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De Fuisseaux Léon (1841-1906)

Portrait de De Fuisseaux Léon

De Fuisseaux Léon liberal (1870-1881), puis socialiste (1894-1900)

né en 1841 à Mons décédé en 1906 à Bruxelles

Représentant entre 1870 et 1900, élu par l'arrondissement de Mons

Biographie

(Extrait du Journal de Charleroi, du 23 décembre 1906)

Léon Defuisseaux est mort, ainsi que nous l’annoncions hier. Ce vétéran de la démocratie, cet ardent défenseur du suffrage universel, cet irréductible révolutionnaire succombe à l'âge de soixante-cinq ans, après toute une existence de lutte, après toute une vie consacrée exclusivement à la défense du peuple qu'il aimait par-dessus tout.

Léon Defuisseaux était né à Mons le 17 décembre 1841. Il descendait d’une vieille famille de démocrates et libres penseurs. En 1794, lors de l'annexion de la Belgique par la France, son grand-père fut le premier maire républicain de Mons. Ce fut sous la direction de son père, Nicolas Defuisseaux, avocat à Mons et sénateur de cet arrondissement - dont la carrière fut si brillante - que Léon fit ses premières études à Baudour.

En 1857, âgé de seize ans, il prit son inscription à l'université libre de Bruxelles et en sortit en 1861 docteur en droit après avoir brillamment subi les diverses épreuves. Le dernier doctorat, il l'avait préparé à Baudour, travaillant avec Paul Janson, alors précepteur dans la famille Defuisseaux.

En 1861-1862, Léon Defuisseaux se rendit à Paris et, pendant ces deux années, suivit les cours de la Sorbonne ; il étudia les sciences exactes avec passion et s’exerça à l’art de la parole en suivant au barreau Jules Favre, dont il devint le secrétaire.

M. Defuisseaux s'inscrivit au barreau de Bruxelles en 1863 ; il débuta comme avocat dans une affaire retentissante de cour d’assises et fit acquitter son client. Du coup, Léon Defuisseaux se révéla puissant orateur, avocat de valeur et homme de cœur. D’autres procès importants mirent encore, par la suite, son talent en vif relief. Ce fut d'abord l'affaire du « Grelot », où il défendit et fit acquitter avec Janson, Gillard accusé d'offenses envers Napoléon III ; ce fut ensuite l’affaire Leurquin où il se mesura avec le fameux procureur général de Bavay, chez lequel il avait éveillé le remords par son célèbre plaidoyer en faveur des accusés Coeck et Goethals, fait avec la collaboration de Janson.

En juin 1870, il se présente devant le corps électoral, au nom de la démocratie, contre M. de Brouckère, l'incarnation du doctrinarisme. Il écrase son adversaire et est envoyé au Parlement avec 1,200 voix de majorité.

Ce fut là la première victoire de la démocratie en Belgique.

Réélu le 14 juillet suivant, Defuisseaux entre à la Chambre, apportant avec lui ses convictions démocratiques. Comme Adelson Castiau, son vaillant prédécesseur, il en sortir triste, écœuré, abandonné, après onze ans de lutte, par ceux sur lesquels il croyait pouvoir compter.

En entrant à la Chambre, il avait formulé son programme qui, dans sa fière honnêteté, était simple. bref et énergique. Le voici :

Abolition de la conscription ; Abolition des lois arbitraires (la loi sur les étrangers, l'article 1781) ; Protection des ouvriers, réglementation du travail des femmes et des enfants ; Responsabilité des patrons en cas d'accident ; Diminution du budget de la guerre ; Instruction gratuite, laïque, obligatoire ; Nomination des bourgmestres et échevins par les électeurs ; Suffrage universel.

Fidèle à son programme, Defuisseaux s'est toujours abstenu de prendre part aux luttes du doctrinarisme clérico-libéral.

Un de ses actes à la Chambre fut de présenter un ordre du jour blâmant le ministre de la guerre d'avoir décoré le caporal Veckmans, qui avait tué l'ouvrier Gillis à Verviers. Libéraux et catholiques votèrent contre cet ordre du jour, aussi humain que démocratique.

En 1870, c'est-à-dire peu temps après, nouvelle coalition des libéraux et cléricaux pour rejeter une proposition de révision de la Constitution, présentée par Defuisseaux, au cours d'une discussion ardente à laquelle il prit une part prépondérante. Cette proposition réunit cependant 21 voix.

Il vota aussi contre le budget de la guerre qui, disait-il, nous ruine en temps de paix pour nous faire tuer en temps de guerre. » Ce fut sur la question du contingent (1878) contre lequel Defuisseaux vota, qu'Il eut la douleur de voir Janson – avec lequel il était resté en communauté d’idées et relations d'amitié - se séparer de lui et s'abstenir.

Par ses interpellations nombreuses et par la part active qu'il prit à la discussion, Defuisseaux participa à la loi nouvelle sur la détention préventive.

Toujours il vota contre la loi sur les étrangers et protesta contre toutes les expulsions arbitraires, depuis celle de Tabarant jusqu'à celle de Victor Hugo. Cette fois encore, il eut la douleur de voir tous les libéraux doctrinaires, Frère, Bara, Van Humbeeck, etc., s'unir pour chasser le grand poète. Defuisseaux fut dédommagé de cet échec par une lettre émue du grand maître qui lui dit : « J’aime à verser ma conscience dans la vôtre, car vous êtes un grand esprit et un noble cœur ! »

Droite et gauche se liguèrent encore contre lui pour faire échouer sa proposition, quad, au sujet des catastrophes houillères et notamment celle de Frameries, il demanda qu’une assemblée, composée mi-partie par les ouvriers, mi-partie par les patrons, fût instituée pour prévenir les accidents.

D'autre part, il combattit irréductiblement les dotations royales et cingla courageusement, seul contre tous, ses collègues affolés de courtisanerie.

En 1872, il protesta avec énergie contre un crédit supplémentaire de près d’un million, accordé à la liste civile pour l’ameublement du palais du roi, et repoussa avec énergie la dotation offerte au comte de Flandre, prince archimillionnaire.

Aux derniers jours de la session de 1881, M. Frère-Orban avait demandé la grande naturalisation pour tous Allemands habitant la Belgique, et cela évidemment pour augmenter la force électorale réactionnaire. Defuisseaux se leva et demande qu’avant d’accorder cette naturalisation, on la donnât d’abord aux Belges en Belgique en les dotant du droit de vote.

Appuyé par Defuisseaux et cinq de ses collègues, Jason proposa alors l’adjonction du savoir lire et écrite au cens. Defuisseaux, à cette occasion, prononça l’un de ses plus brillants discours. Hélas ! par un revirement subit, Janson et ses amis déclarèrent se contenter de la formule de Frère-Orban, qu'ils avaient formellement déclaré ne pouvoir accepter.

Voyant tout s’écrouler autour de lui, il se retira plutôt que de se rendre et se démit de son mandat de député après onze années de luttes intéressantes, en annonçant prophétiquement à la Chambre que le suffrage universel y entrerait bientôt.

Cinq mois plus tard, Defuisseaux était superbement vengé par le peuple de cette déloyauté doctrinaire.

Le 12 novembre 1881, de nombreuses délégations ouvrières, envoyées par la province et auxquelles Se joignirent les démocrates de Bruxelles, se réunissaient au théâtre de l'Alcazar, à Bruxelles, pour offrir à Defuisseaux un bronze commémoratif de sa loyale et courageuse conduite.

Plus de trois mille personnes encombraient la salle et ses abords.

Des applaudissements accueillirent le noble vaincu quand il apparut à la tribune. Ce fut une réunion mémorable où passa vibrant le souffle de la démocratie. On entendait les harangues de nombreux délégués de province, qui vinrent rendre hommage au héros de cette fête historique et inoubliable. Puis Defuisseaux prononça à son tout un discours émouvant, énergique et d’une envolée superbe où passa toute sa grande âme de démocrate.

Defuisseaux se retira alors à Baudour, où il avait accepté de se consacrer à l'administration de cette commune dont il aimait particulièrement les habitants.

A ce moment, à l'unanimité. par écrit et sans un vote, tous les électeurs de l'endroit demandèrent qu'il fût nommé bourgmestre.

La rancune mesquine de Frère-Orban se manifesta encore cette occasion et, sur son injonction, M. Rolin-Jaequemyns nomma à sa place un fonctionnaire des ponts et chaussées qui, lui-même, avait prié Defuisseaux d’accepter la place de bourgmestre/

Peu après, fatigué des luttes politiques dans lesquelles il s'était dépensé avec une si belle persévérance et une si fière énergie, il partit pour Paris où il resta pendant plusieurs années.

Plus tard, Léon Defuisseaux rentra dans la vie politique et reprit le combat avec le même courage et la même vigueur que jadis.

En 1887, Léon Defuisseaux fit paraître un pamphlet passionné en faveur de la révision de la Constitution, intitulé les Hontes du Suffrage censitaire, pamphlet qui eut un retentissement énorme.

En 1894, il se représenta devant le corps électoral et fut élu à de formidables majorités à la fois à Liége et à Mons. Il opta pour Mons. II siégea alors sans interruption jusqu'en 1900, date de la première application de la représentation proportionnelle dont il s'était toujours montré l'adversaire irréductible et sous le régime de laquelle il ne voulait pas nommé. Il refusa de se représenter et se retira définitivement de la vie politique.

D'ailleurs, cette époque, il éprouvait une grande lassitude, provoquée par la vie agitée ct par le rude combat qu’il avait mené sans cesse et il souffrait déjà des atteintes du mal qui devait l'enlever à l'affection et à l'admiration du peuple auquel il s'était si absolument dévoué.

Devant cette belle et grande figure qui disparaît, devant cette âme si haute, devant ce démocrate d'élite, au cœur si bon, aux sentiments si nobles, nous nous inclinons douloureusement émus.

Les derniers moments

Aux derniers moments du vénéré citoyen, qui s'est éteint dans les bras de sa compagne, assistaient Henri Defuisseaux son neveu, le docteur Decoster et les citoyens Camille Huysmans et Georges Maes.

Les funérailles

Les funérailles civiles auront lieu mardi, jour de Noël, à 10 h. 1/2 du matin, à Bruxelles.

Le corps sera exposé à la Maison du Peuple et de là conduit à la gare de Bruxelles-Midi.

Il sera incinéré à Paris.


(Extrait du Journal de Bruxelles, du 24 décembre 1906)

M. Léon Defuisseaux

C'est une physionomie curieuse qui vient de disparaître.

Nous avons connu Léon Defuisseaux il y a trente-six ans, lors de sa première initiation à la vie publique, et nous nous souvenons du brillant lutteur politique, de l’heureux vainqueur de M. Henri de Brouckere, l’un des pères de la Doctrine, du fougueux tribun dont l'élection à Mons fut saluée avec tant d'enthousiasme par toute la démocratie libérale.

Tout à l'entrée de sa carrière parlementaire se place une interpellation qui fit beaucoup de bruit. Ella se rattachait à un événement souvent raconté dans les journaux. Un soldat d'infanterie, un nommé Wyckmans, avait, à Verviers, au cours d'une démonstration populaire, tué l'ouvrier Lambert Gillis. A s'en rapporter aux explications, formulées par les amis de la victime, celle-ci avait été foudroyée au moment où elle s'avançait au-devant de la sentinelle placée à l'entrée de la rue du Moulin. et où elle prononçait ces mots : « Soyez doux pour le peuple. » Il est bizarre de constater que de tout temps les pires émeutiers furent toujours apothéosés par les meneurs de la Sociale. Quiconque les rappelle au respect de l’ordre et de la légalité devient ipso facto un assassin. Ce fut le cas pour les fusillés de Louvain et de la rue Haute à Bruxelles, dont on fit des martyrs. En ce qui concerne Gillis, l'autorité militaire avait fait contre lui un rapport très peu flatteur. Le fantassin, s'il n'avait pas fait usage de son arme, aurait payé cher la faute de se montrer « doux », car on retrouva sur le cadavre une énorme pierre aiguë enveloppée dans un mouchoir. Quoi qu'il en soit, le gouvernement avait promu Wyckmans au grade de caporal, et l'avait nommé chevalier de l'Ordre de Léopold. Tels sont les faits qui amenèrent l'interpellation présentée par MM. Guillery, Gustave Jottrand et Léon Defuisseaux.

Celui-ci se révéla non pas comme un orateur parlementaire, mais comme un assez beau parleur. La note était emphatique et déclamatoire, mais, malgré l'abus des images, elle plaisait. Trop volontiers le jeune député se laissait, selon l'expression de Cormenin, dans ses « Préceptes parlementaire », aller au fil de son oraison, visitant, sur son passage, prairies, bois, cités et montagnes, mais ne sachant pas jeter l'ancre au rivage et aborder. Mais il y avait, dans sa parole, de l'énergie, une conviction profonde, une loyauté qui séduisait.

Ce début de M. Léon Defuisseaux lui assigna d’emblée une situation en vue dans le groupe démocratiques dont le chef, M. Ad. Demeur, avait déposé une proposition de révision de l’article 47 de la Constitution. Celle-ci fut défendue par MM. Guillery, Demeur, Jottrand, Couvreur et Defuisseaux. Vingt-trois membres de la Chambre votèrent la révision, qui mit vingt-trois ans à prévaloir. Mais l’entente du groupe ne devait pas être de longue durée.

En mai 1871 cinq de ses membres seulement protestèrent contre l’expulsion de Victor Hugo. Un passage du discours prononcé par M. Léon Defuisseaux dans ce mémorable débat donna lieu à une véritable tempête. De toutes parts retentirent des clameurs et des protestations, surtout au moment où l’orateur s’écria :

« Ce n’est pas seulement le grand poète exilé qui vous demandait asile, c’était un homme auquel son âge, son génie et ses malheurs attiraient toutes les sympathies, c’était surtout l’homme qui venait d’être élu membre de l’Assemblée nationale par deux cent mille suffrages, c’est-à-dire par un nombre d’électeurs double de celui qui a nommé cette Chambre tout entière. »

Personne n’avait refusé un asile à Victor Hugo. Celui-ci avait hautement bravé le gouvernement du pays qui lui accordait l’hospitalité, en déclarant publiquement qu’il aurait abrité les communards à qui leur passé avait donné une déplorable notoriété et pour l'expulsion s'imposait à la fois comme une mesure justice et comme une mesure de précaution.

Dans son livre : « Les Hontes du suffrage censitaire » - une rapsodie assez décousue des événements dont il fut le contemporain – M. Defuisseaux a raconté en détail les péripéties de cette émouvante séance, non sans égratigner les doctrinaires qui, en repoussant la motion de blâme, avait « affirmé une fois de plus que lorsqu’il s’agit d’une mesure anti-démocratique et réactionnaire, les catholiques peuvent toujours compter sur eux. » Dans sa retraire, M. Léon Defuisseaux a pu constater que les temps sont bien changés ; il a pu se convaincre que lorsqu’il s’agit de frapper un mauvais coup, doctrinaires et socialistes sont toujours prêts à se donner la main.

Nous passons rapidement sur d’autres débats mouvementés sur lesquels M. Léon Defuisseaux jeta sa note toujours colorée à l’excès sur ceux auxquels donna lieu l’affaire Langrand-Dumonceau, les troubles suscités par le libéralisme anversois autour de la présence du comte de Chambord dans la métropole, le renouvellement du privilège de « Sa Majesté la Banque nationale », les horreurs de la maison d’aliénés d’Evere, la dotation du comte de Flandre, la loi sur les fraudes électorales, la loi sur l’enseignement primaire de 1879, pour arriver à la fameuse séance du 18 juillet 1881, où il combattit pour la dernière fois son vieil ennemi, le régime censitaire, et fit l’éloge du suffrage universel dans un discours dont nous citons ce passage qui donne une idée de son éloquence à facettes :

« Je ne suis pas de ceux qui disent que le suffrage universel est infaillible. Non, mais je suis de ceux qui reconnaissent au moins qu’il doit exister, parce qu’il est la grande manifestation d’un peuple libre.

« Evidemment, messieurs, le suffrage universel retiendra dans ses vastes flancs

beaucoup d’immoralités et d’inepties.

« Mais il me rappelle les eaux profondes du golfe de Naples, dont rien ne peut altérer la bleue limpidité, rien, pas même les immondices qu’y déverse chaque jour une population de sept cent mille âmes.

« Lui non plus ne saurait troubler son honnêteté sereine, rien ne saurait l’altérer, et les indignes qu’il peut contenir seraient perdus dans son immensité, comme les immondices amoncelées dans le golfe sont enlevées, traînées au large et confondues dans la mer immense qui, chaque jour, les fait disparaître. »

Ce jour-là,-il donna sa démission et sortit théâtralement de la Chambre, plagiant le geste d’Adelson Castiau, en 1848. Il n'y rentra que le 14 octobre 1894, élu à la fois par Mons et par Liége. Il opta pour Mons. Mais l’ancien Defuisseaux avait disparu pour toujours. Le nouveau, le socialiste, ne joua plus dans l'hémicycle qu'un rôle assez effacé. Il s'épaississait d'ailleurs, on le traitait assez dédaigneusement de vieux phraséologue. Son ambition, qui était immense, comme le golfe de Naples, avait été soumise à une épreuve cruelle : il avait rêvé être le chef du groupe nouveau qui avait surgi à l'horizon parlementaire. Malheur ! on le rangea doucement à l'arrière-plan, dans le compartiment des aïeux, des « patriarches aimés vénérés », des « burgraves honoraires. » Son amour-propre ne résista pas à une meurtrissure aussi navrante, et, pour la deuxième fois, il effectua une sortie théâtrale. Il refusa le renouvellement de son mandat, prétextant son horreur de la R. P. qu'il qualifiait de réforme à rebours. II envisageait l'avenir de son parti sous les couleurs les plus sombres. « Lorsque, disait-il, on a consacré sa vie une idée juste et qu'on voit cette idée à la veille de sombrer par la faute des dirigeants, on devient non pas sceptique, mais profondément triste. » On ne fit pas de grandes difficultés pour le retenir ; son rôle était fini. On le laissa tranquillement gérer sa grande fortune, car ce démoc-soc aimait les affaires; et lui qui avait juré solennellement à la Chambre qu’il n'avait jamais été mêlé à une affaire financière quelconque, s’’entendait supérieurement à collectionner les mandats d’administrateur et de commissaire dans les bonne sociétés. Logé dans un superbe appartement, enrichi encore par le riche héritage que lui laissa une de ses tantes, il avait dit adieu à toute vie intellectuelle, et, dès lors, se borna à se laisser vivre.

XXX


(Extrait du Journal de Charleroin du 28 décembre 1906)

« Les hontes du suffrage censitaire » par Léon Defuisseaux

Nous donnons ci-dessous un extrait du vigoureux et cinglant chapitre final des « Hontes du Suffrage Censitaire », le livre-pamphlet du regrette Léon Defuisseaux, qui, comme nous le disions tout récemment, eut un si profond retentissement lors de son apparition.

Voici :

« Nous finissons ici les hontes du suffrage censitaire. Mais avant de déposer la plume qu'il nous soit permis, comme au voyageur qui a péniblement gravi une montagne, de nous arrêter un instant pour jeter un coup d'œil sur les espaces parcourus, c'est-à-dire sur quinze années de notre triste histoire.

« Quel tableau plus répugnant pourrait s'offrir à nos yeux !

« L'argent est cyniquement proclamé la source de tous les droits.

« Les élections sont viciées par la corruption la plus éhontée.

« Non contentes de corrompre les électeurs, deux coteries politiques font inscrire, radier, réinscrire de nouveaux électeurs, et mettent à l'encan la souveraineté nationale.

« Au jour même des élections, les censitaires gorgés d'or et de vin, donnent au peuple privé de tous droits politiques, le spectacle de leur vénalité et de leurs orgies.

« Issus de toutes ces corruptions, les députés, plus corrompus encore que leurs électeurs, se partagent entre eux et leurs amis l'argent, les places, les titres, les décorations, les honneurs...

« La moitié du Parlement est surprise en flagrant délit d'escroquerie dans les affaires Langrand, des sénateurs pratiquent l'usure, des députés parlent la langue verte des escrocs, des ministres sont convaincus de vol, et des gouverneurs de province sont poursuivis pour escroquerie.

« Dans chaque session, les députés se reprochent les uns aux autres, pièces en main, les fraudes scandaleuses auxquelles ils doivent leur élection, et, honte éternelle ! ils finissent par vendre à de riches Allemands le droit de cité qu'ils refusent impitoyablement aux Belges pauvres !

« La fortune publique est livrée effrontément à la Banque nationale qui exploite l'industrie et le commerce, pour décupler la fortune de quelques riches actionnaires et payer des appointements fantastiques aux vétérans retraités de l'exploitation censitaire.

« Chaque année, l'odieuse loi de la conscription militaire, qui autorise le riche à trafiquer de la liberté et de la vie du pauvre, est maintenue par les censitaires, auxquels leur argent tient lieu d'honneur et de patrie !

« Des dotations considérables sont accordées au roi, aux princes, aux princesses, alors que les sommes les plus minimes sont refusées aux fondateurs de la Nation belge et aux prolétaires mourants de faim !

« Non seulement l'hospitalité belge est foulée aux pieds par l'expulsion des écrivains étrangers, mais encore les écrivains, les orateurs belges eux-mêmes, sont poursuivis, emprisonnés, pour avoir revendiqué le droit sacré du peuple de se gouverner lui-même !

« Les libertés publiques sont respectées lorsqu'elles sont exercées par les censitaires, et audacieusement méconnues lorsqu'elles sont pratiquées par les démocrates.

« Les violences des censitaires sont impunies, celles des ouvriers réprimées avec une implacable cruauté.

« Les femmes belges sont accueillies avec empressement par une reine sans cœur, alors qu'elles se présentent au palais les mains chargées de bijoux et de présents, et sont impitoyablement chassées lorsqu'elles viennent en habit de deuil, implorer clémence et pitié pour les condamnés de Charleroi.

« La magistrature, placée par l'inamovibilité au-dessus de la conscience publique, aussi hautaine envers le peuple que servile envers le pouvoir qui l'a nommée, rend les arrêts les plus injustes, les plus cruels, et viole audacieusement toutes les lois.

« Enfin, au-dessus de la Chambre, du Sénat, des Ministres et de la Magistrature, un roi, ne reconnaissant comme Belges, parmi six millions d'habitants, que cent dix-sept mille censitaires, qui, dans leurs flatteries insensées, le qualifient de « Génie de la Patrie et de la Liberté ! »

« L'esprit et le cœur égarés par tous les préjugés, les vices et les adulations dont il est entouré, ce roi ne conserve dans ce honteux milieu, aucune notion de bonté, de sens moral et de justice.

« Tantôt il décore le caporal Veekmans, couvert du sang d'un honnête ouvrier.

« Tantôt, il signe l'arrêté d'expulsion du plus grand poète du XIXème siècle.

« Tantôt, dans un intérêt de famille, il compromet la Belgique en favorisant, sur notre territoire, les conspirations de son cousin de Chambord.

« Tantôt, il appose sa signature royale à une loi qui tue l'enseignement primaire.

« Enfin, non content d'une liste civile colossale, augmentée encore des subsides, des dotations, des cadeaux offerts par l'adulation des censitaires, tourmenté par un désir insatiable de richesses, il se lance dans des entreprises commerciales aléatoires et lointaines, y engouffre non-seulement des millions, mais encore sa bonne renommée, en se faisant l'allié d'un marchand d'esclaves !...

« Puis, pour sortir de cette horrible aventure, on le voit demander le remboursement de ces millions perdus, à l'opération financière la plus immorale que l'on ait jamais vue !!

« Ce que les juifs les plus retors, les plus audacieux, les plus faussaires n'avaient jamais osé faire, ce roi l'entreprend : il demande cyniquement à l'épargne publique cent cinquante millions, dont cent cinq millions doivent rester à titre de bénéfice dans les coffres royaux !

« Alors, on voit la couronne de Belgique cotée à la Bourse entre deux affaires véreuses, et le Palais devenir un bureau de loterie !

« L'esprit hanté par ces opérations dangereuses et ces loteries suspectes, il n'entend pas le cri de pitié sorti de la conscience de son peuple qui réclame l'amnistie.

« En vain, des centaines de mille voix implorent sa clémence, il reste sourd à toutes les supplications, et les prisons cellulaires se referment sur les plus nobles victimes !

« Tel est le profil de quinze années d’histoire de Belgique, telles sont les turpitudes accumulées par cinquante-sept années de suffrage censitaire. »

Léon DEFUISSEAUX.


(Extrait du Journal de Charleroi, du 27 décembre 1906)

Les funérailles de Léon Defuisseaux

Les discours

Nous publions ci-dessous les discours qui furent prononcés à Bruxelles, aux funérailles de notre regretté camarade Léon Defuisseaux.

Discours du citoyen Anseele, au nom du conseil général

« Au nom du conseil général du Parti ouvrier, je porte le suprême salut à Léon Defuisseaux, notre cher compagnon de lutte, qui fit partie du conseil pendant de longues années et dans les temps les plus difficiles.

« Je salue le grand disparu, bataillait déjà pour les réformes ouvrières quand le Parti ouvrier n’était pas encore né.

« Au début de sa carrière, tout lui souriait. Bel homme et riche, il pouvait aspirer à toutes les jouissances de la fortune et de la vie.

« Avocat de renom, grand orateur parlementaire aux idées larges et d'un talent supérieur, il pouvait monter aux cimes des situations politiques si seulement il avait voulu oublier qu'il est une classe ouvrière méconnue et malheureuse.

« Mais il ne l’oubliait pas, et ce fut sa grandeur, sa supériorité.

« A un puissant appui pour la juste cause des travailleurs.

« Sorti d’une famille qui, de tradition, aime les pauvres et lutte pour la démocratie, aime les pauvres, et lutte pour la démocratie, le cœur débordant de bonté et de générosité, il fut à peine à la Chambre des représentants qu'il leva l'étendard. sur lequel il inscrivit : Pour le Peuple et pour la République.

« C’était en 1870 et sa première bataille parlementaire dura jusqu’en 1881.

« Il luttait déjà en 1870 !

« Frères et sœurs de travail qui m’écoutez, et vous les centaines de mille qui, demain, lirez mon discours, songez à cette année 1870 et à celles qui suivirent !

« Vous, les travailleurs de 50 ans et plus, rappelez-vous ces années et demandez-vous : Que fit la classe ouvrière en ces temps-là ? Elle fut bien malheureuse et bien faible. Elle n'était rien et elle n’avait rien.

« Elle n’avait ni droits, ni presse. ni organisation, ni conscience, rien qui pouvait en imposer à ses oppresseurs, rien qui permît d'espérer que quelques années ensuite elle aurait développé cette puissance et cette conscience supérieures et eût servi de modèle aux classes ouvrières d'autres pays.

« Rien, mes frères et mes sœurs de combat, que quelques ouvriers conscients par-ci par-là, dispersés ; quelques faibles groupements syndicaux, mutualistes ou d’études ; deux ou trois journaux hebdomadaires ou mensuels, paraissant pour disparaître presque toutes, frêles épaves du naufrage de l’Association internationale des travailleurs.

« Et devant ces débris, la guerre franco-allemande éclatant, soudaine et-terrible, cachant la guerre des classes sous la guerre des races !

« Et puis, après 1871, la Commune de Paris, la sublime épopée prolétarienne, étouffée dans le sang de 30,000 héros et martyrs.

« Et puis, toute la presse bourgeoise du monde crachant, bavant sur le peuple parisien écrasé, débordant d’ignominie contre ses défenseurs d'au-delà des frontières, contre la démocratie et toutes les classes ouvrières des deux hémisphères/

« Dans cet ouragan, tout ce qui lui était cher semblait perdu pour toujours, où chaque homme riche et démocrate fut traité comme traître à sa classe, lui, Léon Defuisseaux, avec quelques autres jeunes bourgeoise généreux, resta debout, fidèle à la démocratie ouvrière, qui, dans cette heure solennelle et tragique, salue la dépouille mortelle de son sublime aîné et immortalise sa mémoire.

« Salut à vous, Léon, bon parmi les bons, brave parmi les braves, clairvoyant dans votre générosité, qui espéra de gagner la bourgeoisie libérale à votre idéal de justice et d’égalité politiques et qui, échouant, vint au milieu des pauvres avec un cœur sincère et un puissant esprit.

« Votre amour des humbles et votre confiance en eux, vous permirent de voir plus clair dans l’avenir que l’égoïsme et l’orgueil de caste des chefs du parti libéral d’alors.

« Leur œuvre disparaît avec leur mémoire et la vôtre vers un prochain triomphe, portée par la masse ouvrière et par la majorité du libéralisme, qui reviennent aujourd’hui à vos idées d’il y a 30 ans !

« Cette réjouissante constatation aura été pour vous une douce consolation dans votre vieillesse et dans vos nuits d’insomnie, la seule récompense que vous avez jamais désirée.

« Ami sincère des pauvres et de leur juste cause, combien grand fut votre acte, en 1881, quand vous quittiez le Parlement pour venir chez nous.

« Vous aviez compris que la classe bourgeoise belge n'était pas capable de faire elle-même sa nuit du 4 août, dans !laquelle, dans un sublime élan de justice sociale, elle aurait sacrifié ses privilèges politiques sur l’autel de la patrie unifiée !

« Et vous quittiez le Parlement où vos généreux efforts restèrent stériles pour forger, avec Alfred, votre frère aussi grand que vous et le Parti ouvrier, l'arme de la grève générale qui devait arracher le premier lambeau de suffrage populaire.

« Et ce suffrage généralisé, qui éliminait de la Chambre l'adversaire acharné du droit électoral des pauvres, vous y ramena en triomphateur.

« 1870, 1881, 1894 ! Trois années mémorables dans votre vie politique et dans celle du peuple belge et de sa classe ouvrière.

« 1870. Jeune, ardent, espérant dans l'esprit de justice de la bourgeoisie, vous vous jetez dans la mêlée, donnant le meilleur de votre être à la démocratie belge, le regard tourné vers la France républicaine et démocratique.

« La bataille fut belle, enthousiaste ct chaude, mais sans résultat palpable.

« Ecoeuré par une Chambre inaccessible à vos accents généreux, délaissé par des compagnons de lutte, vous quittez la Chambre, prophétisant que vous y retournerez sur les épaules des travailleurs.

« 1881. Vous dites : « Adieu, bourgeois ; A moi, peuple ouvrier. »

« Le peuple s'éveille, vous salue, vous comprend et avec lui vous commencez la mémorable bataille de 13 années, avec ses révoltes et ses grèves, ses fusillades et ses imposantes manifestations et finit en 1894, l'année sublime de résurrection de notre classe ouvrière, où, à votre suite, 30 des nôtres entrèrent à la Chambre pour la première lois depuis notre indépendance.

« Et depuis lors, regretté Léon, incarnation vivante du sacrifice de tous intérêts de classe aux intérêts des travailleurs et de l'humanité, vous étiez parmi nous chéri entre tous.

« Si une question secondaire, comme la représentation proportionnelle, nous a pu séparer pour quelques instants, votre vie, vos luttes, vos aspirations, tout en vous vous unissait à nous, et c’est au nom de toute la classe ouvrière socialiste belge que je vous apporte notre affectueux et suprême salut.

« Si votre frère Alfred a sa statue, vous avez la place d'honneur parmi nous, et le nom de Defuisseaux est vénéré entre tous dans la grande et reconnaissante famille ouvrière.

« Certains ont rendre ce nom de Defuisseaux synonyme de perturbateur et d'incendiaire ; vous, Alfred et d'autres qui le portent avec honneur, l’ont, par leurs œuvres et leur vie, à jamais attaché à l’indépendance ouvrière belge, comme ceux de De Potter et De Brouckère sont à jamais attachés à l'Indépendance nationale.

« Dans quelques instants, cher et vénéré Léon, votre dépouille mortelle nous quittera pour Paris, où, ce soir, la flamme aura consommé votre corps, pour disperser ses vapeurs dans l'espace infini et en conserver une poignée de cendres.

« Cet acte simple et courageux vient admirablement clore une vie comme la vôtre.

« Cette vie qui s’est donnée tout entière ni pour les intérêts, ni pour les honneurs, ni pour la félicité éternelle, mais pour l'émancipation des travailleurs et la justice sociale.

« Au nom du Parti ouvrier belge, au nom de la démocratie socialiste universelle, honneur à nos hommes, honneur à votre mémoire, et votre œuvre sera continuée par nous et ceux qui nous suivront jusqu’au triomphe complet. »

Discours du citoyen Art. Bastien

Le citoyen Arthur Bastien parle au nom de la Fédération républicaine socialiste du Borinage.

Nous publierons demain son discours.

Discours du citoyen Jules Lekeu, au nom du « Peuple »

« C'est au nom du « Peuple », modeste mais impérissable organe du Parti ouvrier, comme le prolétariat lui-même. âpre à la mêlée. perpétuellement sur la brèche et puisant dans l'ardeur de la lutte, la force et bravoure de la poursuite coûte que coûte, sans trêve ni répit, au nom du « Peuple » d’aujourd’hui et de demain comme d’hier, du « Peuple » des Volders, des De Paepe, des Bertrand, de Defnet, comme eux, resté loyal, intègre, intrépide, enthousiaste, sans peur ni reproche, que nous venons saluer à notre tour, d’un cœur dont la foi atténue l’amertume du deuil, le grand citoyen qui fut, lui aussi, à son heure, l’interprète de la masse des déshérités, une des voix de la conscience populaire.

« Léon Defuisseaux fut, par nature, un tempérament oratoire, mais quand on sert une cause comme la nôtre, il faut être prêt pour la défendre, à manier toutes les armes, et c’est pourquoi le tribun, suivant les nécessités du combat, s’est fait polémiste, pamphlétaire, voire historien, prodiguant le verbe de sa plume dans une série de journaux démocratiques, depuis la « République Belge » jusqu’au « Peuple. » Même, il publia dans la vieille « Chronique » de Victor Hallaux des articles vengeurs où, sous le titre : « Miasmes politiques », il dénonçait vigoureusement les corruptions d’une monarchie capitaliste ; c’était le temps où la presse bourgeoisie n’était pas encore unanimement ou presque, assujettie à des consignes loyalistes. Plus tard, en 1887, quand, à Nice, il écrivit : « Les hontes du régime censitaire », on retrouve dans sa verve enflammée, le même souffle d’éloquence romantique ; tantôt la phrase est cadencée, tantôt elle devient frémissante ; et chaque mot, frappé à l’emporte-pièce, sonne comme une médaille d’airain. On ne le devine pas courbé sur l’écritoire, mûrissant la pensée qui, lentement, en lui, germe, scrutant ses formules, méditant ses images ; non il écrit comme il parle, ou plutôt, il parle ce qu’il écrit, et sa plume alerte parvient à peine à noter ses accents, son geste, toute la passion qui jaillit de son âme.

« Pour le juger à sa valeur, il le faut restituer au cadre de son époque, à l'atmosphère de son milieu. C'était l'ère des nobles exaltations et des superbes envolées. Je ne dirai point que nous vivons aujourd'hui en des jours de ravalement et de scepticisme ; car je crois, au contraire, que nous sommes parvenus en des temps qui pour moins empanachés d'épopée, n'en imposent que plus de tranquille stoïcisme et de profondes convictions. Mais si l'éloquence dé Léo Defuisseaux fait songer aux strophes de Hugo et aux iambes de Barbier, qui s'en plaindra, puisque son abnégation s'est toujours haussée au niveau de son lyrisme.

« Dans la manière exubérante et pittoresque de l'écrivain, se répercute donc l'inspiration d'une rhétorique, alternativement pompeuse et primesautière. Mais cette rhétorique n'a pas été de celles qui clament dans le désert ; ce fut une perpétuelle évangélisation d'apôtre dont chaque période est une éclatante profession de foi. Comme tous les grands orateurs, Léon Defuisseaux s'est merveilleusement campé en homme d’action.

« Réunissant les privilèges de la naissance et de la fortune, il n'eut d'autre haine que celle du privilège. J'admire respectueusement la belle unité morale de cette vie. A l'égal de Jean Volders, il fut - en communion avec Alfred, son cadet - le dépositaire sacré d’une religion nouvelle, celle de la souveraineté populaire. II annonçait aux multitudes de sujétion et de misère, le S. U. comme un autre messie qui n'était pas encore Ile salut, mais qui portait en lui, toutes les rédemptions. C’est à ce titre qu'il incarna l'idée républicaine. Et s'il combattit à mort la R. P., c'est qu’elle lui apparut une atteinte qu'il jugeait sacrilège au culte d’égalité et de justice dont il devint aux yeux de tous, l’illustre patriarche.

« Léon et Alfred Defuisseaux ! Il faut désormais confondre dans un même amour et une même gratitude, les deux frères, frères par idéal non moins que par le sang. Il fut impie de les séparer jamais. Que d’analogies et de contrastes entre eux ; celui-ci, hérissé en angle aigu, farouche comme les partisans calvinistes, celui-là s'épanouissant dans une ample bonté, onctueux comme un de ces prélats de collégiale qui ont aussi leurs heures de fougue, l’un et l’autre, héroïquement voués au droit des parias.

« Impressionnante leçon, amis, que telle carrière , et pareille mort n’est pas d’un moindre enseignement. Ces funérailles d’apothéose que je soupçonne volontiers Léon Defuisseaux d’avoir secrètement rêvées et qu’il n’osa peut-être plus espérer dans la retraie de son déclin, attestent qu’il suffit d’avoir sas arrière-pensée d’intérêt ni mesquinerie d’ambition, sacrifié son existence au service d’une grande et fière idée pou revivre en elle et s’en aller dans le concert d’un unanime respect et d’une universelle sympathie. C’est l’immanente justice d’en bas.

« Léon Defuisseaux a connu d’autres journées de glorification ; et notre souvenir commun se reporte aujourd’hui inévitablement au prodigieux meeting de l’Alcazar en 1881 : « Gloria Victis ! » Une fois de plus la Renommée aux larges ailes déployées a relevé le gladiateur un instant vaincu, dont la dextre brandit encore l’épée brisée, tandis que la main gauche adresse au loi le suprême appel. Ce suprême appel, c’est pour la conquête définitive du S. U. qu’il doit retentir à cette place, en cette minute solennelle…

« Dors en paix, baigné de toutes les sérénités, auguste et cher vétéran, ceux qui te survivent persévéreront jusqu’au bout, dans la lutte sainte, et ton nom sera l’un des premiers que nous graverons pieusement au socle du monument populaire, qui sera dans un prochain avenir édifié au triomphe de l’égalité politique. »

Discours du citoyen E. Vinck, au nom de la Loge des Amis Philanthropes et du citoyen Pierre Fluche, au nom des vétérans du Parti ouvrier verviétois [non repris dans la présente version numérisée]

L’arrivée du cercueil à Paris

Un grand nombre de camarades socialistes se trouvaient réunis à la gare du Nord pour assister à I 'arrivée de la dépouille mortelle du vaillant député socialiste belge, le citoyen Léon Defuisseaux. Lorsque la bière fut descendue du convoi funèbre, le citoyen Volckaert adressa à la veuve et à la famille de notre vénéré ami, au nom des socialistes belges résidant à Paris. l'expression de la douleur que leur causait la perte du vaillant lutteur.

Nos amis Brenez et Furnemont, députés socialistes ; Maes, secrétaire du Parti ouvrier belge ; le citoyen Lekeu, rédacteur au « Peuple » ; le docteur Decoster, accompagnaient Mme veuve Defuisseaux et le frère du défunt, M. Fernand Defuisseaux, sénateur de Mons.

Le citoyen Dubreuilh, secrétaire du Parti socialiste, représentait le Conseil National de la section française de l’Internationale ouvrière.

Parmi les personnes présentes, citons encore les citoyens Berger et Coudyzer, secrétaire et trésorier de l'Union sociale belge de Paris, M. Charbonnel, délégué des groupes de libre-pensée.

Le corps est ensuite transporté au dépôt mortuaire en attendant l'incinération qui a eu lieu, comme nous l'avons annoncé, mercredi, à 2 heures, au four crématoire du Père Lachaise.


(Extrait du Journal de Charleroi, du 28 décembre 1906)

Les catholiques et la crémation.

Les calotins s’y montrent hostiles. Ça n’est pas étonnant, il suffit qu’une chose soit hygiénique pour qu’il y fassent opposition. Ces gens-là ne travaillent qu’à empoisonner les corps aussi bien que les cerveaux.

Le Rappel s’exprime ainsi :

« Les socialistes entourent l’enterrement du citoyen Defuisseaux d’une solennité, d’un cabotinisme extraordinaires. Ces gens-là aiment avant tout la parade. C’est leur procédé pour jeter de la poudre aux yeux des simples.

« Or, il n’y avait aucune cérémonie à l’enterrement de Léon Defuisseaux puisque c’était un enterrement civil.

« Il n’y avait rien pour jeter de la poudre aux yeux des simples, puisqu’il n’y avait pas de mystère, ni de prières pour faire accroire qu’il y a un Dieu. »

Et à propos de l’incinération à Paris, le Rappel ajoute :

« On ne dit pas si, pour la circonstance, le grand-maître Furnemont s’affublera des oripeaux maçonniques, triangle, compas, tablier, et autres ferblanteries.

« Et ce sont ces gaillards qui veulent tourner en ridicule nos majestueuses et impressionnantes cérémonies religieuses ? »

L’incinération s’est faite tout simplement et rapidement. Le Rappel constate lui-même qu’il n’y a pas eu d’officiant ni d’oripeaux, et ça ne l’empêche pas de dire qu’on veut singer les cérémonies religieuses !

On se demande comment on pourrait être plus ridicule que les braillards couverts de surplis blancs, d’étoles jaunes et de bérets noirs, qui viennent chanter des mots latins en brandissant un goupillon. Qu’est-ce qu’il y a de majestueux et d’impressionnants là-dedans ? A moins que la pansée des tonsurés ? A cet égard, le Rappel a raison.