Delescluse Jean-Baptiste, Toussaint libéral
né en 1803 à Ath décédé en 1861 à Ath
Représentant entre 1848 et 1852, élu par l'arrondissement de Ath(DELHAYE Jean-Pierre, Jean-Baptiste Delescluse, dans Nouvelle biographie nationale, Bruxelles, Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, 1990, pp. 112-114)
DELESCLUSE, Jean-Baptiste, avocat, journaliste, homme politique, né à Ath le 5 avril 1803, y décédé le 9 novembre 1861.
Fils de Jean-Juste Delescluse (Ath, 1769-1855), juge de paix du canton d'Ath (1822-1847) et de Marie-Philippine Ockerman, Jean-Baptiste Delescluse appartient à une famille de propriétaires terriens, d'hommes de loi, de fonctionnaires. Il termine ses humanités au collège d'Ath en 1819. Comme son condisciple Adelson Castiau, il suivit probablement les cours de Théodore Jouret et de Charles Blargnies. Dès lors, peut-on parler de l'influence d'une école athoise sur les idées sociales de Castiau, et du secrétaire communal d'Ath (de 1843 à 1858), Henri Marichal (Ath, 1816-1xelles, 1897)? Delescluse obtient le grade de docteur en droit à l'Université de Louvain, en 1824. Avocat au Barreau de Tournai, il s'installe dans la cité royale pour rentrer dans sa ville natale. quelques années plus tard. Adhéra-t-il au saint-simonisme, comme l'insinuent parfois les catholiques athoi s? Certains articles de I 'hebdomadaire libéral L'Echo de la Dendre, rédigés par son ami et confident Henri Marichal sont proches des idéaux saint-simoniens.
Jean-Baptiste Delescluse ne joue un rôle actif à Ath lors des joumées révolutionnaires de septembre 1830. Nommé auditeur de la garde communale, le 27 juillet 1830, le futur leader du libéralisme athois reste fort prudent tout comme son père qui refuse, le 14 septembre 1830, de Cautionner la révolte populaire.
Dès 1831, Delescluse fait son entrée dans la vie politique communale : le 18 octobre, il est nommé échevin de la ville d'Ath. Le 7 mars 1833, à peine âgé de trente ans, il succède à Edouard de Rouillé, comme premier magistrat de la cité. Toutefois, ses initiatives bien timides en faveur des enfants d'ouvriers (notamment en matière scolaire) et son orientation politique libérale inquiètent les conseillers communaux unionistes. Dès 1834 et 1835, Delescluse présente sa candidature à la Chambre des Représentants pour contrarier I 'action du député sortant, le catholique unioniste Adolphe Dechamps. Le bourgmestre d'Ath échoue dans ses tentatives mais il parvient, organisation politique et sans propagande efficace, à mettre en évidence la force naissante de l'opinion libérale dans l'arrondissement. En 1836, il est réélu conseiller communal d 'Ath. Pour rétablir la confiance dans l'unionisme, les conseillers jugent prudent d'écarter Delescluse du Collège échevinal. Le 12 janvier 1837, Jean-Baptiste Taintenier, libéral modéré est nommé bourgmestre d' Ath.
Avec Eugène et Ernest Defacqz, l'avocat Maximilien Deghouy, Delescluse fonde la loge « La Renaissance » d'Ath, le 27 mai 1839. Après quelques mois d'activité, il devient vénérable de la loge et en dirige les travaux de 1839 à 1845. Comme Louis Pilette, il bénéficie du soutien maçonnique, ce qui lui permet d'entrer au Conseil provincial du Hainaut en 1840.
L'élection législative du 19 juillet 1842 est particulièrement acharnée : les libéraux athois offrent la candidature leur parti à Adelson Castiau qui refuse cette responsabilité. Le choix des libéraux se porte dès lors sur la personne de Delescluse qui déchaîne une campagne de presse violente des catholiques. Finalement, Delescluse recueille 458 suffrages et échoue parce que le catholique Adolphe Dechamps en obtient 475.
L'« Association libérale », créée en juillet 1842, est à l'origne de cette percée électorale. En 1846. Delescluse, chef de file des radicaux, est élu président de l'« Association libérale ». Il impose graduellement ses idées et oriente le libéralisme athois vers des conceptions sociales progressistes. La crise politique et sociale de février 1848 inspire de vives appréhensions dans tout le pays. Dans la région d'Ath. de Lessines et de Maffle, les carriers revendiquent l'instauration de la république; le tournaisien Philippe Landrieu (Tournai, 1824-1898) fonde dans sa ville natale un éphémère « Cercle républicain » avec Degardin, Adolphe le chansonnier Adolphe Leray (1810-1885) (disciple de Victor Considérant), Dupré et le député Castiau. C'est à ce moment que L'Echo de la Dendre, organe des radicaux athois Delescluse et Marichal, exprime sa sympathie « à un peuple de frères qui combat pour obtenir les mêmes droits que nous » (le 9 mars 1848). La peur d'une révolution et la menace socialiste unissent les libéraux modérés et les catholiques. En juin 1848, le prince Eugène de Ligne (1804-1880) pose sa candidature au siège sénatorial d'Ath. Charles Rogier aurait suggéré cette décision au Prince pour contrebalancer Delescluse perçu comme radical et francophile.
Delescluse est néanmoins élu député, à une large majorité, en juin 1848. Il est le seul mandataire public de la région à proposer des solutions pratiques pour résoudre la crise sociale. Les élections communales du 22 août 1848 renforcent encore les positions radicales de l'administrateur de la ville d' Ath. Jean-Baptiste Delescluse succède au bourgmestre Taintenier et le docteur Thémont obtient le poste d'échevin. En outre. le secrétaire communal Henri Marichal est ami et conseiller politique du député-bourgmestre. La répartition des mandats, qui ne laisse pratiquement aucun poste de responsabilité aux conseillers doctrinaires, explique la rupture ultérieure entre Delescluse et le groupe des libéraux modérés.
Très rapidement, les initiatives de Delescluse en faveur du prolétariat athois effraient la bourgeoisie. Delescluse désire ouvrir une école d'agriculture et multiplier les ateliers de travail. Ces écoles-ateliers. Organisées dès 1848, assuraient la formation professionnelle des futurs carriers, des ouvriers menuisiers, des relieurs, des dentellières. Les ateliers de travail devaient donner aux enfants des pauvres une instruction primaire et professionnelle, leur enseigner la lecture. l'écriture, l'orthographe, les quatre règles d'arithmétique.
La politique scolaire du bourgmestre d'Ath ne parvient cependant pas à éliminer le paupérisme. La modicité des ressources communales, l'hostilité de la bourgeoisie et l'indifférence de l'Etat contribuent à l'échec de la politique scolaire de Delescluse. Il faut peut-être y ajouter l'apathie des ouvriers misérables et anaphabètes.
D'autre part, l'administration radicale voulait encourager I 'épargne et étendre la prévoyance sociale parmi la classe ouvrière. Le 3 mai 1849, le Conseil communal d'Ath approuvait la création d'une « Caisse d'Epargne pour l'achat de provisions d'hiver ». Le nombre maximum de ouvriers est atteint en 1854 avec 163 épargnants. La caisse d'épargne disparaît en 1863, faute de soutien public.
Pour venir en aide aux indigents, Delescluse fait distribuer une soupe populaire dès 1848.
Le bourgmestre d'Ath espérait constituer une société de crédit hypothécaire pour la construction de logements ouvriers, avec l'appui du Gouvemement. Le procureur du Roi à Toumai, Augustin Hubert (Tournai. 1791-1859) traite Delescluse de lâche, lui reprochant sa sympathie pour les ouvriers, notamment lors des mouvements séditieux du marché d'Ath (les 9 et 11 septembre 1854). Pour Delescluse et Marichal, les ouvriers «dont le salaire est toujours le même sont fatigués d'espérer des jours meilleurs qui n'arrivent pas» (L'Echo de la Dendre du 14 septembre 1854).
Dans ces circonstances, le Gouvemement De Decker est décidé à écarter du pouvoir communal un bourgmestre qui, selon lui, fait régner dans la ville « l'esprit de parti le plus exclusif » (Annales parlementaires, Chambre, séance du 29 janvier 1854, p. 423).
Battu aux élections législatives de 1852, DeIescluse n'est plus bourgmestre d'Ath, en septembre 1855. La nomination du catholique Lor (Ath, 1806-1875), bourgmestre choisi en dehors du Conseil communal provoque une réaction violente des mandataires radicaux. En séance publique du Conseil communal du 29 novembre 1855, Charles Lor est pris à partie dans un manifeste lu par François Deneubourg (Bouvignies, 1813-Saint-Gilles, 1894). Poursuivant Delescluse de leur haine, les catholiques se servent du manifeste du 29 novembre 1855 pour précipiter la chute des radicaux. En novembre 1856, Delescluse et tous les conseillers progressistes sont condamnés par la Cour d'Appel de Bruxelles pour outrages écrits envers la personne de Lor. Les juges sont sévères : trois mois d'emprisonnement et cinq ans d'interdiction des droits civils et politiques pour Jean-Baptiste Delescluse.
Réhabilité en 1858, Delescluse n'abandonne pas l'arène politique. Le 5 décembre 1860. il est élu conseiller communal par 203 suffrages sur 403 votants. Toutefois, son élection est annulée parce qu'il ne possède pas de domicile réel à Ath au Ier janvier 1860. En janvier 1861, Delescluse et ses partisans créent La Société Libérale qui rassemble tous les radicaux. Les progressistes athois fondent un hebdomadaire : L' Union (1862-1866).
Les résultats de l'élection législative du 11 juin 1861 enlèvent leurs dernières illusions aux radicaux : ils recueillent seulement 545 voix contre 1.152 suffrages catholiques et 1.290 votes doctrinaires. Quelques mois plus tard, le 9 novembre 1861, Delescluse rend son dernier soupir.
Disciple de Castiau, de Fourier, du communiste Eugène Sue, Delescluse est devenu I 'ennemi de la bourgeoisie, le fauteur de troubles. Mais sa générosité sans limites a suscité la sympathie du peuple qui l'a surnommé « le père des pauvres ».
Autre référence bibliographique : Jean-Pierre DELHAYE, Un radical, précurseur du socialisme : Jean-Baptiste Delescluse, député-bourgmestre de la ville d'Ath (1803-1861), dans Annales du Cercle royal d'histoire et d'archéologie d'Ath et de la région et Musées athois, t. XLVI, Ath, Cercle royal d'histoire et d'archéologie d'Ath et de la région et Musées athois, 1977, p. 241-280.