Carlier-Dautrebande Théophile libéral
né en 1807 à Dailly décédé en 1863 à Bruxelles
Représentant entre 1862 et 1863, élu par l'arrondissement de Huy(Extrait de La Meuse, Liège, le 9 avril 1863)
Voici les discours qui ont été prononcés à Huy, avant-hier, sur la tombe de l’honorable Carlier-Dautrebande, représentant.
Discours de M. Delexhy, représentant
Messieurs,
Une fatalité implacable semble nous poursuivre.
Il y a six mois peine que nous venions rendre, dans cet asile des morts , un dernier hommage à la mémoire du vénérable M. Dautrebande, dont les vertus civiques nous serviront toujours d'exemple. L'herbe n'a pas encore poussé sur cette fosse , que déjà on doit la rouvrir pour lui confier une nouvelle dépouille.
Le six novembre dernier , Carlier conquérait glorieusement le mandat de membre de la représentation nationale. Le Collège électoral de Huy manifestait ainsi sa reconnaissance envers le digne Dautrebande, en appelant un membre de sa famille à continuer son mandat.
Je fus un des premiers à souhaiter à Carlier la bienvenue dans• la phalange libérale à la Chambre des représentants.
Je ne me doutais guère, en ce jour de triomphe, que bientôt je serais appelé à dire au nouvel élu le suprême adieu.
Je viens remplir ce triste devoir ct payer un tribut de regret sur cette tombe si prématurément ouverte.
Carlier s'est distingué par son dévouement inaltérable à l'opinion libérale. Jamais de faiblesse, jamais de transaction avec ses principes.
Soldat de la généreuse armée du libéralisme, il luttait vaillamment avec nous contre les principes délétères d'une politique qui voudrait condamner l'esprit humain à l’immobilité, rétablir les vieilles et odieuses inégalités de castes sociales, se mettre en travers de tous les progrès, arrêter la marche providentielle de la civilisation et entraver le règne du droit et de la liberté.
Si même ses instincts et sa raison n'avaient pas entrainé aussi vigoureusement Carlier vers le parti libéral, ses convictions politiques se seraient encore fortifiées par les enseignements et les exemples de l'honorable M. Dautrebande de ce type de loyauté et son dévouement à la chose publique, la fermeté de ses principes politiques valurent à Carlier un siège au Conseil provincial.
Il devait enfin remplacer M. Dautrebande à la Chambre des représentants. Arrivé à la position la plus élevée à laquelle le citoyen d'une nation libre puisse aspirer, Carlier avait compris toute l'étendue de ses devoirs et il était animé du désir de servir utilement les intérêts de ses commettants. Noblesse oblige : Carlier devait suivre et suivait les traditions de Dautrebande. Nous avons pu apprécier combien sa conscience était honnête, combien ses convictions étaient sincères ct combien était grand son dévouement au bien-être de la patrie. Son caractère franc et loyal lui eût bientôt conquis les sympathies de ses collègues.
Mais ses jours étaient comptés. Cette maladie cruelle le saisit : il lutta pendant près de trois mois. Tous ceux qui ont assisté aux péripéties de cette maladie, n'oublieront jamais, cher collègue, le dévouement vraiment héroïque de ta douce et angélique compagne, de cette digne fille de Dautrebande.
Puissent les marques d'estime que t'ont prodiguées tes collègues pendant que tu souffrais, puissent nos regrets adoucir la douleur de ta famille ! Adieu !
Discours de M. Lambotte, conseiller provincial
Messieurs,
Nous nous trouvons en présence d'une tombe, où va reposer trop tôt un homme de bien, notre citoyen estimé et notre ami loyal ; sa perte, qui, jette une famille honorable dans le deuil le plus affligeant et qui plonge sa compagne aimée dans la plus profonde désolation, n est-elle pas destinée aussi à attrister le corps électoral, dont il possédait la confiance, et ses coreligionnaires politiques, dont il a longtemps partagé les travaux, les espérances et les convictions. Quant à moi, je l'ai connu et apprécié et comme homme et comme citoyen ; j'éprouve une vive émotion en venant lui dire un dernier et solennel adieu, et ce n'est que pour remplir un devoir, qui m'est imposé à titre d'ancien collègue au Conseil provincial, que j'ose tenter de prendre en ce moment la parole pour vous retracer à grands traits sa carrière si honorable ct les regrets que sa mort, hélas ! trop prématurée laisse parmi nous.
Permettez-moi donc, messieurs, de ne pas essayer de rendre dans un discours convenable les sentiments qui m'animent ; c'est un vieil ami du défunt qui parle, et son langage partant du cœur ne saurait, dans cette triste circonstance, affecter aucune espèce de prétention.
Quelques faits simplement énoncés suffiront d’ailleurs pour peindre M. Carlier-Dautrebande sous des couleurs qui honoreront sa mémoire.
Né à Dailly (Namur), le 5 mars 1807, Théophile Carlier reçut, au sein d'une famille où les traditions de probité et d'honneur existaient dans toute leur pureté, une éducation première, dont l'influence réagit toujours sur tous les actes de sa vie.
Il fut envoyé au Collège de Chimay, ou il fit ses humanités complètes, et ensuite à l'université libre de Bruxelles, pour y étudier la médecine ; élève favori de l'illustre chirurgien Seulin, le jeune Carlier fut distingué par son maître, qui lui accorda sans réserve sa protection toute puissante ; à l'époque de la révolution belge, M. Carlier termina ses études, ct déjà en 1832, il reçut la mission difficile de donner les soins de la science aux blessés du siège d'Anvers; il s'en acquitta à l'entière satisfaction de ses chefs et fût alors et successivement nommé médecin aux escadrons de la gendarmerie (avant la réorganisation du corps) et des guides.
En 1835, il fut envoyé à Huy pour y fonder une infirmerie militaire ; deux ans après il entrait par le mariage dans une famille des plus distinguées, et bientôt il donnait sa démission de ses fonctions de médecin de bataillon pour se fixer en cette ville. Changeant de carrière, il entra dans l'industrie, mais les affaires qui devaient occuper tous ses instants, ne l'empêchèrent pourtant jamais de faire de la médecine pour les pauvres, ainsi que pour tous ceux qui réclamaient ses soins : jamais il ne laissa passer une douleur sans y apporter quelque adoucissement, jamais on ne lui demanda son appui, un service quelconque sans l'obtenir ; son bon cœur, l’excellence de son caractère droit et serviable, l'aménité de son commerce si simple et si affectueux, lui gagnèrent les cœurs de ses concitoyens d'adoption, ; c’est alors que la réputation da M: Carlier-Dautrebande se répandit et s'établit solidement; son nom devint le synonyme de loyauté et de dévouement. Quel plus bel éloge pourrait-on adresser à sa mémoire ! Voyons-le agir sur un autre terrain.
L'arrondissement de Huy, imprégné des saines doctrines d'un libéralisme éclairé, fidèle émule des arrondissements de Liége et de Verviers, marchait de plus en plus vers la conquête de son autonomie politique, c'est-à-dire qu'il voulait à tout prix secouer les liens que faisait peser sur lui l'opinion rétrograde. Carlier entreprit la lutte, avec nous, à nos côtés, et son zèle politique, aussi ferme que sa foi en notre cause était et resta inébranlable.
Aussi, en 1861, les électeurs lui confièrent-ils le mandat do conseiller provincial en remplacement de l'honorable M. Lhoneux, appelé à d autres fonctions. Il alla, en conséquence, siéger pendant les sessions de 1861 et de 1862, à côté des libéraux qui veulent le maintien absolu de toutes les libertés inscrites dans la Constitution belge et la marche régulière du progrès qui doit naturellement en découler.
Déjà il avait été nommé à un poste de confiance où son amour du bien public s'était de nouveau révélé ; en 1852, lors de l'organisation dc l'enseignement moyen, le gouvernement l'avait appelé à faire partie du bureau administratif de l'école moyenne de Huy, et dans ces fonctions honorifiques, il avait fait preuve de l'intérêt le plus vif, pour tout cc qui concerne les progrès de l'enseignement.
Mais un suprême honneur l'attendait comme nouveau témoignage des sympathies du corps électoral ct aussi comme marque de sa reconnaissance pour les éminents et longs services rendus à la chose publique par le respectable M. Dautrebande père, le digne représentant que l'arrondissement de Huy venait de perdre. En dépit d'une lutte acharnée et d'attaques qui avaient pour objet de lui nuire dans la considération des électeurs, M. Carlier-Dautrebande fut investi du titre précieux de membre de la Chambre des représentants. Ses vertus privées et publiques obtinrent ce jour-là une éclatante récompense.
Mais quelle est donc cette fragilité des choses humaines qui fait suivre le bonheur en apparence le mieux établi, de larmes et de regrets ; le chemin qu'avait encore à parcourir notre cher Carlier était semé de fleurs ; nous nous en réjouissions pour lui, pour sa femme dont les belles qualités faisaient sa gloire et sa joie, pour son fils dont il garantissait l'avenir. La Providence avait dissimulé un abime sous ces fleurs et aujourd'hui l'heureux élu du 6 novembre 1862 est là couché dans son froid suaire ; il n'est plus.
Nous venons de le voir, Messieurs, et le témoignage de ceux qui l’ont connu le redira :
M. Carlier-Dautrebande a été ici-bas honnête homme, bon père, tendre époux, citoyen intègre et dévoué. Dieu l'aura reçu dans sa miséricorde.
Quant à sa famille, elle le pleurera toujours sans doute, mais ne doit-elle pas trouver une abondante source de consolations devant la pensée que son passage sur cette terre a été utile et qu'il y laissera une renommée sans tâche ?
Adieu ! cher ami. Repose dans la paix que tu as conquise ! Adieu pour la dernière fois.
Discours de M. Edouard Preud-Homme, échevin de Huy
Messieurs,
Vous venez d'entendre esquisser les principaux détails de la vie de l'homme honorable qu'attend cette tombe ouverte. Permettez à l'Administration communale de venir à son tour payer son tribut de reconnaissance et de regrets à celui qui n'a jamais négligé, mais, au contraire, qui a toujours recherché l'occasion d’être utile aux habitants de cette ville.
Théophile Carlier, arrivé parmi nous. faisant partie du service sanitaire de l'armée, n'a pas hésité à donner à la classe malheureuse et souffrante tous les moments que ses fonctions lui laissaient disponibles. Dans les soins qu'il prodiguait aux infortunés, son désintéressement seul égalait son zèle : l'affliction qui a éclaté au milieu de la classe déshéritée à la nouvelle du funeste événement qui prive notre ville d'un de ses habitants les plus estimables. atteste assez qua l'homme de bien qui vient de nous être ravi, savait sacrifier son repos au soulagement des douleurs physiques et morales : car si les efforts de Carlier venaient parfois se briser contre des arrêts de la Providence, il savait toujours faire descendre la consolation dans le cœur de ceux qui venaient d'être éprouvés.
S'étant allié à une des familles les plus distinguées de notre ville, Carlier se retira du service militaire pour rentrer dans la vie privée ; mais là nous le retrouvons encore animé des sentiments généreux qui l'ont guidé pendant son existence. Personne ne poussait plus loin que lui la bienveillance envers tous ceux à qui il croyait pouvoir être utile, et surtout envers les plus humbles et les plus nécessiteux. On eût dit qu’en obligeant ses semblables il ne faisait qu'obéir à un besoin do sa nature essentiellement bienfaisante.
Appelé le 12 janvier à faire partie du bureau administratif du Collège el de l'école moyenne de Huy, il fit preuve, dans ces nouvelles fonctions, d'un zèle et d'un dévouement qui ne se sont jamais démentis.
Nul plus que lui n'éprouva de sollicitude pur l'instruction publique : Il avait compris que l’avenir de la société dépend de la diffusion des lumières parmi les jeunes générations que peuplent les écoles. Aussi, pénétré de cette conviction, il s'attachait à tout voir par lui-même et à communiquer aux autres le vif intérêt qu'il portait à tout ce qui se rattache à l'enseignement public.
La vie de Carlier fut donc bien remplie, et nous sommes convaincus que la population entière de notre ville se joint à nous pour exprimer, au bord de cette tombe, les sentiments de douleur que nous inspire la mort prématurée de notre digne et regretté concitoyen.
Adieu, Carlier. En quittant tes restes mortels, nous emportons de tes qualités un souvenir qui ne s'effacera jamais.