Brunet Emile, Lucien socialiste
né en 1863 à Bruxelles décédé en 1945 à Bruxelles
Ministre (sans portefeuille) en 1918. Représentant entre 1912 et 1945, élu par l'arrondissement de Charleroi(Extrait du Peuple, du 15 mai 1945)
EMILE BRUNET, député socialiste, ancien président de la Chambre des Représentants, est décédé
Emile Brunet était né à Bruxelles. le 8 juin 1863. Avocat à la Cour d'appel de Bruxelles, il était venu, très jeune, au Parti Ouvrier Belge, à qui il apportait des dons intellectuels exceptionnels, un talent oratoire fait de chaleur et d'élégance tout ensemble, une droiture de pensée qui devait marquer tous les actes de sa vie publique et privée.
Elu membre suppléant de la Chambre des représentants pour l'arrondissement de Charleroi, le 2 juin 1912 il fut proclamé représentant effectif le 24 juillet de la même année en remplacement de Paul Pastur, démissionnaire.
Membre du conseil des ministres du Havre, du 1er janvier au 21 novembre 1918, il occupa le fauteuil de président de la Chambre du 10 décembre 1919 au 6 août 1928. Il fut, faut-il le rappeler ?, un président utile, jouissant d'une autorité incontestée sur tous les groupes de l'assemblée trouvant toujours dans les circonstances les plus délicates, la solution la plus fondée dans ce droit constitutionnel et parlementaire dont il devint, en quelque sorte, l'incarnation. Jusqu'à la fin de son activité parlementaire. c'est vers lui qu’on n'appelait plus que le président Brunet que tous les yeux se tournaient tout naturellement en pareille circonstance.
Bâtonnier de l'ordre des avocats en 1911, il fut membre d'une série de commissions supérieures où il dépensait sans compter ses trésors de science juridique et d’humanité, comme le conseil d’administration de l' Œuvre Nationale des Orphelins de la guerre, le conseil d’administration de l’Œuvre Nationale des Orphelins des victimes du travail, la Commission, puis l'Œuvre Nationale des Invalides de la guerre. la Commission du supérieure de patronage du deuxième congrès de la Protection de l'enfance. etc., etc.
Enfin, il fut rapporteur de 1918 à 1939, de différents projets de loi relatifs aux baux à loyer et de la loi du 28 juillet 1836 relative à l'amnistie des délits commis à l’occasion de faits de grève.
Au cours de la deuxième mondiale, son activité s’était peu à peu ralentie, à cause de son état de santé, qui allait déclinant, et ne le rencontrait plus guère. La dernière fois que nous le vîmes, ce fut aux funérailles de notre cher et à jamais regretté Emile Housiaux.
Comme ce grand patriote belge, ce grand serviteur du peuple et du droit, resta fidèle à son admiration pour la France, la noble nation qu’il aura eu le bonheur de voir briser ses chaînes.
(Extrait des Annales parlementaires de Belgique. Chambre des représentants, séance du 16 mai 1945, pp. 442-444)
ÉLOGE FUNÈBRE DE M. BRUNET, MINISTRE D'ETAT, MEMBRE ET ANCIEN PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS
(Une urne, entourée d'une couronne, drapée aux couleurs nationales, est dressée à la place qu'occupait le défunt.)
M. le président [M. Van Cauwelaert] se lève et prononce les paroles suivantes, que les membres de la Chambre écoutent debout :
Mesdames, messieurs, j'éprouve, en vous parlant, un grand serrement de cœur. Emile Brunet, que nous avons tant aimé et vénéré, Emile Brunet n'est plus. L'âge qu'il avait atteint ne nous permettait plus d'attendre de lui de grands efforts physiques, mais le charme de ses manières, la lucidité de sa pensée, la sûreté de ses conseils, la netteté de ses attitudes, nous faisaient oublier la distance qu'il avait déjà parcourue dans la vie, pour ne faire apparaître à nos yeux que le prix que représentait pour notre assemblée la présence de cet éminent collègue.
Il a gardé, jusqu'à la fin de ses jours, cette distinction extérieure qui le faisait remarquer à l'époque de sa pleine vigueur. Mais surtout il a su garder intactes cette dignité sans apparat, celte bonté naturelle, cette modestie sans recherche et cette droiture de conscience, intolérante pour lui seul, qui lui ont valu une rare abondance de sympathies et le respect de tous ceux qui l'ont approché.
J'éprouve un certain soulagement en pensant qu'avant de mourir il a pu revoir la liberté et l'indépendance du pays, et saluer avec nous cette victoire de la démocratie vers laquelle son cœur est resté tendu avec tant de passion, durant les lourdes années de l’occupation allemande, mais je ne me console pas de devoir me dire que sa sagesse nous fera défaut dans nos délibérations futures et que nous ne pourrons plus l’honorer dorénavant que d’un cœur attristé. Ces regrets, vous me permettrez de dire que, comme successeur d’Emile Brunet à la présidence, je les éprouve d’une manière particulièrement vive. Nul n’a occupé le fauteuil de la présidence avec plus de dignité et d’autorité. Son estimé m’était particulièrement précieuse, son exemple le guide le plus sûr de mes devoirs.
Il me suffira d'évoquer devant vous les faits principaux de la carrière d'Emile Brunet pour que même ceux d'entre vous qui l'ont suivi d'une génération puissent se rendre compte combien elle fut grande, fructueuse et honorée.
Emile Brunet naquit à Bruxelles, le 8 juin 1863. Dans la première partie de sa carrière, il s'est voué entièrement à la pratique du droit. C'est sans doute à la faveur de cette circonstance que s'est développée chez lui cette qualité de la mesure et de la correction légale qui le caractérisaient d'une façon éminente et qui, à l'heure présente, rendraient sa présence si précieuse sur vos bancs et dans les conseils de l'Etat. Quand ses confrères du barreau de Bruxelles lui conférèrent, en 1911, l'insigne honneur du bâtonnat, l'un d'eux, le complimentant de sa fidélité exclusive au Droit, lui dit : Votre devise pourrait être : « Avocat et rien qu'avocat. » Heureusement, cette application exceptionnelle à ses devoirs professionnels ne l'avait pas rendu indifférent à la vie publique. Dès l'année suivante, en 1912, Emile Brunet devenait député suppléant pour l'arrondissement de Charleroi et, par suite du désistement de M. Pastur, il vint le 28 juillet 1913 prendre place dans cette enceinte.
Le nouveau membre ne devait pas tarder à se mettre en évidence par la fécondité de sa collaboration ; mais il s'est attaché presque exclusivement à l'élaboration attentive et consciencieuse des lois et ce n'est pas à propos de celles dont il s'est occupé spécialement une que l’on pourra parler de leur confection vicieuse. Les principales lois auxquelles Emile Brunet collabora d'une façon marquée furent les premières et si difficultueuses lois sur les loyers, la loi réglementant le port du titre d'avocat, la loi sur la journée des huit heures, celle relative à la modification du taux de l'intérêt légal et conventionnel, la loi relative à la lettre de change et celle relative à l’amnistie des délits commis à l'occasion de faits de grève. Il serait impossible de dresser la liste des très nombreuses lois auxquelles, comme membre de la commission de la justice, et plus tard comme président de cette commission, il apporta une collaboration efficace mais d’autant plus honorable qu'elle était quasi anonyme.
Nombreuses aussi furent les œuvres de bienfaisance auxquelles, malgré les charges de sa profession d'avocat et de son mandat parlementaire, il consacra un dévouement au-dessus de tout éloge : je ne cite que l'Œuvre nationale des Orphelins de la Guerre, l'Œuvre nationale des Orphelins et Victimes du Travail, l'Œuvre nationale des Invalides de la Guerre.
Emile Brunet ne recherchait pas les honneurs. Ils lui sont venus comme la reconnaissance naturelle de ses mérites. Le 1er janvier 1918, le Roi Albert le nomma membre du Conseil des Ministres, et le 2 avril 1925, il lui conféra la dignité de Ministre d'Etat. Mais nul honneur n'a été mieux mérité et peut-être plus sensible à son cœur que celui d’avoir été élu président le 10 décembre 1919 et d'avoir maintenu à cette présidence durant près de dix ans, malgré les changements de majorité gouvernementale et les succès variables des partis politiques.
II fut le premier président de la Chambré élue au suffrage universel pur et simple. La première parole qu'il prononça quand il monta à ce fauteuil fut une parole de modestie. II exprima le regret que la première Chambre issue du suffrage universel n eût pas appelé à sa tête un ancien ouvrier dont l'accession à cette haute magistrature eût réjoui, disait-il, la démocratie tout entière. Celui qu'il désignait ainsi est mort durant la grande tourmente d'où nous sortons.
Par le prestige de sa magistrature présidentielle, Emile Brunet a rendu à son pays un immense service, il a grandement contribué à lui garder son attachement à la foi, un instant vacillante, que nos libertés, notre dignité humaine et l'indépendance des peuples ne peuvent trouver de meilleur gardien que la démocratie parlementaire.
Ceux d'entre vous, mes chers collègues, qui ont siégé dans cette Chambre pendant la présidence d'Emile Brunet se souviendront comment il conquit son autorité exceptionnelle. Il était dévoué tout entier à sa fonction. Il t'honorait par son impartialité, son patriotisme vigilant, son tact et son habileté dans la conduite de nos travaux, par sa bienveillance naturelle, en même temps que par la fermeté de ses décisions. Une grande hauteur de vues était comme le climat naturel de- son esprit.
Le président Brunet s'est préoccupé sans cesse d'améliorer nos méthodes parlementaires. Plusieurs réformes du règlement sont dues à son initiative. La plus importante est celle des commissions permanentes. Il en était fier et aimait qu'on rappelât qu'elles étaient son œuvre personnelle. Mais soucieux de la régularité de nos travaux, il était conscient aussi de l'abus qu'on pourrait faire de cette réforme. Il nous rapportait récemment, en l'approuvant, un propos que lui avait tenu le président Poincaré : « Prenons garde à ce que les commissions ne supplantent l'assemblée ! «
Mais le grand souci d'Emile Brunet était celui de l’ordre et de la dignité de nos débats. Sa dernière contribution à l'amélioration de nos travaux est le rapport qu'il avait préparé sur les récentes propositions de révision de notre règlement, mais que les circonstances l'ont empêché de présenter.
Ses dix discours d'ouverture des sessions parlementaires resteront comme un legs de sa sagesse, de son autorité et de son indéfectible attachement au régime parlementaire. Nous ne pourrions l'honorer d'une manière plus sincère qu'en s'inspirant de son exemple et de ses leçons.
Je vous ai parlé de la modestie d'Emile Brunet. Il semble qu'un excès de cette belle vertu l’ait conduit à désirer de quitter ce monde sans bruit et presque Inaperçu. Il n'a pas voulu que son voyage suprême fût l'occasion d'une manifestation quelconque. Seuls quatre privilégiés ont été admis à suivre son convoi. Quand nous avons appris sa mort, il avait déjà atteint le lieu de son repos définitif. Mais il ne pourra empêcher que la Chambre entière, par sa reconnaissance, son affection et sa peine, ne lui fasse un cortège émouvant et n'aille, en esprit, suspendre à son tombeau la couronne due à un grand parlementaire et à un grand patriote belge.
Puisse ce témoignage solennel apporter un certain adoucissement à l'affliction légitime de son épouse et de sa famille.
La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du commerce extérieur.
M. Spaak, ministre des affaires étrangères et du commerce extérieur. - Mesdames, messieurs, un grand cœur a cessé de battre. Une lumineuse intelligence s'est éteinte. Un homme de bien est mort. Emile Brunet nous a quittés pour toujours.
Il appartenait à ce groupe d'hommes qui, à la fin du siècle dernier, touchés par la misère du peuple, révoltés par l'injustice sociale, bien que bourgeois et sans doute parce qu'intellectuels, adhéra, à ce que l'on appelait alors les idées extrémistes.
Jamais, sans doute, contradiction plus évidente n'exista entre ce qu'aux yeux des ignorants, les idées d'Emile Brunet pouvaient paraître et ce qu'elles étaient réellement.
Ses adversaires de l'époque le croyaient sans doute fanatique, doctrinaire, excessif.
Il était tolérant, humain, modéré.
Certains sont arrives au socialisme conquis intellectuellement par la froide logique d'un système ; lui, j'en suis sûr, c'est par la révolte d'une sensibilité froissée par trop d'inégalités injustifiables qu'il y est allé.
Qu'il y est allé et qu'il y est resté, agissant et fidèle, donnant à cette classe ouvrière qu'il voulait aider, avec le meilleur de lui-même, le prestige de sa haute conscience, l'auréole de sa vie si honnête et si droite, sa science et son temps et, pas dessus tout, l'inépuisable trésor de son indulgence et de sa bonté.
De sa génération, cette grande génération du barreau et de la politique, il y en eut de plus combattifs, de plus ardents, de plus éloquents, de plus illustres, il n'y en eut pas, sans doute, de conseil plus sage et d'amitié plus sûre.
C'est ce qui fait que ceux qui le connaissaient bien, ceux parmi lesquels il vivait et travaillait, lui conférèrent les plus hauts honneurs : le bâtonnat et la présidence de la Chambre.
Et ceux qui lui firent confiance ne s'étaient pas trompés, puisqu'il fut un grand bâtonnier et un grand président.
D'autres diront sans doute la probité, la ferme bonté, le dévouement avec lesquels il exerça sa charge au palais de justice. Vous, messieurs, vous vous rappelez certainement Emile Brunet conduisant nos travaux, et aucun de vous n'oubliera jamais sa courtoisie, sa science et surtout, par dessus tout, sa magnifique, sereine et constante impartialité.
Au fauteuil qui domine cette Chambre, il n'était plus l'homme d'un parti, il était vraiment le président, et chacun acceptait les décisions que lui permettait de prendre l'autorité dont il était investi, parce que chacun savait qu'elles étaient dictées par le souci du bien commun et la volonté de donner aux travaux de cette assemblée le maximum d'efficacité et de prestige.
Nous nous sentions tous honorés par le respect qui l'entourait, et nous sentions confusément que sa présence parmi nous rendait plus forte, en dépit des critiques et quelquefois des calomnies, cette Chambre où nous avons de si grands et quelquefois si difficiles devoirs à remplir.
Député pendant plus de trente ans, président de la Chambre pendant près de dix ans, il connaissait le régime parlementaire. I! en avait mesuré certaines déficiences. Il voulait améliorer la technique de nos travaux, mais il était resté indéfectiblement fidèle à l'esprit de nos institutions, et sa foi dans la démocratie, aujourd'hui, était aussi vivace et aussi ardente qu'au jour où, débutant, il a pris la première fois la parois dans cette enceinte.
Lorsque les hasards de la politique l'obligèrent à quitter le fauteuil qu'il avait si magnifiquement occupé, il reprit, avec une modestie qui fut un grand exemple., sa place parmi nous et, de son banc, dépouillé de l'autorité que lui conférait sa charge, mais ayant gardé toute celle que lui donnaient la confiance et l'estime unanimes, il continua à nous prodiguer les bons conseils de l'expérience et de la sagesse.
Dans cette Chambre où peu d'hommes sont vraiment écoutés, chaque fois qu'il demanda la parole, le silence se fit, et jamais il ne parla sans que son intervention n'eût son poids dans le débat et son influence dans notre décision.
Et maintenant, son rôle de vivant est terminé, mais son souvenir et son exemple restent. Nous, qui furent de ses amis politiques, nous y demeurerons fidèles ; mais il avait assez de vertus privées et civiques, assez de grandeur morale et de réelle bonté pour que je puisse proclamer que ce souvenir et cet exemple appartiennent à tous et que tous s'honoreront en tâchant de s en inspirer.
ïl est mort dans une heure de grande joie, mais aussi - pourquoi refuser de le dire - de grande inquiétude.
Patriote et démocrate, il eut sa récompense, puisqu'il vécut les heures de la libération et celles de la victoire définitive sur l'Allemagne, qu'il assista à la chute des Etats totalitaires, qu'il détestait, et à la résurrection de la liberté, qu'il chérissait. Mais je suis sûr qu'avant de fermer les yeux pour la dernière fois, il dût penser à son pays, à cette Belgique, qu'il a tant aimée et si bien servie, et qu'en mesurant les dangers que nous font courir des polémiques sans mesure et des passions excessives, il eût souhaite pouvoir encore, et cette fois avec une autorité passionnée, dire les paroles d'union et de concorde dont nous avons tant besoin.
Que ce dernier message, dont, l'ayant connu, je me porte garant, soit entendu.
Voir aussi :
J. PUISSANT, Emile BRUNET, sur le site Le Maîtron (consulté le 24 octobre 2025)