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Cornesse Prosper (1829-1889)

Portrait de Cornesse Prosper

Cornesse Prosper, Mariee, Henri, Laurent catholique

né en 1829 à Stavelot décédé en 1889 à Messancy

Ministre (justice) entre 1870 et 1871 Représentant entre 1870 et 1889, élu par les arrondissements de Verviers et Maeseyck

Biographie

&

(Extrait du Journal de Bruxelles, 21 juin 1889)

Nécrologie. M. PROSPER CORNESSE. La Gazette de Liége consacre l’article nécrologie suivant à M. Prosper Cornesse :

M. Prosper Cornesse vient de mourir au château de Messancy à l’âge de 58 ans. Il s'y était rendu pour passer la bonne saison auprès de son gendre et de sa fille, Madame de Mathelin ; une nouvelle attaque du mal dont il avait essuyé les premières atteintes il y a plus d'un an l'a subitement frappé dimanche ; la gravité du mal n'a dès l'abord plus laissé l'espoir à sa famille et à ses amis affligés. Lundi matin à sept heures, Dieu a rappelé à lui ce fidèle et vaillant serviteur de la bonne cause.

Descendant d'une de ces vieilles familles du pays de Stavelot qui occupaient héréditairement auprès du prince-abbé les fonctions les plus élevées dans l'administration de ce libre petit pays, Prosper Cornesse, le plus jeune des fils d'une maison nombreuse, avait été élevé dans les traditions les plus religieuses, en même temps qu'il était particulièrement l'objet de l'affection des siens.

La vie jusqu'en ces derniers jours lui avait été douce et brillante; doué de facultés rares et séduisantes, il s'était dès l'abord distingué dans ses études, puis distingué au barreau. L'agrément de son organe, la facilité de sa parole, la promptitude de son intelligence, le don qu'il avait de s’assimiler tous les sujets, l'aménité cordiale et distinguée de ses relations, les qualités de son intelligence et l'honnêteté admirablement exemplaire d'une vie restée toujours sans tache et sans faiblesse, tout cela lui conciliait toutes les sympathies.

Avec le succès, la fortune et le bonheur étaient venus le trouver dans une union qui lui donna jusqu'au dernier jour toutes les joies intimes du foyer.

Respecté et aimé de tous, idolâtré des siens, et se sentant au cœur et dans la tête tout ce qu'il fallait pour servir utilement son pays et sa foi, il était entré de bonne heure dans la carrière politique. Pendant de longues années il fut le collaborateur de choix du fondateur de la Gazette de Liége.

Son talent oratoire était loin de le céder, on le sait, à son talent d'écrivain. Aussi se trouva-t-il tout naturellement appelé à représenter les intérêts catholiques en même temps que ceux de son canton natal au sein du conseil provincial de Liége : il y devint, du jour où il y entra, l'interprète le plus éloquent et le porte-drapeau toujours victorieux dans les luttes de la parole, de la cause conservatrice et religieuse.

Il eut l'honneur plus grand encore, par sa candidature à Verviers, d'aider à nous reconquérir cet arrondissement où le libéralisme se croyait à jamais vainqueur et par une fortune qui n’a été en Belgique que le partage de bien peu d'hommes d'Etat, il entra au Parlement en ministre en même temps qu'en député. On sait quels services il rendit de ce siège élevé de chef du département de la justice ; on sait aussi quel coup de parti l'en renversa. Le corps électoral qui l'avait envoyé à la Chambre eut l'ingratitude même de ne l'y point maintenir ; un autre arrondissement, celui de Maeseyck, s'honora de l'y renvoyer, et point n'est besoin de rappeler avec quel zèle le vaillant député wallon se mit tout entier au service de ses compatriotes flamands.

Dans tous les débats importants de la Chambre, pour tous les temps qu'il y put siéger, l’avenir retrouvera quelque discours de Prosper Cornesse : il avait fait une étude particulière de notre passé parlementaire, il ne perdait jamais de vue les opinions d'autrefois, les contradictions, les palinodies de ses adversaires, et il les leur rappelait avec une abondance de citations bien propre à désarmer les plus audacieux, au milieu même des plus vives batailles. Il avait le courage de s'attaquer aux idoles ou aux puissances occultes dont trop d'autres semblaient craindre parfois d'approcher : nul n'a mieux mis en lumière que Prosper Cornesse au Parlement belge, les manœuvres et l'influence fatale de la franc-maçonnerie dans nos affaires publiques.

Il avait surtout le courage de sa foi : homme de conservation sans doute, homme de science et de droit, plus politicien même que savant ou jurisconsulte, son honneur le plus grand sera de s'être montré en toutes circonstances un catholique dévoué à sa mère l'Eglise. Léon XIII ne lui avait pas seulement réservé la plus haute dignité de ses ordres pontificaux; lors de la dernière visite de Mgr l'évêque de Liége à Rome, le Pape avait chargé spécialement le prélat d'aller porter derechef l’expression de la gratitude de l'Eglise entière à son dévoué champion déjà frappé par la maladie.

Ce coup cruel ne l'avait point atteint dans son intelligence mais il paralysa sa main, il l'obligea au repos, il interdit toute activité au vaillant travailleur : supplice horriblement cruel pour celui qui n'avait vécu jusque-là que de cette activité ! Une plus rude épreuve attendait le malade : il y a un an à peine Madame Cornesse lui était enlevée par une mort inopinée.

Détaché de plus en plus par ces souffrances intimes, Prosper Cornesse se sentait de plus en plus appelé à un monde meilleur.

C'est là, nous n’en doutons pas, qu'il est ailé recevoir la récompense d'une vie d'honneur et de désintéressement, la récompense d'une charité qu'il pratiquait si bien en donnant son or et souvent un concours personnel bien plus précieux que l'or à toutes les indigences et à toutes les bonnes œuvres qui s'adressaient à lui ; la récompense enfin d'une carrière toute de travail et de dévouement aux plus nobles et aux plus saintes causes, la patrie et la religion.

Les obsèques de M. Cornesse seront célébrées samedi, à Liége, dans l’église dee Saint-Jacques.

Une absoute a été donnée aujourd'hui Jeudi à Messancy. L'enterrement aura lieu vendredi à Stavelot.


(Extrait du Journal de Bruxelles, 23 juin 1889)

FUNÉRAILLES DE M. CORNESSE. Jeudi, ont eu lieu à Messancy les funérailles de M. Prosper Cornesse, avocat, membre de Chambre des représentants, ancien ministre.

A 11 heures 1/2, lisons-nous dans le Luxembourg, un train spécial amenait la députation de la Chambre et d'autres personnes venues de Bruxelles et d'Arlon pour rendre hommage à la mémoire du défunt.

Dans le parc du château de la famille de Mathelin, où l'on se rend immédiatement, toute la garnison d'Arlon attend, sous les armes, commandée par M. le colonel Desmaret.

Lorsque la députation de la Chambre arrive à proximité de la demeure, les clairons sonnent, les tambours battent aux champs, la troupe présente les armes.

Le vestibule a été transformé en chambre ardente Le cercueil y repose,. couvert de nombreuses couronnes, parmi lesquelles nous en remarquons une de M. le sénateur Simonis, une autre de l'association conservatrice de Verviers.

On voit aussi un cousin portant les diverses décorations du défunt.

MM. de Lantsheere et Jacobs prononcent des discours.

Le clergé, en tête duquel se trouve M. le doyen de Messancy, procède ensuite à la levée du corps.

Le cortège se forme ; un feu de peloton retentit ; les soldats présentent les armes.

Le deuil est conduit par M. Anatole de Mathelin, gendre, et M. Cornesse, frère du défunt.

Viennent ensuite : MM. de Lantheere, président de la Chambre ; le prince de Chimay, ministre des affaires étrangères ; Nothomb, ministre d'Etat ; de Gerlache, gouverneur de la province ; Jacobs, ministre d'Etat ; Mélot, Ancion, Noël, Desmedt, Dupont, Anspach-Puissant, de Fontaine, membres de la Chambre; M. Bruninckx, secrétaire de la questure de la Chambre ; MM. Simon, avoué ; Michaëlis, directeur au gouvernement provincial ; Monin, inspecteur provincial des chemins vicinaux ; Laurent, inspecteur provincial des contributions des douanes et accises ; J. Michaëlis et Piette, avocats ; Dubois et Jungers, juges de paix ; Meertz, bourgmestre de Messancy ; Zimmer, etc.

M. Victor Tesch, actuellement à Messancy n'a pas jugé bon de se déranger pour rendre les derniers devoirs à un ancien collègue. L'honorable ministre d'Etat n'accomplit plus que des devoirs électoraux Et ça ne lui porte pas bonheur. Son absence a été fort remarquée.

Quatre huissiers de la Chambre, la chaîne d'argent au cou, ouvraient et fermaient la marche de la députation.

La troupe forme la haie, et l'on se dirige vers l'église, devant laquelle un nouveau feu de peloton salue l'entrée du corps.

Le chœur de l'église est orné de draperies noires. On chante une grand-messe solennelle, au cours de laquelle a lieu le long défilé dc l'offrande. Puis, les absoutes sont dites, et le cortège, suivant la bière, redescend les degrés qui mènent de l’église à la chaussée.

On se rend la station de Messancy, où le cercueil est déposé dans un wagon funéraire. Les soldats présentent une dernière fois les armes.

A 3 heures et demie un train spécial emmenait la députation de la Chambre et les autres notabilités, que la musique militaire saluait de la Brabançonne.

Voici le texte du discours de M. de Lantsheere, président de la Chambre :

« Messieurs, jamais ma tâche ne m’a semblé plus pénible.

« Ce n'est pas seulement un collègue honoré sur la tombe duquel je viens, au nom de la Chambre des représentants, déposer un suprême et légitime hommage. La mort rompt les liens d'une amitié déjà longue, liens devenus plus chers et plus étroits au milieu des pénibles épreuves qui ont, depuis un an, assombri l’existence de notre regretté Prosper Cornesse.

« Ah ! combien cette nature si alerte et si vive, cet esprit toujours en éveil, cette âme prompte aux émotions, ardente à la lutte, a dû souffrir au milieu des lents et implacables envahissements d'une maladie qui a paralysé peu à peu ses brillantes facultés !

« Il a plu à Dieu de rappeler à l'éternel repos, auprès de celle qui avait été la compagne aimée de sa vie, son soutien et sa consolation.

« C'est le repos des vaillants, la récompense de ceux qui ont la foi.

« Cette récompense il l'a bien méritée. Sa vie ne fut qu'un long combat, combat semé de succès et de• revers : succès sans orgueil, revers sans découragement.

« Je passe sous silence les travaux et les luttes du barreau. Prosper Cornesse y brilla comme partout, et ses confrères lui décernèrent l'honneur envié du bâtonnat.

« Je parle de cc qui faisait sa vie : la politique. Il y débuta par le journalisme et prit une part active, par la parole et par la plume, à la campagne qui, après treize ans de domination libérale, ramena le parti catholique au pouvoir.

« Il était juste que Cornesse, qui avait été à la peine, fût aux honneurs.

« L'arrondissement de Verviers l'avait élu. M. le baron d'Anethan, l'éminent homme d'Etat dont nous ressentons encore la perte, n'hésita pas à appeler l'élu de la veille à faire partie du cabinet. Le ministère de la justice lui échut naturellement. Rarement un homme politique rencontra, dès le premier jour, d'aussi vives et aussi unanimes sympathies parmi ses collègues.

« Les vainqueurs de la grande bataille électorale n'eurent guère le loisir de se reposer dans leur triomphe. Le gouvernement eut, le lendemain de sa constitution, à faire face aux redoutables périls que pouvait faire courir à la Belgique la guerre sanglante qui se poursuivait entre l’Allemagne et la France le long de nos frontières.

« Une dissolution, faite au milieu de cette tourmente, donna au cabinet une nouvelle preuve de la confiance du pays.

« Le cabinet sut s'en montrer digne. Ce sera son impérissable honneur et un titre éternel à la reconnaissance de la nation d'être parvenu, à force de sagesse, de prudence et d'activité, à écarter de notre territoire le fléau de la guerre et à tirer des dangers même une nouvelle et solennelle confirmation de notre neutralité.

« Les passions politiques ne s'arrêtent pas devant de pareils services. Elles n'épargnèrent pas au gouvernement aucune attaque, et le pays fut témoin, un an plus tard, en 1871, du spectacle, inouï sous un régime constitutionnel, de ministres entourés de la confiance et de l'estime d'une importante majorité et réduits à résigner leurs fonctions devant quelque tumulte qui s'était produit dans les rues de la capitale.

« Ils n'avaient pas été seuls outragés. La royauté elle-même n'avait pas échappé aux insultes.

« Cornesse partagea avec ses collègues l'honneur des manifestations triomphales par lesquelles le pays catholique protesta contre leur démission.

« Cornesse avait su, dans d'éloquents discours, défendre les actes du gouvernement dont il avait fait partie. Ami dévoué et fidèle, ne cherchant point la satisfaction de l'ambition personnelle, il soutint avec la même énergie et le même talent ceux à qui échut la tâche pénible et ingrate de lui succéder au pouvoir.

« Il avait, peut-on dire, conquis son siège parlementaire. L’arrondissement de Verviers avait, en l'élisant, rompu avec de vieilles traditions et le libéralisme y paraissait assuré de constants succès. La lutte de 1874 le ramena à ses traditions et Cornesse ne vit pas renouveler son mandat.

« Il obtint sa revanche quatre ans plus tard, lorsqu'il fut appelé en 1878, à remplacer l'un des hommes les plus éminents et les plus illustres du Congrès et de la Chambre, le comte Charles Vilain XIIII. Il n’est ps besoin de dire avec quel éclat il justifia la confiance de l'arrondissement de Maeseyek. Aucune grande discussion ne s'éleva à la Chambre qu'il n'y prit la part la plus brillante. Et en ce moment même la ville de Maeseyck inaugure un grand travail d'utilité publique dont il fut le promoteur et le défenseur.

« Aussi ses nouveaux électeurs lui demeurèrent-ils fidèles. Nul événement politique ne serait parvenu à rompre les liens qui s'étaient formés entre le représentant et ses électeurs.

« La mort vient de les briser.

« Inclinons-nous sous la main toute-puissante de Dieu. Gardons l'espoir que son indéfectible justice aura décerné à notre ami la légitime récompense de ses vertus et de ses services. »

Voici aussi le texte du discours de M. Victor Jacobs :

« Messieurs, il y a un quart de siècle que je vis pour la première fois l'homme excellent que nous pleurons. Jeune encore, il avait déjà conquis une place marquante au barreau de Liége, et la minorité du conseil provincial l'avait choisi comme kader.

« En 1870 l'arrondissement de Verviers, berceau de sa famille, le fit passer des bancs du conseil provincial sur ceux de la Chambre. Je le connus alors de plus près : le baron d'Anethan nous appela tous deux faire partie du cabinet constitué sous sa présidence ; depuis ce jour une profonde amitié nous a unis, et c’st comme ami, plus encore que comme ancien collègue, que je viens rendre hommage à sa mémoire.

« Je l'ai connu dans la bonne et dans la mauvaise fortune, ne se laissant jamais ni éblouir ni ébranler, toujours d'humeur égale, forçant l'estime par sa droiture. Sa parole chaude et vibrante lui donnait dans le conseil la légitime autorité qu'elle exerçait sur le Parlement.

« Hélas i il y a dix-huit mois que Prosper Coresse était perdu pour nous. Un mal qui ne pardonne pas l'avait arraché à ce milieu parlementaire où, même parmi ses adversaires, il comptait tant d'amis !

« Avec quelle résignation chrétienne, avec quel courage il a supporté ses souffrances ! Il lui en fallut dès le premier jour; il dut redoubler d'énergie lorsque la compagne de sa vie, celle qui lui prodiguait des soins touchants, fut brusquement ravie à l'affection des siens. Et, comme si ce n'était pas assez, hier c'était son unique petite-fille qui lui était enlevée !

« Dieu ne frappe à coup redoublés que les âmes d’élites. Prosper Cornesse a gagné le ciel sur la terre ; son long martyre a pris fin. Que Dieu lui accorde le repos éternel, promis à ceux qui combattent le bon combat.

« Adieu Cornesse, adieu ! »