de Gand ; ces derniers, prenant pour devise: Sic vos non vobis, se sont emparés, en le faisant dévier de son but, du Willemsfonds, fondé par le baron de Saint-Genois, institution populaire et littéraire, dont à l'aida des Heremans (un mort singuiièrement surfait), des Hiel, Rooses et autres Sabbe, ils ont fait un tremplin politique. Voilà pour le passé d'il y a quarante ans de Drubbel. Son esprit, vous le voyez, était ouvert à toutes les grandes idées, - le mouvement démocratique, né de la surprise de février, ne lui faisait pas peur, - et à ces idées il se dévoua de cœur, ce en quoi beaucoup l'imitèrent, - honoris causa, - et aussi il paya de sa bourse, mais, en ceci, sans faire beaucoup da prosélytes.

Il était alors, je me reporte à 1850, dans tout l'éclat de la jeunesse et du talent. Il n'était inscrit au tableau des avocats. que depuis 1841, mais quels stagiaires de haut talent, d'éloquence généreuse, de science réelle et incontestée se sont succédé dans son humble et modeste étude du Steendam, maison de Socrate. trop exiguë pour réunir tous les amis, divisés par les opinions, mais unis par le cœur, qui s'y donnaient fidèlement rendez-vous ! C’est là que j’ai rencontré Polydore De Paepe, le Benjamin des stagiaires du pauvre regretté, aujourd’hui la plus éclatante lumière juridique de la cour de cassation ; Emile Willequet, esprit caustique, et malheureusement sceptique aussi ; Pierre De Baets, de grande et populaire mémoire, aux enfants duquel il servit, après sa mort prématurée, de père adoptif ; tant d’autres encore que ma plume oublie ; tous chérissaient jusqu’à l’idolâtrerie ce jeune maître, qui pourtant ne partageait pas leurs idées à tous ; ils le respectaient et le vénéraient et ils lui gardèrent aussi la plus large place dans leur cœur.

Depuis, car ce maître modeste était un initiateur, Drubbel a formé d’autres élèves, mieux que cela, des hommes intègres et justes. Je citerai : Van Werveke ; aujourd’hui conseiller à la cour d’appel de Gand, un type de loyauté et d’impartialité, de l’avis même des libéraux les plus intolérants, et que M. Bara laissa pendant des années sur son siège de substitut au tribunal, sous prétexte que l’on ne pouvait pas altérer l’homogénéité de la cour, celle-ci devant rester inaltérablement libérale ! Van Werveke avait été nommé dans la magistrature sur les instances de Drubbel. M. de Lantsheere était ministre de la justice, et nous nous rappelons encore que Drubbel nous disait à cette occasion : « En demandant la nomination de Van Werveke, je n’ai pas sollicité une faveur et je n’ai pas caché au ministre qu’en le faisant, je rendais un service signalé à la justice. » Que M. Van Werveke nous pardonne de révéler ces paroles, et qu’il accepte cet hommage mérité que nous sommes heureux de lui rendre sur la pierre d’un tombeau.

Louis Drubbel est mort, mais il ne disparaît point. Cet esprit d’élite, cette créature sympathique entre toutes continuera à vivre dans le souvenir des amis sans nombre qu’il laisse à Gand. Il renaît dans son gendre, M. Begerem, qui, esprit précoce et réfléchi, a pris tout de suite à la Chambre, malgré sa jeunesse, une place fort importante. Nous ne lui souhaitons qu’une chose : c’est qu’il reste tolérant et indulgent comme son beau-père, le mort bien aimé que nous allons conduire demain au champ du repos. Il renaît encore dans son fils, l’abbé Adolphe Drubbel, un prêtre modèle, qui a goûté l’amère consolation de laisser descendre sur le front de son père les saintes paroles du suprême pardon.

Drubbel fut un humble comme le sont généralement les esprits d’élite. Homme politique, il sut se faire tolérer et aimer par ses adversaires, et, avocat, il fut entouré des sympathies de tout le barreau. Il est le secret de rendre le bonheur facile par le culte du devoir. Il fut bon et juste.

J.


Remarque : Les articles nécrologiques les plus importants ont été regroupés dans un ouvrage paru à Gand en 1888. Cet ouvrage, de 58 pages, intitulé « Louis Drubbel. Souvenir » est consultable en ligne sur le site de la Bibliothèque royale de Belgique (Numéro de catalogue : II 89.453 A D4 / 1). Consulté le 14 décembre 2024