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« Le Parti
catholique en Belgique », par Auguste MELOT, Louvain, Editions Rex, (c.
1934)
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CHAPITRE PREMIER - L’UNIONISME (1830 à 1846)
1. L’union nécessaires des catholiques et des libéraux
(page 5) On
appelle généralement « parti », à l’époque contemporaine, une union de
citoyens soutenue par des organes de la presse, dirigée par des chefs, en vue
de la réalisation d’aspirations et d’intérêts communs contre d’autres citoyens
qui ont des aspirations et des intérêts contraires. Si on l’entend ainsi, peut
dire qu’il n’y avait pas de parti en Belgique après la révolution de 1830. De
profondes divergences de vues avaient existé depuis le XVIème siècle entre les
habitants des Pays-Bas du Sud ; au cours de la révolution brabançonne du
XVIIIème, elles avaient pris un caractère lamentable mais elles étaient
atténuées pendant la période hollandaise, hostilité au gouvernement du roi
Guillaume ayant approché les anciens adversaires. A propos des arrêtés royaux
du 24 juin 1824, certains députés des provinces méridionales, Reyphins et Dotrange notamment,
avaient réédité, aux Etats Généraux de La Haye, des plaisanteries usées sur les
jésuites et les ignorantins mais ces attardés d’un voltairianisme désuet
perdirent le peu de crédit qu’ils avaient chez leurs compatriotes en
acceptant du roi de Hollande des places de conseillers d’Etat. A partir de
1827, les Etats Généraux se divisèrent définitivement en deux partis
représentant l’un les opinions et les intérêts de
La jeunesse belge de cette époque - catholiques enthousiastes
des idées nouvelles de Lamennais que l’Eglise n’avait pas encore condamnées,
non croyants ou indifférents que le baron de Gerlache nous montre sous
l’influence de Guizot et de Cousin - ne jure que par la liberté. Tous en
veulent (page 6) pour eux-mêmes - ce
qui est assez naturel et aussi pour les autres - ce qui est certainement plus
rare.
2. Au Congrès national :
l’équilibre entre pouvoir civil et pouvoir temporel
Au Congrès National qui fut la première assemblée
délibérante de la nouvelle Belgique, les catholiques étaient en majorité mais
ils ne formaient pas un parti. Le baron de Gerlache, président du Congrès,
évalue leur nombre à 140 sur
Plus tard, Frère-Orban tirera argument de cette modération pour affirmer
que les membres du Congrès étaient en majorité libéraux à sa manière ; ils
avaient soutenu, argumentait-il, des ministères composés exclusivement de
libéraux d’aile gauche, admis l’antériorité du mariage civil et n’avaient pas
organisé le régime légal des associations religieuses. L’esprit de parti du
grand homme d’Etat l’a empêché de comprendre que des catholiques aient pu, dans
un sentiment d’union patriotique, consentir loyalement certaines concessions à
des opinions différentes. Ce sont cependant des croyants, le député libéral de
Robaulx l’a constaté dans la séance du 24 décembre 1830, qui ont concédé
l’antériorité du mariage civil ; ils l’ont fait pour obtenir l’adhésion de tous
leurs collègues à l’entière liberté du culte. Lorsque des radicaux tels que Defacqz et Fleussu proposèrent à l’assemblée de restreindre
cette liberté ou celle de l’enseignement confessionnel, ils eurent la majorité
contre eux.
En cherchant à porter sur ces discussions un
jugement objectif, on arrive à la conclusion que, dans cette assemblée chargée
d’organiser un Etat, (page 7) les
controverses religieuses sont reléguées à l’arrière-plan ; elles ne déterminent
pas les votes ; à côté de quelques farouches adversaires du
clergé tels que Seron, Camille de Smet, Van Snick et
d’un nombre restreint de catholiques que Nothomb appelle les purs et qui n’ont
peut-être pas renoncé à faire du catholicisme une religion privilégiée, une
religion d’Etat, il y a le bloc constitué par l’ancien parti belge des Etats
Généraux dont beaucoup de membres siègent au Congrès et qui a combattu le
gouvernement hollandais. Aujourd’hui, il n’est plus un parti ; il est la
représentation de la jeune nation belge ; il n’a plus en face de lui
d’adversaires groupés, représentant des aspirations et des intérêts contraires.
En y regardant de près, on peut discerner cependant que ce bloc n’est pas
sans fissure ; l’hostilité au gouvernement hollandais ne sert plus de force
centripète pour rapprocher les divers groupes, ce bloc a un centre que
personnifie brillamment Jean- Baptiste Nothomb, un côté droit que dirigent de
Theux, Mérode, Gerlache, les abbés ; un côté gauche représenté principalement
par Rogier, Devaux, les Brouckère, Lebeau.
La liberté du culte, la liberté de l’enseignement,
la liberté des associations, y compris celle des associations monastiques,
voilà à peu près tout ce que demandaient les catholiques. L’exemple venait
d’ailleurs de haut. Le 13 décembre 1830, le Prince Archevêque de Malines
adressait au Congrès une lettre dont il fut donné lecture en séance publique et
où il attestait ne réclamer pour les fidèles de l’Eglise « aucun privilège ;
une parfaite liberté avec toutes ses conséquences, tel est l’unique objet de
leurs vœux, tel est l’avantage qu’ils veulent partager avec tous leurs
concitoyens. » Expliquant ce qu’il entendait par cette liberté, il en énumérait
les conséquences quant à l’exercice du culte, à la nomination et à
l’installation de ses ministres, à (page
8) leur correspondance avec le Saint-Siège, à l’enseignement et aux
traitements ecclésiastiques.
Catholiques purs, libéraux de l’aile droite, du
centre et de l’aile gauche firent droit à ces demandes
qui leur parurent légitimes. Sur ces questions, Gerlache, le chevalier de Theux
de Meylant, les abbés parlèrent à peu près la même langue que Nothomb,
Brouckère, Lebeau, Rogier. Il y a cependant quelques nuances. Nothomb disait le
22 décembre 1830 « M. Defacqz a franchement déclaré
qu’il veut que la loi civile exerce la suprématie ; il pose nettement le
principe qui lui sert de point de départ. Nous adoptons un principe tout opposé
nous dénions toute suprématie à la loi civile, nous voulons qu’elle se déclare
incompétente dans les affaires religieuses. Il n’y a pas plus de rapport entre
l’Etat et la religion qu’entre l’Etat et la géométrie. Comme partisans de l’une
ou de l’autre opinion religieuse, vous êtes hors des atteintes de la loi ; elle
vous laisse l’existence absolue de la nature.
« MM. Defaqz et Forgeur ont cité des lois
des autorités qui appartiennent à un système que nous repoussons. C’est le
régime de Louis XIV, le régime de Bonaparte. Ne relevons pas un système qui gît
dans la poudre du passé.
« Voici donc notre point de départ séparation absolue des deux pouvoirs.
Ce système est une innovation. Nous l’avouons. Il exige une indépendance
réciproque ».
Charles de Brouckère lui répondait le 23 décembre « Aujourd’hui, l’union
telle qu’elle s’était formée en 1827 n’est plus indispensable ; cependant nous
voulons tous la liberté ; mais est-ce une liberté sans limite? Elle n’est pas
possible ; il faut que chacun consente à voir ses libertés restreintes car la
charte fondamentale doit être fondée sur des sacrifices réciproques... »
On peut voir, dans la suite de ce discours, qui (page 9) prévoit les empiètements
possibles du clergé sur le pouvoir civil, comme une première esquisse du
programme que formulera plus tard le parti libéral des Devaux, des Verhaegen et
des Frère-Orban.
Dans les paroles de Nothomb que l’on a lues, il y a une tendance à
considérer comme un bien en soi ce régime de liberté généreusement octroyé à
toutes les opinions et à tous les citoyens à ceux qui, du point de vue
catholique, représentent l’erreur comme à ceux qui, du même point de vue, représentent
la vérité. Nothomb n’est pas le seul à penser ainsi. Les jeunes catholiques
libéraux du Congrès, eux aussi, croient pouvoir en faire leur «thèse ». La
mémoire remplie encore - en dépit qu’ils en aient - des souvenirs de la
révolution française et de ses assemblées qui avaient prétendu légiférer pour
l’humanité tout entière, ils s’imaginent bâtir un édifice constitutionnel que
le monde leur enviera. N’est-ce pas l’abbé Verbeke
qui proclame, à la séance du 23 décembre 1830 « Liberté pour tous et en tout,
voilà le principe que nous avons proclamé et que nous saurons maintenir ; voilà
le principe qui doit dominer notre nouvelle législation. Si nous voulons
répondre aux vœux de nos commettants, si nous voulons être conséquents avec
nous-mêmes, il faut nous hâter de faire voir à l’Europe que la liberté telle
que l’entendent les Belges n’est pas une hypocrisie ni une amère dérision. »
Les abbés de Foere, de Haerne, Verduyn, MM. de Theux de Meylant,
le comte d’Arschot, le comte de Celle avaient fait
des déclarations analogues. M. Adolphe Dechamps qui n’était pas membre du
Congrès mais qui, dès cette époque, avait de l’influence comme publiciste se
ralliait lui aussi aux doctrines de Lamennais.
L’Eglise n’admet pas qu’en « thèse », le meilleur
régime politique soit celui où l’on donne à l’erreur les mêmes droits qu’à la
vérité. Elle peut seulement (page 10)
admettre qu’à un moment de l’histoire, ce soit le seul applicable, ce soit même
le plus favorable aux intérêts religieux. Entre affirmer d’un régime qu’idéalement,
théoriquement parlant, il est le meilleur ou estimer qu’étant données les
circonstances, il est celui dont l’application soulèvera le moins de conflits
et procurera la paix, il y a toute la distance qui sépare la doctrine du mieux
de la doctrine du bien ou du moindre mal.
Le Souverain Pontife, Chef de l’Eglise, ne devait
pas tarder à rappeler ces principes dans l’encyclique Mirari
vos.
3. Les raisons de l’absence
d’un parti catholique organisé dans les premiers temps de l’indépendance
On comprend qu’il ne se soit pas formé de parti
catholique à cette époque. Quel en eût pu être le programme ? Contre qui se
serait-on uni ? On n’avait plus à obtenir pour la religion la liberté que
le Cardinal de Malines avait demandée ;
On n’y songea même pas. Tout heureux d’avoir échappé aux persécutions
mesquines d’un souverain calviniste, le clergé qui n’avait aspiré qu’à la
liberté comptait bien en user pour conquérir les âmes et il se mit à l’œuvre.
4. Le développement des écoles
catholiques
Dans son histoire de l’Eglise catholique en
Belgique, (page 11) le Père de
Moreau énumère toutes les formes de cette activité.
Mais c’est avant tout dans le domaine de
l’enseignement que l’influence du clergé se fit sentir. « A la fin de
1840, dit M. Pierre Verhaegen, sur 1.143 écoles nouvelles qui fonctionnaient
dans les 2.500 communes du pays, plus des deux tiers étaient dues à
l’initiative du clergé ou des catholiques. Sur 5.189 écoles primaires que
possédait
5. Les résistances à l’ « influence
cléricale »
Cette marche admirable à la conquête des âmes ne fut pas appréciée de la
même manière par tous les Belges. Pendant que les fidèles de l’Eglise
catholique s’en réjouissaient à un double titre en premier lieu, à cause des
progrès de la communion religieuse à laquelle ils appartenaient mais aussi
parce qu’ils y voyaient la justification de leur entreprise constitutionnelle
grâce à laquelle le catholicisme renaissait en Belgique et vivait une nouvelle
vie, les sectaires, au contraire, et ceux qui n’admettaient pas
l’interprétation catholique de la vie et ceux qui, sans être hostiles aux
dogmes ou à la morale, craignaient cependant un retour à l’ancien régime et à
certains de ses abus, furent effrayés de l’influence que le clergé gagnait de
plus en plus. Influence religieuse et morale, répondait-on. C’est vrai !
Mais parfois aussi, et sans qu’on pût le lui reprocher puisqu’il se composait
de citoyens belges ayant tous les droits civils, influence politique! Comment
empêcher les catholiques de demander à leurs conseillers habituels des directives
relatives aux candidats à élire, aux listes à dresser? Comment reprocher aux
prêtres évêques, curés, vicaires, religieux, de répondre à ces interrogations?
Comment même leur en vouloir de devancer les questions, puisque la liberté
religieuse pouvait être en cause? Comment exiger de tous ces prêtres une mesure
parfaite, une modération impeccable dans l’exercice de leurs droits?
Dans les instructions données en juillet 1835 par
(page 13) la congrégation des
affaires ecclésiastiques extraordinaires à Mgr Gizzi
internonce en Belgique, on voit le soin qu’a le Saint-Siège d’empêcher le
clergé belge de dépasser la mesure tout en remplissant son devoir sacerdotal et
national. « Les bons catholiques de Belgique, disent ces instructions,
désireraient voir certains évêques, curés et autres ecclésiastiques s’occuper
avec plus de zèle de la chose publique, spécialement de l’élection des députés
à la Chambre vu que de celle-ci dépend le bien de l’Etat et de l’Eglise... On
observe aussi qu’il y a, spécialement dans le jeune clergé, quelques adeptes
des principes du lamennaisianisme qui agissent trop
et tentent d’introduire des nouveautés dans l’ordre politique comme dans
l’ordre religieux, innovations qui ne pourraient aboutir qu’au préjudice et
subversion de l’un et l’autre ordre de choses. » On recommande à l’internonce
de déterminer les premiers à prendre à cœur une affaire d’une telle importance
et de ramener les seconds dans le droit chemin. On ne peut contester,
ajoute-t-il, l’intérêt du Saint-Siège à avoir une Chambre religieuse et
catholique mais d’autre part il ne convient pas que le représentant du Pape
paraisse s’immiscer dans les questions politiques et temporelles. On fait donc
appel au tact de l’internonce (Les instructions de Mgr Gizzi (Bulletin de l’institut historique belge de Rome
1933, fascicule XIII))
Les réclamations, les récriminations, les reproches vinrent d’abord et tout
naturellement des Belges qui étaient nettement hostiles au clergé.
Dès la première session de la chambre des Représentants, à la séance du 15
janvier
(page 14) MM.
Dumortier et de Theux réclament pour l’Eglise la pleine et entière liberté et à
la crainte du monopole de l’Eglise oppose celle du monopole de l’Etat en
matière d’enseignement.
Battus sur le terrain parlementaire, les sectaires s’efforcèrent de
susciter des troubles dans certaines villes tel
Charleroi ; ils échouèrent. Ils songèrent alors à former un parti anticlérical
dans un pays où il n’y en avait pas encore. Mais ils eussent été incapables de
mener à bien leur entreprise sans le concours de trois hommes représentant
trois tendances nouvelles.
Paul Devaux avait été l’un des polémistes les plus brillants de la
révolution ; il avait défendu l’union en 1828 et joué un rôle important au
Congrès. Devenu ministre d’Etat, il employait son autorité et son talent à
préconiser la fondation de ce parti qui arrêterait les « empiètements » du
clergé, et qui réaliserait un programme d’idées. A ses côtés, se placèrent tout
de suite ceux qui, déjà au Congrès national, s’étaient prononcés contre ce
qu’ils appelaient les excès de l’Eglise catholique et qui continuaient à le
faire au Parlement.
Aux hommes de 1830 s’adjoignirent bientôt un
certain nombre d’intellectuels qui n’avaient pas été favorables au renversement
de la dynastie de Nassau ; ils n’avaient pu faire obstacle à la vague de fond
qui avait balayé le régime mais ils étaient restés neutres et sceptiques
pendant la crise, attendant, espérant peut-être un retour des événements. Ce
revirement ne s’était pas produit ; la nouvelle dynastie s’était affermie. Ils
avaient alors estimé que le moment d’entrer en scène était venu s’ils ne
voulaient pas perdre toute occasion de jouer un rôle. En tant que partisans des
Nassau, ils ne pouvaient être avec les unionistes de droite ou de gauche, qui
s’étaient prononcés contre la maison d’Orange. Aux uns comme aux autres, ils
reprochaient d’avoir donné trop de liberté à l’Eglise. Le (page 15) thème de leur opposition était tout trouvé d’après eux,
seuls les catholiques avaient bénéficié du nouveau régime constitutionnel grâce
à quoi, ils menaçaient maintenant de tout dominer ; il fallait donc mettre
obstacle à leurs progrès. L’un des premiers promoteurs de ce mouvement, suite
et continuation de l’orangisme, fut Théodore Verhaegen qui avait d’ailleurs
débuté en défendant, devant la cour d’assises du Brabant, les vicaires généraux
de Gand poursuivis en 1821 pour publication d’un mandement épiscopal, et qui
avait obtenu leur acquittement. Ensuite il avait fait une courbe rentrante,
s’était rallié au régime hollandais et n’avait pris aucune part au mouvement de
1830. Après avoir refusé tous les postes que lui offrait le gouvernement
provisoire et décliné le mandat de député au Congrès, il avait critiqué
l’exclusion de la famille de Nassau et protesté contre la confiscation de ses
biens. Témoin irrité de l’activité que mettait le clergé catholique à se servir
des libertés constitutionnelles pour prêcher la religion et étendre son
influence, il avait cherché une puissance à lui opposer et avait cru la trouver
dans la maçonnerie qui jusqu’alors sommeillait et qu’il contribua à réveiller
en lui donnant pour objectif l’organisation des élections. Il fonda, le 20
novembre 1834, l’Université de Bruxelles en opposition à celle de Louvain. De
1834 à 1841, il contribua à organiser le nouveau parti libéral et doubla les
loges maçonniques d’associations électorales. Au Parlement où il était entré en
1837, il développa avec énergie tous les thèmes anticléricaux, notamment à
l’occasion des lois relatives à l’enseignement et au traitement de l’archevêque
de Malines.
Le troisième fondateur du nouveau parti libéral, Frère-Orban, représentait
la jeune génération ; il ne devait faire ses premières armes qu’en 1846.
6. Le gouvernement unioniste
de de Theux
Pendant les premières années, les idées de (page 16) Devaux n’eurent pas grande
influence sur le gouvernement du pays.
Le premier ministère du Roi Léopold Ier avait comme président un catholique
ou plutôt, si l’on veut se tenir sur le terrain politique, un unioniste d’aile
droite : Muelenaere qui était assisté de deux unionistes de gauche Charles de
Brouckère et Coghen. Son œuvre principale fut l’organisation des services
publics et le traité des XXIV articles. Le ministère suivant présidé par
Lebeau, unioniste de gauche, comprenait des unionistes de gauche tels que
Rogier et Goblet et des unionistes de droite tels que Muelenaere et le Comte de
Mérode.
C’est surtout sous le troisième ministère que l’unionisme commença à être
critiqué avec passion.
Le 4 août 1834, de Theux de Meylant remplace
Lebeau comme premier ministre. Homme d’Etat dans toute la force du terme, plus
solide que brillant, parlant clairement, avec bon sens mais sans grande
éloquence, il ne lui a sans doute manqué pour être l’un de nos hommes
politiques les plus admirés que l’art d’électriser une assemblée, cet art que
possédait souverainement un Dechamps à qui manquaient par contre plusieurs des
hautes qualités de de Theux. Celui-ci était
catholique sincère et ne faisait pas mystère de ses convictions religieuses
mais il s’est toujours défendu avec une énergique sincérité de vouloir pour
l’Eglise autre chose que la liberté. Fidèle à la conception unioniste, il ne
songeait pas à demander à ses collègues du ministère quelles étaient leurs
opinions philosophiques ou religieuses. Ernst, son collègue à
Il est vrai que l’on peut concevoir la liberté
religieuse de plusieurs manières différentes, avec plus ou moins de sympathie
pour le clergé et son action. Quand Rogier proposait, en août 1835, qu’il n’y
eût (page 17) qu’une université
d’Etat et qu’elle fût établie à Louvain, il ne songeait pas à entraver la
liberté mais il ne pouvait ignorer qu’il contrecarrait ainsi les vues de
l’Episcopat. Celui-ci désirait transférer dans l’ancienne capitale du duché de
Brabant l’université catholique qu’il venait d’ériger à Malines. Désir tout à
fait légitime, comme l’observait le comte de Mérode au Sénat, puisqu’il
s’agissait de rattacher le présent et l’avenir à un passé glorieux. Si le
leader de gauche cherchait à y mettre obstacle, c’est précisément qu’il
craignait le retour à un certain passé dont il ne voulait plus. De Theux
n’avait pas les mêmes craintes ; il souhaitait, au contraire, collaborer avec
l’Eglise non pour rendre au clergé des privilèges abolis mais pour ce qu’il
estimait son influence utile au développement moral et intellectuel du pays. Il
proposait donc de maintenir deux universités d’Etat, à Liége et à Gand, et de
supprimer celle que l’Etat avait à Louvain. Le Parlement le suivit.
Entre Rogier et de Theux, il n’y avait donc de
divergence essentielle ni sur la constitution qu’ils venaient de faire
ensemble, ni sur la manière d’en interpréter les libertés ; ils restaient tous
deux du parti belge. Mais, en fait, le premier cherchait à entraver
l’action qu’il estimait envahissante de l’Eglise ; le second s’efforçait de
l’encourager parce qu’il l’estimait bienfaisante ; tous deux entendaient
néanmoins se maintenir dans les limites et dans l’esprit du pacte fondamental.
Il faut reconnaître d’ailleurs que Lebeau, Rogier,
de Theux, Nothomb étaient absorbés à cette époque par des préoccupations d’un
autre ordre. Lebeau expliquant longtemps après comment il avait accepté d’être
gouverneur de Namur et par suite d’exécuter les ordres de de
Theux, ministre catholique de l’Intérieur, disait « Alors, la classification (page 18) en parti libéral et en parti
catholique était peu tranchée. La division des opinions reposait principalement
sur la manière d’envisager la question diplomatique et les attributions du
pouvoir royal dans les lois organiques et dans la marche de l’administration.
Les catholiques que, les libéraux n’ont jamais repoussés pour leur croyance
mais uniquement pour leurs tendances politiques, étaient loin de montrer alors
les prétentions qu’ils ont si ouvertement et si imprudemment manifestées vers
la fin du ministère de Theux » (Juste, Joseph Lebeau, p. 120). Non seulement la classification était
peu tranchée mais on peut dire qu’il n’y avait ni parti libéral, ni parti
catholique.
On ne voit pas à quoi Lebeau faisait allusion en parlant
ainsi du ministère de Theux dont la principale faiblesse était, en 1840,
d’avoir duré six ans, ce qui est de nature à user tout gouvernement. Il avait
eu à traiter de grandes affaires. « C’est à lui, dit un historien (Charles Terlinden, Histoire politique interne, p. 57), que remontent la création de nos grands
services publics et la constitution régulière de l’action gouvernementale.
L’ordre se consolida de plus en plus, » L’énumération des lois organiques
votées à son initiative est longue : organisation du service postal, du jury,
des cadres de l’armée, de l’enseignement supérieur. Nous avons dit déjà en quoi
les deux tendances s’étaient affrontées à propos de cette dernière loi mais il
serait tout à fait injuste de soutenir qu’en favorisant l’érection d’une
université catholique à Louvain, on manifestait des prétentions imprudentes.
C’est de Theux qui eut le courage de faire voter, en 1839, le traité qui
rétablissait la paix entre
Après le ministère de Theux, le mouvement provoqué par Devaux et Verhaegen
s’accentua et tendit de plus en plus à la constitution d’un nouveau parti qui
allait prendre - on ne sait pas pourquoi, puisqu’il
s’opposait à l’exercice de libertés constitutionnelles - le nom de libéral.
7. La montée en puissance de
l’opposition libérale
Un chargé d’affaires du Roi de Piémont à Bruxelles (Belgio e Piemonte nel
Risorgimento italiano Torino Loescher
1930), adressant, le 23
mars 1847, un rapport à son gouvernement a exposé le
point de vue libéral. En le résumant, nous donnerons le témoignage d’un étranger
contemporain que les haines civiles n’aveuglent pas mais qui n’aime pas les catholiques. Son jugement
sur les sentiments religieux de la population est assez sévère. Il ne les croit
pas vrais et s’étonne de ne voir en Belgique ni catholicisme de cour ni
religion populaire tels qu’on les trouve au Piémont. A son avis, les pratiques religieuses ne
seraient ici qu’un « étendard politique ». Les hommes de droite se montrent très pieux soit qu’ils le
soient réellement, soit afin qu’on ne puisse leur reprocher de ne porter de
catholique que le nom, mais les classes dirigeantes laisseraient à désirer (page 20) sous le
rapport des moeurs. Les libéraux ne sont pas
religieux de peur de se compromettre. L’auteur du rapport croit les ouvriers
des villes profondément démoralisés par la mauvaise presse ou par la cupidité
de leurs maîtres ; le peuple des campagne lui paraît
plus « exemplaire » étant tenu en bride par le clergé. Après ce jugement qu’on
ne peut qualifier de bienveillant et qui prouve
combien il est difficile d’apprécier les mœurs d’un pays auquel on est
étranger, on comprendra mieux comment ce diplomate a pu adopter, sans en faire
la critique, toutes les idées du nouveau parti libéral.
Il expose donc que seuls les catholiques du Congrès
avaient su ce qu’ils faisaient en introduisant dans la Constitution la liberté
d’association et d’enseignement ; les libéraux - il entend par là les
unionistes de gauche - s’étaient laissé prendre au piège ; de Potter et
Gendebien l’auraient avoué à leurs intimes. Les ministères mixtes avaient été
perpétuellement tiraillés entre les empiétements du « parti clérical » et leurs
devoirs de gouvernement. En parlant de parti, le diplomate italien vise le
clergé et son organisation régulière ; il lui oppose certains ministres ; il
s’étonne que le Roi consente à livrer le pouvoir à une opinion qui combat les
prérogatives royales. C’est la vieille idée de l’antagonisme entre l’Eglise et
l’Etat.
L’auteur constate que la franc-maçonnerie est le
principal instrument du nouveau parti libéral. Il signale les rapports des
loges belges avec celles de France et d’Allemagne qui auraient fourni les
premiers fonds pour la création de l’Université de Bruxelles. Il raconte la
constitution de l’Alliance, société libérale, groupant, dans la capitale,
de nombreux parlementaires, les journalistes de la nouvelle école ainsi que la
jeunesse libérale généralement ralliée à ces idées.
Contrairement aux affirmations de ce diplomate, les
catholiques ne souhaitent pas que l’Eglise ait une (page 21) part prépondérante dans le gouvernement d’un pays. Rendez
à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, c’est ainsi que
Jésus-Christ lui- même a déterminé les rapports de l’Eglise et du pouvoir
civil. Les Souverains Pontifes n’ont cessé de proclamer et de prouver par leurs
actes que la religion s’accommode de tous les régimes politiques, qu’elle n’est
ni pour ni contre la monarchie, l’aristocratie, la dictature ou la démocratie.
A exercer une trop grande influence sur l’un ou
l’autre de ces régimes, elle risque de paraître s’identifier avec lui, de
porter la responsabilité de ses fautes et de s’effondrer un jour en même temps
que lui. Sauf en ce qui concerne l’indépendance du Saint-Siège, il est donc
souhaitable que l’Eglise n’exerce pas le pouvoir civil. Si les reproches que le
diplomate italien faisait au clergé avaient été fondés, nul plus qu’un
catholique n’aurait à le regretter. Mais ils étaient injustifiés ; un simple
fait permet de mesurer l’exagération des critiques formulées à cette époque. Le
10 février
Si, d’autre part, les unionistes catholiques avaient,
comme on les en accusait, voulu confier l’exercice du pouvoir civil à l’Eglise,
le roi Léopold Ier qui estimait déjà insuffisants les droits accordés par la
Constitution à la royauté et qui n’avait rien d’un politique aveugle se serait
certainement abstenu de soutenir de toute son énergie les gouvernements et les
majorités unionistes.
7. Les derniers feux de l’unionisme
De même qu’un combat finit faute de combattants,
l’unionisme qui supposait un partage du gouvernement entre unionistes de gauche
et de droite, entre libéraux et catholiques fidèles à l’esprit du Congrès
devait prendre fin le jour où il n’y aurait plus d’unionistes de gauche et
Malou lui-même, après avoir déclaré en 1845 qu’il ne ferait jamais partie d’un
ministère composé de six Malou, fut bien obligé, en 1846, d’accepter un portefeuille
dans un cabinet où il n’y avait que des unionistes de droite, de Theux n’ayant
plus trouvé d’unionistes de gauche pour collaborer avec lui.
Au
Parlement d’ailleurs, l’ancien parti belge qui soutenait ou renversait les
gouvernements manquait de cohésion et de stabilité. L’aile droite et l’aile
gauche avaient une tendance de plus en plus marquée à se séparer ; même au sein
de chacun de ces deux groupes, la discipline et la confiance dans les chefs
manquaient. Des ministres de gauche sont vivement critiqués par des députés de
gauche. Ernst, député de gauche, traite Lebeau et Rogier d’hommes usés « M.
Lebeau, dit-il à la séance du 24 avril 1834, faisait le libéral quand il était
journaliste ; il fait le despote depuis qu’il est arrivé au pouvoir. » Trois
ans après, un député de (page 23)
droite, M. Doignon, ne témoigne pas d’une plus grande confiance en de Theux qui
est devenu Premier ministre. « M. de Theux, dit-il en 1837, représente la
centralisation et le pouvoir fort. Il s’est associé avec M. Nothomb, l’ami le
plus fidèle et le plus dévoué de M. Lebeau, dont on connaît le peu de sympathie
pour le catholicisme. » M. Doignon soupçonne le ministre de l’Intérieur de
préparer l’intervention de l’Etat dans les choses du culte ; il n’est pas loin
de voir en lui un despote à la manière de Joseph II.
Grâce à ses éminentes qualités d’homme d’Etat et à
son éloquence, Jean-Baptiste Nothomb réussit en 1841 à remplacer, par un
ministère unioniste, le ministère exclusivement libéral de Lebeau qui n’avait
duré qu’un an et qui fut renversé par un appel direct du Sénat au Roi. Les
Chambres maintinrent à Nothomb leur confiance pendant deux ans ; il réussit à
faire voter la loi de 1842 qui organisa l’enseignement primaire jusqu’à la loi
de 1879. Après lui, d’Anethan de droite et van de
Weyer de gauche firent deux essais de ministères unionistes. Mercier, unioniste
de gauche qui accepta le portefeuille des finances dans le ministère d’Anethan, fut traité de renégat par la presse du nouveau
parti libéral et le ministère van de Weyer ne dura que sept mois (30 juillet
1845 au 31 mars 1846).
De Theux constitua alors un ministère composé
exclusivement d’unionistes de droite (31 mars 1846 au 12 août 1847).