Dansaert Antoine, Charles, Jacques libéral
né en 1818 à Bruxelles décédé en 1890 à Bruxelles
Représentant entre 1870 et 1884, élu par l'arrondissement de Bruxelles(Louis BERTRAND, Antoine Dansaert, dans Les hommes du jour (hebdomadaire biographique), Bruxelles, 1884, n°37)
Tout le commerce bruxellois est fort occupé en ce moment de chercher un remède au malaise dont il souffre. Les réunions publiques organisées par le cercle des Installations Maritimes sont de plus en plus nombreuses et nos industriels et nos commerçants prennent ce mouvement à cœur, car ils y voient un des moyens les plus propres à donner à notre ville la prospérité qui lui échappe.
Ce moment nous semble bien choisi pour présenter à nos lecteurs une des personnalités bruxelloises qui représente le mieux, dans ces derniers temps surtout, le commerce et l'industrie de la capitale, et qui s'est dévouée à ses intérêts avec autant de zèle que d'abnégation.
Antoine Dansaert est un enfant de Bruxelles. Il est né dans cette ville le 22 novembre 1818. Ce n'est plus un jeune, comme vous voyez, ce qui ne l'empêche pas, homme sans préjugés politiques, à suivre les « jeunes » de la Chambre.
Dansaert fit ses débuts dans la vie politique, il y a bientôt 22 ans. C'était en 1862 qu'il entra comme juge suppléant au tribunal de commerce de Bruxelles dont cinq ans plus tard il fut élu président par les suffrages presque unanimes des commerçants notables.
Vrai représentant de l'intérêt du commerce et de l'industrie, Dansaert s'est surtout occupé à faire disparaître certain abus qui existaient dans la gestion des faillites, et c'est là un titre dont il peut s'enorgueillir. Le but poursuivi et atteint par notre concitoyen a toujours consisté à livrer à l'appréciation du public, tous les actes auxquels les curatelles aux faillites donnent naissance. Il créa un bureau central des faillites, où le public peut en tout temps obtenir des renseignements gratuits. Il fit également adopter un tarif des honoraires dus aux curateurs des faillites. Malheureusement, des abus existent encore, et le pouvoir dispose bien souvent des places de curateurs en faveur des hommes dévoués à sa politique. Un des derniers exemples de ce genre, c'est la nomination de M. Canler, rédacteur en chef de l'Echo du Parlement, comme curateur de la faillite des Petites Voitures. Ce n'est pas pour rien que certaines personnes défendent la politique ministérielle !
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C'est en 1870 que Antoine Dansaert entra à la Chambre des représentants, pour l'arrondissement de Bruxelles.
Au mois de juillet de cette année, des membres de l'Association libérale proposèrent la candidature de l'ancien président du tribunal de commerce. Celui-ci accepta et envoya au président de l'Association le programme suivant, programme que l'Etoile Belge déclara être beaucoup plus avancé que celui de la Maison des Brasseurs de l'époque.
Voici d'ailleurs ce programme :
1° L'instruction obligatoire pour tous. Enseignement gratuit pour qui justifie ne pouvoir payer les frais d'écolage et loi protectrice pour l'enfance contre un travail prématuré ou excessif ;
2° Extension du droit électoral basé sur l'instruction ;
3° Enquête impartiale sur la question ouvrière ;
4° Réduction du budget de la guerre et organisation sérieuse d'une milice nationale ;
5° Suppression de la contrainte par corps ;
6° Introduction dans la loi commerciale du contrat amiable préventif de la faillite ;
7° Election directe des chambres de commerce par les commerçants.
« Si les électeurs de l'arrondissement d e Bruxelles, ajoutait M. Dansaert, me jugent digne de leurs suffrages, le but incessant de ma carrière parlementaire sera la réalisation de ce programme que je signe avec conviction. »
Il est à remarquer que Dansaert ne s'est pas départi de son programme, dont aujourd'hui une bonne partie est réalisée. Il eût d'ailleurs l'occasion de le dire, lors de la fameuse discussion relative à la révision de l'article. 47 de la Constitution. Voici comment il s'exprima dans la séance du 5 juillet 1883 :
« ... En signant la proposition soumise à la Chambre (révision de l'article 47 de la Constitution), je suis resté fidèle â la conviction qui m'anime depuis que je suis entré dans dans la vie politique. J'ai toujours prouvé qu'il est juste et conforme à l'intérêt du pays d'étendre le droit de suffrage, et de ne pas limiter à ceux-là seuls qui payent le cens, le droit de nommer les représentants aux Chambres législatives, aussi bien que les conseillers communaux et provinciaux.
« Cette manière de voir, je l'exprimais en 1870 lorsque pour la première fois mes concitoyens m'ont appelé à l'honneur de les représenter. En demandant alors l'extension du droit électoral basé sur l'instruction, je ne distinguais pas entre l'élection des Chambres et les élections communales et provinciales. Au contraire, je déclarais en termes formels que je n'entendais pas reculer devant la révision de l'article 47 de la Constitution et que je ne voulais pas l'ajourner aux calendes grecques.
« Aussi, dès le mois de novembre 1870, je signai la proposition de révision qui fut alors écartée. «
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Si Antoine Dansaert est resté fidèle aux idées exprimées par lui lorsqu'il se présenta devant le corps électoral, alors que tant d'autres ont bêtement renié ces promesses d'un jour ; si même il fait partie du groupe de l'extrême gauche et est dévoué à une politique plus accentuée, il a cependant une spécialité à la Chambre. En effet, Dansaert s'est préoccupé tout particulièrement des questions concernant le développement du commerce et de l'industrie.
Dès avril 1872 - il y a donc 12 ans - il réclamait la transformation des canaux brabançons, de manière à rendre les ports de Bruxelles, de Malines et de Louvain accessibles aux navires de fort tonnage. Il n'a cessé, dans la discussion du budget des travaux publics, de revenir à la charge sur cette question qui intéresse vivement à l'heure actuelle le commerce et l'industrie de la capitale.
Dans ce même ordre d'idées on doit à l'initiative de Dansaert la grande publication des voies navigables faite en 1878 et portant sur la création d'un nouveau port sur la côte du Nord, sur l'amélioration du cours de l'Escaut et l'élargissement des canaux brabançons. Cette publication ordonnée par la Chambre, de l'avis conforme du gouvernement, est très estimée et est devenue presqu'introuvable.
C'est également à la demande de Dansaert que le département des travaux publics se décida, en 1879, à publier une carte sérieuse des voies de communication par eau, carte qui n'existait pas jusqu'alors.
Dansaert fut chargé de plusieurs rapports sur des projets d'intérêt commercial. On lui doit le rapport sur l'encaissement des effets de commerce par la poste, sur les modifications au mode d'élection des juges consulaires. Son rapport sur la convention Lamport et Holt a amené la Chambre à rejeter cette convention qui aurait eu pour effet de grever le trésor public d'une charge supplémentaire de plusieurs millions, sans utilité pour les intérêts du pays.
M. Dansaert a réclamé à plusieurs reprises la réglementation de la responsabilité de l'Etat en matière de transports par voies ferrées, l'organisation de la déconfiture civile, la réduction du privilège du propriétaire qui pèse si lourdement sur la liquidation des faillites au détriment des autres créanciers ; toutes ces questions ne tarderont pas à être résolues.
La révision de la loi sur les faillites a fourni à Dansaert l'occasion de présenter avec son collègue M. Demeur, deux projets de loi importants, l'un décrétant la gratuité de la procédure en matière de faillites, l'autre organisant le concordat préventif, institution nouvelle qui préserve les débiteurs malheureux et de bonne foi de la honte, des rigueurs et des incapacités de la faillite. Ces deux projets de loi sont devenus définitifs depuis un an.
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Dès le lendemain de la suppression dos chambres de commerce officielles, Dansaert prit l'initiative de la création d'une association commerciale libre à Bruxelles ; il fonda, en 1875, l'Union syndicale qui est en pleine voie de prospérité et qui assure la représentation de tous les intérêts économiques, quelle qu'en soit l'importance. Il est, depuis 1875, président de cette association, qui a rendu au commerce de nombreux services.
Dansaert présida aussi, en 1880, le Congrès international du commerce et de l'industrie, dont l'Union syndicale avait prit l'initiative ; les gouvernements étrangers s'y firent représenter et les principales questions économiques à l'ordre du jour du monde des affaires furent traitées dans ce Congrès.
Ce mouvement syndical, malheureusement, n'est pas encore entré dans nos mœurs comme il l'est ailleurs, en France, par exemple. Néanmoins, il existe, et, si son président le voulait, le nombre des membres de l'Union syndicale pourrait être doublé, grâce à une utile propagande qui est encore à refaire, en ce moment surtout.
Les ouvriers, de leur côté, devraient s'organiser, eux aussi, en chambres syndicales, et, pour les questions relatives à l'industrie, entrer en relation avec les Chambres de patrons. Ceux-ci, malheureusement, ont encore trop de préjugés, et au lieu de reconnaître leurs ouvriers comme des collaborateurs nécessaires, ils ne les considèrent bien souvent que comme des machines à produire.
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En 1876, lors de la débâcle de l'Union du Crédit, à la suite de détournements et de malversations commis par Emerique et consorts, Dansaert fut sollicité par le gouvernement, l'autorité communalen la Banque nationale et le Consortium des principales maisons de banque de la place, d'accepter la présidence de l'Union du Crédit; il fut élu à l'unanimité des commerçants bruxellois, président de cet établissement financier, complètement réorganisé depuis longtemps et devenu plus solide que jamais.
Soucieux avant tout de la sauvegarde des intérêts confiés à ses soins, le président de l'Union de Crédit a complètement réorganisé les services et changé une partie du personnel. Il a donné quelques coups de balai énergiques dans cette écurie d'Augias où quelques fripons s'étaient faufilés.
Cependant, il y a une critique à faire sur la façon dont l'Union comprend sa raison d'être. Elle n'est pas, à proprement parler, un établissement de crédit. Les administrateurs exigent trop de garanties et font en sorte que l'Union est plutôt une caisse de reports qu'une banque d'escompte et de crédit. Naturellement, il est nécessaire d'user de prudence dans l'octroi d'un crédit, mais les garanties exigées sont trop fortes ce qui fait que ceux qui ont le plus besoin de crédit parmi les commerçants et les industriels de Bruxelles, ne peuvent avoir recours à l'Union. Cela est fâcheux. Il nous semble donc qu'une réforme est nécessaire dans le sens que nous indiquons et qu'il serait bon de mettre en pratique le principe de solidarité qui unit tous les sociétaires de cet établissement en faveur de leurs confrères honnêtes et jouissant d'une bonne renommée commerciale.
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Depuis 1868, Dansaert est membre et depuis 1875 président de la commission de surveillance des caisses d'amortissement des dépôts et consignations ; il a été un des vice-présidents de la commission belge de l'Exposition universelle de Paris en 1878.
Comme on peut en juger par tous ces titres, le député de Bruxelles est un homme très occupé. Il jouit à juste titre de la considération et de la confiance de ses concitoyens. Il a été plusieurs fois question de sa retraite comme représentant. Nous ignorons ce qu'il y a de vrai dans ce bruit mais dans tous les cas, s'il venait à se vérifier, ce serait regrettable. Dansaert a sa place marquée à la Chambre comme représentant des intérêts du commerce de la capitale. Il connaît toutes les questions qui ont trait au commerce et à l'industrie. De plus, son nom est un bon appoint pour la politique de la jeune gauche dont Dansaert est un des membres dévoués. Il a un rôle à jouer dans la lutte électorale qui se prépare et nous ne doutons pas qu'il sera à la hauteur de la tâche à remplir.
Un fait encore - pour finir - qui montre sous son vrai jour la personnalité de Dansaert : depuis 14 ans qu'il siège à la Chambre, il a rarement manqué aux séances et n'a jamais touché l'indemnité parlementaire. Il est vrai de dire que cela lui est facile puisqu'il est très riche ; mais combien d'autres, plus riches que lui, qui ne viennent à la Chambre que pour passer à la caisse !
(Extrait de l’Indépendance belge, du 22 août 1890)
C'est avec un sincère et profond sentiment de regret que nous avons appris la mort de M. Antoine Dansaert.
Ancien député de Bruxelles, ancien président du tribunal de commerce, de l'Union du Crédit et de l'Union syndicale, le défunt était une personnalité éminemment sympathique, entourée de la considération générale, et c'est pour lui que semble avoir été inventée cette phrase caractéristique de l'éloge funèbre : il n'avait que des amis.
La dernière phase de sa vie a été douloureuse. Dès longtemps il souffrait d'une affection du larynx qui d'abord parut céder aux efforts de la science, mais il y a plus d'un an la maladie de Frédéric III s'était déclarée, comme le défunt empereur d'Allemagne il dut subir et il affronta bravement l'opération de la trachéotomie qui le laissa pendant plusieurs mois complètement aphone, réduit à la conversation par écrit avec les siens, avec ses familiers qui, admirant sa sérénité dans cette cruelle épreuve, ne pouvaient se faire illusion sur le dénouement.
Une crise longtemps conjurée mais prévue l'a emporté vendredi après deux jours d’agonie.
M. Antoine Dansaert a rendu de signalés services à la chose publique.
Sa grande situation commerciale et sa loyauté incontestée dans les affaires lui donnaient une autorité qui à mainte reprise, dans des circonstances difficiles, recommanda son caractère inattaquable et sa précieuse intervention.
Sa présidence au tribunal de commerce de l’arrondissement de Bruxelles fut marquée par des réformes et des simplifications auxquelles applaudit le monde judiciaire.
Lorsqu'éclata la crise de l'Union du Crédit, tous les regards se tournèrent vers lui ; il apparut comme le sauveur de cet établissement compromis par la gestion précédente, et il est certain que la sienne contribua puissamment à le relever pour le bien du négoce.
Les hommages que lui décerna l'Union syndicale, qui lui offrit en un banquet solennel son portrait peint par M. Alexandre Robert, disent assez I estime que lui avaient vouée ses coopérateurs dans une œuvre dont il fut l'un des fondateurs et à laquelle il ne cessa de s'intéresser.
Ajoutons qu'il fut l'un des premiers promoteurs des installations maritimes de la capitale, et qu'il en défendit le principe, aujourd'hui accepté de tous, à une époque où cette cause était encore l'objet de vives controverses.
Les fluctuations apparentes de son libéralisme sont une des curiosités de ce temps.
A la veille des élections législatives du 9 juin 1868, la réélection de MM. Couvreur et Guillery était menacée à l'Association libérale de Bruxelles, on s'en souvient peine aujourd'hui, et peut-être serait-on fort embarrassé d'expliquer la campagne menée alors contre ces deux honorable députés. Toujours est-il qu'à leurs candidatures un groupe de membres de l'Association opposa celle de M. le docteur Thiry et de M. Antoine Dansaert, celui-là médecin célèbre, déjà mêlé à la vie de l'Association, celui-ci absolument nouveau dans la politique.
Les griefs articulés contre MM. Couvreur et Guillery étaient d'une puérilité manifeste. On les accusait de coalition avec les cléricaux, on leur reprochait de diviser la gauche, de compromettre la situation du ministère libéral d'alors, cela sur des présomptions à peine esquissées, sur des préventions non sur des faits. Appuyés notamment par M. Van Humbeeck et M. Adolphe Demeur, MM. Couvreur et Guillery repoussèrent les attaques avec une éloquente fermeté, et l'assemblée, qui d'abord semblait sinon hostile du moins intimidée, ne tarda pas à se montrer chaudement favorable à leur réélection. Le poll leur donna gain de cause. De MM. Thiry et Dansaert c'est à peine s'il fut question. Le revirement de l'assemblée fut tel que les promoteurs de leurs candidatures ultra-doctrinaires - c'est ainsi qu'on les baptisait - ne purent pas aller jusqu'au bout de leurs harangues, et ceux qui se consacrèrent à cette tâche ingrate furent prudemment lâchés par les réserves dont ils avaient escompté l’appui.
Le lendemain M. Antoine Dansaert était radical.
Il le demeura.
Elu le 2 août 1870 aux élections générales qui suivirent la dissolution des deux Chambres par le cabinet d'Anethan, il fut constamment réélu jusqu'en juin 1884, et se signala à la Chambre par des rapports sur des questions d'affaires, par ses deux votes révisionnistes de 1870 et 1883, et par la coopération silencieuse mais persévérante qu'il apporta au groupe de l'extrême gauche.
Sa première candidature n avait pas précisément fait pressentir cette attitude, mais une fois prise il n'en démordit pas.
Si nous rappelons ces faits quelque peu oubliés, c’est qu'il y a là, ce nous semble, un enseignement pour les partis qui se méprennent parfois sur les nuances politiques et les tendances réelles des uns et des autres.
(Extrait de la Réforme, du 23 août 1890)
Mort de M. Antoine Dansaert
Une douloureuse nouvelle : M. Antoine Dansaert est mort hier, à Bruxelles.
Sa santé était depuis longtemps gravement compromise. Il s’était courageusement soumis à l’opération de la trachéotomie, mais sans pouvoir dompter le mal qui épuisait sa vigoureuse constitution.
Depuis lors il était sans voix et ne conversait plus que par écrit.
Une amélioration apparente avait fait renaître quelque espoir, mais une crise violente qui s’était déclarée mercredi l’a emporté en deux jours.
M. Antoine Dansaert était le doyen de l’ancienne députation libérale de Bruxelles. Nul n’a incarné la représentation de notre monde commercial, au Parlement, avec autant de fière indépendance, de désintéressement et d’intégrité. C’était un député de grande et noble allure et son indépendance n’a jamais plié devant personne.
Tous savent les services qu’il rendit au commerce bruxellois, comme président du tribunal de commerce, de l’Union du Crédit et de l’Union syndicale.
On se rappelle aussi la part prépondérante qu’il prit dans le travail des premiers jours, en faveur des installations maritimes de Bruxelles, dont la cause est gagnée aujourd’hui.
M. Dansaert unissait à une rare distinction personnelle et à une grande modération de forme une fermeté de principes inébranlable. Il était profondément libéral et résolument progressiste. Aussi fut-il de ceux qui votèrent la révision en 1870 et qui la votèrent encore en 1883.
Il fut un des huit de l’Extrême gauche.
Depuis lors, quelque sombre qu’ait pu à certains jours l’avenir réservé à la politique progressiste, il y est resté inébranlablement fidèle. Il est mort sans avoir connu de défaillance.
(Extrait de l’Indépendance belge, du 26 août 1890)
Les Funérailles de M. Antoine Dansaert
C'est au milieu d'un grand concours de monde que les funérailles de M. Antoine Dansaert, ancien représentant de Bruxelles, ont été célébrées lundi matin, à onze heures. Parmi les nombreux amis du défunt, qui se trouvaient à la maison mortuaire, nous avons remarqué MM. Sabatier, Buls et Janson, membres de la Chambre des représentants ; M. Hector Denis, conseiller provincial, les membres du comité de l'Association libérale, du conseil d'administration de l'Union du Crédit et de l'Union syndicale ; les anciens membres de la députation libérale de Bruxelles. Mais il y avait tant de monde que nous ne saurions énumérer toutes les personnes présentes.
Le cercueil était exposé dans un salon de l'hôtel, converti en chambre ardente. Il disparaissait sous un véritable amas de couronnes et de bouquets. Après le défilé des amis devant les membres de la famille de M. Dansaert, que représentaient les deux gendres du défunt, plusieurs discours ont été prononcés.
C'est M. Demeur, ancien collègue de M. Dansaert à la Chambre des représentants, qui a pris le premier la parole au nom des anciens députés de Bruxelles. Voici en quels termes M. Demeur s'est exprimé :
« Avant que ce cercueil soit emporté, permettez-moi de dire quelques mots au nom d'un groupe d'amis d'Antoine Dansaert et particulièrement au nom de ceux qui ont été ses collègues à la Chambre des représentants.
« Les sentiments que nous éprouvons en ce moment, ce sont ceux qu’engendre la mort d'un homme qui a consacré toute sa vie au travail dans le but d'être utile à ses concitoyens et qui, en même temps, par la bonté de son caractère, a su attacher à sa personne tous ceux qui ont eu le bonheur de la connaître.
« Antoine Dansaert a commencé sa carrière, en 1835, par le service militaire. Il avait alors 17 ans. Dès 1838, il dut abandonner ce service, à la suite d'un accident de cheval qui l'obligea à l'immobilité pendant de longues années et dont il est resté souffrant pendant presque toute sa vie.
« En 1847, il embrasse la carrière commerciale à Bruxelles. Bientôt il fondait une maison d'importation de produits belges à Saint-Pétersbourg, où il se maria. En 1856, il fut l'un des fondateurs d'une maison semblable à Buenos-Ayres, dans laquelle il est encore intéressé.
« C'est en 1862, quand une expérience déjà longue l'avait mis au courant des affaires, qu'il entra dans les fonctions publiques. Il fut élu alors juge suppléant au tribunal de commerce de Bruxelles, puis juge, puis, à trois reprises, président, jusqu'en 1873.
« Entré à la Chambre des représentants en 1870, il y est resté jusqu'en 1884.
« Membre, depuis 1869, de la chambre de commerce de Bruxelles, il fonda, en 1875, après la suppression des chambres de commerce, l'Union syndicale de Bruxelles, dont il est resté le président jusqu'à sa mort.
« En 1876, il était la cheville ouvrière de la reconstitution de l'Union du Crédit, menacée dans son existence par une mauvaisz gestion, et dont il est resté le président jusqu'à la veille de sa mort.
« Telle est, à grands traits, cette carrière dans laquelle Antoine Dansaert a déployé toutes les qualités qui faisaient de lui un homme hors ligne.
« Avant tout, il pratiquait le précepte maçonnique : « Dis la vérité, pratique la justice, pense avec droiture » et cet autre : « Fais-le bien pour l'amour du bien. »
« Ce sont ces préceptes qu'il s'est efforcé de suivre, qu'il a suivis dans tous les actes de sa vie. Possesseur d'une fortune qui le dispensait de travailler pour satisfaire ses besoins personnels, il a, pendant ses trente dernières années, consacré toute son activité à l'amélioration du sort de tous. C'est dans cette pensée qu'il a, je ne dirai pas ambitionné, mais accepté toutes les fonctions qu'il a remplies. Une grande assiduité au travail, il unissait à une fermeté inébranlable du caractère et à une grande prudence un esprit initiateur. Il pensait que l'homme investi de fonctions publiques a des devoirs à remplir plus encore que des droits à et qu'il doit compte de ses actes. C'est lui notamment qui, comme président du tribunal de commerce de Bruxelles, et sans que la loi en fît une obligation, publia les premiers rapports dans lesquels chaque année le tribunal expose les actes de la justice consulaire pendant l'année précédente. C’est à lui aussi que l’on dit l’organisation de la comptabilité ouverte pour tous qui permet aux créanciers des faillites d'exercer un contrôle sur la gestion de leurs intérêts.
« Dans les débats à la Chambre des représentants, il a limité son intervention aux questions commerciales. Il ne parlait que des choses qu'il connaissait à fond, pour en avoir fait une étude particulière. En même temps, modeste et défiant de lui-même jusqu'au moment où il avait mûri une délibération, il ne se contentait pas de ses études personnelles : il savait s'entourer, sur chaque question, de l'avis des hommes spéciaux. On peut affirmer que l'arrondissement de Bruxelles n'a jamais eu un représentant soucieux autant que lui des intérêts du commerce et de l'industrie. Il touché à toutes les matières commerciales qui ont occupé le pays dans ces vingt dernières années. Le premier de ses discours sur le canal maritime qui doit relier Bruxelles, Malines et Louvain à l’Escaut est du 10 avril 1872. Ses discours sur la prolongation du privilège de la Banque Nationale et ses rapports sur l'intervention de l'Etat dans le service de navigation avec le Brésil et avec la Plata, attestent, en même temps qu'une connaissance approfondie des questions, la volonté de faire prévaloir l'intérêt général sur les intérêts particuliers des grandes Compagnies.
« Partout où il a parlé ou agi ce sont les droits et les intérêts du plus grand nombre qu'il s'est efforcé de défendre.
« En fondant l'Union syndicale, il a mis à la disposition de tous les commerçants et industriels, depuis le plus humble jusqu'au plus influent, le moyen de faire entendre leur voix.
« De même, l'Union du Crédit est un moyen pour d'obtenir, aux conditions les plus avantageuses, par le concours de leurs seules forces, avec une entière sécurité, l'escompte de leurs signatures.
« La même pensée démocratique se retrouve, avec la même persistance, dans ses votes sur les questions politiques, là où il ne prenait la parole que par exception. Le groupe progressiste du parti libéral était fier de le compter en tête de ses adhérents les plus dévoués.
« Aujourd'hui qu'il n'est plus, il laisse non seulement à chacun de nous un souvenir qui ne périra qu'avec nous-mêmes, mais à ceux qui sont appelés à lui succéder, un modèle à suivre
« C'est pour ceux-ci à la fois une belle et une lourde tâche.
« En terminant, je voudrais dire un mot des regrets qu'il laisse dans son intérieur où il était entouré d'une affection sans égale.
« Je voudrais surtout parler de sa veuve et lui donner une parole de consolation ; mais ici la voix me manque. Il y a des sentiments qu'il est donné à l'homme d'éprouver mais qu'il lui est impossible d’exprimer. C’est à peine si j’ose apporter ici un témoignage d'admiration pour le dévouement qu'elle a déployé pendant sa longue et cruelle maladie. »
Les autres discours ont été prononcés par M. Mignot-Delstanche, au nom de l'Union syndicale; M. Bollinckx, au nom du tribunal de commerce ; M. De Vergnies, au nom du Cercle des installations maritimes ; M.. Hollevoet, au nom de l'Union du Crédit ; M. Hanrez, au nom de l'Association libérale, et M. Hennebert ou nom de la Maçonnerie.
L'inhumation a eu lieu dans le caveau de la famille, au cimetière d’Evere.
(Extrait de la Réforme, du 26 août 1890)
Les Obsèques d’Antoine Dansaert
La bourgeoisie libéral et le commerce bruxellois ont fait à Antoine Dansaert d’imposante funérailles. Dès dix heures du matin une longue file de voitures s’étendait dans la perspective de la rue de la Loi, encombrée de négociants, d’avocats, d’hommes politiques qui tenaient à rendre un dernier hommage à l’homme qui fut si longtemps le représentant autorisé du commerce bruxellois. Remarqué dans la foule MM. Paul Janson, Hector Denis, Sabatier, Jottrand, Buls, d’autres anciens collègues de M. Dansaert à la Chambre et quantité de notabilités.
Le cercueil disparaissait sous les fleurs et les couronnes, envoyées par des amis du défunt et les employés de l'Union de Crédit, l’Union syndicale, l'Association libérale. etc. Le deuil était conduit par MM. Dujardin-Dansaert, gendres du défunt.
A la levée du corps, M. Adolphe Demeur, l’un des plus vieux ami d’Antoine Dansaert, l’un des plus ancien collègue de l’extrême gauche, a prononcé le discours suivant :
[voir le texte du discours ci-dessus]
M. Mignot-Delstanche a ensuite parlé au nom de l’Union syndicale, dont Antoine Dansaert fut le principe initiateur : il a rappelé la longue carrière de Dansaert, depuis l’époque où il entra comme engagé volontaire au régiment des chasseurs à cheval, qu’il dut quitter par suite d’une chute de cheval qui lui valut toute une vie de souffrances, jusqu’au moment où, chargé d’honneurs et entouré de l’estime et de la reconnaissance de ses concitoyens, il dut, accablé par la maladie, quitter la présidence de l’Union du Crédit.
M. Bollinckx, président du tribunal de commerce, a rappelé les services considérables rendus par le défunt à cette institution pendant les années qu’il la préside ; il réorganisa la comptabilité et fixa les traditions qui sont, dit l’orateur, fidèlement suivies au tribunal.
Puis M. Devergnies, au nom du Cercle des installations maritimes, dont Dansaet futl’initiateur et dont il couvrir les débuts de l’autorité de son nom, M. Hollevoet, au nom de l’Union du Crédit, qu’il sauva de la crise que l’on sait, et M. Hennebert, au nom de la Loge des Vrais Amis de l’Union et du Progrès, sont venus apporter au vénéré défunt un tribut d’hommages largement mérités.
Enfin,, M. Hanrez, au nom de l’Association libérale de Bruxelles, a prononcé les paroles suivantes :
« L'Association libérale et Union constitutionnelle de l’arrondissement de Bruxelles, au nom de laquelle je viens rendre un dernier hommage a Antoine Dansaert s’honore d’avoir eu ce citoyen parmi les siens jusqu'à son dernier jour.
« Lorsqu’il y a vingt ans, Dansaert entrait dans la vie politique, sous le patronage de notre Association, il s’était acquis l'estime et la considération publiques par une carrière industrielle et commerciale déjà longue ou il avait fait preuve de cette intégrité, de cette rectitude de jugement, de cette persévérance qu’il a montrées dans toutes ses entreprises. Et cet homme. en pleine maturité, apportait la même netteté de vues dans ses conceptions politiques. Son programme de 1870, il le rappelait à la Chambre en 1883, c'était un programme résolument progressiste, comprenant dès lors cette réforme primordiale sans laquelle rien de vraiment grand et de juste n'est possible dans notre pays, la révision de l'article 47 de la Constitution dans le sens d’une large extension du droit de suffrage.
« Il a employé l'autorité qui s’attachait à son nom et la confiance qu’il inspirait par son caractère, qui était la droiture même, à faire admettre cette réforme, aussi prudente que généreuse, par la bourgeoisie libérale.
« En même temps qu’il s'occupait spécialement à la Chambre, avec une rare compétence, des questions d'intérêt matériel, il continuait à affirmer au dehors sa supériorité d'homme d'affaires el il démontrait ainsi, par l'action. que la politique progressiste peut compter sur le concours des hommes les plus pratiques et les plus clairvoyants. Il montrait ainsi que le succès et la fortune ne rendent pas toujours égoïste et que le peuple déshérité peut attendre des sentiments de justice et d’équité de cette bourgeoisie si longtemps sourde à ses légitimes revendications.
« Les aspirations progressistes que Dansaert affirmait dès le début avaient été trop mûrement réfléchies pour jamais dévier. A quatre reprise il fut l'élu de l’arrondissement de Bruxelles ; toujours il fut le candidat de l'Association libérale, à laquelle il resta attaché dans la mauvaise comme dans la bonne fortune. On le vit bien dans les circonstances les plus critiques, en 1888. quand il poussa le dévouement jusqu’à accepter une candidature que ses forces, déjà défaillantes, ne lui permettaient plus de défendre par lui-même.
« Il nous a donné, à tous, l'exemple des vertus civiques, de la persévérance dans la lutte pour la vérité et la justice. Il nous a donné surtout l'exemple de la fidélité au drapeau, et ce drapeau était celui de l’Association libérale.
« Aussi, est-ce au nom de nous tous, dans un sentiment de profonde reconnaissance et d’accablante tristesse, que je lui adresse un suprême adieu. »
II était plus d'onze heures et demie quand le cortège, emplissant tout le haut de la rue de la Loi. s'est mis en marche. Au moment où les nombreux amis qui accompagnaient la famille au cimetière montaient en voiture, un cheval s’est emporté à travers la foule. Un agent de police et quelques assistants ont pu heureusement le maîtriser. Au cimetière, plusieurs centaines d'amis ont accompagné le corps jusqu'au dépôt mortuaire provisoire, où il a été déposé, en attendant l'inhumation, dans le caveau de la famille.