Carton de Wiart Henri, Victor, Marie catholique
né en 1869 à Uccle décédé en 1951 à Uccle
Ministre (justice et premier ministre) entre 1911 et 1950 Représentant entre 1896 et 1951, élu par l'arrondissement de BruxellesLa biographie la plus intéressante de Henry Carton de Wiart (1869-1951) est celle qui a été écrite de façon magistrale par… Henry Carton de Wiart lui-même dans ses Souvenirs personnels, parus en deux volumes. Ces deux volumes sont disponibles sur le présent site aux liens qui suivent :
1° Souvenirs personnels (1878-1918), paru en 1948
2° Souvenirs personnels (1918-1951), paru à titre posthume en 1981
(Extrait de M.-L. DUBOIS et Annette HENDRICK, Inventaire des archives de la famille Carton de Wiart (2ème versement), s.l., Valorescence, 2016, pp. 32-33)
Henry Carton de Wiart (1869-1951)
Henry Carton de Wiart est né à Bruxelles le 31 janvier 1869, fils de l’avocat Riégo, Benjamin, Constant (1825-1895) et de Marie, Clémence, Jeanne Cammaerts (1844-1925).
Après des études secondaires au Collège des Jésuites à Alost et au Collège Saint-Michel, il étudie le droit à l'Université libre de Bruxelles. Il y est reçu docteur en 1890 et entre au barreau. Parallèlement à sa carrière d’avocat, il entre très jeune en politique : il est conseiller communal à Saint-Gilles de 1895 à 1911. Il est élu député de Bruxelles en juillet 1896. Il le restera jusqu'à sa mort en 1951 ! Il a d’ailleurs été secrétaire de la Chambre des Représentants de juillet 1900 à juin 1911.
Nommé ministre de la Justice le 17 juin 1911 dans le gouvernement de Charles de Broqueville, il le reste jusqu’au 31 mai 1918. Son œuvre législative la plus connue est la loi du 12 mai 1912 sur la protection de l'enfance, dite loi Carton de Wiart, qui institue les tribunaux pour enfants. Après la Première Guerre mondiale, qu’il passe au Havre avec le gouvernement en exil, il est nommé ministre d’État le 21 novembre 1918. Il occupe le poste de ministre plénipotentiaire à La Haye en 1919. Il est choisi Premier ministre et ministre de l'Intérieur du 20 novembre 1920 au 16 décembre 1921 dans un gouvernement d'union nationale. Son année de gouvernement est marquée par la deuxième révision de la Constitution belge qui introduit le bilinguisme. Le 14 novembre 1921, le roi Albert lui confère le titre de comte.
Partisan de la première heure de la reprise du Congo par la Belgique, il effectue de juillet à novembre 1922 un long voyage privé dans la Colonie en compagnie de so-n fils Xavier, d'Élisabethville à Boma en passant par Stanleyville et Coquilhatville.
Sa carrière politique ne s'arrête pas là, puisqu'il est ministre du Travail, des Affaires sociales et de l'Hygiène entre 1932 et 1934, dans le gouvernement de Charles de Broqueville.
Entre les deux guerres, il est délégué permanent de la Belgique auprès de la Société des Nations et, en 1934, il préside le Conseil supérieur de l'Union économique avec le Grand- Duché du Luxembourg. Entré au Conseil interparlementaire à Berlin, en 1928, il préside celui-ci de 1934 à 1947 et, à la réunion d'Istanbul, en 1934, on lui décerna le titre de président d'honneur à vie.
Lors de l'invasion de la Belgique en mai 1940, Henry Carton de Wiart accompagne le gouvernement belge jusqu’à Poitiers puis rentre en Belgique. Durant l’été 1944, il sera pris comme otage dans le cadre d’un attentat perpétré contre l’Occupant et incarcéré à la prison de Louvain. Après la Seconde Guerre mondiale, il occupe le poste de ministre sans portefeuille chargé des questions de coordination économique et de reconstruction dans le premier gouvernement de Gaston Eyskens (août 1949-juin 1950). Âgé de 81 ans, il occupe encore le poste de ministre de la Justice dans le gouvernement de transition de Jean Duvieusart, entre le 8 juin et le 15 août 1950. Durant la Question Royale, il est un fervent défenseur du roi Léopold III.
Auteur de plusieurs romans historiques et ouvrages autobiographiques, cofondateur en 1894 de la revue artistique et littéraire Durendal, il fait partie en 1920 des premiers membres de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique et le restera pendant 31 ans jusqu'à sa mort le 6 mai 1951. Il a notamment écrit le roman de chevalerie La Cité ardente (1905), qui a donné à la ville de Liège un nouveau surnom, d'usage général aujourd'hui.
Il fonde avec le chanoine Bondroit et Mallinger « la société d'Art à l'école et au foyer ». Son action se prolonge aujourd'hui encore à travers l'ASBL Juliette et Henry Carton de Wiart.
(Extrait de Annales parlementaires de Belgique. Chambre des représentants. Session 1850-1851. Séance du 8 mai 1951)
Eloge funèbre de M. Henry Carton de Wiart, ministre d'Etat, représentant de l'arrondissement de Bruxelles
(La comtesse Henry Carton de Wiart et les membres de la famille ont pris place dans les tribunes de la présidence.)
M. le président se lève et, devant l'assemblée debout, prononce les paroles suivantes :
Mesdames, messieurs, notre assemblée vient de subir une grande et douloureuse perte. Le plus ancien et le plus âgé, mais aussi le plus éminent de ses membres, le ministre d'Etat comte Carton de Wiart, est mort dimanche dernier, âgé de 82 ans, dont il en a consacré cinquante-cinq aux travaux de cette Chambre.
La vie publique du comte Carton de Wiart se confond avec la période la plus mouvementée, la plus tragique et la plus féconde le notre histoire nationale depuis notre indépendance.
Son influence a été marquée et fut parfois prépondérante dans toutes les réformes politiques et sociales qui en ont caractérisé l'évolution. Mais quelle que soit l'importance de son rôle de législateur, le ministre Carton de Wiart eut une activité qui déborda largement les frontières de la politique.
Dès sa jeunesse, sa personnalité remarquablement précoce a étonné par la diversité de ses talents, et ceux qui liront le récit Je sa vie et l'imposante liste de ses publications resteront stupéfaits devant l'ampleur autant que la variété de son œuvre. Historien, juriste, avocat, littérateur, réformateur social, homme politique, il le fut au sens plein de chacun de ces termes et avec des mérites qui en font, sous tous ses aspects, une figure d'avant-plan. Sa vie se caractérise aussi par une remarquable unité de pensée et d'action et par cette fidélité aux idéaux de jeunesse qui est généralement la marque des grandes existences.
Il n'avait que 21 ans quand il conquit son diplôme de docteur en droit, mais déjà pendant ses années universitaires, il avait brillé dans la jeune équipe d'écrivains qui produisit la renaissance de nos lettres françaises à la fin du XIXe siècle et il avait appris à batailler au forum sous le drapeau du mouvement social-chrétien, qui devait encore chercher ses voies et venait de recevoir dans l'Encyclique Rerum Novarum le plus haut encouragement spirituel qu'un catholique puisse ambitionner. Mais ses dons exceptionnels d'esprit et de cœur n'ont pu fructifier pleinement que par cette infatigable ardeur au travail et ce scrupuleux dévouement au devoir, qui sont restés jusque dans ses derniers jours les forces motrices de ses extraordinaires énergies.
Je ne puis dans ces instants de pieux recueillement exposer le tableau complet de ses mérites, même les plus éminents dans les différents domaines de son activité. Cet éloge sera complété amplement dans d'autres enceintes. Comme en a témoigné le bâtonnier du barreau de Bruxelles, Maître Bodson, les travaux du ministre Carton de Wiart suffisent à remplir et à illustrer plusieurs fois la vie d'un homme. Je ne connais point dans notre histoire parlementaire une personnalité dont l'érudition, la fertilité intellectuelle et l'action aient dépassé à la fois en variété et en intensité celles que nous admirons dans notre défunt collègue. Tous ses efforts ont tendu à promouvoir ou à soutenir des initiatives ou des mouvements destinés à améliorer le sort social des moins privilégiés, à enrichir notre culture nationale, à embellir le visage de la patrie, à célébrer nos valeurs historiques et patriotiques.
Mais c'est dans la politique qu'il a reconnu, dès sa jeunesse, sa grande vocation et c'est surtout notre Chambre des représentants qui a pu recueillir le bénéfice de sa précieuse collaboration et qui gardera dans ses archives le legs principal de sa généreuse pensée.
Henry Carton de Wiart n'avait que 26 ans quand il fut élu pour la première fois par l'arrondissement de Bruxelles. Ce fut sous l'égide de sa foi démocratique qu'il obtint cette précoce faveur et le succès électoral extraordinaire qui caractérisa déjà sa première i élection fut une preuve indiscutable des grandes espérances que déjà, à ce moment, l'opinion catholique fondait sur h '.. Ces espoirs, il les a justifiés dès son entrée au parlement. Par son éloquence, sa courageuse indépendance, mais aussi par la distinction qui caractérisait ses interventions, il y conquit rapidement une attention et une autorité enviables, à côté de ses frères d'armes en démocratie chrétienne, Jules Renkin, Léon de Lantsheere et d'autres qui, comme lui, ont illustré notre tribune. Ce succès initial n'a fait que s'amplifier au cours des cinquante-cinq années qu'il sut garder la confiance de ses électeurs.
M. Carton de Wiart a été le modèle accompli du parlementaire consciencieux dans l'accomplissement de son mandat, dévoué aux causes dont il avait assumé la défense, ardent dans la lutte, maître d'une parole à la fois éloquente et habile, redouté pour ses interventions spontanées, précieux conseiller et fidèle soutien de ses amis, mais courtois et loyal envers ses adversaires, bienveillant pour tous dans les rapports personnels, et particulièrement pour ses jeunes collègues. 11 gardera pour toujours dans notre affection et dans notre admiration une place privilégiée.
Le rare succès avec lequel il a poursuivi cette extraordinaire carrière parlementaire n'était pas seulement le fruit naturel d'un noble caractère; il s'inspirait aussi de la haute conception que le cher défunt s'est toujours faite de la mission élevée et bienfaisante du parlement dans une véritable démocratie et qu'il a célébrée avec tant d'éloquence dans le discours qu'il a prononcé à notre tribune à l'occasion de son jubilé parlementaire.
« En dépit de ses déficiences », disait-il, « et moyennant les progrès dont notre régime est susceptible, je tiens que pour toute nation majeure il n'est pas de meilleure garantie contre l'arbitraire ni de meilleure sauvegarde contre le désordre que de faire participer dans un débat libre et contradictoire toutes les valeurs, tous les sentiments, tous les intérêts de la nation, à l'élaboration des lois et au contrôle des affaires de l'Etat. Pour régler les différends, il faut choisir entre la discussion et la force. La discussion qui sied aux hommes, la force qui convient aux brutes. »
Ce fut pour lui, sans aucun doute, une magnifique récompense quand les Chambres réunies, le gouvernement et le corps diplomatique se sont assemblés dans cette salle à l'occasion du cinquantenaire de son mandat, pour lui manifester avec une ferveur unanime l'affection, la gratitude et l'admiration que justifiait une carrière parlementaire aussi exceptionnellement brillante et fructueuse que la sienne.
Il est impossible de dire en détail ce que fut l'œuvre parlementaire du ministre Carton de Wiart. Il fut dans tous les débats importants une des grandes voix de la Chambre. Ses discours et aussi les nombreux et importants rapports qu'il a produits, en particulier sur les questions sociales, juridiques, internationales et culturelles, constituent une source aussi riche qu'indispensable pour notre histoire parlementaire et politique de la fin du XIX* siècle et de toute la première moitié du siècle actuel.
Une valeur aussi exceptionnelle le désignait naturellement tant au choix de ses collègues qu'à la confiance du Souverain pour les fonctions les plus élevées. 11 fut secrétaire de la Chambre de 1900 à 1910 et fut élu comme vice-président au lendemain de la première guerre mondiale, durant un court intervalle dans ses fonctions ministérielles. Il fut deux fois ministre de la justice, ministre de l'intérieur, du travail et premier ministre, et dans chacune de ces hautes fonctions il brilla à la fois par l'autorité avec laquelle il les a remplies et par la fécondité de ses initiatives, car il fut toujours hanté par ce besoin de créer qui tourmente l'âme d'un véritable homme d'action qui est aussi un artiste, li a été l'auteur de nombreux projets ou propositions de loi qui ont introduit des améliorations notables dans l'organisation de la justice, dans notre législation commerciale, dans notre droit public. Comme premier ministre et ministre de l'intérieur, il a dirigé les travaux qui ont abouti à la dernière révision constitutionnelle. Il exerça une influence considérable sur la création du Conseil d'Etat et ce fut assurément pour lui une grande satisfaction d'avoir pu contribuer à l'achèvement de toutes les grandes réformes dont il avait annoncé et soutenu de bonne heure la réalisation : l'émancipation et la protection légale de l'ouvrier et ses organisations, le suffrage universel pour .les femmes comme pour les hommes, l'instruction obligatoire, le service personnel, la reprise du Congo par la Belgique. Mais de toutes ses initiatives, il n'en est point qui lui ait tenu plus à cœur que la protection de la moralité publique et surtout la protection de l'enfance malheureuse et menacée de déchéance définitive. La loi qui porte son nom et dont l'amélioration fut l'objet de ses derniers efforts restera toujours un témoignage de sa bonté si agissante et de ses hautes préoccupations morales.
Une autorité et une expérience politique aussi exceptionnelles le désignaient naturellement aussi pour des fonctions importantes d:iiîs la défense de nos intérêts sur le terrain international. Il fut à des heures difficiles notre ambassadeur à La Haye; il présida depuis le début le Conseil supérieur de notre union économique avec le grand-duché de Luxembourg; il fut, entre les deux guerres, notre délégué permanent à la Société des Nations. Il présida aussi de nombreux arbitrages entre nations. Ses mérites politiques et intellectuels furent reconnus et récompensés par les gouvernements amis comme par de nombreuses académies, en lui octroyant les plus hautes distinctions ou en l'invitant, par des élections flatteuses, à siéger dans leur compagnie. Mais il n'est point d'honneur auquel, comme parlementaire, il dût être plus sensible et par lequel en même temps il a mieux illustré notre parlement à l'étranger que celui d'avoir été durant tant d'années l'élu unanime à la présidence de l'Union interparlementaire, qui lui décerna ensuite le titre à vie de président d'honneur. Cependant, aucun éloge ne sera relevé avec plus de constance et plus de gratitude par les historiens de cette grande vie que celui de son admirable patriotisme. Le culte de la patrie, de sa renommée, de sa grandeur morale et artistique, de ses libres institutions, de son unité et du trône, qui en est le couronnement, a été non seulement le souci dominant, mais aussi l'inspiration principale de ses travaux littéraires autant que de ses efforts artistiques et de son action politique. Cette dévotion patriotique a été le lieu de convergence de toutes ses aspirations. Elle ne s'est pas seulement affirmée avec éclat dans les années de paix, elle s'exprima aussi avec courage aux heures du danger. Il fut un des rédacteurs de cette noble réponse dans laquelle le gouvernement du Roi Albert rejeta, en 1914, l'odieux ultimatum de l'empereur Guillaume, et ce fut au prix de sa liberté que durant la criminelle occupation des nazis, il a soutenu le courage de ses compatriotes et leur résistance aux odieuses déportations.
Telle fut en raccourci la vie du grand homme d'Etat, de l'éminent et cher collègue que la mort vient de nous ravir. Et cette vie si belle par tant d'aspects, il l'a ornée dans le privé aussi d'une dignité si parfaite, qu'elle y trouve un titre complémentaire à notre respect.
Mais cet esprit d'élite, ce travailleur infatigable nous est apparu aussi comme un miracle de jeunesse. Jusque dans ses derniers jours, il a pu résister avec une vitalité extraordinaire aux atteintes progressives et inévitables des années. Malgré ses 80 ans, il a conservé jusqu'au bout une fraîcheur physique, cette lucidité d'intelligence, cette précision de mémoire, et jusque cette voix sonore qui lui ont permis jusque dans les récentes semaines d'intervenir dans nos débats, avec une netteté et une vigueur qui ne s'étaient jamais démenties. Hélas, la mort le guettait comme pour le surprendre, et il a suffi de quelques jours de souffrance pour mettre fin à cette brillante existence.
Même en présence de la mort, la force morale de cet homme extraordinaire s'est affirmée avec une grandeur émouvante. Tant qu'il a pu, même à l'heure où il se sentait condamné, il a continué à travailler, et plusieurs lettres qu'il a dictées sur son lit de souffrance seront arrivées à leurs destinataires comme des messages posthumes de sa toujours vigilante sollicitude pour le bien de l'Etat ou de son accueillante charité. J'ai eu le bonheur de le revoir encore jeudi dernier; il venait de passer une nuit inquiétante pour son entourage, mais avait repris toute sa lucidité et ce fut dans la plus affectueuse amitié qu'il me parla, durant quelques minutes encore, de la Chambre et de nos travaux de cette semaine. Mais il n'écarta pas de notre pensée la gravité de son état et avec un calme admirable et dans un sentiment d'édifiante soumission chrétienne, il ajouta qu'il était entièrement résigné au dernier appel.
- La séance est levée en signe de deuil
Voir aussi :
1° Y. SCHMITZ, dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1985, t. 44, col. 164-178
2° L. DE LICHTERVELDE, Notice sur le comte Henry Carton de Wiart, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1956
3° Le texte intégral du roman historique , La Cité Ardente (1905)
4° S. ROTTIERS, Six cents patriotes en quête d'auteurs. Historicité et littérarité des Six Cents Franchimontois: étude d'un cas de figure, La cité ardente de Henri Carton de Wiart , dans la Revue belge de Philologie et d'Histoire, 1995, n°73-2, pp.343-377