Allard Ernest, Joseph, Gustave catholique
né en 1840 à Bruxelles décédé en 1878 à Bruxelles
Représentant entre 1876 et 1878, élu par l'arrondissement de Bruxelles(Extrait de L’Indépendance belge, du 8 août 1878)
Nous venons de recevoir une bien triste nouvelle. M. Ernest Allard, avocat, échevin de l'instruction publique, l'un des députés à la Chambre des représentants de l'arrondissement de Bruxelles a succombé ce matin, à 9 heures, aux atteintes du mal qui l'avait frappé lundi.
Cette mort trompe les vœux et les espérances de tous ceux qui connaissaient M. Allard. C'est une grande perte que fait la capitale, et nous pouvons ajouter le pays, car on attendait beaucoup de celui qui se trouve enlevé si tôt à de brillantes destinées que justifiaient les plus remarquables aptitudes.
M. Ernest Allard, qui s'était fait un nom et une autorité dans le barreau bruxellois, s'était spécialement dévoué en ces derniers temps aux progrès de l'enseignement public. Il n'en voulait pas seulement le plus large développement, il y apportait l'intelligence des justes réformes que doivent subir les vieilles méthodes d'enseignement et le zèle et la fermeté qui permettent de réaliser de profondes améliorations. Tous les discours et les écrits qu'on lui doit au conseil communal et à la Chambre sur cette question, qui est, on peut le dire, une question de vie ou de mort pour la société moderne, témoignent de vues fécondes, et d'une clairvoyance et d'une décision d'esprit qui auraient eu les plus heureux effets sur la culture de nos jeunes générations.
M. Ernest Allard meurt quand il venait de s'appliquer définitivement à la tâche qui lui tenait le plus au cœur. Mais l’impulsion qu’il a donnée reste acquise, la trace qu'il laisse dans la direction de nos écoles ne sera pas effacée. El il n'y a qu'à le suivre dans son œuvre interrompue.
M. Ernest Allard était un des membres les plus jeunes de notre Parlement. Mais il y avait tout de suite marqué sa place parmi les orateurs les plus écoutés. La franchise de ses convictions libérales, la netteté de sa parole lui assuraient toutes les sympathies de la gauche. Mais son affabilité personnelle, la distinction de son caractère et de son talent n'étaient pas moins reconnues par ses adversaires que par ses amis. M. Ernest Allard était atteint d'une de ces maladies cruelles dont on ne peut espérer que des ajournements, mais dont le terme fatal ne peut longtemps s’éviter. Il ne semblait pas craindre le coup qui l'emporte, tellement il apportait d'énergie dans son travail, tellement était peu ménager de ses forces, de son temps, de son dévouement pour la chose publique.
C’est en se rendant à la Chambre, pour lire son rapport sur le ministère de l'instruction publique, qu’il est tombé, frappé du mal qui devait l'enlever en si peu de jours. On peut dire que M. Ernest Allard est mort au champ d’honneur. Et ce champ d’honneur de l’enseignement public, du développement de tout ce qui fait la dignité et le bien-être de la nation, vaut mieux que le champ d’honneur des batailles et des ruines.
L’homme politique qui disparaît va exciter bien des regrets. L’homme privé laisse après lui des douleurs auxquelles on ne peut toucher. Son souvenir du moins restera parmi la population de Bruxelles, à laquelle sa trop courte existence a été si utile, parmi ses amis qui ont pu apprécier ce cœur et cet esprit si distingué. Cette vie rapide de M. Ernest Allard a été, dans ses jours interrompus, la vie d’un homme rare, d’un citoyen excellent, d’un caractère sympathique et élevé.
Les funérailles civiles auront lieu vendredi à deux heures.
(Extrait de L’Echo du Parlement, du 8 août 1878)
Mort de M. Ernest Allard
C'est avec la plus vive affliction que la population bruxelloise a appris la mort de M. Ernest Allard. Ce sentiment sera partagé par tous ceux - et ils sont nombreux - qui ont pu apprécier les qualités de cœur et d'esprit qui le distinguaient.
Nous avons annoncé l'indisposition subite qui avait saisi M. Allard au moment où il se rendait à la Chambre pour soumettre à la section centrale son rapport sur la création du ministère de l'instruction publique. Bien que les médecins eussent reconnu une hémorragie pulmonaire, ils avaient conçu l'espoir d'une guérison et, hier encore, les nouvelles paraissaient favorables. Mais, dans la nuit, le mal a repris une nouvelle intensité et ce matin M. Ernest Allard n'était plus.
Il était âgé de 40 ans à peine. Quoiqu'il fût atteint, depuis longtemps, d'une affection pulmonaire, il n'en faisait pas moins preuve d'une énergie extrême, et se livrait, avec une facilité surprenante, à des travaux longs et difficiles. Il traitait, avec la conscience qu'il apportait à toute chose et une science juridique profonde, comme avait été celle de son père , les affaires importantes que l'on s'empressait d'apporter à son cabinet. Il trouvait ensuite le temps de rendre les plus éminents services à la chose publique.
Membre de la commission des hospices de Bruxelles, il a fait dans celte administration des innovations fécondes et dont on commence à apprécier les résultats.
Elu conseiller communal il y a sept ans, il a pris part à toutes les discussions avec une supériorité que l'on se plaisait à reconnaître. La place d'échevin de l'instruction publique lui était destinée et nul ne pouvait mieux la remplir. Ces fonctions absorbantes étaient cependant au dessus de ses forces et il ne consentit à les exercer qu'à titre provisoire.
Cependant il n'en apporta pas moins dans une tâche qu'il laisse malheureusement inachevée, l'esprit initiateur et les vues éclairées dont il avait fait preuve dans les questions de bienfaisance. La création des comités scolaires, la réorganisation de l'enseignement primaire à Bruxelles, le commencement de la réorganisation de l'enseignement normal et bien d'autres mesures lui font grand honneur et rendent sa succession redoutable, même pour un homme doué de grandes capacités.
A la Chambre, ses discours, fort écoutés, étaient empreints d'une grande élévation d'esprit et des convictions libérales les plus profondes.
L’énergie, le sentiment du devoir, donnaient à M. Allard la force d'accomplir tous ces travaux. Il est littéralement mort sur la brèche. Il se rendait à la Chambre lorsque le mal l'a saisi. De son lit de douleur, il a encore trouvé la force d'écrire, pour la séance d’avant-hier du conseil communal un rapport sur l'organisation d'un cours normal d'institutrices et de faire adopter par le conseil une utile mesure.
Cette héroïque persistance dans le dévouement, le talent, la science de M. Allard, rendent sa perte irréparable pour la ville et l’arrondissement de Bruxelles, et ses amis regretteront toujours l’homme sympathique, bienveillant et dévoué.
(Extrait de L’Echo du Parlement, du 10 août 1878)
Funérailles de M. Ernest Allard
Aujourd'hui, à 2 heures, ont eu lieu les funérailles civiles de M. Ernest Allard, avocat à la cour d'appel, membre du conseil de discipline de l'ordre, membre de la Chambre des représentants, conseiller communal, faisant fonctions d'échevin de l'instruction publique, vénérable de la Loge les Vrais Amis de l'Union et le Progrès réunis, membre du conseil d'administration de l’Université libre de Bruxelles, etc., etc., etc.
L'affluence est tellement considérable qu'il semble, comme l'avait prédit M. Guillery avant-hier à la Chambre, « que la ville de Bruxelles tout entière ait voulu suivre le convoi de son conseiller communal, de son échevin et de son représentant. »
Un grand nombre de notabilités de la province témoignaient, par leur présence aux obsèques de M. Allard, combien cette perte si rapide et prématurée, est profondément ressentie dans tout le pays.
Dès une heure, quatre détachements de 50 hommes dont trois des carabiniers et un des grenadiers se forment en ligne devant la maison mortuaire, rue du Béguinage, et dans la rue de Laeken.
Un escadron des guides et la musique de ce régiment font aussi partie des troupes chargées de rendre les honneurs funèbres.. M. le colonel L'Olivier, des guides, a le commandement de ces détachements.
Vers 1 1/2 heure arrive le conseil communal avec un détachement et la musique des pompiers.
Le cercueil est déposé dans le corridor transformé en chapelle ardente. Un grand nombre de magnifiques couronnes sont déposées sur le cercueil et tapissent les parois de la chambre ardente.
Parmi les nombreuses couronnes offertes, nous signalerons celles de la gauche parlementaire, remise par M. Olin, du corps enseignant, de la compagnie de la garde civique, dont le défunt était capitaine, celle de la loge de l'Union, en forme de triangle, celles du Septentrion de Gand, des Académiciens debout, etc.
Nous remarquons à la maison mortuaire, MM. les ministres Bara, Graux, Vanhumbeeck, Sainctelette, M. le général Renard, en tenue, avec ses deux aides de camp, une députation du conseil de discipline de l'ordre des avocats conduite par M. Janson, une députation d'officiers de la garde civique, M. Stoefs en tête, un grand nombre de membres de la Chambre et de sénateurs, MM. Guillery, A. Jamar, de Thuin, Nothomb, de Borchgrave, Bockstael, de Vrints, de Montblanc, Biebuyck, Ortmans, de Kerchove de Denterghem, Dansaert, Olin, Van Schoor, Jottrand, de Zérézo de Tejada, Couvreur, de Vadder, Vander Donckt, Le Hardy de Beaulieu, d'Andrimont, etc., etc., tout le corps enseignant des écoles de filles et de garçons.
Plusieurs discours ont été prononcés à la maison mortuaire.
M. Guillery, en sa qualité de premier vice-président de la Chambre et de membre de la députation bruxelloise a prononcé en ces termes l'éloge du défunt :
« Messieurs,
« Il est des hommes dont la jeunesse semble entourée de toutes les promesses et de toutes les espérances : la fortune, le talent, le caractère et cet heureux don de plaire, le plus précieux de tous les dons.
« Le public les suit dans leur carrière ; les voit grandir et se développer, va au-devant d'eux, applaudit à leurs succès qui semblent être l’œuvre du pays lui-même.
« Ernest Allard, fils d'un avocat distingué qui avait brillé au premier rang du barreau de Bruxelles fut, dès sa jeunesse, entouré de cette bienveillante affection que l'intelligence, l'amour du travail, une loyauté à toute épreuve, une amitié sûre, une modestie, digne compagne du talent, attirent par une force irrésistible.
« Pour lui, la lutte n'était que la conséquence d'une conviction profonde que rien ne pouvait ébranler et dont la manifestation cependant conservait toujours les formes de la plus grande modération : âme d'acier dans un cœur d'or.
« Il n'y avait jusqu’à ses souffrances, supportées toujours avec la sérénité du véritable courage, qui n ajoutassent au charme dont tous ses amis ont subi la douce influence.
« La vie parlementaire d'Ernest Allard a été bien courte mais bien remplie : politique générale, questions militaires, questions d'enseignement public, amélioration du sort des classes souffrantes, tout lui était accessible, et il apportait dans le développement de ces questions la hauteur de vues, la générosité qui formaient le fond de son caractère.
« Il portait haut le patriotisme. La défense du territoire, question au dessus des partis, lui inspira les plus nobles accents.
« Pour lui le libéralisme n'était que le moyen de rendre les hommes heureux, de secourir toutes les misères dans l'ordre moral comme dans l'ordre matériel, d'assurer à chacun la plus grande somme de liberté et de sécurité c'était, en un mot, la tolérance et la charité.
« Il apportait dans ses travaux une ardeur singulière. L'instruction publique était pour lui le grand instrument de la civilisation; elle le passionnait et formait l'objet de ses travaux de jour et de nuit ; ce vaillant soldat dont la santé était dès longtemps menaçante ne songeait pas au repos. C'est en se rendant au sein de section centrale pour lire son rapport sur le budget de I instruction publique qu'il a succombé; jusqu'au dernier moment sur la brèche, son drapeau à la main, et ne cédant que devant la mort.
« Grand par le cœur, haut par l'intelligence, noble par la vertu, voilà l'homme.
« La mort le prend en pleine jeunesse, en pleine popularité, en plein bonheur, et l'enlève aux plus douces affections. »
M. Anspach, bourgmestre de Bruxelles, a pris ensuite la parole au nom du conseil communal de la capitale :
« Messieurs,
« Au milieu des émotions douloureuses que fait naître le cruel événement qui nous rassemble aujourd'hui, le conseil communal vient, par ma voix, faire entendre ses regrets et ceux de la population.
« Ces regrets sont unanimes ; le collègue que nous avons perdu avait acquis, Jeune encore, une popularité que justifiaient son talent, son ardent désir de faire le bien et son infatigable activité.
« Aussi toutes les portes s'ouvraient devant lui ; on réclamait de toutes parts les services qu'il était heureux de rendre ; au barreau comme dans les loges, à l’administration de la ville comme au Parlement, partout il remplissait dignement les devoirs multiples des fonctions qu’il devait à la confiance et aux sentiments sympathiques qu'il inspirait.
« A un âge encore voisin de la jeunesse il avait conquis une légitime influence dans le parti auquel il appartenait et pour lequel il était une force et un honneur.
« Tout présageait pour lui une féconde et glorieuse lorsque tout à coup la mort vient anéantir tant d'espérances.
« Sans doute, la mort est le sort commun, elle nous attend tous à des moments divers, mais elle revêt une forme particulièrement douloureuse et poignante quand, en dehors des lois ordinaires qui régissent la vie, elle atteint, dans tout l'éclat du talent, dans toute la force de l'âge, un homme doué de ces rares et précieuses qualités qui le désignent pour être l'un des guides les plus aimés et les plus écoutés de ses semblables.
« Essayerons-nous de dire les qualités de cœur de l'ami que nous pleurons, combien le charme de son caractère embellissait les forces de son intelligence, ce qu'il était pour les siens ? Mais non... il est des douleurs si vives et si respectables qu'en s'y associant du fond de l'âme, aucune expression ne convient pour les décrire.
« Les dernières heures de cette vie si courte et si remplie furent empreintes d'une tranquille vaillance qui en est l'admirable dénouement. II tombe frappé de ce coup mortel qui le laisse sans voix et sans force ; tandis que la vie l'abandonne il fait signe qu'il veut écrire, et d'un main qui ne font trembler ni la conscience de sa situation ni les affres de l'agonie il trace des lignes hâtives.
« Sa première pensée est d'indiquer les précautions qu'il faut prendre pour ne pas effrayer ceux qui l'aiment. Il s’occupe de ce rapport que la section centrale de la Chambre des représentants doit attendre, il se souvient de la séance du conseil communal où il devait défendre des mesures prises pour cet enseignement public auquel il a consacré d'une manière si remarquable la dernière année de sa vie.
« Soldat courageux du devoir, profondément attaché à des convictions qui sont le fruit d'incessants labeurs, notre collègue meurt sans défaillance; son souvenir restera gravé dans nos cœurs, et les regrets de toute une population l'accompagnent au champ du repos. »
Voici maintenant le discours prononcé, au nom de l'Université libre de Bruxelles, par M. Bergé, recteur de cette université :
« Messieurs,
« J'ai le douloureux devoir de prononcer quelques paroles d'adieu au nom du conseil d'administration de l’Université sur la tombe de mon digne ami Ernest Allard.
« Les termes manquent pour exprimer la douleur profonde, les regrets unanimes causés par cette perte cruelle ; cette mort a jeté la consternation parmi tous ceux qui s'intéressent à la cause du progrès.
« L'Université de Bruxelles vient s'associer au deuil public et joindre sa voix dans le concert unanime d'éloges décernés à la mémoire du grand citoyen que nous pleurons.
« Toujours préoccupé du bien-être de tous, il n'oubliait que sa personne, sacrifiant son repos et sa santé à la réalisation de ses projets de réforme. Il réunissait les plus aimables qualités du cœur et de l'esprit et il les mettait généreusement au service de ses concitoyens.
« Sa vie pleine de dévouement et d'abnégation restera comme un grand exemple de vertus civiques et privées.
« Toutes les œuvres utiles ont trouvé en lui un défenseur ardent, l'enseignement à tous les degrés était l'objet de ses constantes préoccupations et de ses continuels efforts.
« Notre université, qui a eu l'honneur de le compter au nombre de ses élèves, avait en lui un solide appui et un ardent défenseur. Le jour même où il tombait frappé mortellement, il m'avait donné rendez-vous pour assister au conseil d'administration de l'université : « Soyons à l'heure en section centrale, m'écrivait-il, et prions M. l'administrateur-inspecteur de vouloir bien retarder un peu la séance du conseil pour nous permettre d'arriver. » Hélas ! le mal dont il portait les germes devait l'empêcher d'achever la tâche qu'il s'était imposée ce jour fatal.
« La triste nouvelle de la mort d'Ernest Allard a causé la désolation universelle ; c'est qu'il est triste de voir tomber ceux qu'on aime et qu'il est douloureux de voir disparaître un homme de bien, d'intelligence et de talent, dont M. Guillery a pu dire, avec tant de vérité, en pleine Chambre des représentants : « Jamais la fièvre du bien public n'a consumé un plus noble cœur. »
« Après avoir été si utile pendant sa vie, Ernest Allard a encore eu la gloire de donner un noble exemple pendant sa mort. Convaincu que l'homme ne peut avoir d'autre guide que la conscience et d'autre but que l'accomplissement du devoir, il a repoussé toute intervention du prêtre dont le rôle dans l'ordre moral ne peut se justifier en aucune manière. Ses pensées intimes ont été rédigées par lui avec le calme que donne à l'honnête homme la satisfaction d'avoir fait le bien. « Je n'ai jamais éprouvé le besoin, écrivait-il, d'aborder le problème insoluble de l'origine et de la fin de l'homme. Le fait de mon existence dans l'humanité m'a paru une raison suffisante pour me commander l'accomplissement de mes devoirs envers mes semblables et envers moi-même. La mort n'a donc rien qui m'effraie, c'est le sort commun de tous les êtres organisés. »
« Ainsi pensait notre excellent collègue et ami, lorsque dans la plénitude de sa raison il traçait ses dernières volontés, et répudiait la présence du prêtre à ses funérailles voulant suivant ses expressions assurer à son corps le respect dû aux convictions de sa vie.
« Ses désirs ont été religieusement respectés et nous tous qui l'aimons nous venons avec douleur rendre un dernier et solennel hommage à la mémoire de l'excellent du bon citoyen, du profond penseur, du vaillant homme politique, de l’ami dévoué, qui est mort à la tâche, victime de son ardent amour pour le progrès et le bien-être de ses concitoyens.
« Puissent ces témoignages de regrets, de respect et de désolation profonde apporter quelque consolation à sa famille, qu'il aimait si tendrement : puissent-ils aussi servir d'encouragement pour tous les hommes de conviction et d'honneur qui suivent le chemin du devoir. »
Des discours ont été prononcés ensuite par MM. Jottrand, président de l'Association libérale de Bruxelles, Paul Janson au nom du barreau bruxellois, Discailles au nom des écoles normales, van Gils au nom des instituteurs et Buls au nom de la Ligue de l'enseignement.
Un peu après deux heures, une salve salue la sortie du corps qui est porté par les huissiers de la Chambre; les coins du poêle sont tenus par MM. Anspach, Bergé, Guillery et Vanhumbeeck.
Le cortège se met en marche par la rue de Laeken et la chaussée d'Anvers, dans l'ordre suivant : l'armée, les pompiers, le corps, la famille, le Sénat, la Chambre des représentants, le conseil communal et le collège échevinal en tenue. Les députations des loges de la capitale et des provinces, et une députation des officiers de la garde civique, ayant à sa tête M. Stoefs, en tenue de colonel. Les institutrices en toilette de deuil. Un corps de musique de la garde civique et la compagnie que commandait M. Allard. La Société des étudiants avec son drapeau en deuil . Des députations des diverses sociétés du Denier des écoles et d'autres sociétés libérales de Bruxelles, avec leurs insignes entourés de crêpe. Le char funèbre de la ville et un grand nombre de voitures.
Tout le long de la rue de Laeken et de la chaussée d'Anvers le cortège passe entre deux haies formées d'une foule immense qui témoigne, par son attitude recueillie, de la part qu’elle prend à la perte que vient de faire la capitale et le pays.
A l'ancienne porte d'Anvers, une dernière salve salue le corps et l’escorte militaire, y compris les pompiers, quitte le cortège.
La compagnie de garde civique a voulu accompagner son capitaine jusqu'au cimetière.
Le corps est ensuite placé dans le char funèbre et le convoi, précédé d'une escouade d'agents de police, prend une allure rapide que beaucoup ont peine à suivre.
Au cimetière plusieurs discours ont encore été prononcés entre autres par M. Hanssens, vénérable de la loge Parfaite Union et Progrès, et par M. Van Driessche, professeur.
La cérémonie était terminée à 4 heures.
(GOBLET D’ALVIELLA, Ernest Allard , dans Revue de Belgique, Bruxelles, 1878)
(page 35) Le 9 août dernier, Bruxelles assistait à une de ces manifestations populaires qui font époque dans les souvenirs d’une génération. Non plus qu'il fût question cette fois de protester par une démonstration publique contre les abus d’un gouvernement impopulaire ou de célébrer pur un cortège solennel une récente journée des victoires électorales. Mais un grand citoyen était mort, et autour de son cercueil se pressaient, pour lui rendre un dernier hommage, tous ceux qui de près ou de loin l'avaient approché durant sa vie, tous ceux qui avaient été ses compagnons ou ses admirateurs dans sa lutte incessante pour la vérité et le progrès, tous ceux enfin dont il avait mérité la gratitude par désintéressement de ses services ou conquis l'estime par la loyauté de ses attaques.
Cette foule immense, silencieuse et recueillie, ces députations, ces bannières, ces couronnes, défilant, dans nos rues trop étroites, derrière le char funèbre qui emportait tant de sympathies et d'espérances, formaient une de ces scènes qui frappent l'imagination, gonflent le cœur, font comprendre l’irréparabilité de la perte avec la majesté de la mort et laissent bien derrière elles, dans leur éloquente spontanéité, toutes les pompes mortuaires du paganisme ancien ou moderne.
Depuis la mort de Pierre Verhaegen, la capitale n'avait plus vu de funérailles aussi simples et aussi imposantes à la fois. Encore Verhaegen avait-il disparu au terme naturel d'une carrière amplement fournie, tandis qu'ici il s'agissait d'un homme politique enlevé la fleur de l'âge, après sept (page 36) années seulement de vie publique, dans tout l'éclat de son talent et de sa popularité.
A notre époque de scepticisme, alors que, par une corrélation naturelle, l'absence de conviction et de dévouement chez les uns explique trop souvent l'esprit de dénigrement et d'envie chez les autres, pour qu'un homme « arrivé » emporte dans sa tombe des regrets aussi vrais, aussi profonds et aussi universels, il doit certes avoir montré un de ces caractères exceptionnellement trempés, dont la sincérité impose le respect et dont le dévouement commande l'admiration. Tel était, en effet, Ernest Allard, dont nous voudrions résumer ici la vie prématurément tranchée, quelle que soit notre impuissance à rendre en quelques pages les côtés multiples et vivants de cette physionomie sympathique.
* * *
Ernest Allard était né le 2 avril 1840. Son père, jurisconsulte estimé, avocat des départements des finances et des travaux publics, destina ses deux fils à la carrière où il avait lui-même conquis une position des plus honorables. Ernest fit ses études avec son frère aîné à l'athénée de Bruxelles et à l'Université libre. Mais rien en lui n'annonçait alors ce qu'il devait être un jour. Il n'a, du reste, jamais passé pour une personnalité brillante, dans le sens vulgaire du mot, et les qualités qui l'ont élevé au premier rang ne sont pas de celles qui se jugent au concours.
C'est vers l'âge de dix-huit ans qu'à la suite d'un typhus assez bénin, il contracta les germes du mal qui devait l'emporter vingt ans plus tard. Mais il n'en continua pas moins ses études de droit, et, après avoir terminé ses examens, il entra au barreau de Bruxelles comme stagiaire de son père. Bientôt même il se maria dans toutes les conditions souhaitables de bonheur domestique, et deux charmants enfants vinrent encore embellir cet intérieur paisible, où Allard n'avait peut être qu'à se laisser vivre pour atteindre, comme tant d'autres, malgré une santé délicate, les limites d’un âge avancé.
(page 37) Toutefois, Allard se sentait possédé par la noble ambition de laisser dans l'existence de ses concitoyens quelques traces de son passage. Il croyait, en effet, que la vie n'a pas seulement été donnée à l'homme pour vivre, mais encore pour penser et pour agir. Son goût pour les grandes questions d'intérêt général devait d'ailleurs l'engager peu à peu dans l'absorbant engrenage de la politique militante. Initié de bonne heure à la loge bruxelloise de l'Union et Progrès, c'est là, comme M. Van Driessche l'a dit sur sa tombe entr'ouverte, qu'il fit ses premières armes, mûrit ses convictions et acheva, en quelque sorte, son noviciat politique. Nul mieux que lui ne comprenait l'importance du rôle que la franc-maçonnerie est appelée à jouer parmi nous, si seulement elle reste fidèle à l'esprit de son institution, en se maintenant au-dessus des questions de personnes. Sans cesse il parlait de la reconnaissance qu'il lui devait pour l'heureuse influence qu'elle avait exercée sur ses débuts, et jusqu'à sa mort, quelle que fût la multiplicité de ses occupations, il ne cessa pas un moment de prendre une part active aux travaux de sa loge.
De ses premières études maçonniques sortit un ouvrage de premier ordre qui le fit connaître à la fois comme jurisconsulte, comme publiciste et comme politique - l'État et l'Église, leur passé et leur avenir en Belgique - véritable monument de doctrine libérale. Après avoir rappelé la situation de l'Église sous les diverses législations qui ont régi notre pays, il y fait l'énumération complète des privilèges abusivement conservés au clergé par un régime hybride qui lui accorde tous les avantages de l'indépendance sans lui en laisser les charges, et, plaçant le remède à côté du mal, il expose les moyens pratiques d'arriver à la séparation absolue de l'Église et l'État. « Ne nous efforçons point par de fatales transactions, écrivait-il en ces termes prophétiques où éclate la pensée directrice de sa vie, à conquérir un pouvoir qui ne pourrait dès lors nous servir. Acceptons plutôt la lutte, et, drapeau déployé, appelons à nous tous ceux qui veulent ce que nos constituants avaient espéré que le peuple belge marcherait à la tête de la civilisation. Ainsi, du (page 38) moins, si nous ne devons point voir le triomphe, nous aurons l'honneur de l'avoir préparé, et nos enfants recueilleront les fruits d'une victoire qui, cette fois, sera définitive et sans lendemain. »
Nous n'avons pas à refaire ici une analyse de cette œuvre qui fut une véritable révélation, non qu'elle eût la prétention d'offrir des solutions nouvelles, mais parce que, pour la première fois peut-être, elle condensait dans une vigoureuse synthèse toutes les réformes partiellement ou séparément réclamées jusque-là par les adversaires du cléricalisme. Aujourd'hui encore, nous ne voyons pas où notre parti pourrait trouver les éléments pratiques d'un programme plus complet, et c'est là que nous-même, à la suite de bien d'autres, nous avons puisé la plupart de nos inspirations, lorsqu'il y a cinq mois, nous avons énuméré, dans cette Revue, les mesures à prendre pour garantir, dans toutes les branches de notre activité législative, l'indépendance réelle du pouvoir civil. Il y a des libéraux qui reculent devant les conséquences de leurs propres principes, comme ces alchimistes du moyen âge qui s'enfuyaient éperdus à la vue du diable par eux-mêmes évoqué. Mais il n'en est pas moins vrai que toutes les réformes préconisées par Ernest Allard, au début de sa carrière politique, restent dans l'esprit du temps et dans la logique des faits, qu'elles sont le développement nécessaire et inévitable des principes posés par le Congrès libéral de 1846 et qu'elles s'imposent de plus en plus à quiconque admet en théorie l'indépendance de l'État vis-à-vis des Églises.
Un pareil travail, en faisant ressortir l'importance de la question cléricale, devait naturellement favoriser l'union du libéralisme belge. Aussi mit-il immédiatement en lumière la personnalité d'Ernest Allard, que l'Association libérale de Bruxelles ne tarda pas à porter sur sa liste de candidats aux élections communales de juin 1871. A peine installé, le nouveau conseiller prit une part active et féconde aux séances des sections, passant tour à tour des travaux publics aux finances, au contentieux, enfin à l'instruction, ce qui lui permit de s'initier successivement à toutes les branches de l'administration. Les esprits spécialement enclins à voir les choses de haut s'usent facilement dans les questions d'application et de détail qui forment l'ordinaire de la vie communale. Allard échappa à cet écueil, grâce au talent de l'administrateur qui complétait en lui le théoricien. On peut dire, du reste, qu'à ses yeux il n'y avait pas de petites choses, et que chaque occasion lui était bonne pour démêler le côté sérieux et important des objets en apparence les plus secondaires. Il trouvait le moyen de faire sans cesse une politique de principes, et, tout en s'occupant, avec un zèle que rien ne rebutait, des moindres intérêts qui s'agitaient au sein du conseil, il cherchait surtout à profiter de son mandat pour servir les idées larges et généreuses qui formaient le fonds de son esprit.
Il nous est impossible de passer en revue ses rapports, ses interpellations, ses travaux de toute nature pendant les sept années qu'il siégea au conseil communal de Bruxelles. Nous rappellerons seulement que, dès 1872, invoquant le respect absolu de la liberté de conscience, il demanda à la ville d'organiser un service public d'inhumation pour les citoyens qui mourraient en dehors de tout culte. Cette même année, il fit voter, pour les traitements des instituteurs, une échelle progressive qui en élevait la moyenne au-dessus du taux correspondant, non seulement dans le reste de la Belgique, mais encore en Hollande, en France et en Allemagne. II obtint également qu'on introduisît dans les écoles de la ville l'enseignement de la gymnastique. A la fin de 1873, ce fut lui qui proposa la création de comités scolaires, placés près de chaque école communale et recrutés parmi les notables du quartier, avec mission de suivre et d'inspecter les classes, d'agir sur les parents pauvres pour faire envoyer leurs enfants à l'école, enfin de proposer au conseil communal toute mesure propre à améliorer la (page 41) situation de l'instruction primaire ou du corps enseignant. On connaît les heureux résultats de cette institution qui nous a déjà été empruntée par plusieurs villes importantes du pays.
En 1874, nous voyons Allard provoquer à deux reprises des explications sur la conduite de l'administration de la sûreté publique qui lui semblait compromettre l'antique renom de l'hospitalité belge et, en 1876, démontrer la nécessité d'inventorier tous les immeubles possédés par nos fabriques d'église, afin de faciliter la vérification des chiffres portés dans leurs budgets et leurs comptes.
Allard représentait l'opposition vis-à-vis du collège - non pas cette opposition tracassière et ridicule qui fit un instant son apparition au conseil communal, de 1869 à 1872 - mais cette opposition loyale, mesurée, intelligente, peut-être trop rare aujourd'hui, que M. Anspach lui-même semblait souhaiter en 1872, lorsqu'il recommandait aux nouveaux élus « une discussion indépendante, complète, approfondie de toute chose, à laquelle rien n'est plus contraire qu'une opposition systématique et passionnée. » C'est ainsi qu'Allard combattit la transformation du quartier Notre-Dame-aux-Neiges, parce qu'elle devait rejeter vers les extrémités de l'agglomération un nouveau flot de population ouvrière. Tout au moins réclamait-il qu'on réservât, dans le quartier même, un certain nombre de maisons à bon marché, et il réussit à faire accepter cette transaction par les défenseurs du projet.
Visiteur des pauvres et président d'un comité de charité, Ernest Allard avait l'expérience nécessaire pour traiter avec autorité la question de la bienfaisance lorsqu'elle se présenta devant le conseil, en novembre 1876, à la suite d'un déficit assez considérable dans le budget des hospices. Nous n'avons pas à entrer dans l'historique du conflit qui s'éleva à cette époque entre le collège de la ville et le conseil général des hospices. Allard soutint vivement la thèse que ce déficit devait être comblé par une réduction graduelle des secours permanents distribués à domicile, et il s'éleva même vigoureusement contre la permanence des secours, qu'il (page 41) accusa de favoriser l'extension du paupérisme, en créant de véritables pensionnaires à charge des comités de charité. Les misères permanentes, disait-il, la maladie, la vieillesse, ont seules droit à des secours permanents. Les hommes valides, dont la misère est due à des causes passagères, n'ont droit qu'à des secours passagers ; d'ailleurs, le meilleur moyen de guérir le paupérisme, c'est de le prévenir par la création d'établissements hygiéniques, qui coupent le mal dans sa racine. Le conseil général admit la justesse de ses critiques et, dans son discours au roi le 1er janvier 1878, développa, par l'organe de son président, le programme des institutions qu'il aurait voulu établir dans cet ordre d'idées : maternité, hôpital pour les enfants, hôpital-hospice sur le bord de la mer pour les enfants rachitiques, lavoirs et bains gratuits, etc. Seulement, il n'aurait voulu créer ces établissements qu'avec l'excédant éventuel de ses recettes, et, en attendant, il ne voulait pas même réduire le chiffre de ses secours permanents pour combler un déficit qu'il préférait faire supporter en dernière ligne par la caisse de la ville. De là une correspondance assez aigre qui amena le conseil communal à discuter dans ses séances des 23 et 27 juillet 1877, le fondement même des droits et des attributions conférées par la loi aux conseils des hospices.
Se ralliant aux idées de M. Anspach, qui préconisait l'aliénation progressive des immeubles possédés par les hospices, pourvu qu'ils ne fussent pas indispensables au service des hôpitaux, Allard fit voter par le conseil, après un discours nourri de faits et d'arguments, un ordre du jour qui résumait ses idées en matière de bienfaisance publique : « Arracher l'enfance au rachitisme, disait-il dans ses conclusions, procurer au travailleur les institutions d’hygiène qui lui manquent, assurer à nos (page 42) malades tous les secours que leur état exige, enfin ouvrir à la vieillesse des asiles qui la mettent à l'abri du besoin, tel doit être désormais le programme de notre administration charitable. Ce n'est pas trop augurer des hommes dévoués qui la composent que d'avoir la conviction, qu'appuyés par le conseil communal, ils y consacreront toute leur activité comme tous les capitaux des pauvres. »
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La popularité d'Allard n'avait fait que croître depuis son entrée au conseil. L'opinion publique a beau être sujette à d'étranges engouements et à des antipathies plus étranges encore, elle a, en général, une sorte de flair pour les hommes de mérite solide et de convictions fortes. Ernest Allard, qui n'était ni un orateur, ni un écrivain de premier ordre, avait le don de conquérir les sympathies, même à distance, par sa réputation d'activité et d'indépendance. A sa première réélection, en 1872, il figure le quatrième sur la liste avec 3,873 voix ; aux élections de 1875, il passe en tête. Sa place était si bien marquée au Parlement, qu'après la mort du docteur Vleminckx, toutes les compétitions s'effacèrent devant sa candidature, et il fut élu à Bruxelles, le 25 avril 1876, sans avoir rencontré de concurrent même au sein de l'Association libérale - fait inouï dans la carrière des quatorze membres qui siègent actuellement à la Chambre des représentants pour l'arrondissement de Bruxelles.
Allard n'est pas intervenu fréquemment dans les débats de la Chambre. Mais chaque fois qu'il y a pris la parole, il fit une impression profonde par la netteté de son débit, la clarté de ses déductions et l'originalité de ses vues ; sans éclats de voix, sans périodes sonores, il avait le talent d'aller droit au but et d'y amener ses interlocuteurs avec lui. Son genre était la simplicité, mais une simplicité pleine d'aisance et de correction. On l'entendit notamment en 1876 dans la discussion de la loi sur le secret du vote, où il insista fortement pour faire imposer à l'électeur l'obligation d'écrire (page43) lui-même son bulletin dans l'isoloir : « Le législateur qui veut assurer l'indépendance sérieuse et réelle de l'électeur, disait-il, ne doit pas et ne peut pas s'occuper de l'ignorant. La loi, d'après moi, doit exiger un suffrage intelligent ; tant pis pour celui qui ne se met pas en mesure de pouvoir exprimer pareil suffrage. Ce n'est pas la loi qui le prive de son droit électoral, c'est lui-même qui s'en prive volontairement. »
Allard avait manifesté l'intention de se consacrer, dans sa carrière parlementaire, à deux spécialités, les questions d'enseignement public, où sa compétence était hors de discussion, et les questions de réorganisation militaire qu'il rattachait par certains côtés à la réforme de l'instruction populaire. Le 19 janvier 1877, dans la discussion du budget de l'intérieur, il dénonça vivement, chiffres en main, l'indifférence du gouvernement pour les besoins de l'instruction publique, l'insuffisance des crédits affectés à la construction des écoles, ainsi qu'au payement des instituteurs, les lacunes de l'inspection, surtout dans les écoles de filles, enfin les abus commis par les ministres du culte catholique, qui , sous prétexte d'enseignement moral et religieux, posaient aux enfants les questions les plus ridicules, sinon les plus odieuses : « J'ai sous les yeux, disait-il, des questions posées par les ministres du culte catholique au concours de nos écoles primaires et de nos écoles d'adultes, et j'ai été surpris de constater que c'étaient des questions absolument étrangères l'enseignement de la religion et de la morale. » M. Delcour se borna à lui répondre que la loi de 1842 était une loi « excellente », qu'elle était « la base de son programme ministériel » et que son but « serait toujours d'en assurer la loyale exécution. »
Au mois de juin suivant, la Chambre eut discuter un crédit de 2,982,000 francs pour diverses dépenses relatives au matériel de l'armée. Tout en protestant contre le procédé des crédits spéciaux qui font voter par acomptes les dépenses dont le total pourrait effaroucher l'opinion, Allard s'exprima dans ce débat avec la voix du plus pur patriotisme. Sa seule crainte était que notre système d'armement ne fût insuffisant pour garantir notre sécurité nationale. Il était prêt à ne reculer devant aucune dépense véritablement nécessaire pour compléter l'outillage de notre armée et le système de nos fortifications ; mais il se croyait le droit de réclamer qu'on fît connaitre une bonne fois à la Chambre, dans un travail d'ensemble, l'étendue des sacrifices encore à faire. Il s'élevait surtout contre l'idée d'abandonner le pays à l'invasion, en concentrant toutes nos forces dans un vaste camp retranché. « Pour ma part, concluait-il, je ne vois que deux solutions rationnelles : ou bien raser la place d'Anvers au plus tôt et supprimer l'armée en la réduisant à une force de police intérieure, ou bien adopter sans hésitation les mesures que les hommes compétents indiqueront et qui permettront à l'armée de remplir sérieusement la mission qui lui est confiée. »
Il revint sur ces observations dans la session suivante, le 22 mars 1878, dans une discussion de crédits spéciaux pour construction de forts et achat de canons. Les critiques qu'il émit dans ce nouveau débat surprirent la Chambre, à qui elles promettaient un debater de première force dans un ordre d'idées généralement abandonné aux controverses de quelques spécialistes. Allard cependant se bornait, cette fois encore, à poser le problème sans prétendre le résoudre. Mais on nous a affirmé que, depuis cette époque, il s'était livré, sous la direction d'hommes compétents, à des études approfondies sur l'organisation de notre défense nationale, et il est probable que nous l'aurions bientôt vu reparaître à la tribune pour aborder ce grave problème avec une autorité croissante. Il partageait, du reste, depuis longtemps les répugnances de la gauche avancée pour notre système actuel de recrutement qu'il accusait de ne répondre ni aux exigences de la sécurité nationale, ni au respect de l'égalité devant la loi.
L'auteur de l'Église et l'État en Belgique était resté fidèle à cette idée que le parti libéral, tant au pouvoir que dans l'opposition, devait se tenir, pour longtemps encore, sur le terrain d'une politique principalement anticléricale. La loi (page 45) de 1842 était sa bête noire, et s'il fut un de ceux qui saluèrent avec le plus d'enthousiasme la journée libératrice du 11 juin, c'est surtout parce qu'il y voyait l'avénement de son grand principe, la sécularisation de l'enseignement. Il est inutile de faire ressortir combien son concours nous eût été précieux dans la discussion des réformes que fait présager pour la session prochaine la création du ministère de l'instruction publique. Allard exerçait, du reste, une influence toute particulière sur les membres de la gauche qui avaient pu facilement apprécier la droiture de son caractère. En relations d'intimité personnelles avec tous ses collègues de la députation bruxelloise élus sous les auspices de l'Association libérale, il leur servait en quelque sorte de transition et de lien ; nul doute que s'il eût voulu se consacrer spécialement à la vie parlementaire, il ne fût rapidement devenu un des chefs les plus autorisés de la fraction progressiste à la Chambre des représentants.
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Mais où sa perte se fera plus vivement sentir encore, ce sera sans contredit dans l'organisation de l'enseignement public à Bruxelles. L'énergie de son attitude dans le conflit avec les hospices avait dissipé les dernières susceptibilités du collège à son égard, lorsque la mort de Funck, suivie de la maladie de Lemayeur, l'appelèrent, en avril 1877, à remplir les fonctions d'échevin. Il choisit naturellement le département où il y avait le plus de bien à faire, l'instruction publique, et à partir de ce moment, il en fit le principal objet de ses préoccupations.
A Bruxelles, certains départements de l'administration communale, tels que l'instruction et les travaux publics, sont de véritables ministères par la multiplicité et l'importance des objets qu'ils embrassent. Cependant le traitement des échevins reste des plus modestes et le prestige de leurs fonctions est peut-être plus mince encore. Aussi est-ce un trait à l'honneur de nos mœurs publiques que des postes (page 46) aussi ingrats trouvent, parmi les hommes de mérite, des titulaires à la hauteur de leur tâche. Allard ne voulut même jamais accepter le titre de sa fonction, ou plutôt il avait subordonné son acceptation au vote des dépenses supplémentaires qu'il jugeait indispensables pour poursuivre ses projets de réforme et, notamment, pour introduire l'enseignement intuitif dans les écoles primaires. En attendant, il s'était mis à l'œuvre avec une activité fébrile, visitant les écoles, interrogeant les enfants et les instituteurs, comparant sans cesse les résultats de ses notes journalières et faisant même appel à ce qui se passait dans les écoles de l'étranger, afin de contrôler par la pratique les plans de réorganisation qu'il préparait dans son cerveau toujours en travail.
Ses principales réformes se trouvent consignées dans le nouveau règlement des écoles primaires qu'il a fait adopter, cette année même, par le conseil communal de Bruxelles. On y remarque, tout d'abord, la suppression des concours généraux, qui, d'après Allard, font régner, non l'émulation, mais la rivalité entre les élèves et même entre les maîtres, provoquent les instituteurs à développer les moyens de quelques élèves au détriment de la masse ; enfin, favorisent la culture de la mémoire plutôt que celle de l'intelligence. Il croyait préférable de vérifier la valeur moyenne du travail fourni par chaque enfant au moyen de compositions mensuelles qui permettraient de suivre les progrès faits par tous les élèves.
Les récompenses ne sont pas supprimées ; mais elles seront distribuées sous une autre forme. Tout élève qui, au bout de la semaine, aura obtenu un certain nombre de points pour l'application et la conduite, sera inscrit sur un tableau d'honneur, et ceux qui auront mérité la moyenne des points dans toutes les branches aux trois examens de l'année, recevront une médaille scolaire, fournie par l'administration communale. Enfin, des brevets d'instruction primaire seront délivrés à la sortie de l'école pour constater le degré d'instruction où sont parvenus les jeunes gens. Lorsqu'un élève se distinguera d'une façon spéciale, l'administration, sur la (page 47) proposition du directeur, pourra lui décerner une récompense extraordinaire qui varie suivant les circonstances.
Dans le régime des punitions, le travail forcé est proscrit, parce que le travail ne doit jamais être une punition. Pensums et retenues seront remplacés par des mauvais points, des réprimandes adressées par le directeur, la radiation du tableau d'honneur, etc.
Quant aux instituteurs, un examen semestriel, fait par une commission spéciale, permettra d'apprécier les résultats qu'ils auront obtenus dans leurs classes respectives et il sera tenu compte de ces résultats dans l'avancement qui leur sera accordé non plus désormais l'ancienneté, mais principalement au mérite.
Le règlement, outre d'autres innovations de détail, décrète encore dans chaque école, la création d'une bibliothèque à l'usage des instituteurs et des élèves. Allard prévoyait même le jour où l'usage de ces bibliothèques pourrait être étendu des élèves aux parents : « II y aurait ainsi, dit-il, dans les différents quartiers, des bibliothèques où les habitants pourraient se pourvoir des livres nécessaires pour développer leurs connaissances et compléter l'instruction qu'ils auraient reçue. »
Les réformes préparées par Allard sont d'une exécution trop récente encore pour qu'il soit possible de juger l'arbre à ses fruits. Tout ce qu'on en peut dire, c'est qu'elles représentent une tentative hardie pour introduire dans notre enseignement communal les théories les plus nouvelles de la pédagogie moderne, déjà appliquées, du reste, avec un succès croissant, à l'École modèle de Bruxelles. Un esprit d'initiative, comme Allard, pouvait seul s'attaquer aussi résolument à la routine des procédés en usage dans l'enseignement public et il était en même temps l'homme le plus capable de mener une pareille entreprise à bonne fin.
Ce n'est pas tout de décréter des réformes ; il faut encore les faire exécuter. Si Allard était un manieur d'idées, c'était aussi un manieur d'hommes. Il possédait au plus haut degré ce don d'entraînement, particulier aux vrais réformateurs, qui leur assure non seulement l'obéissance, mais encore (page 48) le concours des instruments qu'ils mettent en œuvre. Bien qu'il sût réprimander et même sévir, il était adoré de son personnel qu'il connaissait, du reste, à fond, et avec qui il se trouvait en contact permanent. L’Avenir du 11 août rapporte que, dans une école de filles, les élèves, voyant pleurer leurs institutrices et apprenant la mort de M. l'échevin, demandaient « si ce n'était pas ce grand monsieur si bon qu'ils voyaient s'asseoir dans la classe et prendre des notes » . Aussi, M. Van Gils a-t-il bien exprimé les sentiments des instituteurs bruxellois lorsque, dans la triste cérémonie du 9 août, il a invoqué, comme exemple et comme encouragement, le souvenir de cette figure calme où, malgré l'empreinte de la souffrance, brillait cette énergique volonté qui dompte le mal et soumet le corps à l'esprit. »
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Pâle, voûté, le front dégarni, avec une flamme dans le regard, Allard, dans ces derniers temps, ne semblait se soutenir que par sa surexcitation même. Le feu intérieur, dont il était dévoré, activait sa pensée et en précipitait les créations. Que de fois, se rendant à pas précipités de son cabinet au Palais de justice, du Palais à l'Hôtel de ville, de l'Hôtel de ville à la Chambre ou à quelque comité privé, n'a-t-il pas rassemblé et mûri dans sa course même les éléments du plaidoyer, du discours, de la combinaison nouvelle qu'il allait avoir à émettre ? Sa fécondité était merveilleuse ; il passait avec une extrême aisance d'une question à l'autre et s'assimilait en peu de temps les problèmes les plus ardus. Jamais il ne se reposait, ou plutôt, comme il se plaisait à le dire, le travail était sa récréation. La journée finie, il entassait dans un portefeuille, notes, rapports, documents et dossiers, pour préparer, après le diner, à tête reposée, ses travaux du lendemain. Le dimanche surtout était pour lui un jour de prédilection, parce qu'il pouvait le consacrer à vider l'arriéré de la semaine et à mettre sur pied la besogne des jours suivants.
(page 49) Outre ses fonctions publiques, il était encore investi de nombreux mandats dans l'administration d'associations privées. L'énumération seule en est effrayante : il figurait, à la fois, comme président, dans le comité de charité et le comité scolaire d'une section ; comme membre, dans le conseil général de la Ligue de l’Enseignement, le conseil d'administration de l'Université libre, le conseil de discipline du barreau de Bruxelles, le conseil d'administration du mont-de-piété, les comités de l'École modèle et de l'Association libérale ; de plus, il faisait partie du Grand-Orient et présidait la loge Union et progrès. Rien que cette dernière charge lui imposait un travail régulier de plusieurs heures par semaine.
On découvre là, prise sur le fait, la fatale habitude, si répandue chez nous, de tout concentrer sur les mêmes têtes. En Angleterre, en Amérique, où les fonctions électives et les associations privées sont bien plus multipliées encore, on voit la plupart de ceux qui s'occupent d'intérêts publics se restreindre chacun à une spécialité, à une charge, à une œuvre quelconque dont ils s'occupent exclusivement en dehors de leurs affaires professionnelles ; dans notre pays, au contraire, il semble qu'on doive être de tout, ou n'être de rien. La plupart d'entre nous - force est de le reconnaître - se résignent assez allègrement à jouer le rôle de cinquième roue dans les nombreux comités où on les introduit de gré ou de force, persuadés, d'ailleurs, à juste titre, qu'il suffit d'un homme - secrétaire, économe ou président - pour faire marcher la machine : la question se réduit à trouver partout l'homme. Mais Allard, qui ne refusait jamais une charge nouvelle, pour peu qu'on fît appel à son dévouement, entendait prendre au sérieux les moindres mandats qu'il acceptait, et c'est à ce métier qu'il a achevé d'user son existence. Même la nature la plus robuste n'eût pu résister longtemps à une pareille accumulation de besogne.
En vain son entourage s'efforçait de lui prêcher un peu de modération dans le travail, surtout depuis que des crachements de sang plusieurs fois répétés avaient révélé toute la gravité de son état. « Je sais que je dois mourir jeune, (page 50) répondait-il un jour à l'un de ses intimes ; laissez-moi au moins donner tout ce que je puis donner. » Hélas ! ces paroles, qui nous fournissent peut-être l'explication de son activité fébrile, ne sont pas même une consolation pour ceux qui le pleurent aujourd'hui, car ce qu'il donné dans sa trop courte carrière ne peut que nous faire mieux comprendre et déplorer ce qu'une fin prématurée l'a seule empêché de nous donner encore.
L'énergie de son caractère se maintint jusqu'à la dernière heure. Ramené chez lui presque mourant dans la journée du 5 août dernier, il avait à peine repris connaissance qu'il envoyait une note à M. Anspach pour le prier de soumettre, sans retard, au conseil communal le règlement destiné aux cours normaux d'institutrices et, le lendemain, entre deux crachements de sang, il trouvait encore la force de tenir un crayon pour adresser à M. Lefèvre, son chef de service, trois pages d'instructions sur l'organisation de la revue des Écoles. Dans cette lettre, il se plaint vivement d'être condamné « à quelques jours du repos le plus complet » !
Comme son état s'aggravait, les médecins lui administrèrent de la morphine, afin de le maintenir dans un état de calme absolu. Lorsqu'il sortait de son assoupissement par intermittences, c'était pour s'informer des incidents qui avaient signalé à la Chambre la première journée du débat sur la création du ministère de l'instruction publique ou pour manifester ses regrets d'avoir manqué, la veille, à deux séances où il avait à débattre des questions d'enseignement, l'une au conseil communal, l'autre au conseil d'administration de l'Université libre.
Cependant les accès se multipliaient en s'aggravant, et, le 7 août, à neuf heures du matin, cette belle existence s'éteignait sans agonie. Telle resta, au moment suprême, la sérénité de son visage, que, pendant toute cette journée encore, on eût pu le croire plongé dans un profond sommeil. C'était, hélas! le dernier sommeil du juste.
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(page 51) On peut dire qu'Allard est littéralement tombé sur le champ de bataille, marchant à l'ennemi, son drapeau à la main, avec la suprême consolation de mourir en présence de la victoire consacrée par ses derniers efforts. En effet, c'est en portant précipitamment à la Chambre son rapport sur la création du nouveau ministère qu'il avait été terrassé par le mal en pleine rue, et c'est le jour même de sa mort que, après un court débat, dominé en quelque sorte par l'impression funèbre de cette grande perte, la majorité libérale vota les conclusions de son rapport sur une mesure qui n'est rien, si elle ne doit conduire à la réalisation des principes soutenus par Allard. On ne pouvait faire une meilleure oraison funèbre à celui qui avait pris pour devise : des actes et non des paroles.
D'éloquents hommages lui avaient, du reste, été rendus, dès le début de la séance, par M. Rogier, par M. Jottrand, par M. Guillery surtout, dont la parole, entrecoupée par l'émotion, fit une profonde impression sur la Chambre, lorsqu'il résuma en cette phrase significative la vie et la mort des paroles. D'éloquents hommages lui avaient, du reste, été rendus, dès le début de la séance, d'Ernest Allard : « Jamais la fièvre du bien public n'a consumé un plus noble cœur. »
La droite elle-même s'associa au deuil général par l'organe de M. de Moreau d'Andoye : « Nous, membres de la minorité, dit-il en commençant son discours contre le projet de loi, nous, qui avons connu l'honorable Ernest Allard, qui avons pu apprécier son ardeur pour le travail et sa loyauté, nous sommes heureux de lui rendre un public et légitime hommage. »
Allard avait, en effet, des adversaires politiques ; mais c'est un trait caractéristique de sa vie qu'il ne se connaissait pas d'ennemis. Il est peu d'hommes politiques qui puissent en dire autant. Par un rare mélange de qualités, il offrait le spectacle extraordinaire d'un enthousiaste tolérant, -précisément parce que sa tolérance était le fruit de sa foi (page 52) ardente en la liberté et non de ce scepticisme éclectique si commun chez les libéraux de nos jours.
Son dévouement à ses amis n'était d'ailleurs égalé que par son dévouement à ses principes, et l'on pourrait citer de lui des traits qui dénotent là même élévation de sentiments chez l'homme privé que chez l'homme public. Nous ne parlons pas seulement des services qu'il était toujours prêt à rendre dans l'intimité, mais il avait au plus haut degré le sentiment de la solidarité qui unit les combattants de la même armée, et ni les démarches, ni les sacrifices ne le faisaient reculer, quand il s'agissait de suppléer à la reconnaissance de son parti envers des coreligionnaires dans l'embarras ou de prévenir à tout prix un éclat qui fût retombé sur son entourage politique.
Logique jusque dans la mort, Ernest Allard avait pris ses précautions pour écarter de sa tombe les cérémonies de l'Église où il était né, mais qu'il avait répudiée dès l'adolescence et que, durant le reste de sa vie, il avait dû combattre au nom de ses idées les plus chères : « Je n'ai jamais éprouvé, dit-il dans son testament, le besoin d'aborder le problème insoluble de l'origine et de la fin de l'homme. Le fait de mon existence dans l'humanité m'a paru une raison suffisante pour me commander l'accomplissement de mes devoirs envers moi-même et envers mes semblables. »
En réalité, Allard était de ces natures exceptionnelles qui vont au bien comme les plantes se tournent vers la lumière. Sa religion était la religion de la nature et de l'humanité, ainsi qu'il a pris soin de nous la définir lui-même dans une page qui mérite d'être reproduite ici :
« Véritable Protée qui ne reconnait d'autre maître que la conscience, écrivait-il dans l'introduction de son principal ouvrage, le sentiment religieux échappe à toute action extérieure ; il existe dans le cœur de tous, mais il y revêt mille formes diverses.
« Le savant, dont l'intelligence peut saisir les merveilles de la nature, s'incline devant leur grandeur, et sa conscience lui dit que, en étudiant la nature et en vulgarisant ses (page 53) magnificences, il rend au Créateur le plus grand des hommages, car il l'admire dans l'intimité de son œuvre. Le savant a la religion de la nature.
« Le philosophe, le citoyen, le père de famille ou l'ouvrier, qui, élevant sa pensée vers l'humanité immense, consacre sa vie et ses efforts soit au perfectionnement moral de son siècle, soit à l'amélioration matérielle des siens, et apporte ainsi au fonds commun son contingent de moralité et de travail, manifeste sa reconnaissance envers Dieu. Concourant au progrès de son œuvre, cet homme a la religion de l'humanité.
« Quelques-uns enfin, dont l'esprit plus étroit ne parvient à saisir ni l'horizon infini de la nature, ni la marche incessante de l’humanité, pour s'y consacrer et remplir la mission qui doit justifier leur existence, ressentent également le désir d'exprimer leur reconnaissance autant que leur admiration pour le merveilleux spectacle qui frappe leurs regards. Ils ne peuvent, il est vrai, en comprendre l'entité, parce que leur intelligence ne sait remonter à la source même de cette admirable organisation. N'apercevant donc pas ces lois de la nature que la science révèle à l'homme, ils appellent, à l'aide de leur faiblesse, la croyance aux miracles et au surnaturel ; la foi remplace pour eux la raison ; ils s'arrêtent à la synthèse et ne savent point admirer Dieu dans ses œuvres. »
Allard était, lui, de ceux qui savent admirer Dieu dans ses œuvres et il n'avait pas s'inquiéter du lendemain de la mort après une existence de foi et de labeur, consacrée tout entière au développement de la science ainsi qu'au bonheur de l'humanité. On a dit : Heureux ceux qui meurent jeunes, parce qu'ils ne connaîtront ni les désillusions ni les souffrances de la vieillesse. Heureux surtout, pourrait-on ajouter, ceux qui meurent jeunes en laissant de leur passage dans ce monde des souvenirs et des traces qu'envieraient bien des vieillards agonisant au faîte des honneurs. Allard, du reste, n'est pas mort tout entier : il survit par son influence comme par ses créations, - et puis, ainsi que M. G. Jottrand, (page 54)parlant au nom du libéralisme bruxellois, le lui a dit dans un touchant adieu : « Tout est mystère pour l'homme en deçà et au delà de cette vie ; mais, quant à moi, ce m'est une grande consolation de croire que ces grandes âmes ne meurent pas avec l'organisme fragile auxquelles elles étaient attachées et qu'il est dans l'immensité des espaces, d'autres lieux où elles continuent la lutte pour la justice et la vérité ! »
(VANDER LINDEN A., dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1956, t. 29, col. 55-56)
ALLARD (Joseph-Gustave-Ernest), avocat, homme politique, né à Bruxelles le 2 avril 1840, mort dans cette ville le 7 août 1878.
Après des études moyennes à l'athénée de Bruxelles, Ernest Allard conquit son diplôme de docteur en droit à l'Université libre. Stagiaire chez son père, avocat des départements des finances et des travaux publics, il s'affilia de bonne heure à la loge bruxelloise « Union et Progrès ». De ce contact avec la doctrine maçonnique, de ses premières études dans ce domaine, sortit un ouvrage considéré comme un monument des idées libérales : L'Etat et l'Église, leur passé et leur avenir en Belgique (Bruxelles, 1872, IV-224 p.). Rappelant la situation de l'Église sous les différents régimes de nos provinces, Ernest Allard fait l'énumération des privilèges conservés au clergé au XIXème siècle. Par la synthèse des réformes réclamées par les anticléricaux, cette œuvre propose le remède à cette situation : la séparation absolue de l'Église et de l'État.
En 1871, E. Allard est porté sur la liste des candidats aux élections communales. Élu conseiller, il prit, pendant sept ans, une part active aux séances du conseil communal de Bruxelles, portant spécialement son attention sur les débats concernant les travaux publics, les finances et l'instruction publique. Le détail des réformes qu'il proposa ou fit voter ne pourrait trouver sa place ici. Il faut pourtant mentionner sa part dans l'introduction dans les écoles de Bruxelles de l'enseignement de la gymnastique (1872), dans la création des « comités scolaires » - qui formaient un service de contrôle et de tutelle de l'enseignement primaire - (1873), dans la discussion qui éclata à propos de la gestion du Conseil général des hospices (1877).
Élu député de l'arrondissement de Bruxelles le 25 avril 1876, en remplacement du docteur Vleminckx, il n'intervint pas souvent aux débats de la Chambre, mais chaque fois qu'il prit la parole, « il fit une impression profonde par la netteté de son débit, la clarté de ses déductions et l'originalité de ses vues » (Goblet d'Alviella). Au Parlement, E. Allard s'intéressa aux questions de l'instruction publique et de la défense nationale : il ne cessa de dénoncer l'indifférence du gouvernement pour les besoins de l'instruction publique, et il appuya avec compétence les propositions de crédits spéciaux pour l'achat de canons et la construction de forts (1877-1878).
Appelé, en avril 1877, à remplir les fonctions d'échevin, E. Allard choisit le département de l'instruction publique. L'année suivante, il fit adopter par le Conseil communal un nouveau règlement des écoles communales, dont les points principaux sont : la suppression des concours généraux, remplacés par des compositions nouvelles ; la délivrance de brevets d'instruction primaire pour constater le degré d'instruction ; la création, dans chaque école, d'une bibliothèque à l'usage des instituteurs et des élèves ; la délivrance, par l'administration communale, de récompenses extraordinaires aux élèves se distinguant d'une façon spéciale.
Membre du conseil général de la Ligue de l'enseignement et du conseil d'administration de l'Université libre, E. Allard était, au moment de sa mort, membre du conseil de discipline du barreau de Bruxelles, du conseil d'administration du Mont-de-piété, du comité de l'École modèle de la ville de Bruxelles, de l'Association libérale, et président de la loge « Union el Progrès ».