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Desmaisières Léandre (1794-1864)

Portrait de Desmaisières Léandre

Desmaisières Léandre, Antoine, Joseph catholique

né en 1794 à Derendorf (Allemagne) décédé en 1864 à Bruxelles

Ministre (finances, travaux publics et guerre) entre 1839 et 1843 Représentant entre 1832 et 1861, élu par les arrondissements de Gand et Eecloo

Biographie

(Extrait de : E. BOCHART, Biographies des membres des deux chambres législatives, session 1857-1858, Bruxelles, M. Périchon, 1858, folio n°43)

Né pendant l’émigration, à Derendorf, en Prusse, M. Desmaisières appartient à une ancienne famille du Hainaut, dont plusieurs membres ont été grands-prévots de Tournai ; un de ses aïeux, Jean Desmaisières, seigneur du Vassal, fut député aux Etats-Généraux tenus à Bruxelles en 1633.

M. Desmaisières ayant, dès son enfance, perdu son père, lieutenant-colonel dans les Gardes wallonnes au service d’Espagne, fit ses études d’abord au collège d’Ypres, puis au Lycée de Bruges, et fut enfin admis, après de brillants examens, à l’Ecole polytechnique.

Nul n’ignore que, le 31 mars 1814, à la bataille qui fut livrée devant Paris, les élèves de l’Ecole polytechnique se couvrirent de gloire par leur défense héroïque. Le jeune Desmaisières eut l’honneur de prendre part avec ses camarades à cet immortel combat.

Quand la séparation de la Belgique et de la France fut prononcée, M. Desmaisières entra dans l’armée des Pays-Bas, comme deuxième lieutenant du Génie.

Nommé premier lieutenant, le 19 août 1817, il obtint, en 1824, sa démission honorable, et rentra dans la vie privée.

La révolution de 1830 le trouva marié et établi à Gand où il fut incoporé dans la garde civique. Ses antécédents militaires, l’estime publique dont il jouissait à juste titre le firent élire successivement capitaine, major, et, enfin, le 13 juin 1831, colonel de la deuxième légion de ladite garde, qu’il commanda en chef pendant les fréquentes absences du baron Coppens, retenu à Bruxelles pour son mandat de député du Congrès national.

Les services que rendit M. Desmaisières dans cette position et dans des circonstances difficiles, accrurent beaucoup sa considération et sa popularité à Gand. Le 6 novembre 1832, il y fut élu membre de la chambre des Représentants.

Dans cette assemblée appelée à pratiquer les principes de la liberté constitutionnelle votée par le Congrès, l’honorable M. Desmaisières fut, pendant plusieurs années consécutives, chargé du rapport sur le budget de la guerre. Celui de l'année 1838 est sans contredit l’un des plus mémorable de ces rapports.

Son active et utile intervention dans la discussion des lois sur l’établissement d’une école militaire, sur la position et l’avancement des officiers et les pensions militaires, le fit distinguer comme homme spécial, dans l’organisation et l’administration des forces du pays. Les solutions qu’il sut donner à diverses questions relatives aux intérêts matériels, firent remarquer aussi l’étendue de ses connaissances industrielles et financières.

Nous le voyions figurer en tête des 23 signataires de la proposition qui avait pour objet d’établir un tarif protecteur en faveur de l’industrie cotonnière.

En 1837, l’honorable député de Gand est choisi pour rapporteur de la Commission chargée de rechercher les vices de la législation sur les sucres ; les conclusions de son rapport sont adoptées après une vive discussion.

Vers la même époque, il prit une grande part à la discussion du tarif sur le bétail, et dans celle de la loi générale sur le transit.

Pour mieux faire comprendre le résultat obtenu en 1838, par les services antérieurs de M. Desmaisières, nous devons remonter à la loi de 1834. L’honorable député de Gand fut le rapporteur de la section centrale pour le projet de loi qui a augmenté le droit d’entrée des toiles étrangères, lequel avait été un simple droit de balance d’un pour cent d’après le tarif hollandais. Son travail, embrassant toutes les questions relatives à l’industrie des lins, et indiquant les moyens, pratiqués depuis, pour atténuer les effets de la crise linière qu’on pouvait déjà pressentir à l’aspect de l’introduction du nouveau travail mécanique, fut adopté par la Chambre, malgré l’opposition des ministres, qui ne purent s’empêcher de rendre hommage au talent du rapporteur.

L’adoption de la loi prépara la conclusion d’un accord commercial avec la France. Nulle mesure plus importante ni plus efficace n’a été prise depuis cette époque pour venir en aide aux tisserands et aux fileuses des Flandres. Aussi vit-on l’exportation de leurs produits qui, en 1833, n’atteignait qu’une valeur de 8 millions, s’élever, en 1838, au double de cette valeur.

Ce fut aussi en 1838 que se fonda, sous la présidence de l’honorable M. Desmaisières, l’Association pour le progrès de l’industrie linière, qui rendit de grands services à la classe des travailleurs pendant les crises occasionnées par la transformation de l’industrie. De cette Association naquirent tous ces utiles Comités, ces ateliers d’apprentissages, ces écoles manufacturières et autres, qui sont aujourd’hui l’objet des éloges de tous les partis.

En 1839, l’honorable représentant fut nommé commissaire du gouvernement auprès de la banque de Belgique pour le prêt de quatre millions. Les actionnaires français voulurent demander la dissolution et la liquidation de la société. M. Desmaisières contribua beaucoup à faire changer cette résolution. En retour, les actionnaires proposèrent spontanément au Roi sa nomination aux fonctions d’administrateur de la Banque.

Une nouvelle occasion se présenta pour l’honorable M. Desmaisières de faire preuve d’un esprit conciliant et patriote. Les stipulations indiquées dans le traité de paix de 1838 répugnaient à ses sentiments de citoyen belge ; mais convaincu que l’accord des grandes puissances mettait le pays dans la dure nécessité d’accepter cet arrangement, il vota en faveur du traité moyennant des réserves qui furent consenties en partie par la Conférence, notamment en ce qui concerne les délimitations du Luxembourg, le jaugeage des tonneaux suivant la fixation des droit à percevoir sur l’Escaut et sur le canal de Terneuzen.

Les ministres étaient alors MM. de Theux, Willmar, Nothomb.

Le 5 avril 1839, il fut nommé ministre des Finances et fit partie, en cette qualité, du troisième ministère du roi, dans le cabinet de Muelenaere–de Theux.

L’exécution, sous le rapport financier, du traité de paix qui venait d’être ratifié solennellement, exigeait de la prudence et de la fermeté. M Desmaisières réussit à poser des bases avantageuses au pays.

Le 18 avril 1840, il quitta les affaires avec tous ses collègues ; le troisième ministère du roi fut remplacé par un nouveau cabinet Lebeau- Rogier.

Cette même année, la Chambre institua une Commission d’enquête parlementaire industrielle et commerciale. M. Desmaisières en eut la présidence.

Le 13 avril 1841, il entra au ministère des Travaux publics dans la combinaison mixte conseillée au Roi par M. J. B. Nothomb, pour rétablir l’harmonie entre les pouvoirs parlementaires.

Le 18 avril 1843, une réorganisation complète du cabinet devenait indispensable par suite des retraites successives de plusieurs membres, et de l'entente qui cessait d’exister entre les ministres restés à leur poste.

M. Desmaisières se retira.

Outre le ministère des Travaux publics dans lequel il prouva sa haute capacité administrative, il avait géré ad interim, depuis le 5 avril, le ministère de la guerre dont s’était démis le général de Liem, mécontent de la réduction de son budget.

Comme ministre des Finances, il présenta à la législature et fit adopter un projet de loi sur la répression de la fraude. Les meures financières qu’il prit et le retour de la prospérité de la Banque de Belgique, auquel il contribua puissamment, eurent pour résultat de relever le crédit national, à ce point que le trois pour cent belge monta à plus de 77, taux qu’il n’avait jamais atteint, et qu’il n’atteignit jamais plus depuis lors.

Comme ministre des Travaux publics, il donna une très grande impulsion à l’achèvement du chemin de fer de l’Etat, dont il put inaugurer plusieurs sections importantes. Malgré la vive opposition qui les accueillit, ses tarifs du 22 mars 1842 ont, après dix ans d’expérience, été maintenus et confirmés par la chambre des Représentants et le Sénat, comme étant les plus propres à accroître en même temps les recettes de l’administration et le mouvement des marchandises et des voyageurs.

Il demanda et obtint de la législature les premiers fonds nécessaires au creusement du canal de la Campine, qui, joignant l’Escaut à la Meuse, sert aussi à l’irrigation et à la fertilisation d’une partie considérable du territoire belge.

C’est à lui que l’on doit l’adoption du projet de loi décrétant le canal de Zelzate, projet dont le vote était arrêté au sénat par suite des difficultés relatives à l’organisation du concours des propriétaires intéressés. M. Desmaisières leva ces difficultés, et rendit ainsi un grand service aux localités dont le canal de Zelzate a pour objet d’assurer l’écoulement des eaux et l’assainissement.

Il proposa au Roi et contresigna l’arrêté royal du 8 novembre 1841, instituant la publication des Annales des Travaux Publics, utile recueil destiné à réunir les documents intéressant les travaux publics du royaume, qui se rattachent, soit aux sciences exactes, soit aux perfectionnement de l’industrie.

Les inondations intempestives du bassin de l’Escaut et de la Lys causaient tous les ans des pertes immenses à l’agriculture des Flandres et du Hainaut et à plusieurs branches importantes de l'industrie de ces provinces. M. Desmaisières institua, comme ministre des Travaux publics, une commission chargée de rechercher les moyens d’obvier à ces inondations. Devenu ensuite gouverneur de la Flandre orientale, il devint aussi président et plus tard rapporteur de cette commission. Le rapport qu’il présenta au gouvernement est généralement considéré comme très remarquable et très complet. Il conclut au creusement du canal de Schipdonck, lequel a, en conséquence, été décidé et sera bientôt terminé.

Le 12 mai 1843, la confiance du Roi appelle M. Desmaisières au poste de gouverneur de la Flandre orientale.

Regardant la division du pays en deux camps ennemis comme dangereuse pour l’avenir de notre nationalité dont la force est dans l’union, l’honorable M. Desmaisières n’a jamais été de ceux qui ont poussé l’activité des masses vers la lutte des partis. Le désir de la conciliation l’a toujours guidé, aucun ministère exclusif ne l’a compté parmi ses membres.

Aux élections de juin 1847, M. Desmaisières ne vit pas renouveler son mandat de représentant pour l’arrondissement de Gand, sur 2.332 votants, il obtint 1.067 voix, et le nombre de suffrages qu’il recueilli ne fut atteint par aucun des candidats conservateurs du même arrondissement.

Le ministère du 13 août 1847, mû par des considérations toutes politiques, crut devoir donner un successeur à M. Desmaisières, dans son poste de gouverneur de la Flandre orientale.

Cet intègre administrateur rentra dans la vie privée, et fut rappelé à la Chambre, en juin 1852 par les électeurs de l’arrondissement d’Eecloo, qu’il n’a cessé de représenter depuis cette époque.

L’honorable M. Desmaisières a reçu en récompense de ses loyaux services le grade d’officier de l’ordre Léopold, le 21 avril 1841, et celui de Commandeur du même ordre, le 3 juin 1847.


(Extrait du Journal de Bruxelles, du 31 mai 1864)

M. Desmaisières, que le pays vient de perdre, faisait partie de cette ancienne génération dont les rangs commencent à s'éclaircir, mais qui a su marquer son passage par des travaux que nous ne devons pas laisser oublier.

Les hommes du temps actuel, en possession de leur jeunesse, se rappelleront qu'avant eux des hommes courageux el dévoues au pays se rencontrèrent pour lutter contre les difficultés qui toujours résultent d'une époque d'enfantement et parvinrent à faire traverser au pays des crises nombreuses et redoutables.

M. Desmaisières a été l'un de ces hommes ; on ne lui disputera pas ce très grand honneur. Appelé au ministère des finances en 1839, il était déjà membre de la Chambre des représentants depuis six années : et en mainte circonstance, il avait déployé beaucoup de netteté et de justesse dans les vues et un vif amour du bien public. Les classes souffrantes, et alors elles étaient plus nombreuses qu'aujourd'hui, n'eurent jamais besoin de faire appel à sa sympathie. Il découvrait et souvent il lui est arrivé de pressentir le mal, avant que personne ne lui en signalait la présence.

M. Desmaisières accepta la direction de nos finances dans un moment où le pays avait une liquidation laborieuse à opérer : Nous venions de conclure avec la Hollande un traité qui nous imposait des charges et répandait dans le pays un profond découragement ; nous venions de faire des dépenses considérables pour notre armée ; puis une crise qui compromettait et mème renversait plusieurs grands établissements financiers augmentait la complication. Nous souhaitons bien vivement que lé retour de pareil temps soit à jamais évité au pays ; mais on ne doit pas oublier que M Desmaisières contribua pour une très forte part à toutes les mesures qui eurent pour résultat de calmer peu à peu les craintes, de ranimer l'activité, la confiance et de donner aux finances publiques un ressort qu'on trouve tout naturel aujourd'hui, parce qu'on perd de vue qu'il a fallu trouver d'abord les bases solides sur lesquelles elles reposent. Les hommes qui gouvernaient alors calculaient les ressources exactes du pays avant de voter une dépense.

M. Desmaisières était un organisateur éminent. Il le prouva encore un peu plus tard, comme ministre des travaux publics. Il y avait alors énormément à créer et à surveiller dans ce ministère. Ce fut un heureux hasard qui voulut que le ministre et le directeur du chemin de fer eussent des souvenirs d'étude commune, qui rendaient plus faciles l'unité de vue el surtout la meilleure manière de les appliquer.

M. Desmaisières, en effet, avait été élève de l'école polytechnique en France, et avait commencé sa carrière militaire par un acte de courage et de sang-froid qui lui valut plus tard les distinctions que le gouvernement français regarda comme un devoir d'accorder à l'un de nos concitoyens.

Mais laissons à d'autres le soin de retracer toute la carrière politique d'un homme dont nous regrettons bien sincèrement la perte. Nous avons voulu bien rapidement prouver en quelques lignes par un exemple que les hommes politiques les plus méritants ne sont ceux auxquels s'attache la faveur publique la plus bruyante. D'ailleurs. M. Desmaisières avait, lui aussi, connu cette époque de très grande popularité dans la ville qu'il aimait par-dessus toutes les autres, et qui le lui rendait en reconnaissance, jusqu'au jour où l'esprit de parti parvint à égarer les esprits et à faire méconnaître bien des services rendus.

L'enterrement de M. Desmaisières a eu lieu à Uccle, au milieu d'un grand concours d'amis. Le Roi y était représenté par des officiers de sa maison. Le service funèbre sera célébré le samedi 4 juin, à 11 heures, en l'église de N.-D. de Finisterre.