Drion de Chapois Adolphe, François, Camille catholique
né en 1831 à Gosselies décédé en 1914 à Gosselies
Représentant entre 1870 et 1909, élu par l'arrondissement de Charleroi(Extrait du Journal de Charleroi, du 20 mai 1873)
M. Adolphe Drion, élu deux fois en 1870, le 14 juin par 2183 voix sur 3899 votants, et le 2 août par 2274 voix sur 3199 votants. De même que bon nombre de libéraux que nous connaissons,, nous dirons carrément, tout d’abord : M. Adolphe Drion est un de nos candidats pour le 9 juin prochain. Non parce qu'il est catholique ou libéral, ce qui par le temps qui court ne signifie plus grand-chose, mais parce que, selon nous, c'est le plus démocrate de nos députés, et que s'il n'existait pas, il faudrait l'inventer.
Nos colonnes ne suffiraient pas à énumérer les services rendus pendant les quatre années par M. Adolph Drion, services de tous genres, accordés sas distinction de partis et avec le plus grand désintéressement à tous ceux qui se sont adressés à lui. M. Adolphe Drion ne peut pas être le candidat d’un parti, il doit être celui de tout l'arrondissement à la satisfaction duquel il a mis son intelligence, son activité, son dévouement et son influence. Jamais on n'a fait en vain appel à son concours, à quelque classe de la société, à quelque condition que l'on appartint : le petit facteur et même l’ouvrier non-électeur sont accueillis par lui avec la même affabilité que l’électeur influent.
Nous dirons que, dans un pays régi par le système du cens, où par conséquent une grande partie de la population laborieuse est sans conseil, sans appui, sans représentant, lorsqu'on trouve un député qui s’occupe d'elle avec autant de sollicitude que M. Adolphe Drion, c'est une nécessité, c'est un devoir de ne pas le combattre. Nous cherchons vainement, parmi les adversaires de M. Drion l'homme qui le remplacerait. Il n'existe pas !
(Extrait de la Gazette de Charleroi, du 26 février 1914)
Mort de M. Adolphe Drion
L’une des figures politiques les plus anciennes et le plus caractéristiques de l’arrondissement de Charleroi vient de disparaître : M. Adolphe Drion, le vieux lutteur politique qui avait été créé baron de Chapoi, est mort hier à l’âge de 83 ans.
Depuis quelques années, on le sait, M. Adolphe Drion avait cédé à son fils le mandat parlementaire qu’il avait vu tant de fois et alternativement interrompu ou renouvelé sous le régime censitaire. Sa première candidature à la Chambre et son premier échec datent de 1864. Tous deux sont renouvelés en 1866.
En 1870 M. Drion décroche son premier mandat qui est renouvelé en 1874 et interrompu en 1878 jusqu’en 1886.
Dans l’intervalle, en 1882 et en 1884, il tente vainement deux assauts au Sénat.
En 1890, nouvel échec à la Chambre. En revanche, M. Drion est appelé à la Constituante en 1892. Mais en 1894 le suffrage plural le rend de nouveau à la vie privée jusqu’en 1900, époque à laquelle la proportionnelle le rappelle sans interruption à la Chambre jusqu’à ce qu’il passe la main à son fils après les élections de 1908.
Le vénérable défunt eut, on le voit, une carrière politique agitée entre toutes. Nous ferions tort à sa mémoire en disant que cette carrière fut d’un lustre éclatant. Mais on ne pourrait ôter à M. Drion le mérite d’avoir été d’une servialité sans limites. A l’époque où les communications avec la capitale n’étaient pas aussi multipliées qu’aujourd’hui cette qualité valut même au député gosselien des missions qui prêtèrent plus d’une fois à la plaisanterie.
N'importe, elle lui avait donné sous le régime censitaire une popularité et une force qui nous dotèrent en quelque sorte d’un parti spécial : le parti drionniste.
Celui-ci ne fut même pas enterré avec l’ancien régime : il revêtit une forme nouvelle qui se traduit maintenant dans les rapports entre cléricaux. Mais il est probable que le drionisme ne résistera pas à la mort de son créateur qui fut un type en politique, il n’y a pas à le nier.
Au demeurant, M. Adolphe Drion était entouré d’un respect général qu’il emporte dans la tombe.
(Extrait de la Gazette de Charleroi, du 27 février 1914)
Le baron Drion
De M. V. de Marcy :
Un bien brave homme, le baron Drion, qui vient de mourir dans le château de Chapois, à Gosselies, ou, il y a 83 ans, il naquit.
M. Drion que, dans son arrondissement, on ne désignait que sous le nom de « Monsieur Adolphe », et parfois même sous celui de « Dodolphe » tout court, était un vétéran de la politique catholique. De par son mariage avec Mademoiselle Pirmez, il appartenait à l’une des plus importantes familles de la région hennuyère. C’était un homme simple et courtois. Son titre de baron qui lui fur octroyé il y a une quinzaine d’années ne modifia en rien son excellent caractère.
« - Ce n’est pas pour moi que j’ai obtenu ce titre de noblesse, disait-il ; c’est pour mes enfants à qui je désire laisser un peu plus que mon souvenir… »
L’ancien député de Charleroi avait fait son droit à Paris. Il racontait volontiers qu’il devait le succès de son dernier examen à la faveur… d’une boîte de cigares.
« - Mon professeur, confessait-il avec humour, était un fumeur enragé ; seulement, il n’était jamais parvenu à se procurer de véritables cigares pour la raison qu’il n’y en a qu'en Belgique. Le rencontrant un soir au foyer de l'Opéra, il tomba en arrêt devant moi :
« - Il est exquis, votre Londres ! me dit-il en en humant voluptueusement la fumée.
« J'aurais voulu Ici offrir un cigare sur-le-champ ; mais, outre que mon étui était vide, j'en étais totalement dépourvu.
« A quoique temps de là, je lui fis visite dans sa modeste garçonnière, là-bas, en haut du Quartier latin, où il perchait depuis sa vie d’étudiant.
« - Mon cher maître, fis-je, prochainement j 'aurai quitté Paris ; avant de prendre congé de vous, autrement que par la fin de vos leçons, j'ai voulu vous offrir mes hommages. Je vous les apporte - et j’y joins une caisse de cigares que vous voudrez bien fumer en souvenir du petit Belge que je suis.
« Le professeur en fut ravi et quand, quelques jours plus tard, je me présentai à l’examen, ce fut pour obtenir ce qu'on appelle la maxima laude... J'ajoute, cependant, qu'avant de me « coller » la plus grande distinction, l'examinateur m’avait fait promettre (ici le narrateur se grattait la tempe), de ne jamais pratiquer la carrière d’avocat.
M. Adolphe Drion avait une grande passion : la pipe ; il adorait aussi le bourgogne :
« - C’est au bourgogne, m'a-t-il dit parfois, que j'attribue le fait d’avoir bon pied, bon œil. » (…)
(Extrait du Bien Public, du 26 février 1914)
Nécrologie.
M. le baron Adolphe Drion du Chapois
Un vétéran de la cause catholique, personnalité entre toutes vénérée et sympathique, M. le baron Adolphe Drion du Chapois, vient de succomber, contre toute attente, couronné de mérites et d’années.
Il y a cinq jours une crise cardiaque le saisit, au cours d’une visite qu’il faisait dans ses propriétés d’Obaix. Ramené à Gosselies, il passa une bonne nuit. Le médecin jugea prudent d’appeler le prêtre. Le vénérable octogénaire reçut les Saints Sacrements. La santé sembla lui revenir avec sa bonne humeur habituelle. La soirée de mardi fut des plus agréables. Aucune inquiétude. Vers 11 h. 30, la crise fatale se produisit. M. le doyen de Gosselies apporta l’Extrême-Onction ; pleinement conscient et pénétré d’une foi profonde le malade la reçut au milieu des siens. Il ne ressentait aucune douleur. Mercredi matin à 6 heures 30 M. le baron Adolphe Drion s’éteignit doucement.
Il était si allant, d’humeur toujours vaillante et souriante, malgré ses 85 ans ; il était des rares privilégiés dont la mort, à quelqu’âge qu’elle se présente, est toujours une surprise.
Dès 1864, M. Drion, s’acquittant de ce qu’il considéra toujours comme dû à sa foi, à son rang social, à ses concitoyens, entra dans la vie politique militante ; il marcha à côté de M. Adolphe Dechamps, l’illustre orateur. En 1870, l’irrésistible courant du « soulagement universel » le porta à la Chambre. II y fut très utile à son parti, très utile ses commettants. Jamais - ceci ne sera taxé d'exagération par aucun de ceux qui savent - jamais député ne montra plus de dévouement, un dévouement plus large : un organe de l’opposition, le « Journal de Charleroi », écrivit un jour à son sujet : « « S’il n’existait pas, il faudrait l'inventer » ; - quelqu'un de très autorisé, dans une assemblée considérable, dit à son propos en le désignant au corps électoral qui avait commis l'erreur de ne pas le réélire : « On a pu lui succéder, on ne l'a pu remplacé. » Et le corps électoral répara son erreur.
La popularité de M. Drion se soutint, en dépit de toutes les vicissitudes politiques. Sa fortune électorale subit de courtes éclipses, elle se maintint jusqu'à sa retraite volontaire - le fils reprenant le mandat des mains du père. Ses adversaires le reconnaîtront aujourd'hui : aucun compétiteur ne leur fut plus redoutable. Par une sorte de serment que ses amis aimaient à rappeler, qu'il évoquait lui-même à la veille des grandes luttes, « il lutta jusqu'à son dernier souffle. » Rien de ce qui touche aux intérêts qu'il avait représentés, dans tous les domaines, ne lui devint étranger ou indifférent. Ses préoccupations ne varièrent ni ne faiblirent.
Son courage, son entrain, sa jovialité étaient légendaires. Toute sa personne attirait, retenait la confiance. Selon toute la force des mots, il était tout à tous. Il eût manqué à sa satisfaction personnelle, si d’aventure, quelque jour, son entremise ou sa générosité, n’avait été sollicitée. Il parlait peu, mais il agissait, beaucoup, excellement, avec cœur.
Jusque dans ces tout derniers temps, il eut la joie de conserver l’épouse inestimable qui fut non seulement la meilleure des compagnes et une mère modèle, mais aussi une conseillère avertie, une collaboratrice de première ordre. La grande épreuve de sa vie fut la mort de cette femme remarquable à tant d’égards. L’exquise affection d’enfants très chers, vivant comme lui, avec lui, pour lui, adoucit l’épreuve. Combien d’amis, de compagnons, de contemporains se diront, en apprenant le décès de cet homme si bon, objet d’un si sincère respect, d’un attachement si franc : « Une grande partie de ma vie disparaît avec lui »…
(Extrait de l’Ami de l’Ordre, du 27 février 1914)
Le Baron Drion du Chapois
Cinquante années de luttes électorales
Le baron du Chapois, qui vient de mourir, a fourni une carrière électorale qui a duré un demi-siècle, sans la moindre interruption, sans la moindre défaillance.
En 1864, il lutte comme candidat aux Chambres et il inaugure son système de visites électorales, qui firent sa force en établissant sa grande popularité. - En 1870, il décide les catholiques de Charleroi à lutter ; cette décision réduit l'hésitation des Gantois découragés ; grâce au succès de nos amis dans ces deux comices, le ministère libéral est culbuté ; M. Drion entre la Chambre. - En 1874, il repasse seul et, pendant quatre ans, il est seul député catholique pour le Hainaut. - En 1878, son échec a sa répercussion sur le ministère qui est renversé. – En 1882, il lutte pour le Sénat ; 1886 lui procure un succès éclatant : il passe seul en tête de liste, battant de beaucoup le candidat le plus favorisé de la liste de l'opposition ; son ami M. Noël est élu au ballottage. - Renversé en 1890, M. Drion revoit en 1892 son succès de 1886 ; il obtient une majorité écrasante sur les libéraux et M. Noël réussit de nouveau au second tour. - L'extension du droit de suffrage en 1894 lui fut fatale ; la représentation proportionnelle lui assura son siège de 1900 à 1909, époque où il se retira en faveur de son fils, le baron Ernest Drion du Chapois, qui depuis cette époque n'a cessé d'être député.
En 1863, Adolphe Drion fut élu comme conseiller communal à Gosselies, sa ville natale, et dans une circulaire de remerciements il préconisait déjà l'union indéfectible des catholiques, il s'élevait contre les idées si néfastes qu'engendre le particularisme.
Aussi modeste dans les succès que résistant dans les défaites, le baron Drion incarne l'histoire du parti catholique dans l'arrondissement de Charleroi. Il y a cinquante ans, les doctrinaires considéraient, non sans une certaine raison, le Pays Noir comme leur fief inexpugnable ; plus tard, les idées évoluèrent en faveur du progressisme, puis du socialisme. Les catholiques auraient eu fort à faire sans l’aide du baron Drion. Il mit au service de notre cause son extrême urbanité, son inlassable activité, sa charité inépuisable. Pendant plus de quarante ans, il a pratiqué l'écrasant labeur des réceptions dominicales; chaque matinée de dimanche, il recevait une centaine de solliciteurs ; tous obtenaient une bonne parole, un conseil amical ; tous se plaisaient à se féliciter de l'avoir approché quelques minutes.
Cette sollicitude pour le bien particulier de ses commettants ne lui fit pas oublier les intérêts de son cher arrondissement, le bien du parti et de la religion.
Chrétien convaincu, sa vie a été un modèle de travail ; il fut le bon et dévoué serviteur de Dieu et de l'Eglise et il a bien mérité le repos éternel. Nous présentons nos respectueuses condoléances à tous les membres de son honorable famille et, avec eux, nous prions pour leur regretté défunt.
Les funérailles, suivies de l'inhumation, auront lieu en l'église paroissiale de Gosselies le lundi 2 mars prochain, à 11 heures du matin. Le château du Chapois est desservi par la halte du Carrosse.
(Extrait du Journal de Charleroi, du 27 février 1914)
Adolphe Drion
C’est un ancien adversaire qui disparaît : adversaire irréductible, mais toujours plein d’urbanité, d’une correction et d’une loyauté parfaites, et par cela même redoutable plus qu’aucun autre.
Ce n’est pas du côté d’Adolphe Drion qu’on aurait pu s'attendre à des procédés tels que ceux dont ses successeurs font usage dans la polémique et dans la lutte.
Il avait une façon à lui de combattre et de faire de la propagande : il rendait des services, il se montrait affable, obligeant, utile et il complait davantage sur la reconnaissance spontanée de ses électeurs sur leurs convictions.
Jamais d'ailleurs, nous nous faisons un devoir de le reconnaître, il ne mettait une condition à son intervention. Plus habile et plus discret, il ne demandait rien, pour obtenir le plus.
On cite de lui des traits d'une grande délicatesse, des services rendus arec une bonhomie attachante, à des solliciteurs qui déclaraient franchement n'être pas de son parti. Assurément, il avait l’espoir qu'ils y viendraient, mais il avait le mérite de ne pas le dire el cette réserve pleine de finesse le distingue des spéculateurs de nos jours.
Quant aux manœuvres odieuses, aux moyens ignobles employés par les calotins contemporains, jamais on n'y eut trouvé mêlé ce catholique de vieille roche, continuateur des traditions respectables du parti conservateur.
Pour Adolphe Drion, l'adversaire n'était pas un ennemi, la bataille se localisait dans le domaine des idées et des principes, non sur le terrain des personnalités. Il y gagnait d'abord qu'on lui rendait la pareille et qu'il ne perdait rien dans la lutte de la considération dont il était digne.
Sa popularité était considérable, due surtout à sa bonté, à son extrême obligeance, à l’accueil que l'on était toujours certain de rencontrer chez lui. On peut dire qu'il n’a converti personne,. mais qu'il avait l'art de se faire des amis personnels.
Naturellement, le parti qu’il représentait en a tiré parti et sa mort constitue pour lui une perte irréparable. D’autant plus que le type qu’il personnifiait disparaît.
Il n’avait pas son second dans le parti catholique et n’aura pas de suppléant. L’âpreté des appétits actuels ne laisse plus de place à la politique patiente, calme et honnête dans le cléricalisme.
Adolphe Drion séduisait l’électeur pour sa affabilité ; aujourd’hui on l’achète cyniquement. C’est le règne de la corruption.
Avec Adolphe Drion l’ère du catholicisme qui se respectait est définitivement close et fait lace à celle des rastaquouères et des casseroles de la calote.
IL était temps qu’il s’en allât, pour ne pas voir son parti dégringoler dans la fange.
MARCELLUS.
(Extrait de : J.L. DE PAEPE – Ch. RAINDORF-GERARD, Le Parlement belge 1831-1894. Données biographiques, Bruxelles, Commission de la biographie nationale, 1996, pp. 275-276)
Bachelier ès lettres de la Sorbonne à Paris
Industriel
Conseiller communal de Gosselies (1863-1882)
Eligible au Sénat
Membre du comité de direction de la Société antiesclavagiste belge