Balisaux Charles, Joseph, Emile liberal (indépendant)
né en 1827 à Fleurus décédé en 1891 à Paris (France)
Représentant entre 1870 et 1874, élu par l'arrondissement de Charleroi(Extrait de la Gazette de Charleroi, du 1 décembre 1891)
Mort de M. Emile Balisaux, sénateur de l'arrondissement de Charleroi
Une nouvelle aussi pénible qu'inattendue se répandait hier matin dès la première heure en notre ville : M. Emile Balisaux, notre sénateur, avait été frappé d une mort presque soudaine, dans la nuit, en sa demeure seigneuriale de Plomcot.
Un léger dépérissement inquiétait peut-être depuis quelques temps la famille et les amis de M. Balisaux, mais rien ne faisait prévoir une catastrophe aussi brève ; dimanche il y avait encore réception à Plomcot et le maître de céans n'avait laissé à personne l'impression qu'il fût menacé. A 1 heure du matin, il se plaignait d'un malaise; à 1 h. 40 il rendait le dernier soupir, succombant aux atteintes foudroyantes d'une congestion pulmonaire.
M. Emile Balisaux était incontestablement une éminente ligure, qu'un arrondissement devait s'honorer de compter parmi ses représentants. Au Sénat, où il siégeait depuis 1874, sans interruption, il est peu de membres qui aient eu une place plus prépondérante que la sienne.
Il était né à Fleurus le 23 août 1827 et avait fait à Liége ses études moyennes et universitaires.
Il entra dans l'arène des partis en 1870, s'associant à la fortune politique de son beau-père, M. Charles Lebeau, bourgmestre de Charleroi.
Celui-ci était alors dans toute sa popularité ; mais M. Balisaux n'avait guère besoin de compter sur autrui ; avocat de talent, charmeur par excellence, déjà fortement versé dans les questions vitales de notre arrondissement, l'industrie et le commerce, il s'était créé une popularité personnelle qui, deux fois en cette année de 1870, le fit élire à la Chambre dans la situation spéciale de candidat indépendant, en tête de tous ses compétiteurs, libéraux ou catholiques.
On sait que la lutte fut homérique aux deux scrutins de cette année (élections ordinaires du14 juin et élections de dissolution du 2 août).
Quatre ans plus tard, en 1874, M. Balisaux devient candidat au Sénat en remplacement de M. Lebeau et passe encore en tête de la liste libérale, avec MM. Dewandre et Piret-Goblet. Son mandat est renouvelé non moins heureusement en juin 1882 et en juillet 1884, lors de la dissolution qui suivit la prise de possession du pouvoir par les cléricaux.
Dès son entrée dans la vie parlementaire, M. Balisaux se met en évidence : en 1870, à peine a-t-il prêté serment à la Chambre, qu'il intervient activement dans toutes les discussions. Nous le voyons notamment réclamer dès alors, dans un but de sécurité publique qu'on eût été bien inspiré en réalisant, la mise en activité des gardes civiques de nos grandes communes industrielles.
Il se range parmi les députés qui demandent la révision de la Constitution dans le sens de l'extension du droit de suffrage.
Son passage à la Chambre est encore marqué par la part qu'il prend aux discussions sur la convention avec les bassins houillers, sur l'affectation des crédits extraordinaires, la construction de la ligne du chemin de fer de Bruxelles à Luttre, la construction de la station de Charleroi, le rachat du chemin de fer du Luxembourg, le renouvellement du monopole de la Banque nationale ; enfin, il fait rapport sur le vœu émis par le conseil provincial du Hainaut de voir la législature prendre des mesures pour réduire les entraves apportées au commerce, à l'industrie et à la liberté individuelle dans le rayon douanier.
Au Sénat, sa part de collaboration est non moins importante. Lorsque l'on consulte les Annales parlementaires, il est aisé de s'en rendre compte ; son nom est mêlé à tout ce qui est intéressant, et l'on peut dire que grâce a l'expérience que lui ont donnée son travail et sa grande intelligence, rien ne lui est resté étranger. Il intervient avec une égale autorité dans la discussion de tous les budgets : affaires étrangères, guerre, justice, intérieur, etc.
Mais c'est dans les questions de travaux publics surtout qu'il se signale par sa compétence et qu'il est écouté par le Sénat avec une déférence particulière. Plusieurs fois, notamment aux sessions de 1878-79 et 1879-80, il est choisi comme rapporteur de cet important budget. Chaque année il bataille vaillamment pour l'arrondissement qui l'a chargé de la représentation de ses intérêts, et c'est sûrement à sa parole éloquente, à l'ascendant qu'il exerce sur quelque parti qui soit au pouvoir que nous devons en grande partie ce qui a pu nous être accordé.
Les sympathies et la confiance de ses collègues le font élire questeur trois années de suite, de 1880 à 1883.
En dehors des budgets, monnaie courante des discussions de nos assemblées législatives, M. Balisaux est sur la brèche lorsque l'on discute, en 1878-1879, la conversion de l'emprunt 4 1/2 p. c. et la division de la justice de paix de Charleroi en deux cantons ; en 1880-81, la suppression de la juridiction contentieuse des députations permanentes ; en 1882-83, le projet relatif à I établissement et à l'exploitation des réseaux téléphoniques, la question des livrets d'ouvriers, le projet de loi sur le concordat préventif de la faillite, le projet de réforme électorale pour la province et la commune ; en 1883-84, le projet de loi sur l'érection de conseils de prud'hommes à Charleroi et La Louvière, la création d'une société nationale pour la construction et l'exploitation de chemins de fer vicinaux, la loi de surtaxe sur les sucres étrangers ; en 1885-1886, le crédit d'un million pour venir en aide aux établissements saccagés au cours de la grève ; en 1886-87, la loi des droits d'entrée sur la viande et le bétail ; en 1887-88, la question de l'armement des officiers ; l'année suivante, le projet de loi relatif aux cadres organiques de l'armée ; en 1889-90, (session ordinaire), la question des ports de mer en Belgique et l'interminable projet de loi sur la collation des grades académiques ; même année, session ordinaire, la convention avec l'Etat indépendant du Congo ; enfin, dans la dernière session, M. Balisaux prend encore une part importante aux deux projets de loi qui ont principalement occupé nos législateurs : plaidoiries devant les tribunaux de première instance et révision du titre du code commerce concernant les contrats de transport.
L'exposé de ce bilan de travaux n'est-il pas le plus grand éloge que l’on puisse faire de la façon dont M. Balisaux s'est acquitté de son mandat ? Dans cette longue énumération, chacun de nous ne retrouve-t-il pas le souvenir du talent et de l'autorité avec lesquels notre regretté sénateur a défendu des intérêts qui nous étaient particulièrement chers ?
A une grande connaissance du fond de toutes les questions, M. Balisaux joignait un amour de la forme qui faisait de tous ses discours. autant de joyaux ; il savait rendre captivantes les discussions les plus arides et se faire écouter là où d'autres eussent perdu leurs peines, d'autant plus que ses adversaires politiques lui étaient fort bienveillants, en échange de la bienveillante faiblesse qu'il avait lui-même pour eux et de la modération de ses opinions.
M. Balisaux a eu de tout temps une situation considérable comme industriel et financier dans notre arrondissement et dans le pays.
Vers la fin de 1860, il fonda la Banque de Charleroi à laquelle il attacha son nom et qui fut transformée en société anonyme le 1er mars 1866. M. Balisaux en est toujours resté l'administrateur-délégué.
Il fut longtemps l'administrateur délégué de la société des Houillères-Unies qu’il avait formée par le groupement des anciens charbonnages du Centre de Gilly, d’Apaumée-Ransart, de Masses-Diarbois, de Ham-sur-Sambre (détaché depuis) et des Agglomérés de Couillet.
Il est un des membres fondateurs de la société Hanrez et Cie, aujourd'hui Zimmerman-Hanrez et Cie, des verreries de Charleroi, de la sucrerie de Fleurus, etc. Il avait, en outre, des intérêts très grands dans une foule entreprises. Sa grande expérience des affaires, ses larges conceptions en faisaient un conseiller incomparable.
Il fut le premier consul d'Espagne à Charleroi, poste dans lequel il a été remplacé par M. Waerewyck, directeur de la Banque de Charleroi, et qui lui valut les décorations de commandeur de l'Ordre d'Isabelle la Catholique et de chevalier de l’Ordre de Charles III d’Espagne.
Notre Roi l'avait fait aussi officier de l’Ordre de Léopold.
C’était enfin, à un point de vue plus personnel, un gentleman accompli, au physique comme au moral. Fort et droit malgré ses soixante-quatre ans, portant beau, la tenue d'une correction toujours impeccable. Quant à sa grâce d'accueil, elle était sans pareille pour les humbles solliciteurs aussi bien que pour ses puissants amis.
On comblera difficilement le vide que la mort de M. Balisaux laisse dans notre députation et au Sénat, où il défendait avec tant d'autorité et d'expérience les intérêts du pays en général et de notre arrondissement en particulier. Puissions-nous lui donner comme successeur l'homme dont le nom est déjà sur toutes les lèvres.
Les funérailles auront lieu jeudi matin : la levée du corps à Plomcot, les absoutes à Fleurus et l’inhumation dans le caveau de la famille à Laeken.
(Extrait de la Gazette de Charleroi, du 3 décembre 1891)
M. Balisaux.
Quelques traits da la carrière parlementaire de M. Balisaux rappelés par l'Etoile :
Pendant la session 1876-77, M. Balisaux suggéra l'Idée d'un emprunt de deux cent millions exclusivement consacrés à des travaux publics, surtout à l'amélioration des voies navigables. Une des questions dont il s'occupa particulièrement, fut l'élargissement du canal de Charleroi dont il poursuivit la réalisation, en y insistant à chaque session. Un des premiers aussi en Belgique, il défendit et recommanda l'emploi des rails en acier pour l'établissement des voies ferrées. En 1878-79, il prononça un grand discours pour appuyer, avec M. Tercelin, l’idée de la conversion de la dette 4 1/2 p. c. en 4 p. c., à l'effet de se procurer des ressources considérables pour travaux publics. Il fut le rapporteur disert du projet de loi portant révision et codification de la législation postale. M. Balisaux obtint un jour au Sénat, en 1880, un grand succ§s d'hilarité en racontant les quarante-et-une modifications administratives que subit au ministère des chemins de fer une requête quelconque avant d'arriver à une solution. Il attachait aussi une importance spéciale à l'augmentation du traitement des ministres qu'il voulait porter à 40,000 fr. Auteur d'un remarquable discours, prononcé en 1882, pour défendre la gestion financière de M. Graux contre les attaques de l'opposition cléricale.
- - -
Sur le désir formel de la famille, qui a renoncé à tous honneurs officiels, les obsèques de M. Balisaux auront un caractère strictement privé.
(Jean-Pierre HENDRICKX, dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1976, vol. 39, col. 70-80)
BALISAUX (Charles-Joseph-Emile), homme politique, banquier et industriel, né à Fleurus le 17 août 1827, décédé à Ligny le 30 novembre 1891.
Fils d'un médecin originaire de Montignies-le-Tilleul venu s'établir à Fleurus, Emile Balisaux était par sa mère le neveu du savant professeur de l'Université de Liège Félix Van Hulst, un des fondateurs du Mathieu Laensbergh et plus tard de la Revue de Liège. C'est sans doute cette circonstance qui l'amena à accomplir ses études secondaires et universitaires dans la Cité ardente, où il fut reçu docteur en droit le 6 septembre 1852. Plutôt porté vers les plaisirs, il ne se montra pas un brillant élève.
Aussitôt sorti de l'université, Balisaux se fit inscrire au barreau de Charleroi ; il termina son stage chez le bourgmestre de la ville, Charles Lebeau, dont il épousa, le 9 juin 1857, la fille aînée. Ce mariage permettra à Balisaux de s'associer progressivement à son beau-père dans le monde des affaires et de lui succéder dans la carrière politique. Comme avocat, il se trouva rapidement à la tête d'un important cabinet, mais en 1860 il tomba sérieusement malade, sans doute suite à un excès de travail, et dut abandonner ses activités très prometteuses au barreau.
Balisaux choisit alors, comme il le dira plus tard, « une profession moins fatigante », celle de banquier. Avec le concours de plusieurs grands industriels de la région, il fonda, à la fin de 1860, la « Banque de Charleroi » (« Commandite Balisaux, Lebeau, J. Le Borne et Cie »), qui se transforma, en 1866, en société anonyme au capital de trois millions représenté par 6.000 actions de 500 francs. Témoin de la prospérité économique de Charleroi à l'époque (aux quatre banques que comptait la ville en 1851 vinrent s'en ajouter six une dizaine d'années plus tard), cette maison prit une belle extension au point de compter rapidement trois succursales, respectivement à Braine-le-Comte, Châtelet et Gosselies. Balisaux en restera jusqu'à sa mort l'administrateur délégué.
Bien introduit par son beau-père, dont la grande fortune était en passe de se faire, Balisaux occupa également, dès les années 1860-1861, de nombreuses fonctions dans l'industrie, qui le mirent en évidence et firent de lui un conseiller très écouté. S'il fut administrateur ou cofondateur de plusieurs sociétés métallurgiques, verrières et sucrières, c'est cependant dans le secteur charbonnier qu'il semble avoir eu les plus grands intérêts personnels, entre autres dans le charbonnage des Houillères-Unies de Gilly, qu'il avait formé par regroupement d'anciennes mines. Ce brasseur d'affaires, membre de la Chambre de commerce de Charleroi de 1868 à 1870 et du Comité de l'Association charbonnière locale, fut aussi le premier vice-consul d'Espagne à Charleroi de 1863 à 1871.
Balisaux n'a laissé pratiquement aucun écrit. En avril 1869 pourtant, il adressa une Lettre à Messieurs les Membres de l'Association charbonnière de Charleroi sur la question d'union douanière entre la France et la Belgique (Charleroi, impr. Auguste Piette, 57 pages), qui eut quelque résonance et risqua de perturber davantage les rapports déjà très tendus à ce moment entre les deux pays, opposés sur l'épineux problème des chemins de fer.
L'exploitation des principales voies ferrées de la partie orientale de notre pays étant menacée de passer sous le contrôle de la France, qui désirait par là disposer d'une base d'attaque rapide contre l'Allemagne, les Chambres belges venaient en effet, devant pareil danger pour notre indépendance nationale, de voter le 23 février une loi interdisant aux compagnies ferroviaires belges de céder leurs droits et leur concession sans approbation préalable du Gouvernement. Alors que Frère-Orban était parti à Paris afin de calmer les susceptibilités de Napoléon III, Balisaux, en partisan convaincu du libre-échange absolu, plaidait dans sa brochure en faveur de la fusion commerciale avec la France et la suppression de toute barrière douanière, c'est-à-dire qu'il défendait, inconsciemment peut-être mais réellement quand même, une idée chère à Napoléon III : une union douanière avec la Belgique comme prélude à l'annexion complète de notre pays à la France.
Après avoir démontré l'utilité d'un tel accord pour notre économie, surtout pour l'industrie charbonnière, Balisaux en vint à envisager le côté politique. Loin d'y voir un danger, il insista au contraire sur les avantages que pourrait donner à la Belgique, au point de vue de son indépendance et de sa sécurité, une entente commerciale étroite avec ses voisins français. « La France, disait-il, n'a pas besoin de nous ni pour sa force ni pour sa gloire (...). Il est de notoriété publique, en Europe, que la Prusse a, lors de sa guerre contre l'Autriche, engagé la France à s'emparer de la Belgique (…) L’Empereur ne l'ayant pas voulu, il reste évident que nos craintes ne sont que des chimères et que nous devons au plus tôt nous en débarrasser. » Et l'auteur de conclure en affirmant que « un traité d'union douanière établirait entre les deux nations (...) une telle communauté d'intérêts matériels que la France serait, à jamais, assurée de notre sympathie et que son premier désir, comme son premier devoir, serait de garantir notre neutralité et notre indépendance ».
Cette Lettre reflétait tellement les thèses des diplomates et apologistes du Second Empire qu'on crut y voir la trace d'une inspiration française. De fait, à ce moment, le vice-consul de France à Charleroi n'était autre que d'Angelis, un parent de l'ambassadeur français à Berlin Benedetti, avec qui il restait en contact régulier. On dit que Balisaux avait rencontré l'ambassadeur chez d'Angelis et s'était laissé influencer au point de se faire l'interprète des idées françaises dans sa téméraire brochure, qui irrita grandement le gouvernement belge. Frère-Orban se mit de suite en rapport avec le gouverneur de la Société générale, qui intervint activement auprès des industriels pour qu'ils repoussent, au nom de la sécurité nationale, le projet de Balisaux. Les maîtres charbonniers du bassin carolorégien, d'une part, avec à leur tête l'influent Arthur Warocqué, et lacChambre de commerce de Charleroi, d'autre part, se prononcèrent contre l'union douanière et le mouvement fut étouffé ab ovo.
Si l'on excepte son échec aux élections provinciales du Hainaut en juillet 1863, où il s'était posé comme libéral, c'est lors des législatives de juin 1870 que Balisaux entra véritablement dans l'arène politique. A Charleroi plus qu'ailleurs sans doute, le parti libéral était profondément divisé. Le député-bourgmestre Charles Lebeau, en dissidence pour des motifs personnels avec l'Association libérale locale, ne sollicita pas le renouvellement de son mandat, préférant se présenter au Sénat. Balisaux, son gendre, prit la relève et forma une liste mixte avec quatre catholiques contre les candidats libéraux ministériels conduits par Eudore Pirmez. Il fut élu au premier tour, dans la situation spéciale d'indépendant, en tête de tous ses compétiteurs libéraux ou catholiques. Le baron d'Anethan, chargé de constituer un ministère catholique en remplacement du cabinet de Frère-Orban sorti vaincu des urnes, proposa même le portefeuille des Travaux publics à Balisaux, élu avec l'appui de la droite. Il convenait en effet de tenir compte du résultat des dernières élections et, pour ainsi dire, de récompenser la coalition qui s'était produite en plusieurs points du pays contre les représentants de la gauche ministérielle.
Pour des raisons personnelles, le nouveau député de Charleroi déclina cette offre. Peut-être sont-ce ses opinions politiques véritables qui lui ont interdit d'entrer dans une formation de droite : Balisaux se définissait en effet comme un « libéral indépendant » et n'entendait ni se mettre au service de personne ni se laisser enrégimenter sous aucune bannière. C'est effectivement cette attitude qu'il aura à cœur de défendre d'abord à la Chambre, puis au Sénat, où il entra en juin 1874 (en remplacement, une fois de plus, de son beau-père) et siégea sans interruption jusqu'à sa mort, après avoir occupé les fonctions de questeur de 1879 à 1883. Cette liberté politique permit au parlementaire de Charleroi, tout en siégeant à gauche et en étant régulièrement réélu par des libéraux, de s'opposer parfois nettement à ses coreligionnaires, entre autres Frère-Orban et Eudore Pirmez, qui n'étaient pas précisément ses amis, ou de se faire applaudir par la droite pour avoir rendu éloge à certains points du programme gouvernemental catholique, ce qui fit dire au journal L' Union de Charleroi à sa mort qu'« il n'était pas à sa place sur les bancs de la gauche ». Quoi qu'il en soit, Balisaux chercha toujours à réaliser sa célèbre devise : In medio virtus.
Durant les quelque vingt ans qu'il siégea au Parlement, Balisaux se signala avant tout comme un orateur d'affaires particulièrement au courant des problèmes économiques et financiers. Dans ce domaine il arrivait même au premier ministre catholique Beernaert d'invoquer à la Chambre les déclarations isolées que faisait Balisaux au Sénat.
C'est surtout dans les questions relatives aux travaux publics qu'il se montrait compétent et était écouté avec déférence ; à plusieurs reprises, notamment aux sessions sénatoriales de 1877-1878 et 1878-1879, il fut désigné comme rapporteur du budget de cet important département. Pendant toute sa carrière politique d'ailleurs, il ne cessera d'attirer l'attention du gouvernement sur l'utilité des grands travaux pour la bonne marche des affaires industrielles et sur l'urgente nécessité de doter le pays d'une solide infrastructure économique : on n'en finirait pas de dénombrer ses interventions en faveur de la création ou l'amélioration des voies ferrées et navigables.
Un des problèmes qui le retint tout spécialement fut l'élargissement du canal de Charleroi à Bruxelles, dont il poursuivit la réalisation en y insistant à chaque session. Il est incontestable à ce point de vue qu'en bataillant sans cesse pour l'arrondissement qui l'avait chargé de la représentation de ses intérêts, il coopéra pour une grande part au développement considérable de la richesse industrielle du Pays Noir. En mai 1877, il suggéra même l'idée audacieuse d'un emprunt de 200 millions destiné à la modernisation des voies navigables et, en mai 1879, il ira d'une nouvelle initiative hardie en préconisant qu'à côté du département des travaux publics proprement dit soit créé un ministère de l'exploitation des chemins de fer, canaux, postes et télégraphes, et que tous deux soient à l'abri des changements décrétés par le corps électoral : « Il arrive trop souvent, dira-t-il, qu'à peine un ministre des travaux publics a-t-il acquis cette expérience (…), un mouvement politique le renverse et il fait place à un autre qui recommence les mêmes études, les mêmes épreuves ». Nous touchons ici à l'un des thèmes fondamentaux de la pensée de Balisaux : la nécessité de « fermer la porte hermétiquement » à toute idée de parti politique dans l'examen des questions économiques, où seul doit être pris en considération l'intérêt national.
C'est précisément par ses conceptions économiques que Balisaux se fit un nom à la Haute Assemblée. Attaché depuis toujours au libre-échange, la doctrine « la plus sage, la plus logique, la plus rationnelle » à ses yeux, il fut néanmoins l'un des premiers au Sénat à donner, vers 1880, le signal de la réaction contre ce système lorsque la France et l'Allemagne revinrent à un régime protecteur, préjudiciable à nos exportations. Il n'eut aucune honte à tergiverser avec ses anciens principes, se déclarant même ouvertement « opportuniste » en économie politique, c'est-à-dire capable de revoir ses positions en fonction de la prospérité du pays. Sans aller jusqu'à revendiquer un retour au protectionnisme, il s'en rapprochait cependant lorsqu'il défendait sa thèse dite du « compensationn isme » ; devant les barrières douanières dressées par les nations voisines, il n'y avait pour le sénateur de Charleroi qu'une solution possible : abaisser les prix de revient de nos produits à un niveau que les concurrents étrangers ne peuvent atteindre ; pour cela, l'intervention de l'Etat est nécessaire : il a notamment le devoir de compenser les taxes que l'on exige aux frontières par une réduction très importante des tarifs de transport, transport qui devrait le cas échéant être fourni aux industriels belges en dessous de son prix de revient; quant au déficit que cette solution risquerait d'entraîner pour le trésor public, il serait comblé par une augmentation sensible des impôts de consommation sur les denrées de luxe, tels le tabac et l'alcool. Cette théorie, dont les principes - ou plutôt les expédients empiriques - furent amplement discutés à l'époque, eut au moins le mérite de sensibiliser les milieux d'affaires contre les dangers d'un libéralisme économique outrancier.
A côté de ces questions économiques, où il excellait, Balisaux n'intervenait guère au Parlement dans des sujets qu'il ne possédait pas à fond, ce qui ne l'empêchait pas de donner, une fois de plus en toute indépendance, son avis sur les grands problèmes inhérents à la vie politique, encore que celle-ci ne semblait pas l'enthousiasmer outre mesure. Croyant déclaré, il considère la religion comme « une nécessité sociale » et exige son maintien au nom de la moralité ; quant à la monarchie, il y voit la garante « du bonheur et de la prospérité » de la nation.
Peu chaud pour les dépenses militaires dans un pays essentiellement neutre, il votera néanmoins chaque année le budget de la guerre et finira même par réclamer l'instauration du service personnel obligatoire eu égard à l'égalité dans les devoirs et pour une armée de meilleure qualité, « un soldat appartenant à la classe aisée ayant plus d'intérêt à maintenir l'ordre qu'un déshérité ».
Face aux revendications sociales, Balisaux souffla tantôt le chaud, tantôt le froid et fit montre d'une originalité assez déconcertante qui laisse supposer qu'il n'avait en la matière aucune ligne de conduite bien précise. Si, dès son entrée à la Chambre en novembre 1870, il est cosignataire de la proposition du libéral Demeur réclamant la révision des articles 47, 53 et 56 de la Constitution dans le sens de l'extension du droit de suffrage, en mai 1878 il s'oppose à toute réglementation du travail des femmes et des enfants dans les mines, non qu'il soit hostile au projet lui-même, mais parce qu'il y voit une contrainte à la liberté du travail ; de plus, il ne peut croire à l'insalubrité dans les charbonnages : la preuve - qu'on nous permette de la citer textuellement ! - « ce sont les chevaux que nous employons dans l'intérieur des travaux. Ils nous arrivent maigres, chétifs ; nous les descendons dans les mines et quand nous les en retirons, nous les trouvons tous gais, gras et bien portants (...). Or, le cheval a un organisme qui, comme celui de l'homme, a absolument besoin d'air. S'il se porte bien, c'est que (...) les éléments pestinentiels accusés par certains docteurs n'existent que dans leur imagination ». S'il reconnaît en 1881 que les ouvriers « ont mille fois raison » de recourir à la grève, à condition de ne pas troubler l'ordre public, il n'admet pas l'utilité des conseils de prud'hommes, les contestations entre ouvriers et patrons devant rester de la compétence des juges de paix. En ce qui concerne le socialisme, il ne pense pas qu'il faille craindre son avènement et se garde bien de vouloir « jeter l'anathème » sur son nom en 1890.
C'est encore Balisaux qui, lors de la discussion du projet de loi de 1890 relatif à la collation des grades académiques, réclama la suppression pure et simple de l'étude du latin et du grec dans l'enseignement secondaire et leur remplacement par des langues modernes, voire même le chinois, beaucoup plus utiles aux relations commerciales ; quant à la langue flamande, il lui reprochera ses ambitions exagérées : « Si on la laissait aller, déclare-t-il au Sénat, elle aurait bientôt la prétention de devenir la langue diplomatique de l'Europe (...). Plébéienne par excellence, elle veut se donner des airs aristocratiques, faire croire qu'elle a été bercée sur les genoux d'une duchesse de Brabant, d'une comtesse de Flandre ou d'une marquise d'Anvers » ; affirmation inhabituelle, et qui s'explique mal, de la part d'un sénateur connu pour sa grande modération et dont la conversation calme rendait son commerce des plus agréables.
A partir de 1888, sa santé déclina, mais rien ne laissait prévoir qu'il succomberait aussi rapidement, foudroyé par une congestion cérébrale. C'était à Ligny, au château de Plomcot, sa résidence d'été, le 30 novembre 1891, après avoir reçu les derniers sacrements. Il refusa tous les honneurs posthumes et les discours d'apparat dont on entoure les personnages de marque avant de les jeter dans l'oubli.
Esprit pratique et pondéré, teinté d'un certain scepticisme naturel, Balisaux occupa au Parlement un rang des plus honorables. A sa mort, la presse tant catholique que libérale le considéra même comme un des leaders de la gauche sénatoriale : constatation quelque peu exagérée et qui n'eût sans doute pas réjoui outre mesure celui-là même qui, durant toute sa carrière d'homme d'Etat, tint à se placer en dehors des luttes partisanes, préférant mettre ses brillantes facultés et son indépendance au service des intérêts économiques du pays et de l'arrondissement de Charleroi. En définitive, on gardera d'Emile Balisaux le souvenir d'un orateur d'affaires de très haute valeur et d'un industriel de race.
(Extrait de : J.L. DE PAEPE – Ch. RAINDORF-GERARD, Le Parlement belge 1831-1894. Données biographiques, Bruxelles, Commission de la biographie nationale, 1996, p. 14)
Administrateur des sociétes suivantes :
- Banque de Charleroi "Commandite Baliseaux, Lebeu, J. Le Bonne et compagnie (1860-1891)
- S.A. des charbonnages du Centre de Gilly (1864,1865)
- S.A. des Hauts Fourneaux et Usines du Midi de Charleroi (1886, 1879-1884)
- S. A. des Houillères Unies du bassin de Charleroi (1868, 1869)
- Banque de Change et d'Emillion (1878)
- S.A. des Charbonnages de Pâturages et Wasmes (1882, 1889)
- Sucreries de Fleurus
- S. A. des Verreries de Charleroi
- - -
Membre de la chambre de commerce de Charleroi (1868-1870), membre de l'association charbonnière de Charleroi (1869); membre de la commission d'enquête sur la situation du trvail industriel (1886)