Anspach Jules, Victor libéral
né en 1829 à Etterbeek décédé en 1879 à Etterbeek
Représentant entre 1866 et 1879, élu par l'arrondissement de Bruxelles(MARTENS M., dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1956, volume 29, colonnes 126 à 130)
ANSPACH (Jules), avocat, conseilleur et bourgmestre de la ville de Bruxelles, membre de la Chambre des représentants, né à Bruxelles le 20 juillet 1829, mort à Linthout, commune d'Etterbeek, le 19 mai 1879. Il était fils de François, commerçant, et de Marie Honnorez. Il descendait en ligne directe du célèbre pasteur Isaac-Salomon, partisan de Jean-Jacques Rousseau, inquiété plusieurs fois pour ses opinions avancées en matière de participation des milieux sociaux à la direction des affaires politiques à Genève. Comme son père François Anspach, venu s'établir à Bruxelles où il joua un rôle dans la politique de la ville en qualité de conseiller communal et dans la finance par sa participation à la création de la Caisse Hypothécaire, il devait prendre part à la gestion des affaires communales et bientôt présider le collège échevinal.
Jules Anspach fit de brillantes études à l'Athénée royal et à l'université libre de Bruxelles, d'où il sortit docteur en droit en 1851 ; la même année, il entrait au barreau et épousait Françoise Urban, née à Namur le 24 décembre 1828, domiciliée à Saint-Josse-ten-Noode. Attiré très tôt par la politique, il fut successivement conseiller de la ville de Bruxelles, en 1857 ; échevin, chargé de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, l'année suivante ; enfin, à la mort de Fontainas, nommé, par arrêté royal, bourgmestre de la ville, le 15 décembre 1863, fonction qu'il occupera jusqu'à sa mort.
Ainsi que son père, l'un des membres fondateurs de l'Association libérale et Union constitutionnelle (1846), Jules Anspach resta fidèlement attaché à ce groupement politique où maintes fois il joua un certain rôle. Jeune encore, il compta parmi les progressistes de ses membres, sans être toutefois parmi les plus exaltés. Il s'efforça de rétablir l'unité du parti libéral, au sein duquel des divergences d'opinions s'étaient manifestées. En 1860, il fut un des promoteurs de la réconciliation, réalisée seulement en 1863. En 1872, l'accord libéral fut à nouveau menacé d'une scission, suivie bientôt d'effet par la démission d'Orts au collège échevinal de Bruxelles. Les instances d'Anspach firent qu'une nouvelle fois la mésentente fut aplanie en 1875. Il remplissait en l'occurrence son rôle de bourgmestre, ayant conscience d'aplanir les difficultés nées à l'intérieur d'un parti dont il défendait les doctrines avec un grand talent d'orateur, soutenu par une vision claire des devoirs de sa charge.
Son libéralisme ne l'éloignait pas des misères de la classe ouvrière. Certains projets d'urbanisation de Bruxelles, l'assainissement de la Senne et de quartiers populeux, furent en partie entrepris sous le signe de l'amélioration des conditions de vie de la population laborieuse de la ville ; en 1867, l'indication qu'Anspach recueille sur la formation d'une « fédération internationale des ouvriers » ne lui arrache qu'une remarque touchant le but poursuivi « pour l'avancement de toutes les questions qui les [ouvriers] intéressent ». Mieux encore, lors de la terrible épidémie de choléra, en 1866, il visite personnellement les malades de quartiers misérables, en compagnie du jeune médecin Max, père d'Adolphe Max.
Ses amis politiques, les bourgmestres Charles de Brouckere et Fontainas, qui l'assistèrent dans ses débuts, l'échevin Watteeu à ses côtés pendant la lutte menée pour la transformation du centre de Bruxelles, lui furent fidèles lors même des attaques les plus violentes d'adversaires implacables, tels, sur la fin de sa vie, les représentants d'une tendance plus avancée, Paul Janson ou Eugène Robert, tels aussi Splingard et Bochard qui critiquèrent toute sa politique de grands travaux.
Déjà, soit en qualité de conseiller communal, soit en qualité d'échevin, Anspach s'était intéressé à l'urbanisation de la ville ; il avait joué un rôle dans les débats relatifs à l'érection du monument aux comtes d'Egmont et de Hornes dressé Grand-Place (1864), dans la réorganisation de l'Académie royale des Beaux-Arts (1862), dans la création de la cité Fontainas (1867), dans l'incorporation à Bruxelles du Bois de la Cambre et de l'avenue Louise (1863). Sa grande œuvre de transformation de Bruxelles ne devait s'accomplir cependant qu'à partir du moment où il devint bourgmestre.
L'assainissement de la Senne, dont les premiers projets dataient de 1861, fut remis en question en 1863 ; en 1865, le projet de l'architecte Suys rallia les suffrages, prévoyant la construction d'une voie très large entre le temple des Augustine et le boulevard du Midi, sur le parcours de laquelle se construiraient une bourse de commerce, des halles et deux voies partant des Augustine vers le nord de la ville. De vives polémiques s'élevèrent à propos de la compagnie privée, représentée par Frédéric Doulton et Edouard Swann, chargée de réaliser les travaux, polémiques qui mirent Anspach en fâcheuse posture. Le boulevard de la Senne (actuellement boulevard Emile Jacqmain) fut inauguré le 30 novembre 1871, la bourse de commerce le 27 décembre 1873 ; entre-temps, la démolition du temple des Augustine était approuvée le 27 décembre 1871, à l'immense satisfaction du bourgmestre, celui-ci s'étant efforcé de « débarrasser la ville de cette verrue ».
En 1874, la transformation du quartier populeux de Notre-Dame-aux-Neiges était décrétée, malgré les vives attaques d'Ernest Allard, qui réclamait l'ajournement d'un projet « tendant à substituer à un quartier exclusivement de travail un quartier de luxe, en démolissant un très grand nombre d'habitations de modestes travailleurs ». Suivent alors ou s'interpénètrent les discussions provoquées par de nouvelles altérations de la topographie ancienne de la ville : en 1875, l'élargissement de la rue d'Arenberg, l'ouverture de la rue Sainte-Gudule, la création du cimetière d'Evere, la formation d'un nouveau champ de manœuvres entre la chaussée de Wavre et le chemin de fer du Luxembourg ; enfin, en 1879, la création d'un parc sur l'ancien champ des manœuvres qui cédera bientôt la place au parc du Cinquantenaire.
Quoiqu'il ait été comparé au préfet de la Seine, le baron Hausmann, et que les historiens aient loué sans réserves sa politique d'urbanisme, Anspach a cependant donné le signal des démolitions dont on voit actuellement avec peine les résultats sur une plus large échelle.
Nul ne niera l'esprit d'entreprise, le dynamisme, le courage aussi dont Anspach a fait preuve maintes fois, et qui, incontestablement, ont permis à Bruxelles de jouer de mieux en mieux son rôle de première ville du pays. Son intérêt pour le problème d'approvisionnement en eau de la cité et des faubourgs, son énergique intervention dans la création des premiers tramways en 1869, ses initiatives dans la question de l'enseignement scolaire sont autant de faits à son actif.
Aussi bien au sein du conseil communal qu'à la Chambre où son mandat de député lui permit, à différentes reprises, de justifier sa politique urbaine, ne manque-t-il point de défendre avec passion ses droits de premier magistrat de la capitale et les prérogatives attachées à son mandat, ceci surtout lors de la démission du cabinet d'Anethan, lorsqu'il répondit aux attaques lancées contre « sa police », incapable de retenir les manifestants de 1871 ; ou aux interpellations des droitiers sur le rôle de sa garde civique, pendant cette même période.
Il fut maintes fois combattu au cours de sa carrière politique ; il avait le don de conserver confiance. « Que nos amis soient au pouvoir ou bien nos ennemis, nous ne dévions jamais des idées de progrès auxquelles nous avons consacré notre vie ; nous voulons augmenter sans cesse la somme de bien-être et de liberté de tous et ce qui peut favoriser l'extension de ce principe, ce qui semble marcher vers l'idéal de notre système, nous l'adoptons de quelque main qu'il nous vienne. Nous ne voulons accepter ni le découragement, ni cette lassitude qui s'appelle l'abstention, ni cette position systématique de parti pris, qui est la forme la plus honteuse de l'abstention », déclara-t-il à la Chambre le 22 mai 1869, propos qui illustrent remarquablement son attitude devant la vie.
On sait qu'il est mort jeune encore, en pleine action, abattu par le travail, au milieu des plus vifs regrets des milieux libéraux, alors que les journaux de la droite l'ignoraient ou déformaient son œuvre. La ville donna son nom à l'un des boulevards qu'il avait fait construire ; un monument lui fut érigé place de Brouckère par les soins de l'architecte Emile Janlet et du sculpteur De Vigne.
Tout au début de sa carrière, Anspach s'était intéressé aux problèmes de droit romain ; plus particulièrement, la « mise en demeure du débiteur dans les obligations à terme » retint son attention; en outre, il publia de 1856 à 1858 trois fascicules « De la procédure devant les cours d'assises », comportant plus de 375 pages.
<(DU BOIS Albert, Les bourgmestres de Bruxelles. Jules Anspach (première partie), dans Revue de Belgique, Bruxelles, 1895, vol. 1, pp. 162-180)
(page 192) Nous arrivons l'administration d'Anspach. Jules Anspach n'avait point encore ceint l'écharpe de bourgmestre, qu'il s'attaquait au problème qu'il avait à cœur de mener bonne fin : la transformation de Bruxelles par l'exécution des grands travaux dont il avait la conception.
Dès le mois d'août 1863, il proposait au conseil communal de nommer une commission chargée d'étudier cette question. Il faisait observer qu'on s'était plaint du manque d’unité dans les travaux de la capitale, travaux qui exigeaient fréquemment l'intervention de l’Etat et de la province. Il semblait désirable de créer un programme parfaitement étudié, reposant sur des données certaines, des travaux que commandait l'agrandissement toujours plus considérable de l'agglomération bruxelloise. Un motif de plus pour entrer dans cette voie nouvelle consistait dans la création à Bruxelles, avec l'appui du gouvernement, d'une société anonyme à un capital fort élevé, ayant pour but d'intervenir dans les questions d'assainissement et d'embellissement de la capitale.
Anspach distinguait trois sortes de travaux : ceux (page 163) urgents et indispensables, ceux très utiles et enfin d'autres infiniment désirables. Parmi les premiers, est-il besoin de dire qu'il classait l'assainissement de la Senne, la disparition de cet égout à ciel ouvert, comme il l'appelait ? Il proposait de faire entrer dans cette commission, à côté de membres du conseil communal, des délégués des divers départements ministériels, un représentant de la province et des délégués de la Compagnie immobilière.
Le conseil, répondant au vœu d'Anspach, désigna pour faire partie de cette commission, à la tête de laquelle devait se trouver Anspach lui-même, qui remplissait les fonctions de bourgmestre, MM. Vanderlinden, Watteeu, de Page, de Meure, Tielemans, Goffart, Orts et Fischer.
Le 1er janvier 1864, Anspach fut installé à l'hôtel de ville en qualité de bourgmestre de Bruxelles.
A peine en fonctions, il fut amené à provoquer une protestation de la part du conseil communal contre le pétitionnement organisé par le clergé catholique contre la prétendue violation des cimetières. Au nombre des signataires figuraient des enfants, des femmes, des hommes faibles ou irrésolus qui ne comprenaient pas ce qu'on exigeait d'eux ou qui étaient entraînés par l'autorité catholique dont ils subissaient la pression. Le conseil, voulant faire respecter les droits du pouvoir civil et maintenir le droit de police, d'autorité et de surveillance qu'a la commune sur les lieux d'inhumation, résolut d'adresser une pétition à la Législature dans ce sens.
Au mois d'août 1864, une discussion intéressante fut ouverte au sein du conseil communal au sujet de la réforme électorale.
L'un des membres du collège partisan de la substitution de l'instruction au cens comme base du droit électoral disait qu'il ne voulait pas du suffrage universel, qui ne pourrait nous mener qu'à l'anarchie ou au despotisme. Il (page 164) faut , ajoutait-il, pour l'exercice d'un droit aussi important que le droit de suffrage, la réunion de deux conditions : l'intelligence, c'est-à-dire la capacité de discerner l'intérêt général et les moyens de le sauvegarder, et l'indépendance du citoyen.
Bruxelles revêtait de plus en plus le caractère d'une grande capitale. Certains menus faits l'attestent. Nadar vient y faire le 26 septembre cette ascension aéronautique demeurée légendaire, qui attira une foule immense difficilement maintenue par les fameuses barrières construites en cette circonstance et que nous voyons employer chaque fois qu'on s'attend une grande affluence de population. Vers la fin de la même année, l'autorité communale admet en principe l'établissement d'un chemin de fer américain le long de l'avenue Louise ; au mois de juin 1865, un sieur Carl Cudell obtient l'autorisation d'établir sur quelques places de la ville des aubettes pour la vente de consommations en détail consistant en limonades, eaux de Seltz, à la condition de ne vendre que des boissons rafraichissantes. Enfin, les kiosques destinés la vente des journaux font leur apparition durant cette même année.
Le 10 décembre 1865 fut un jour de deuil pour la Belgique : Léopold Ier expirait. Sur les murs de la capitale, Anspach fit afficher la proclamation suivante :
« Habitants de Bruxelles,
« Le Roi est mort !
« Sa Majesté a succombé, ce matin à 11 heures 45 minutes, en sa résidence de Laeken, aux atteintes du mal dont elle souffrait depuis longtemps. Tous les Belges déploreront la perte du souverain qui s'associa, il y a trente-quatre ans, aux destinées de la Belgique.
« La haute sagesse et l'éclatante personnalité de celui qui emporte dans la tombe nos regrets éternels, ont favorisé le développement d'une nationalité heureuse, (page 165) prospère et libre dont l'existence est devenue un gage de paix et de sécurité pour l'Europe.
« L'histoire dira que le fondateur de notre dynastie nationale a légué à la postérité l'exemple du plus loyal dévouement à nos libres institutions et assuré l'indissoluble alliance du trône et de la liberté.
« Le pays remet sa confiance aux mains du digne fils d'un Roi modèle, du Prince qui, né sur le sol belge, partage nos sentiments et nos vœux comme nous partageons sa profonde douleur. »
Une adresse patriotique fut votée au Roi. Après les funérailles de Léopold Ier, pompeusement célébrées à Bruxelles, le roi Léopold II fit son entrée dans la capitale par l'ancienne porte de Laeken au milieu de l'enthousiasme de la population. Anspach attendait Sa Majesté à la limite du territoire de la ville, à la tête du conseil communal, et lui adressa ce discours :
« Sire,
« Jadis, les magistrats de la cité offraient au Souverain un gage matériel de son pouvoir, les clefs de la ville ; aujourd'hui, nous pouvons offrir à Votre Majesté un gage bien plus précieux : l'immense dévouement de toute une population.
« Le conseil Bruxelles est fier du privilège qui lui permet de recevoir le Roi au moment où il vient prêter le serment solennel qui met le sceau à des engagements réciproques.
« De même que la population dont l'enthousiasme accueille Votre Majesté est l'écho de la nation, de même nous sommes convaincus, Sire, d'être les interprètes fidèles des conseils communaux du pays en disant à Léopold II qu'il a hérité des sentiments de loyale confiance et d'inaltérable dévouement que la Belgique a voués à l'illustre fondateur de la dynastie belge.
(page 166) « Oui, Sire, aujourd'hui comme hier, dans l'expression de ses espérances comme dans l'expression de sa gratitude, le peuple belge est représenté dans la capitale par des députations de toutes les villes et de toutes les campagnes. Dans le plus humble hameau comme dans les plus riches cités, tous les cœurs obéissent à la même pensée. A ceux qui nous demandent si nous sommes unis, la voix publique répond ce qu'elle a répondu en 1848. A ceux qui nous demandent si nous sommes animés de sentiments patriotiques, nous répondons en nous serrant autour du drapeau de l'Indépendance et de la Liberté par ce cri qui restera notre cri de ralliement : Vive le Roi ! »
A cette mâle harangue, le Roi répondit dans les termes suivants :
« Messieurs,
« Je vous remercie de vos hommages, des funérailles que vous avez faites hier au Roi, mon père bien-aimé, et de l'accueil que vous me faites aujourd'hui. Le Roi qui, il y a trente-quatre années, est entré à Bruxelles par cette même porte, avait exprimé un vœu. Il souhaitait de voir la capitale se développer et s'embellir.
« Ce vœu, Messieurs, vous et vos prédécesseurs, vous l'avez réalisé.
« J'espère que bien avant l'entrée de mon successeur, la capital recevra de nouveaux embellissements et notamment qu'elle ne souffrira plus des émanations d'une rivière malsaine.
« Il est presque inutile d'ailleurs quec je vous dise mes sentiments pour Bruxelles. Je suis comme vous un enfant de la capitale.
« Encore un mot, Messieurs, votre population a été admirable et je l'en remercie du fond du cœur. »
Ces paroles, bientôt proclamées en ville, provoquèrent dans la foule un enthousiasme plein d'émotion.
(page 167) Peu après sa nomination, Anspach se vit allouer une somme de 15,000 francs pour frais de représentation, mais il s'empressa de décliner cette allocation.
L'année 1866 fut une des plus néfastes que traversa l'agglomération bruxelloise. Le choléra y éclata le 26 mai et fit de rapides progrès, surtout à partir du 14 juillet. Des mesures extraordinaires furent prises par le bourgmestre en cette circonstance. Des bureaux auxiliaires durent être ouverts pour recevoir les déclarations de décès. Le rôle des employés qui y furent installés n'était pas sans danger, car parfois ces employés devaient donner des soins à des personnes qui devenaient malades dans les bureaux. Le nombre des médecins des pauvres fut doublé. Des pharmacies volantes furent ouvertes dans les quartiers les plus éprouvés de la ville. Le personnel des fossoyeurs dut être augmenté. Il fallut organiser aussi un service extraordinaire de distribution d'aliments nutritifs aux convalescents.
Au milieu de juillet, le nombre des cas s'étant élevé au delà de quatre-vingts par jour, une partie de la population fut prise de panique et entreprit de faire des pèlerinages nocturnes autour des églises et particulièrement de la collégiale. Dans certaines parties de la ville, l'on dressa des chapelles ardentes. Ces manifestations lugubres ne pouvaient que terroriser la population. Le bourgmestre, d'accord avec le clergé, les fit cesser. Les fêtes de Septembre furent naturellement ajournées des temps meilleurs.
On peut évaluer les décès cholériques, survenus à Bruxelles durant la période épidémique de mai novembre, à 3,467 sur une population qui dépassait, en comptant la garnison et la population flottante, 190,000 âmes, soit un décès cholérique par 58 habitants.
Toutes les autorités, tous ceux qui furent appelés à secourir les victimes du fléau, déployèrent le plus grand (page 168) courage et le plus entier dévouement, commencer par le bourgmestre, à qui le conseil communal se plut à rendre particulièrement hommage.
Au mois d'octobre 1866 fut solennellement inauguré le monument élevé à la porte de Namur à la mémoire de de Brouckere.
Dans le discours qu'il prononça en cette occasion, Anspach synthétisa fort heureusement la carrière si bien remplie de son prédécesseur :
« Quelle administration féconde ! s'écria-t-il ; nos écoles élevées enfin à la hauteur de leur mission, le palais consacré à l'enseignement supé-ieur, deux grandes voies nouvelles, partout l'air et la lumière dans les quartiers déshérités ; le bois de la Cambre relié à nos boulevards ; le service des eaux créé, organisé dans tous ses détails, le règlement de 1849 armant l'administration contre les propriétaires d'habitations insalubres, et dans le Parlement, où sa voix éloquente exerçait un si grand prestige, c'est à son énergique impulsion qu'est due en grande partie la loi sur les expropriations pour cause d'assainissement. »
La question de la réforme électorale fut, en 1866, l'objet de longues discussions au sein du conseil communal ; l’assemblée finit par émettre le vœu suivant :
« En ce qui concerne les élections législatives et les élections provinciales et communales que, dans tous les cas, il soit tenu compte dans l'établissement du cens électoral du payement des centimes additionnels et de tous les autres impôts directs payés soit à la province, soit à la commune. »
La question de savoir si la capacité devait compter parmi les éléments du droit de suffrage fut résolue à l'unanimité des 25 votants. Sur le point de savoir si la capacité devait être la base unique du droit de suffrage, la réponse fut négative par 13 voix contre 12 et 2 abstentions.
(page 169) Le 26 septembre 1867, Anspach préside à l'inauguration de la cité Fontainas.
Le moment est venu de parler de l'œuvre capitale d'Anspach, de l'assainissement de la Senne, travail magnifique auquel Bruxelles doit son développement prodigieux.
Le travail d'assainissement de la Senne, adopté par le conseil communal, fut soumis au conseil provincial en avril 1866, aux Chambres législatives durant les mois de mai et de juin suivants et définitivement approuvé par arrêtés royaux des 29 août et 29 novembre de la mème année.
C'est le 13 février 1867 que la Société concessionnaire des travaux mit la main à l'œuvre.
On peut diviser en cinq parties le vaste ensemble qui constitue le projet de travaux d'embellissement et d'assainissement auquel on allait procéder :
1° Les collecteurs l'aval de Bruxelles y compris l'usine de décantation et les terrains qui en dépendent ;
2° Les collecteurs à l'ouest de Bruxelles, venant d'Anderlecht et de Molenbeek ;
3° Les travaux de voûtement de la Senne avec collecteurs dans la traverse de Bruxelles;
4° Les monuments destinés à l'embellissement ;
5° Les travaux d'amélioration du régime de la Senne.
C'est par les collecteurs isolés en aval de Bruxelles que
le travail fut entrepris. La première fouille fut creusée au boulevard du Jardin botanique, rive droite de la Senne. Le 27 mars, on commença les maçonneries. Le 6 mai, un tronçon de collecteurs de trente mètres de long était terminé et LL. MM. le Roi et la Reine et L.L. AA. RR. le Comte et la Comtesse de Flandre procédaient la pose d'une pierre commémorative.
Mais on ne tarda pas à se trouver en présence de sérieuses difficultés.
Dans les premières fouilles du boulevard, on avait pu pressentir les obstacles que la mauvaise nature du (page 170) sous-sol opposerait à l'établissement des collecteurs dans les rues relativement étroites, comme la rue du Marché. Dans es sables boulants, il faut, avant tout, enlever l'eau du sol et ne creuser la fouille que lorsque le massif de terrain est asséché. Cet assèchement préalable s'obtient en abaissant la nappe d'eau au-dessous du plafond des fouilles par des épuisements énergiques effectués au moyen de machines à vapeur dans des puits placés de distance en distance.
L'administration communale avait chargé M. l'ingénieur Derote d'étudier le système suivi à Paris lors de la construction des égouts pour obtenir l'assèchement préalable. Celui-ci communiqua le résultat de ses études à la compagnie concessionnaire, afin que cette dernière pût en faire son profit.
Trop confiants dans les moyens ordinaires, les entrepreneurs de la compagnie concessionnaire entamèrent le creusement de quatre fouilles l'une rue du Marché, deux ruc Gaucher et la quatrième près de la rue Destouvelles. Mais le fond remontait au fur et à mesure que l’on creusait et la sécurité des habitations voisines était compromise.
Par lettre du 23 mai, la compagnie notifiait à la ville qu'il était impossible de fonder le collecteur à la profondeur indiquée au projet approuvé sans menacer la solidité des maisons qui longent cet ouvrage. Elle demandait un relèvement de 0 m 60. On se mit d'accord pour accepter ce relèvement moyennant certaines conditions d'accroissement de la section du collecteur.
A la fin de juin, la compagnie s'adjoignit un praticien anglais qui avait pris une part importante à la construction des égouts à Londres. Celui-ci fit appliquer un mode de travail qu'il avait suivi un plein succès dans les plus mauvais terrains de la capitale anglaise.
Désormais, les difficultés pouvaient être considérées comme vaincues et les travaux allaient suivre leur cours régulier.
(page 171)Relevons, en 1868, l'excellent résultat d'une innovation que, depuis quelques années, la ville de Bruxelles avait essayé d'établir ; nous faisons allusion à l'épargne scolaire. Le système adopté était celui-ci : L'enfant, qui pouvait épargner, recevait une feuille volante sur laquelle on inscrivait chaque jour les centimes qu'il déposait entre les mains de son instituteur. Lorsqu'il avait épargné un franc, il recevait un livret de la Caisse d'épargne, et chaque fois qu'il était parvenu à réunir un franc, cette somme était inscrite sur le livret et portait intérêt à 3 p. c.
L'épargne ainsi organisée donna ce résultat qu'en un mois, du janvier 1868 au 1er février suivant, 6,656 enfants et adultes avaient déposé 12,855 fr. 78 c.
Une proclamation émue du bourgmestre annonça aux habitants de Bruxelles, le 22 janvier 1869, la mort du prince royal de Belgique. Anspach eut, au cours de cette même année, pour la première fois à s'occuper administrativement de la circulation des vélocipèdes. Il dut provoquer un arrêté qui interdisait aux cyclistes de circuler sur les trottoirs, dans le parc et généralement dans les allées des promenades publiques réservées aux piétons.
Comme un conseiller communal émettait l'idée de prévoir l'usage du patin à roulettes, le bourgmestre lui répondit : « Quant au patin à roulettes, il est inutile d'en faire mention dans le règlement. Il n'y a dans tout Bruxelles qu'un seul amateur de ce genre de sport, et je lui parlerai. »
Parmi les incidents survenus en 1870 sous l'administra- d'Anspach, nous avons relever celui relatif à la procession que le clergé avait l'intention de faire sortir pour célébrer une fête jubilaire à l'occasion du cinquième centenaire de l'attentat commis, en 1370, par les juifs contre les hosties consacrées. Le Journal de Bruxelles avait fait paraitre un programme de la procession projetée et l'on y remarquait parmi les groupes de la cavalcade (page 172) religieuse un ensemble figurant l'épisode de l'attentat. Le public s'émut ; le consistoire israélite manifesta ses craintes sur les conséquences de l'indignation ressentie par ses coreligionnaires. Anspach s'opposa officieusement à cet article du programme, et Mgr Donnet, curé de Saint- avait donné à entendre au bourgmestre que son intention était de faire disparaitre du programme tout ce qui pourrait froisser les croyances d'une secte quelconque. Mais l'autorité ecclésiastique en jugea autrement. Il décida que le cortège, ne pouvant être mutilé, ne sortirait pas.
Le clergé dut, peu après, rendre hommage à l'énergie et à l'impartialité d'Anspach. En effet, des désordres ayant eu lieu à la suite de l'élection du 2 août 1870, le bourgmestre prit les mesures nécessaires pour protéger les établissements religieux. Sa conduite si correcte fut cependant critiquée par le tribun Bochart. Anspach eut la partie belle, car il riposta en faisant savoir au conseil communal que l'établissement des jésuites, qui avait été particulièrement menacé, lui avait adressé, en témoignage de reconnaissance, une somme de 100 francs, pour être partagée entre les agents de police. « Ce n'est pas la première fois, ajouta le bourgmestre, que les religieux me témoignent leur gratitude en des circonstances analogues . »
Pour le prouver, il donna lecture de la lettre suivante, qui lui avait été adressée en 1864, lors de bagarres du même genre :
« A Monsieur Anspach, bourgmestre de Bruxelles,
« Permettez-moi, monsieur le bourgmestre, de vous remercier, au nom de tous mes confrères, de la belle et magnifique conduite que vous avez tenue hier soir et toute la nuit.
« Nous n'avons pas assez de termes pour vous exprimer toute notre reconnaissance. Votre dévouement, monsieur (page 173) le bourgmestre, a été aussi ardent qu'ingénieux et constant en notre faveur.
« Vous avez été véritablement l'homme de l'ordre et de la justice, le protecteur de l'opprimé, et, au milieu des passions populaires, au sein d'une famille troublée, le père toujours équitable et toujours généreux.
« Soyez-en, monsieur le bourgmestre, éternellement remercié.
« Votre très humble serviteur,
Delcourt, supérieur du pensionnat Saint-Michel.
« Le 12 août 1864. »
Survient, en 1870, la guerre franco-allemande. Le 9 septembre, Anspach fait afficher la proclamation suivante :
« Le bourgmestre, informé que des blessés des armées belligérantes seront bientôt dirigés sur la capitale, prie ceux de ses concitoyens qui seraient disposés à loger chez eux un ou plusieurs de ces blessés, de bien vouloir se faire inscrire au secrétariat de l'hôtel de ville ou de s'adresser par écrit au bourgmestre. »
Nous avons décrit en cette même revue le magnifique élan de charité que la population bruxelloise déploya en ces douloureuses circonstances (Revue de Belgique, 15 décembre 1892)) et les incidents qui surgirent alors en notre pays. Bornons-nous à rappeler qu'Anspach provoqua le vote par le conseil communal d'une adresse au gouvernement et au peuple anglais pour les remercier de l'attitude qu'ils avaient prise à l'effet de sauvegarder la neutralité belge.
Toujours préoccupé des embellissements de la capitale, Anspach dirige, dès le mois de décembre 1870, ses batteries contre le Temple des Augustins. Il propose le vote par le conseil communal d'un article unique qui autorise le collège à poursuivre l'expropriation pour cause d'utilité (page 174) publique du Temple des Augustins. Le 1er mars 1871, le ministre de l'intérieur, Kervyn de Lettenhove, répond au collège qu'il n'était pas disposé à présenter au Roi l'approbation de la délibération du conseil à ce sujet. La question, on le sait, ne devait avoir une solution que bien longtemps après. Toutefois, le premier jalon était posé.
Du 12 juin 1871 date l'adoption du projet du passage du Commerce.
A chaque instant, Anspach avait à tenir tête au conseiller Bochart, qui accumulait les interpellations au sujet des travaux de la Senne. Le bourgmestre fut amené à riposter d'une façon catégorique aux racontars de celui qui se posait en tribun à toute occasion, comme nous aurons encore à le constater plus loin. Il le fit en termes très nets : « Je dirai, s'écria-t-il, qu'on aura beau s'évertuer à nous contrecarrer, l'œuvre de l'assainissement est faite, est réussie, et les populations ne s'y trompent pas. Elles voient ces travaux s'opérer dans la ville de Bruxelles, elles voient l'air et la lumière circuler là où il y avait un égout à ciel ouvert et des ruelles tortueuses.
« Ces magnifiques arches de la Senne et des collecteurs, dans trois mois - il faut que M. Bochart en prenne son parti - seront achevées et la Senne coulera dans un nouveau lit. La population pourra se servir de la grande voie nouvelle, qui forme le boulevard Central. On aura beau chercher à ébranler cette affaire, on aura beau nous tendre des pièges, nous n'y tomberons pas, parce que nous connaissons la question. Nous nous déclarons prêts en toute circonstance à donner toutes les explications possibles sur chacun des points à traiter dans l'affaire de la Senne, qui fait l'honneur du conseil communal de 1865-1866. »
En juin 1871 se produisirent des échauffourées à l'occasion des manifestations papales. On vit cette fois encore Anspach payer largement de sa personne. Le dimanche soir 18 juin, le bourgmestre recevait avis que la police (page 175) était complètement débordée dans la rue Cantersteen et que les agents étaient bafoués et insultés. Aussitôt Anspach laisse la direction du service à l'échevin Funck et il part à la tête d'une compagnie de chasseurs-éclaireurs. Il s'aperçoit de suite que les forces dont il dispose seront insuffisantes, aussi fait-il appel aux chasseurs belges et au reste du corps des chasseurs-éclaireurs. Il parvient à dissiper les perturbateurs, mais on peut juger de l'importance de ces bagarres par le détail suivant : un caporal et un garde des chasseurs-éclaireurs furent blessés, l'un d'un coup de casse-tête, l'autre d'un coup de couteau ; quatre fontainiers furent malmenés et un sergent des pompiers reçut un coup de stylet à travers la main.
Anspach se plut en cette circonstance à rendre hommage à l'excellent esprit qui anime la garde civique, à sa patience et sa modération comme son énergie et à sa discipline. Il eut, peu de mois plus tard, en novembre, l'occasion de faire un nouvel éloge de la milice citoyenne dans le rapport qu'il dressa sur les rassemblements tumultueux qui se produisirent à l'occasion de la nomination d'un gouverneur de province qui avait été impliqué dans la débâcle financière de M. Langrand-Dumonceau.
Le moment où Anspach vit son œuvre de prédilection terminée arriva enfin. Au mois de novembre 1871, les travaux d'assainissement de la Senne furent inaugurés. La rivière entrait dans son lit nouveau et l'on mit en service régulier la grande artère qui le recouvre.
Le conseil se rendit en cortège, escorté par le corps des sapeurs-pompiers, à la partie du boulevard qui fait face au temple des Augustins. C'est avec raison que dans son discours d'inauguration le bourgmestre put dire : « L'air et la lumière répandus dans les quartiers déshérités, des travaux souterrains qui se comptent par kilomètres, la dangereuse et pitoyable rivière remplacée par une voie qui est la plus importante comme elle deviendra la plus belle (page 176) de notre ville ; Bruxelles à l'abri des inondations, transformée et embellie, assainie déjà dans une grande mesure, tout cela s'est accompli en trois années. Cette vaste entreprise, que tant d'esprits effrayés par sa grandeur même traitaient de chimère, que tant d'autres représentaient comme offrant des impossibilités financières, est arrivée à 'sa conclusion ; elle a poursuivi ses progrès incessants à travers toutes les attaques, au milieu de difficultés accumulées comme à plaisir. »
Afin de stimuler l'émulation entre les propriétaires qui allaient bâtir le long de l'artère nouvelle, le conseil communal, dès le 5 février 1872, décidait d'affecter une somme de 100,000 francs à répartir en diverses primes entre ceux d'entre eux qui érigeraient les constructions jugées les plus dignes par leur mérite architectural. D'autre part, pour faciliter la circulation rapide sur les nouveaux boulevards, le bourgmestre signe le 15 mars la convention par laquelle la ville concède l'exploitation des tramways sur les larges voies qui venaient de s'ouvrir.
Anspach, qui, à la tête du conseil communal, se rendait à Laeken, le 31 juillet 1872, afin de présenter au Roi une adresse de félicitations à l'occasion de la naissance de la princesse Clémentine, reçut de chaleureuses félicitations de la part du souverain, si soucieux de l'avenir et de la prospérité de la capitale, pour les grands travaux exécutés à Bruxelles durant les dix dernières années.
Mais déjà le boulevard Central se couvre de multiples habitations de l’aspect le plus pittoresque. Le monument de la Bourse de commerce y est achevé en 1873 et inauguré le 27 décembre.
La Bourse était à peine ouverte qu'elle fournissait au tribun Bochart l'occasion de chercher noise à l'administration communale. En janvier 1874, il adressait en effet à la députation permanente du Brabant une demande en vue d'obtenir l'autorisation, au défaut du conseil communal, (page 177 d'actionner M. Suys, architecte de la Bourse, en payement de dommages-intérêts pour ne pas avoir donné à cet édifice les dimensions de 80 mètres pour la longueur et de 40 mètres pour la largeur. Bochart prétendait que le mesurage qu'il avait fait opérer ne donnait pour ces dimensions respectivement que 75 m 75 et 39 m 38.
On ne s'imagine pas les discussions interminables soulevées au sein du conseil ce propos. Cette fois encore, il fut fait bonne justice des prétentions du tribun, qui en réalité ne s'efforçait que de faire le procès au conseil communal lui-même. Les dimensions contractuelles de la Bourse avaient été rigoureusement observées.
Soucieux de voir son œuvre se développer rapidement, Anspach, au début de 1874, conclut au nom de la ville de Bruxelles avec J.-B. Mosnier, constructeur à Paris, un contrat par lequel la ville concédait à ce dernier un bail de superficie sur 8,822 mètres carrés de terrains du nouveau boulevard, à charge par Mosnier de construire des immeubles sur les terrains cédés.
La ville s'engageait à consentir pendant toute la durée du bail à Mosnier ou toute autre personne présentée par lui la vente de tout ou partie desdits terrains aux prix fixés par mètre carré dans un tableau annexé au contrat, le prix étant payable par annuités. La ville s'engageait en outre à faire à Mosnier des avances de fonds à concurrence de 50 p. c. des constructions qui seraient élevées par ce dernier sur les terrains cédés.
Les avances capital et intérêts devaient être remboursées à la ville au moyen de 70 annuités de 50 francs chacune par 1,000 francs empruntés.
D'autre part, le 21 août 1874, le collège conclut avec une société constituée à Bruxelles, sous le nom de Compagnie Générale des marchés, un acte de cession à cette société d'un bloc de terrain situé entre le boulevard du Hainaut, la rue des Foulons et l'avenue du Midi, (page 178) contenant 5,721 mètres carrés pour environ 940,000 francs payables par annuités. Cette cession différait de celle conclue avec Mosnier en ce qu'elle portait sur le droit de propriété et non sur le droit de superficie.
Il semble que pendant cette année l'on voulût poursuivre avec fièvre les embellissements de Bruxelles, car c'est alors encore que l'on jeta les bases du contrat qui devait assurer la transformation du quartier Notre-Dame-aux- Neiges, limité par la rue de Louvain, la rue Royale, la rue de la Sablonnière, la place des Barricades et le boulevard de l'Observatoire. On agita aussi au sein du conseil communal l'importante question de la maison du Roi.
Ce monument, faisait observer avec raison le collège, est l'œuvre d'un des architectes les plus célèbres du siècle, d'un homme qui, à cette époque, créait un monument que tout le monde s'accorde à considérer comme une merveille d'architecture : l'église de Brou, en France, dans le département de l'Aisne. Cet architecte était de plus un Bruxellois, Louis Van Bodeghem.
On demanda de rétablir ce chef-d'œuvre tel qu'il était à l'origine. Cc travail a été admirablement achevé en 1895 par les soins de M. l'architecte Jamar et constitue un véritable joyau que l'on ne peut se lasser de contempler.
Le collège remit aussi sur le tapis la question de la reconstruction de la maison de l’Etoile, dont nous avons déjà parlé au cours de ce travail.
Enfin, c'est de 1874 que date la résolution du conseil de créer un nouveau cimetière de 30 hectares à Evere.
L'installation des tramways sur le nouveau boulevard donna dès sa création lieu à un différend avec le clergé. La procession de l'église de Bon-Secours entrava la libre circulation de la voiture qui accomplit un service public. Il s'ensuivit une bagarre pendant laquelle un conducteur reçut de l'un des porte-flambeaux un violent coup sur la figure.
(page 179) Avec son tact habituel, Anspach convoqua les deux doyens de Bruxelles en son cabinet. Afin d'éviter tout conflit dans l'avenir, il fut convenu : 1° que les processions s'abstiendraient de marcher sur les lignes du tramway et 2° qu'elles les couperaient le moins possible, et que dans ce cas même elles livreraient passage aux voitures à la première réquisition des agents de police.
« Il va de soi, ajouta finement le bourgmestre, que la police mettra du tact et notamment empêchera de passer quand le dais sera engagé, car on ne peut assurément pas couper le Saint-Sacrement en deux. »
N'abandonnons pas l'année 1874 sans mentionner l'institution des comités scolaires auprès de chacune des écoles primaires de la ville. Ils étaient chargés d'aider l'administration communale à répandre le plus possible les bienfaits de l'instruction.
Leur mission consistait à suivre les classes et à signaler à l'administration tout ce qui peut intéresser l'exécution de la loi, l'amélioration de l'enseignement et la position des instituteurs, à rechercher les enfants qui ne fréquentent pas l'école primaire et à s'enquérir des motifs de cette absence de fréquentation, à user de toute leur influence auprès des parents pour les engager à envoyer leurs enfants à l'école et pour obtenir de ceux-ci une fréquentation assidue.
En 1875, nouvel incident au sujet des processions. Tout d'abord, des désordres survinrent lors de la sortie de la procession de l'église de la Chapelle. Des jeunes gens avaient eu la malencontreuse idée de vouloir se substituer à la police pour veiller à la marche du cortège. Ils étaient armés de cannes plombées ou de cannes à tête de métal. L'usage qu'ils firent de celles-ci leur valut des tribulations dont ils n'eurent pas à se vanter. L'un d'entre eux fut même condamné à huit jours de prison.
Autre incident au sujet de la sortie de la procession de (page 180) la Fête-Dieu. Un conseiller interpella Anspach sur un bruit qui faisait grand tapage. On disait que l'escorte militaire avait mis baïonnette au canon et avait même fait mine de vouloir repousser la population sans avoir été requise par l'administration communale, ce qui eût constitué un empiètement illégal sur les prérogatives et les droits du pouvoir communal.
La réponse d'Anspach est amusante :
« Le fait, dit-il, n'a aucune espèce de gravité.
« Il régnait chez les membres du clergé une assez vive frayeur des désordres qui pouvaient se produire. En tête de la procession marchait un vicaire portant une grande croix d'argent. Tout à coup, sans motif aucun, le vicaire fut pris d'une panique subite et tourna les talons avec sa croix. Ce que voyant, la peur gagna également les porteurs de bannières et un certain nombre de porteurs de cierges. Ils se replièrent vivement en désordre. Quelques-uns s'enfuirent. C'est alors que l'escorte fit demi-tour. Il y eut un appel de clairon sonnant le rassemblement. En s'y rendant, il paraît que quelques soldats ont mis la baïonnette au canon, mais sans faire usage de leurs armes. Heureusement, car rien ne serait plus difficile que de protéger une procession qui s'enfuit.
« Quelques adjoints ont fait cesser la panique. Ils ont démontré aux fuyards qu'il n'y avait aucun danger et tout le monde a repris sa place, sauf un porteur de Rambeau qui s'est enfui vers la rue du Midi avec une telle rapidité que jusqu'ici l'on n'a pas eu de ses nouvelles non plus que de son cierge. Au temps des premiers chrétiens, l'on mourait volontiers pour sa foi ; aujourd'hui, l'on est surtout préoccupé de s'enfuir alors même qu'aucune manifestation hostile ne se produit. »
Ces explications d' Anspach excitèrent une hilarité générale.
(DU BOIS Albert, Les bourgmestres de Bruxelles. Jules Anspach (deuxième partie), dans Revue de Belgique, Bruxelles, 1895, vol. 1, pp. 291-309)
(page 391) Le 4 février 1875 fut célébré le mariage de la princesse Louise-Marie-Amélie de Belgique avec le prince Ferdinand-Philippe-Marie-Auguste-Raphaël duc de Saxe.
Anspach adressa, lors de la cérémonie du mariage, la charmante allocution suivante :
« Madame, Monseigneur,
« L'acte solennel qui vient de s'accomplir au nom de la loi a par lui-même toute sa grandeur ; aucune pompe extérieure n'en distrait l'âme et la simplicité de la cérémonie contribue à augmenter encore l'émotion qu'elle fait naître.
« On songe au caractère indissoluble et saint des engagements consacrés, on voudrait pénétrer les secrets de l'avenir en même temps que l'on se rattache aux souvenirs du passé, et tant de sentiments divers assaillent à la fois les cœurs que les larmes se glissent aisément entre les sourires. En de pareils moments, il semble que l'on s'aime davantage et Ies souhaits de ceux qu'unissent les mêmes liens de parenté éclatent avec plus d'ardeur.
« Ces pensées m'autorisent à parler aujourd'hui à Vos Altesses Royales au nom de la grande famille belge et à (page 292) vous offrir, Madame, comme au Prince auquel votre sort est uni, les félicitations et les vœux d'une population libre et fière dont le dévouement réfléchi et le respectueux attachement pour la dynastie nationale traversent sans s'altérer les événements et le temps.
« Si la sincérité et l'unanimité des sentiments qui s'élèvent de toutes parts autour de la princesse Louise peuvent lui porter bonheur, rien ne saurait manquer à son avenir ; mais ce qui est certain, c'est que l'affection de tous la suivra dans sa patrie nouvelle et que la Belgique ne considérera jamais comme une étrangère la Princesse qu'elle a vu grandir sous l'égide de la plus aimée, de la plus respectée des mères et du plus justement populaire des rois. »
La ville de Bruxelles conclut en 1875, avec l'Etat belge, une convention par laquelle la ville substituerait, avant le 1er janvier 1879, au champ des manœuvres, situé à l'extrémité de la rue de la Loi, un nouveau champ de 45 hectares 46 arcs 56 centiares, entre la chaussée de Wavre et le chemin de fer du Luxembourg. L'Etat devait construire de nouvelles casernes sur une partie des ter-rains en question, et la ville, à l'expiration du délai du 1er janvier 1877, devait rester maitresse du champ de manœuvres de la rue de la Loi. Toutefois il était stipulé que si le gouvernement le demandait, il serait réservé, vers le centre du champ, un terrain de 6 hectares, destiné à la construction d'un monument et à la création d'un parc.
Rappelons qu'au cours de cette année, l'on adopta le système de l'exploitation en régie de l'usine à gaz.
Anspach, à cette même époque, alla représenter la ville de Bruxelles au banquet du lord-maire à Londres. La façon brillante dont il s'acquitta de cette mission lui valut les félicitations et les remerciements du conseil communal.
(page 293) Anspach était, du reste, merveilleusement doué de l'esprit d'à-propos. Un rien suffisait pour lui fournir une entrée en matière dans les sujets les plus sérieux. C’est ainsi qu'à l'époque des travaux de la Senne, il lui arriva d'être l'objet d'attaques odieuses. Sur les murs, on pouvait lire des affiches l'accusant de toutes sortes d'abominations. En ce moment, il eut précisément l'occasion d'assister à un banquet à la Grande-Harmonie. Il en profita pour faire justice des attaques dont il était l'objet, et le début de son discours fut très curieux. Il s'exprima à peu près en ces termes :
« Vous pouvez lire partout en ce moment, messieurs , s'écria-t-il, des affiches annonçant que le meilleur chocolat est le chocolat Perron. Eh bien, vous en avez lu d'autres qui doivent vous faire penser que le plus mauvais des bourgmestres est le bourgmestre de Bruxelles. Voyons donc ce qu'il faut croire de toutes ces insinuations. » Et le voilà entrant en plein dans son sujet et réduisant à néant les accusations auxquelles il était en butte. Il obtint un immense succès.
Dans une autre circonstance, il fut couvert d'applaudissements à l'occasion d'un discours... qu'il n'avait pas prononcé.
C 'était lors du banquet libéral monstre qui eut lieu au Palais du Midi. La foule y était énorme et le tapage assourdissant. Anspach se leva et, au milieu de ce bruit, il fit mine de prendre la parole. Il avait parfaitement l'air de parler. Les mouvements de la bouche se produisaient, mais il n'émettait aucun son. Cela n'empêche que toutes les fois qu'il accentuait d'un geste énergique la phrase qu'il était censé émettre, éclatait un tonnerre d'applaudissements. L'apparence seule suffisait à allumer l'enthousiasme de la foule.
Parmi les discours les plus remarquables de Jules Anspach, il faut citer celui qu'il prononça au banquet qui lui fut offert, au. mois de janvier 1874, à la Bourse, par (page 294) l'élite de la société bruxelloise, sous la présidence de M. Fortamps.
Voici en quels termes il s'exprima :
« Messieurs, « Il n'est pas de récompense plus enviable pour un administrateur que celle que vous me donnez aujourd'hui. Je ressens vivement l'honneur qui m'est fait par tant d'hommes des plus distingués de toutes les sphères de l'activité bruxelloise, réunis dans une commune pensée de bienveillance pour celui qui vous parle.
« J'aime mieux ne pas faire de fausse modestie et vous dire franchement combien je suis fier du témoignage que je reçois. Si je sens en mon âme un certain mouvement d'orgueil , vous me le pardonnerez parce que vous en êtes la cause et que, par conséquent, vous en êtes les complices.
« Si je résiste autant que je le puis au sentiment que je vous exprime, il en est un autre auquel je m'abandonne sans réserve. Pour moi, messieurs, dans toutes les conditions de la vie, l'homme le plus heureux est celui qui est le plus aimé. C'est parce que je sens vos cœurs vibrer à l'unisson du mien, c'est parce qu'il y a entre nous des promesses tacites de relations constantes et affectueuses, c'est parce que, enfin, je me trouve ce soir au milieu d'un aussi grand nombre d'amis que notre réunion constitue pour moi un véritable bonheur.
« L'honorable M. Fortamps, dans d'excellentes et sympathiques paroles, auxquelles sa haute position ajoute un nouveau relief, a bien voulu rappeler la réussite de la grande entreprise dont l'inauguration de la Bourse est en quelque sorte la fin et le couronnement, je lui en suis profondément reconnaissant; mais, en même, temps je ne saurais m'empêcher de dire que j'ai joui de la fortune dont parle le poète ancien : celle qui seconde les entreprises hardies.
(page 295) « J'ai eu cette fortune de trouver autour de moi, dans le sein du conseil communal, des hommes éminents de l'esprit desquels je me suis pénétré, qui ont étudié avec moi l'œuvre à accomplir, qui m'ont soutenu et encouragé, et qui, après la décision prise, m'ont énergiquement défendu, tandis que je rencontrais encore l'appui de la science des ingénieurs les plus éminents du pays.
« Lorsque l'assainissement de la Senne ne se traduisait pour la population que par l'augmentation des impôts et par les inconvénients nombreux des travaux en cours d'exécution, lorsque au trouble matériel des fouilles et des démolitions venait se joindre le trouble moral des actes de la société concessionnaire, j'ai eu cette fortune de voir que la confiance publique ne s'était point retirée de moi, non, la confiance publique ne s'était point retirée du conseil communal, et les électeurs de Bruxelles, sans s'émouvoir d'attaques bien vives et de plus d'une nature, exprimaient alors leur volonté persévérante et rendaient justice à l'administration.
« De sorte que, tout en s'adressant à moi, la manifestation de ce jour va plus haut et plus loin : elle est la fête du conseil communal de 1866. Dirais-je plus encore ? Il semble que la population de Bruxelles, dont vous êtes une si importante représentation, se donne aujourd'hui une fête à elle-même, parce que c'est elle qui par sa patience, son intelligence et son esprit de suite nous a permis d'atteindre le but que nous touchons.
« Oui, j'oserai dire avec l'honorable ami qui préside ce banquet : l'œuvre accomplie est favorable aux intérêts bruxellois ; elle l'est non seulement par elle-même, mais encore par l'enseignement qu'elle a donné pour mener à bien les transformations que notre belle capitale attend encore. Votre appui et votre confiance, messieurs, surexcitent notre courage et je puis vous promettre, au nom de l'administration communale, que nous ferons de Bruxelles (page 296) le joyau de la Belgique, comme la Belgique elle-même est un joyau parmi les autres nations du monde.
« En terminant, messieurs, comme j'ai commencé par une pensée de reconnaissance, je vous demande la permission d'emprunter quelques mots à un homme d'Etat anglais illustre, et de vous dire ce que M. Disraeli disait à ses électeurs du comté de Buckingham : «
Personne ne sait mieux que moi-même que, dans le cours d'une carrière agitée et déjà longue, j'ai fait des choses que je regrette, j'ai dit des choses que je ne redirais peut-être plus ; mais la conduite d'un homme doit être jugée dans son ensemble, et je puis dire ceci en toute sécurité : J'ai toujours cherché à accomplir ce qui m'a paru juste et utile, je n'ai jamais cédé à des pensées dictées par des préoccupations ou des intérêts égoïstes et, enfin, il n'est pas de récompense qui me soit plus chère et plus précieuse que la bonne opinion de mes compatriotes, à quelque parti politique qu'ils puissent appartenir. »
Anspach prononça également un vigoureux discours au Parlement lorsque, à la suite des troubles provoqués par la nomination de M. Dedecker comme gouverneur du Limbourg, on l'accusa de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour maintenir l'ordre.
« Il m'est impossible, s'écria-t-il, de ne pas protester devant la Chambre contre les accusations de son président. Ce que je trouve étrange, c'est de les subir au moment où le bourgmestre n'hésite pas à compromettre sa popularité. Dans la rue, je ne suis d'aucun parti. Ce qui est d'une ingratitude inouïe, c'est qu'on vienne réclamer quand j'accomplis un devoir pénible en votre faveur. »
Comme M. Delaet l'interrompait en lui disant : « Vous deviez empêcher les écrasements , Anspach riposta :
« C'est la police qui vous a protégé, je demande cc que je pouvais faire d'autre que ce que j'ai fait. Quelles autres (page 297) mesures pouvais-je prendre ? Hier, les ministres m'ont demandé si je pouvais intercepter la circulation rue de la Loi. Je n'avais qu'un mot à dire à cette admirable milice qui ne faillit jamais à son devoir quand il s'agit de défendre nos institutions. Je ne l'ai pas fait parce que je n'ai pas voulu faire de provocation. Si j'avais intercepté le passage rue de la Loi, il est probable qu'au lieu de 4,000 à 5,000 personnes, vous auriez eu 10,000 personnes à chaque extrémité de la rue de la Loi. Ensuite, est-ce que les députés ne devaient pas sortir quelque part ? Pouvais-je dès lors empêcher les cris et les huées ?
« Il faudrait qu'on puisse faire un grief de ces cris, de ces huées, empêcher qu'il y ait personne dans les rues. Si le gouvernement trouve, après tout le dévouement que nous avons mis, que nos mesures sont insuffisantes, il a des moyens dans la main. Il peut recourir à d'autres mesures. Le ministère peut agir sous sa responsabilité. Il peut assurer l'ordre lui-même et il ajoutera une faute énorme celles qu'il a déjà commises. »
Et comme au cours du même débat, M. Jacobs avait dit, en parlant de l'émeute : « On la comprimera », Anspach s'écria :
« Je sais ce que cela veut dire. Cela signifie que l'on ne fera pas comme M. Dedecker en 1856, que l'on n'hésitera pas à recourir à l'armée. On y met des gants, mais l'intention n'est pas douteuse. On veut tout de suite recourir à l'armée, mettre le soldat dans la rue.
« Laissez-moi, messieurs, vous donner un conseil pour rester au pouvoir : Ne désarmez pas la police de Bruxelles, ne renvoyez pas les soldats citoyens, ne faites pas appel à l'autorité militaire, car vous feriez quelque chose de plus abominable encore que la nomination que vous avez faite. »
Durant l'année 1876, la section du contentieux décida que c'était sans titre ni droit que les Sœurs-Noires (page 298) jouissaient gratuitement d'un immeuble appartenant à la ville, sis rue des Visitandines, et qu'il y avait lieu de faire cesser cet état de choses.
Cette question provoqua un incident curieux autant qu'amusant.
Une haute influence, à raison des services rendus par les sœurs aux malades, avait demandé Anspach s'il n'y aurait pas moyen de montrer moins de rigueur. Une discussion fort vive s'engagea au sein du conseil sur la question et aboutit, si j'ai bon souvenir, à un assez long délai accordé aux sœurs pour se pourvoir ailleurs. Ernest Allard, conseiller, s'était montré le moins accommodant au cours du débat. Or, la communauté avait eu l'idée d'adresser à Anspach, à titre de cadeau, une pelote supérieurement brodée. Le bourgmestre, avec l'esprit qui le caractérisait, fit un élégant paquet de la pelote en question et l'envoya à Ernest Allard en lui disant : « Je vous dénonce une tentative de corruption d'un magistrat communal, mais je n'hésite pas à vous envoyer le corpus delicti, avec prière de le conserver en souvenir de la discussion de la question des Visitandines. »
Le mois de juin amena le corps électoral dans ses comices. Des faits regrettables se produisirent en cette occasion. Des bandes de manifestants parcoururent les rues en brisant les vitres et les réverbères. Grâce à la fermeté du bourgmestre, grâce à ses sages conseils, ces atteintes à l'ordre et à la propriété cessèrent promptement.
Relevons, parmi les incidents qui se produisirent encore en 1876 et qui intéressent à la fois l'autorité communale et la vie bruxelloise, les faits suivants : la disparition de l'arbre de la liberté qui était planté au centre de la place des Palais. Lorsqu'il eut été abattu, on le transporta dans un local, où il fut déposé, recouvert de drapeaux (page 299) noirs et tricolores. Anspach eut l'idée de faire débiter cet arbre historique en petits cubes, portant une marque au feu et revêtu de la griffe du bourgmestre ; ces cubes furent vendus au profit des pauvres. La question de la reprise par la ville du Jardin zoologique fut mise, pour la première fois, sur le tapis au sein du conseil communal, par suite de la dissolution de la Société de zoologie.
L'administration communale fut amenée à s'occuper du projet d'organisation d'une souscription publique au profit de l'œuvre tendant à la suppression de la traite des noirs, œuvre due à l'initiative du Roi. Le collège proposa de nommer, dans son sein, une commission de cinq membres, avec la mission de prendre les mesures nécessaires pour le fonctionnement d'une souscription dont le taux uniforme serait fixé à un franc. Cette commission fut composée du bourgmestre et de MM. Trappeniers, de l'Eau, Veldekens, Gheude et Bauffe.
L'on demanda aussi à la ville un subside annuel de 2,500 francs pour participer à la création d'un cirque permanent, de façon à ce que la capitale fût débarrassée des affreuses baraques foraines que l'on élevait chaque année pour abriter les cirques de passage. Cette proposition reçut un accueil favorable. Enfin, le comte de Renesse fit don à la ville de Bruxelles d'une magnifique collection d'orangers de grande dimension destinés à être placés au parc.
Au début de l'année 1877, un deuil se produit au sein du collège. L'échevin Funck meurt le 9 avril. Anspach, dans le discours qu'il prononça, lors des funérailles, rendit un éclatant hommage aux qualités administratives du défunt. « Ayant participé durant seize années, dit-il notamment, à toutes les études, à tous les travaux de la commune, Funck contribua aux grandes mesures qui amenèrent l'embellissement et l'assainissement de notre ancienne cité. Il consacra de longues années à (page 300) développer l'instruction et à lui donner, dans la capitale, une organisation qui a souvent depuis servi de modèle. Parmi les créations dues à son activité, on peut citer, comme l'un de ses principaux titres à la reconnaissance de ses concitoyens, la création des écoles de jeunes filles, institutions nouvelles qui, malgré les efforts d'adversaires politiques, grandissent et prospèrent comme tout ce qui est juste, utile et conforme aux aspirations de l'opinion publique. »
Le développement de l'instruction engagea, pendant cette même année, le conseil à décider l'octroi d'un subside pour effectuer des promenades scolaires. L'on ferait une promenade tous les quinze jours, soit en ville, soit aux environs. En outre, deux grandes excursions, chaque année, seraient organisées tant pour la division supérieure des garçons que pour celle des filles, dans une localité industrielle ou commerçante du pays, à désigner par l'administration communale.
L'activité d'Anspach se manifeste en toutes choses. Nous le voyons s'occuper de la transformation du quartier de la rue Middeleer, qui comprenait le quartier compris entre le boulevard Central, la rue du Borgval, la rue des Poissonniers et la rue du Marché-aux-Poulets. Il provoque l'émission d'un vœu tendant à voir les hospices poursuivre progressivement et dans une juste mesure l'aliénation d'immeubles dont la conservation n'est pas indispensable aux services des hôpitaux et de la bienfaisance, considérant, dit-il, l'état de choses existant comme constituant une véritable mainmorte. Le bourgmestre proposa et amena le rachat du jardin zoologique, dont il avait été question l'année précédente.
Une question délicate, celle des cimetières, fut surtout traitée avec beaucoup de sagacité par Anspach à cette époque. Pour repousser les demandes qui tendaient à la création de divers cimetières, suivant la diversité des cultes (page 301) pratiqués, ou la division d'un même cimetière par cultes, il invoqua le précédent posé par la commune de Saint-Gilles. Dès le commencement de 1862, la commune de Saint-Gilles dut fermer son ancien cimetière et en installer un nouveau. A ce propos, il cita ce fait curieux : Quelque temps après l'ouverture du cimetière, une famille extrêmement catholique eut le malheur de perdre un de ses membres. Le chef de cette famille vint trouver le bourgmestre et lui dit : « Il m'est impossible d'admettre que mon enfant soit enterré en terre non bénite. » Le bourgmestre lui conseilla de demander au curé de bénir spécialement la sépulture. Le père de famille objecta qu'il avait essuyé un refus de la part du curé.
« - Eh bien, riposta le bourgmestre, adressez-vous aux capucins. »
Le conseil fut suivi et la demande réussit parfaitement. Un capucin se présenta pour procéder à la bénédiction demandée.
C'est le cas ou jamais de répéter qu'il est avec le ciel des accommodements.
« Nous ouvrons donc à deux battants, dit Anspach, les portes de nos cimetières à tous les cultes ; nous disons à tous les ministres des cultes : Venez accomplir toutes les cérémonies, tous les actes de votre religion et nous prenons l'engagement d'en faire respecter l'accomplissement dans toute leur dignité. »
Un nouveau deuil frappe le collège échevinal au mois de septembre, par suite de la mort de l'échevin Lemaieur. Anspach se plut à rendre un légitime hommage à ce collaborateur dévoué.
Anspach ayant placé un toast prononcé par lui le 24 novembre 1877 à la Grande Harmonie, à l'occasion de la Sainte-Cécile, sous l'invocation de l'ancienne amitié qui (page 302) le liait à Antoine Clesse, le poète montois lui dédia les couplets suivants : [Texte non repris dans la présente version numérisée]
(page 303) Dans les premiers jours de janvier 1878, des protestations inconvenantes furent soulevées en Belgique contre l'unité de l’Italie qui, comme l'indépendance de la Belgique, était l'œuvre de la souveraineté nationale. M. Orts proposa au conseil communal de voter une adresse sympathiques condoléances à S. M. le roi d'Italie, à l'occasion de la mort du roi Victor-Emmanuel, et d'inviter les conseils communaux des chefs-lieux de province à s'associer à cette manifestation.
Cette adresse, qui fut votée à l'unanimité, était énergiquement et patriotiquement conçue.
Il est permis d'en juger par les passages suivants :
« Sire,
« Depuis des siècles, la gloire et la souffrance ont fait de la Belgique et de l'Italie deux sœurs, sœurs par les traditions d'un grand passé communal, sœurs par le renom artistique, sœurs, enfin, par le long martyre de la domination étrangère.
« L' Italie et la Belgique sont sœurs encore dans le présent, car leur indépendance a une même origine, la volonté nationale ; une même sauvegarde, la monarchie constitutionnelle et libérale. L'une consolide ce que l'autre a fondé. Entre sœurs, un deuil de famille est un malheur que l'on partage. Nous nous croyons à ce titre le droit d'unir nos regrets aux douleurs de Votre Majesté et de son peuple : à tous les deux, la mort vient d'enlever un père. »
(page 304) Il est aisé de concevoir qu'une adresse conçue en de pareils termes n'était pas faite pour plaire aux cléricaux.
Anspach proposa au conseil, le 22 juillet, de voter un crédit de 100,000 francs pour la célébration des noces d'argent du Roi et de la Reine. Ce crédit dut être postérieurement majoré de 55,302 francs.
Les fêtes organisées à cette occasion provoquèrent l'enthousiasme de la foule accourue nombreuse à Bruxelles. L'on conçoit qu'il nous est impossible d'entrer dans les détails du compte rendu de ces diverses solennités. Il en est une, toutefois, qui touche de trop près le bourgmestre de Bruxelles pour qu'on puisse la passer sous silence, nous voulons parler de la revue des écoles, de ces écoles auxquelles Anspach avait toujours témoigné tant de sollicitude. Voici en quels termes touchants Eugène Landoy rend compte de cet intéressant épisode qui eut pour théâtre la place des Palais :
« La foule était immense. Une fanfare du côté de la rue Royale annonça l'arrivée du cortège. Le Roi, la Reine et toute la cour parurent sur l'estrade royale et les acclamations de la foule saluèrent leur présence. Le temps était incertain, le ciel tourmenté ; de temps en temps on avait un semblant d'ondée comme si le bon Dieu eut dit : Si je voulais pourtant... Mais il n'avait garde de vouloir. Il voyait venir de loin tous les petits enfants…
« Bruxelles peut être fière de ses écoles communales, de ses instituteurs et de ses institutrices. Quel défilé et comme tout ce petit monde marchait criant d'une voix délicieusement grêle et fausse : Vive le Roi ! Vive la Reine ! Vive la famille royale ! Chaque école avait sa corbeille de fleurs, son drapeau, ses insignes. Les fillettes étaient charmantes avec leurs robes blanches et leurs rubans bleus ou tricolores. Il y en avait qui étaient des pieds la tète vêtues aux trois couleurs. On déposait en passant les corbeilles de fleurs sur l'estrade royale. Les (page 305) écoles qui n'avaient pas de corbeilles avaient des bouquets ; d'autres, je crois que c'était la belle école modèle de la Ligue de l'enseignement, de superbes couronnes. On a vu des écoles dont les élèves portaient et agitaient au dessus de leurs têtes de petits drapeaux, d'autres des nœuds de rubans tricolores, d'autres des fleurs qu'ils lancèrent tous au passage sur l'estrade royale. La musique ne manquait pas la fête. On en a compté, dit-on, vingt- trois corps différents. Les écoles de filles avaient l'air de parterres de fleurs animées. C'était d'un frais, d'un joli, d'un gracieux, d'un charme ravissants.
« Les crèches étaient là. La députation des crèches était guidée par MM. L. Geelhand, président de la fédération, et Van der Noot, de la crèche de Saint-Josse-ten-Noode, délégué par M. Charles Rogier à ce poste d'honneur ; un administrateur de la crèche d'Anderlecht était là aussi. Les petits enfants arboraient fièrement les couleurs nationales, ceux-ci sur de petites bannières qu'ils faisaient flotter, fallait voir ! celles-là sur leur écharpe et, je crois, même sur leur robe, , car à la crèche on ne se refuse rien. « Les institutrices, guides à droite, réglaient le pas de la jolie phalange. Sa corbeille, dont on a beaucoup parlé, ressemblait à un berceau. Au-dessus, une corne d'abondance toute pleine de roses blanches et de laquelle s'échappaient flottants des rubans sur lesquels étaient inscrits les noms des crèches de l'agglomération bruxelloise. Pensez si le Roi et la Reine furent contents de recevoir de nos petits enfants une si jolie corbeille ! Ils commandèrent qu'on en eût grand soin et la firent placer au milieu de toutes les autres. Et voilà comment les derniers sont les premiers. »
L'on sait que notre excellent peintre, Jan Verhas, a reproduit ce charmant épisode de la Revue des écoles dans un de ses meilleurs tableaux exposé au Musée moderne.
(page 306) L'on sortait à peine des fêtes jubilaires organisées l'occasion des noces d'argent des souverains, qu'il fallut songer à préparer l'exposition de 1880, destinée à célébrer le cinquantenaire de l'indépendance nationale. Aussi, dès 1878, il s'opéra, à ce propos, un échange de vues entre la ville de Bruxelles et le gouvernement. Ces pourparlers aboutirent, en 1879, à la convention relative au parc du Cinquantenaire, qui décidait les points suivants :
1° La création, aux frais de la ville, d'un parc d'une étendue de 12 hectares, avenues destinées à le border comprises ;
2° La concession à l'Etat du parc et des avenues ;
3° Les constructions provisoires nécessaires pour l'installation de l'exposition de 1880;
4° L'érection, aux frais de l'Etat, du monument définitif devant faire face au parc ;
5° Le partage, par moitié, des bénéfices éventuels de l'exposition nationale.
Relevons finalement, en 1879, deux menus faits qui tiennent cependant leur place dans la vie bruxelloise : l'adoption du placement dans la capitale de colonnes lumineuses et l'autorisation d'établir en ville un panorama.
Le 19 mai 1879, Bruxelles perdit son vaillant bourgmestre. La mort vint frapper Anspach. Le conseil décida que les funérailles solennelles seraient faites par la ville et chargea le collège d'exprimer ses vifs sentiments de condoléance la famille.
Les obsèques du premier magistrat de la capitale eurent lieu au milieu de la douloureuse émotion de toute la population bruxelloise qui éprouvait pour Anspach un véritable attachement. Le premier échevin Vanderstraeten prononça sur la tombe de l'illustre défunt un discours éloquent dont il importe de citer les passages les plus saillants :
« L'affection populaire, dit-il, éclate aux jours de deuil comme aux jours heureux.
(page 307) « La foule se presse silencieuse et désolée au bord de cette tombe prématurément ouverte. Son silence et sa douleur disent mieux que le plus éloquent langage combien était cher à tous le magistrat éminent dont Bruxelles pleure la perte.
« Cette affection populaire est une justice rendue ; l'hommage suprême de la reconnaissance publique bien méritée. Peu d'hommes, en effet, ont consacré à leurs concitoyens autant de dévouement, autant de zèle, autant d'intelligence que notre bourgmestre à jamais regretté.
« Enfant de Bruxelles, Anspach n'eût qu'un but, servir sa ville natale. Sa vie entière s'est, on peut le dire, passée dans cet hôtel de ville où la mort l'a pris.
« Conseiller communal à vingt-huit ans, échevin à trente, il ne comptait pas cinquante années quand la mort impitoyable nous le ravit avant l'heure et l'arracha au fauteuil de bourgmestre qu'il occupait depuis 1863…
« A peine entré au collège, le jeune échevin se dévoue au progrès de l'instruction populaire et le succès couronne ses efforts. Bourgmestre, il se préoccupa sans relâche d'assainir et d'embellir du même coup la capitale.
Sa vive et droite intelligence comprend, et sa persistance persuasive réussit à faire comprendre aux autres qu'à la population d'une grande cité trois conditions d'existence sont indispensables : l'air, la lumière et l'eau.
« De là ces règlements destinés à rendre habitables et salubres, malgré le mauvais vouloir des propriétaires, les impasses habitées par nos travailleurs, règlements qui furent comme une joyeuse entrée de notre bourgmestre à l'administration communale. De là notre distribution d'eau incessamment complétée, étendue de jour en jour de façon à profiter au plus grand nombre. De là cette œuvre magnifique autant qu'utile du voûtement de la Senne. Cette (page 308) œuvre à elle seul rendrait impérissable le nom de l'homme de cœur et d'action qui sut la concevoir et parvint à l'accomplir, malgré les préjugés aveugles, les froissements de l'intérêt, les répugnances inavouables et les hostilités haineuses jusqu'à la calomnie. De là, enfin, son dernier labeur : ces quartiers nouveaux et sains remplaçant d'affreuses ruelles où s'installaient les plus tristes misères au détriment de la santé publique.
« Le peuple bruxellois était fier de son premier magistrat, et il aimait Anspach parce qu'il était aimé de lui.
« Qu'un accident, que l'incendie ou l'inondation vînt menacer le plus pauvre quartier de Bruxelles, le premier au secours c'était le bourgmestre. Qu'une calamité frappât sa population, la première main tendue à l'infortune était encore la main du bourgmestre.
« Qui donc oubliera jamais à Bruxelles la noble conduite de Jules Anspach lors de l'épidémie cholérique de 1866 ? Avec les yeux du souvenir, nous le revoyons, insoucieux du danger, visitant jour et nuit les hôpitaux encombrés, parcourant les logements infectés des malheureux frappés à domicile, et portant jusqu'au grabat le plus désolé, le plus humble, et le remède qui sauve le corps et la parole d'encouragement qui relève l'âme abattue. Si, comme l'écrivait Anspach lui-même dans son rapport où il n'avait oublié que lui-même, la population de Bruxelles a traversé cette rude épreuve sans défaillance, l'héroïque exemple du chef de la commune contribua pour une large part à ce résultat honorable…
« Il était véritablement bourgmestre dans l'âme et bourgmestre belge.
« Personne ne se montra jamais plus jaloux, jaloux jusqu'à l'extrême, des franchises et des prérogatives de la commune. Le moindre empiètement sur le domaine de l'autonomie communale le trouvait debout et en garde, à l'hôtel de ville comme au Parlement.
(page 309) « On sait avec quelle fermeté notre excellent bourgmestre revendiquait aux jours d'agitation populaire le droit d'assurer seul le maintien de l'ordre dans la capitale et comment il s'acquittait de ce difficile devoir, grâce à la sagesse, au calme de son esprit, grâce aussi la confiance qu'il inspirait et à sa légitime popularité
« La cité entière est là pour saluer d'un solennel adieu celui qui l'a si utilement servie, animé d'un dévouement si passionné, l'homme qui lui a donné sa vie. »
Le conseil communal décida qu'une concession gratuite de terrain au cimetière d'Evere serait accordée à la famille Anspach et qu'un mausolée serait érigé aux frais de la ville. Il arrêta, en outre, qu'une souscription serait ouverte pour l'érection d'un monument destiné à perpétuer la mémoire de Jules Anspach.
La succession de Jules Anspach, en qualité de bourgmestre de Bruxelles, échut M. F. Vanderstraeten, qui fut appelé à ces fonctions par arrêté royal du 18 juillet 1876.
(La suite de l’article, consacré au maïorat du successeur de Jules Anspach, n’est pas reprise dans la présente version numérisée.)