Descamps Edouard, François, Eugène catholique
né en 1847 à Beloeil décédé en 1933 à Bruxelles
Ministre (sciences et arts) entre 1907 et 1910Voir la longue note biographique qui lui a été consacrée par Romain YAKEMTCHOUK, dans la Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique,1979, t. 41, col. 198-247
(Extrait du Soir, du 24 janvier 1933)
Le baron Descamps
Comme il était académicien, on le croyait volontiers immortel. De fait, à quatre-vingt-cinq ans, il avait gardé une rare verdeur physique et ce don animé, qui le caractérisa toujours, de se promener, en abeille butinante, dans le monde des idées. Législateur, professeur, juriste, aux aspects multiples, historien religieux et même à ses heures théologien, homme de lettres aussi, et, aussi poète, il déploya, dans toutes les directions, des antennes que guidait un sens subtil de l'actualité : qu'une question quelconque surgît à l'ordre du jour de l'opinion, on était sûr que le baron Descamps aurait son mot à dire.
Au Sénat, où ses interventions furent fréquentes et heureuses, et qu'il présida souvent, il était resté fidèle à la redingote ; et, ajouté à son ancienneté de parlementaire, cela lui valut d'être considéré comme le représentant le plus qualifié de l'air de la maison, fait de distinction condescendante et de courtoisie aimable. Heureusement, quand, avec l'extrême-gauche, le « chahut » pénétra dans la Chambre Haute, le baron Descamps était devenu un peu dur d'oreilles.
Il fut un des coloniaux de l'heure première des risques et de l'impopularité. Si les titres et les honneurs l'en récompensèrent, c'était justice. Car il n'épargna ni ses peines ni sa générosité. Et, par là, s'affirmèrent, dans sa psychologie, des traits de fidélité et de bravoure qui méritent respect et sympathie.
Toute une génération d'hommes d'Etat - déjà disparus - s'assirent, à Louvain, au pied de la chaire de Droit constitutionnel du baron Descamps. Ils y apprirent - et leurs fils après eux - que la Charte belge est une chose immuable, qui ne se prête ni à la fantaisie des interprétations ni à la nouveauté des exégèses, mais demeure soumise au régime du définitif catégorique.
Le Droit international fut une des grandes passions du baron Descamps ; et son entregent intellectuel circulait, avec une souple aisance, dans les méandres de cette science compliquée et conjecturale. Avant le guerre, aux côtés de Beernaer,. il mira, à La Haye, dans les eaux du Dyyer, des rêves de paix auxquels les événements devaient donner un sanglant démenti. Si le patriote qu'était le baron Descamps - et un grand patriote - en souffrit cruellement, le savant n'en fut que provisoirement déconcerté. La bourrasque passée, il reprit, à pied d'œuvre, son labeur « d'ami des peuples. » Et, sans doute, s'est-il endormi dans la mort, avec, au cœur, la vision d'une réconciliation universelle.
* * *
Comment expliquer – sinon par le désir, presque fiévreux, et que nous signalions tout à l'heure, de tout connaitre et de tout tenter - comment expliquer que le baron Descamps, défricheur de valeur des champs scientifiques, se soit égaré, un jour, dans les parterres littéraires et ait voulu y jouer du violon d'Ingres de la poésie ?
L'aventure rappelle assez bien celle de Ponsard, qui, au temps du Romantisme, écrivit sa « Lucrèce » et voulut s'en servir - selon le mot des Goncourt - comme d'une mâchoire de fauve, pour assommer l' « Hernani » de Victor Hugo.
De même, pour réagir contre les tendances, à son sens trop modernistes, de la jeune littérature belge', le baron Descamps, aux environs de 1892, publia « Africa » un drame en vers, un drame en cinq actes, protestation contre l'art moderne à qui l'auteur reprochait d' « oser tout » ! Et, comble de provocation, ce drame en cinq actes et en vers fut couronné par un jury de littérature coloniale, que, naturellement, on étiqueta tout de suite du nom de « jury congolais. »
Ce fut un beau tapage ! Tout mouvement artistique, en son stade de combativité, cherche des « têtes de Turc » sur qui porter ses coups. Et « Africa » vint à point pour servir de cible ce jeu de massacre.
Surtout les « Jeunes Catholiques » - qui venaient d'emboiter le pas à « La Jeune Belgique » - furent féroces pour la « tragédie noire » et ce d'autant plus que la presse de leur parti, parce qu’il s'agissait de l'œuvre d'un homme politique, avait cru devoir entonner d'absurdes dithyrambes en l'honneur d'« Africa » et que les Josephites de Melle eurent la fâcheuse idée d'organiser, en leur grand établissement d'éducation, une sorte de fatrie, glorificatrice et expiatoire, où, au cours de la représentation du « chef-d'œuvre » son auteur fut proclamé « grand poète », et une plume d'or lui fut offerte !... II y a quarante ans de cela, et les Josephites de Melle devaient vraiment une revanche à la poésie ; ils nous l'assurèrent récemment en faisant don aux Lettres Belges de l'authentique et grand poète qu'est Camille Melloy !
« Africa » eut même les honneurs de la parodie. Le pastiche « Africus » d'une mordante rosserie, s'enleva comme des petits pains et est devenu une rareté de bibliophile. Ses auteurs étaient trois lettrés, devenus gens graves et très haut placés, et dont deux ont déjà précédé, au pays des ombres, le baron Descamps. Celui-ci les retrouvera sans aucune amertume, car, quand on lui rappelait « Africus », il avait coquetterie à dire que seules sont parodiées les œuvres qui en valent la peine !
Au demeurant, le baron Descamps- et c'est un des côtés attachant de sa personnalité - ne garda aucune rancune de ses « brocardeurs. » Devenu ministre des Sciences et des Arts, il se fit pardonner « Africa » en étant généreusement accueillant à l'école littéraire qui fut si sévère pour lui. Malgré l'opposition des pédagogues, il nomma professeur de littérature, à l'Université de Gand, Fernand Severin, une des gloires de « La Jeune Belgique ». Et en quittant le pouvoir, il n'eut qu'un regret, c'est de devoir laisser à un de ses successeurs - qui fut Jules Destrée - la joie et l'honneur d'être le Richelieu de cette Académie de Langue et de Littérature françaises, dont le baron Descamps eut l'idée première.
Dans la plus haute et la plus large acception du mot, le baron Descamps, savant légitimement honoré et poète âprement discuté, était un brave homme et un homme brave.
Firmin VAN DEN BOSCH
(Extrait de Vers l’Avenir, du 18 janvier 1933)
Bruxelles, le 17 janvier 1933
La mort du baron Descamps
Le baron Descamps, qui avait quitté l'hémicycle à la fin de la session dernière et qui ne s'était plus représenté aux suffrages des électeurs, n'aura pas survécu longtemps à cette retraite politique. On a appris ce matin qu'un arrêt du cœur l'avait terrassé cette nuit, alors que rien, la veille, n'avait pu faire supposer à son entourage qu'il ne se réveillerait plus.
La nouvelle a produit une douloureuse sensation dans les sphères politiques. Tout le monde appréciait l'ancien doyen d'âge du Sénat pour l'assiduité avec laquelle il suivait les débats du Parlement et pour le labeur écrasant auquel, malgré son âge, il continuait à se livrer. Il avait quitté l'hémicycle sénatorial, peut-on dire, en beauté, après une manifestation particulièrement cordiale organisée, au mois de juin de l'an dernier, par ses collègues qui avaient voulu le fêter à l'occasion du quarantième anniversaire de son entrée au Sénat.
Raconter sa vie c'est faire le récit des événements qui se déroulèrent pendant cette longue période aussi bien au Parlement, que dans les sphères académiques et universitaires. Le mouvement organisé en faveur de l'arbitrage international ne trouva pas de plus fervent apôtre que lui et l'on sait aussi le rôle qu'il joua, comme juriste, comme professeur de droit international et comme pacifiste.
Il présidait les séances de l'Union interparlementaire du commerce et, au milieu des occupations les plus diverses, trouvait encore le moyen de collaborer à quantité de revues scientifiques ou juridiques. On lui doit toute une littérature sur les questions coloniales, la traite des esclaves, les conventions internationales, le problème de la neutralité belge, le referendum, etc. On lui doit aussi des ouvrages très importants comme ses deux livres sur le Génie des Religions et son volume sur l'Histoire des missions.
Grand admirateur dé l'œuvre coloniale, il avait été un des premiers en Belgique à seconder le Roi Léopold par la parole et par la plume. C'est ce qui lui avait valut d'être élevé à la dignité de ministre d'Etat du Congo. On sait qu'il présidait la Cour de Cassation de notre Colonie et qu'il avait été le premier ministre des Sciences et des Arts, charge qu'il exerça sous les ministères de Trooz et Schollaert.
Au Sénat, l'activité du baron Descamps était très grande. On lui doit quantité de rapports sur les questions les plus diverses, spécialement les questions d'ordre constitutionnel qu'il affectionnait. La Haute Assemblée l'avait nommé vice-président en 1922 et il s'efforça de remplir ce rôle de son mieux. Lorsque l'assemblée devait expédier un ordre du jour chargé, il trouvait moyen de couper court aux discussions et de liquider en un tournemain le programme assigné à l'assemblée.
Ce vétéran avait conquis tous ses collègues par sa simplicité familière et son urbanité. II jouissait de leur estime et de leur considération et la nouvelle de sa mort les affligera très sincèrement.
(Extrait de Le Vingtième Siècle, du 18 janvier 1933)
Mort du baron Descamps, ancien vice-président du Sénat
Un décès qui suscitera de l'émotion dans les sphères politiques : le baron Descamps a été frappé par la mort cette nuit en son hôtel de l'avenue Louise. Il avait quatre-vingt-cinq ans. Décès inattendu, car il s'était endormi la veille paisiblement. Ses enfants l'ont trouvé sans vie dans son lit. Il avait succombé pendant la nuit à la suite d'un arrêt du cœur.
C'est une physionomie intéressante du Parlement qui disparaît en la personne de ce vétéran de nos luttes politiques. L'âge venait de l'éloigner de l'hémicycle sénatorial où il avait continué à faire montre, cependant, d'une étonnante verdeur. Et l'on s'était difficilement fait à l'idée de ne plus le voir au fauteuil présidentiel où il siégeait, de temps à autre, pendant les absences de M. Magnette, et où on le retrouvait chaque année, sa qualité de doyen de notre Chambre Haute l'appelant régulièrement à présider le bureau provisoire.
Il jouissait d'une popularité de bon aloi, et ses anciens collègues regretteront la disparition de cet homme de bien, de ce savant, de ce juriste dont la réputation s'était étendue au delà de nos frontières. Il y a quelques mois à peine, le Sénat avait, au cours d'une manifestation pleine de cordialité, célébré le quarantième anniversaire de son entrée dans cette assemblée.
Carrière étonnante que celle de ce vieillard qui, à 85 ans, venait encore de livrer à l'impression un ouvrage de 700 pages qui constitue un véritable monument élevé à la gloire des Missions et dont l'activité littéraire paraissait inépuisable. Il faudrait des colonnes pour énumérer les tâches les plus diverses auxquelles il s'était consacré comme professeur, comme juriste, comme parlementaire, comme écrivain, comme ministre. Nous devons nous borner à indiquer ici quelles furent les étapes successives accomplies par cette forte personnalité.
Né à Beloeil le 27 août 1847, le baron Descamps fit ses études au Collége Notre-Dame de Paix, et conquit le diplôme de docteur en droit à l'Université de Louvain. Nommé docteur en sciences politiques et administratives, il fréquente ensuite les principales universités d'Allemagne et de France et devint professeur de droit international à l'Université de Louvain en 1881. Il siégea au conseil communal de Louvain et au Conseil provincial du Brabant, devint bâtonnier de l'ordre des avocats et se passionna bientôt pour l'œuvre africaine de Léopold II. Il devint un des plus fervents apôtres de cette géniale entreprise qu'il devait défendre par la parole et par la plume.
Il se consacre bientôt aussi aux questions internationales et défend avec ardeur la cause de l'arbitrage. Il siège à l'Institut Colonial international, au Conseil interparlementaire, à la Cour permanente d'arbitrage, devient président de l'Institut de Droit International.
Le Gouvernement le charge de le représenter à l'étranger dans de nombreuses conférences. Il est le plénipotentiaire de la Belgique aux conférences de Bruxelles en 1889 où l'on discute la question de la traite africaine ; il est notre délégué à Berne en 1894 à la conférence de l'Union internationale pour la publication des traités ; il nous représente en 1896 à la Conférence organisée en vue de la protection des œuvres artistiques et littéraires, puis à Londres où l'on discute l'organisation de la bibliographie des sciences. En 1899. lorsque s'ouvre à La Haye, la première conférence de la Paix, il est le chef de notre délégation.
Les grandes Académies étrangères appellent le baron Descamps à siéger parmi leurs membres et lui confèrent de hautes distinctions honorifiques. L'Institut International du commerce lui confie la présidence de son organisation. Le Roi lui confère la dignité de ministre d'Etat pour reconnaître le zèle qu'il a déployé en faveur de la Colonie, lui confie la présidence de la Cour de Cassation du Congo, l'appelle à prendre le porte- feuille des Sciences et des Arts, le 2 mai 1907, dans le Cabinet de Trooz. Il siègera ainsi au Gouvernement jusqu'au 5 août 1910, devenu à ce moment le collaborateur de M. Schollaert.
II faisait à ce moment partie du Sénat depuis près de dix-huit ans, ayant été élu pour y représenter l'arrondissement de Louvain, le 14 juin 1892. Là aussi les questions les plus diverses avaient sollicité son attention et la rédaction de nombreux rapports l'avaient mis en vedette. Il y traite les questions constitutionnelles, le régime des Colonies, le referendum, les questions maritimes et commerciales, s'intéresse aux lois sociales, à l'épargne de la femme mariée, aux traités et conventions internationales, aux relations de la Belgique avec l'Etat du Congo, à la donation royale. Et il intervient avec autorité dans tous les grands débats.
Dans l'intervalle, cet homme d'une débordante activité collabore à de nombreuses revues et publie quantité d'ouvrages traitant du droit public et du droit international, de la philosophie, de l'histoire du droit, des questions africaines. Les bulletins de l'Académie s'enrichissent d'articles documentaires consacrés à l'évolution de la neutralité, à la constitution internationale de la Belgique. au différend anglo-congolais. Il publie ailleurs d'importants ouvrages où il traite de la traite des esclaves de l’Arique nouvelle, de l'action du christianisme dans les sciences et dans les lois, de l'organisation de l'arbitrage international, du droit de la paix et de la guerre. Et il le loisir d'écrire deux volumes remarquables sur le Génie des Religions.
Les dernières années de sa vie se passent dans l'hémicycle sénatorial. Après avoir subi les épreuves de l'occupation dans Louvain. la ville martyre, ce vétéran dont le ressort intellectuel ne s'est pas un instant affaibli, continue à consacrer son temps aux travaux de la Législature. Il est élevé, en 1922, la vice-présidence de la Haute Assemblée. et on le retrouve à ce poste jusqu'à l’issue de la session dernière, étonnant ses collègues par son intelligence demeurée vivace et son merveilleux allant.
Telle est en raccourci cette carrière d'homme d'Etat et de savant. Tous les catholiques regretteront la disparition de ce chrétien et de ce parlementaire éclairé. Et c'est de tout cœur que nous prions sa famille d'accepter ici, avec l'hommage de notre admiration. l'expression émue de condoléances chrétiennes.