Davignon Victor, Charles, Marie catholique
né en 1854 à Saint-Josse-ten-Noode décédé en 1916 à Nice
Ministre (affaires étrangères) entre 1907 et 1916 Représentant entre 1900 et 1916, élu par l'arrondissement de Verviers(Extrait du Vingtième Siècle, du 14 mars 1916)
Une pénible nouvelle lundi matin au Havre.
M. Julien Davignon, représentant de Verviers, ancien ministre des Affaires étrangères, membre du Conseil des ministres, est décédé dimanche soir à Nice.
Il y a trois semaines à peine l’honorable ministre avait quitté Le Havre pour aller prendre sous le ciel de la Côte d'azur le repos exigé par l'état de sa santé. Frappé de congestion vendredi après-midi, il a été emporté en quelques heures.
M. Davignon était né à Bruxelles le 3 décembre 1854. Sénateur de Verviers depuis 1896 jusqu'en 1898, il était devenu député, pour le même arrondissement, le 27 mai 1900 et il avait été réélu sans interruption jusqu'à ce jour. On peut dire sans aucune exagération qu'il ne comptait que des amis dans son arrondissement. Il était simple, bon, généreux, d'un commerce sûr. Sa fortune et ses relations lui avaient donné, dans la société bruxelloise, une haute situation. Chrétien profondément convaincu, il faisait de sa richesse, avec la plus parfaite discrétion, un noble usage. A l'œuvre des cercles catholiques en particulier, il s'est dévoué avec autant de générosité que d'intelligence. Il n'oubliait pas, en exil, ses chers Verviétois. Soldats et réfugiés de son pays continuaient de s'adresser à lui, et ce n'était jamais en vain.
M. Davignon était devenu ministre des Affaires Etrangères en 1907, lorsque feu M. Jules de Trooz fut chargé par Léopold II de constituer le ministère, qui succédait au cabinet de Smet de Naeyer. Il le devint, malgré lui, à son corps défendant. C’était l'homme le plus modeste du m'onde. Il avait peur du pouvoir, de son éclat, de ses tribulations. Il fallut de vives instances pour vaincre ses répugnances, aussi obstinées que sincères.
Jamais peut-être ministre n'a travaillé à écarter de lui le portefeuille avec autant d'énergie. Jamais non plus ministre des Affaires étrangères n'a été mêlé, en Belgique, à autant d'affaires difficiles. Sans doute, une secrète intuition avait averti M. Julien Davignon, en 1907, que le fardeau serait, s 'il se rendait aux instances de M. de Trooz, exceptionnellement lourd.
A peine était-il rue de la Loi que surgissaient, dans le domaine international, les plus graves incidents. Jamais ministre des Affaires étrangères ne vécut période plus grave pour la Belgique. que M. Davignon au cours de ses huit années de ministère.
Ce furent tout d'abord les grands soucis de la question congolaise ; puis, en 1908, l'affaire de la Bosnie-Herzégovine et l’insurrection en Turquie ; en 1909, les incidents de Kivu avec l'Angleterre et l'Allemagne; la mort de Léopold II, l'avènement du Roi Albert ; en 1910, l’exposition de Bruxelles ; la réception de souverains, dont le Kaiser ; en 1911, Agadir... ; puis la crise d'Orient, les deux guerres balkaniques; la réforme militaire, enfin la guerre déchainée pat l'Allemagne.
Au printemps 1914, sa santé devant de plus en plus précaire, M. Davignon avait voulu offrir sa démission au Roi. Si la guerre n'avait pas éclaté, il aurait certainement pris sa retraite. Mais il se fit un point d’honneur de rester à son poste. On peut dire que la catastrophe déchaînée par l'Allemagne a abrégé ses jours.
Ainsi que le disait dans cette ville, au mois de juin 1915, M. Louis Barthou, la réponse faite à l'insolent ultimatum allemand, dans la nuit tragique du 2 au 3 août 1914. au nom de la Belgique, par M. Davignon, a été l'honneur de cette vie laborieuse, loyale et tout entière dévouée au bien public. Mêlé aux plus graves événements de l'histoire de la Belgique et de l'histoire européenne, acteur d’une des plus grands drames que le soleil ait jamais éclairés, M. Davignon resta, jusqu'à la fin, l’homme simple et modeste dont tout le monde appréciait l'aménité Quand il quitta le ministère, au mois dé juillet 1915, ses amis croyaient que sa maladie céderait à un repos de quelques mois. Le Roi, qui donna un intérimaire à son département, refusa sa démission. M Davignon resta membre du Conseil des ministres. Puis quand s'évanouit l'espoir d'une prompte guérison, on songea à lui confier les fonctions d'inspecteur des formations sanitaires belges de l'arrière.
La mort l'a surpris au moment où il se préparait à cette tâche, qu'il aurait remplie, on peut en être sûr, comme il faisait toute chose, consciencieusement. Sans doute aura-t-il vu venir avec sérénité une mort que sa foi et sa piété lui avaient appris à regarder sans peur. Nous nous inclinons avec respect sur la tombe de ce bon serviteur du pays, et nous prions sa famille, particulièrement son fils M. Henri Davignon, d'agréer l'expression de nos plus sympathiques condoléances.
Les funérailles de M. Davignon auront lieu à Nice dans la plus grande simplicité. MM. Berryer et Hubert y représenteront le gouvernement.
(WILLIQUET J., dans Biographie nationale,, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1977, t. 40, col. 165-167)
<DAVIGNON (Julien, vicomte ; prénoms déclarés à l'état civil : Henri-François-Julien-Claude). Homme politique, né à Saint-Josse-ten-Noode le 3 décembre 1854, décédé à Nice le 12 mars 1916.
Issu d'une famille d'industriels de la région verviétoise, petit-fils d'un membre du Congrès national, Julien Davignon fit ses études à l'Institut Saint-Louis de Bruxelles et à l'Université de Louvain, qui lui décerna le diplôme de docteur en droit. Distingué par Malou, puis par Léopold II, il disposait d'une situation de fortune indépendante, et son dévouement était inlassable : « spécialiste des mandats gratuits », comme le qualifiait un adversaire politique, il devint secrétaire du comité des écoles libres de Bruxelles, secrétaire de deux congrès de Malines, cheville ouvrière des expositions de 1885, 1893 et 1897, administrateur de la caisse de secours aux accidentés du travail, animateur de la Société anti-esclavagiste, homme d'œuvres déployant une activité charitable intense. Congo, contacts internationaux, expansion économique : sans qu'il pût le deviner, trois axes de sa future carrière ministérielle se trouvaient déjà esquissés.
En 1894, il revint s'installer au château des Mazures, sur la Vesdre, et les catholiques de l'arrondissement de Verviers insistèrent auprès de lui pour qu'il se présentât aux suffrages de ses concitoyens. Sénateur catholique de 1898 à 1900, puis représentant de 1900 à sa mort, il ne cessa d'augmenter le nombre de ses voix - un succès qu'il attribuait lui-même à « son obligeance et à sa sincérité ». En 1904, le Roi Léopold II le désigna comme membre de la Commission d'Enquête envoyée au Congo et, le 2 mai 1907, il fut nommé ministre des Affaires étrangères, un poste qu'il conserva dans les Cabinets qui suivirent. Ses activités antérieures, en effet, le désignaient pour maîtriser le grand problème du moment : la reprise du Congo par la Belgique sur le plan intérieur puis, jusqu'en 1913, la reconnaissance de cette annexion par les chancelleries étrangères. Courageux, il brava l'impopularité en défendant les lois sur le service militaire. Intègre et bon administrateur, il s'intéressa aussi à la presse en s'occupant du Journal de Bruxelles et en fondant, à Verviers, le Courrier du Soir. Epris d'art et de lettres, il fut cofondateur, à Bruxelles, de la Société des Matinées littéraires.
Au début de 1914, sa santé n'était plus des meilleures, et cet homme actif songeait à ralentir ses occupations. L'avenir en jugea autrement : le 2 août, l'ultimatum allemand obligeait la Belgique, selon ses termes, à choisir « entre son honneur et son existence ». Harassé par la mise au point du double problème qu'il lui fallait régler - la position diplomatique du pays, la neutralité du bassin conventionnel du Congo, il fut frappé, à Anvers, par une première congestion, bénigne encore, qui ne l'empêcha pas de suivre le Gouvernement à Sainte-Adresse. En août 1915, le Roi Albert refusa sa démission, se bornant à prier Beyens d'assurer un intérim qui, en décembre, se mua en portefeuille effectif, Davignon restant toutefois membre du Conseil des Ministres. Dans l'intervalle, il s'était retiré à Nice, où il mourut. Quelques jours plus tard, le chef de l'Etat accordait, à cet homme de bien et à sa descendance, le titre de vicomte. Deux de ses enfants, Henri et Jacques, allaient illustrer, l'un la littérature et l'autre la diplomatie : par une curieuse coïncidence, ce dernier aurait, lui aussi, en 1940, à recevoir un autre ultimatum allemand…