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Le milieu militaire belge de 1831 à 1914
WANTY Emile - 1957

WANTY Emile, Le milieu militaire belge de 1831 à 1914

(Paru à Bruxelles en 1957, sous la forme d’un Mémoire de l’Académie royale de Belgique)

Introduction

(page 3) L'armée belge naît en octobre 1830 du chaos révolutionnaire. Dès ses premiers pas, elle va souffrir d'une dualité. Elle ne veut rien avoir de commun avec un passé tout récent que la Belgique entend répudier. Se fera-t-elle avec les seuls volontaires des barricades ? - Non ; pour acquérir quelque solidité, elle devra recourir au concours des Belges issus de l'armée des Pays-Bas. Grâce à quelques dizaines de rudes soldats qui servirent sous Napoléon, et deviendront ses chefs, elle se reliera aussi aux souvenirs impériaux. Mais cela ne suffira pas à créer une réelle identité de vues, assurer une continuité entre le présent et le passé.

Aussi, bien qu'un parallèle avec l'armée française de la même époque fût tentant, se révèle-t-il impossible dès le départ.

La première ne cessa pas d'exister en 1815 ; elle se prolongea sans hiatus et conserva dans ses rangs beaucoup d'ex-impériaux, dont la plupart des maréchaux de l'Empire, ralliés aux Bourbons. Par les anciens émigrés elle se rattacha au passé prérévolutionnaire. Elle assura ainsi sa continuité historique. Par la suite, sa structure matérielle et morale, son recrutement, sa vie interne, ses façons de penser seront plusieurs reprises violemment ébranlés ou profondément modifiés par les changements de régime : 1830, 1848, 1852, ou par les crises de la IIIème République, surtout l'affaire Dreyfus. Elle participera à de nombreuses guerres en Europe et au-dehors. Autant de tournants qui font de sa vie et de son évolution une histoire mouvementée.

Rien de tel en Belgique. L'armée va connaître une longue période de neutralité et de paix dans un pays qui accède progressivement à la prospérité industrielle, si pas à la justice sociale. Elle participera à la stabilité sans défaillance de nos institutions, dont elle sera un sûr garant. Aucun événement extérieur direct ne réagira sur ses transformations. Les modifications de l'armement ne nécessiteront que des adaptations techniques ; celles de la tactique s'opéreront sans secousse et sans (page 4) hâte. L'évolution de notre armée, si évolution il y a, reste tout interne et ne résulte que de celle des idées à travers les générations. Son histoire entre 1830 et 1914 est plutôt d'ordre psychologique et social.

Aussi son caractère statique pouvait-il rebuter d'avance tout essai de la placer dans son cadre national. Nous avons néanmoins tenté cette étude de la société militaire belge, car elle nous parait pouvoir éclairer certains aspects d'un passé bien récent encore.

Nous n'entendons traiter ni l'uniformologie, qui possède ses spécialistes avertis, ni les transformations de l'organisation, ni les faits d'armes dans leur détail. Certes, il en a fallu esquisser les traits saillants, comme autant de jalons nécessaires de cet exposé. Mais ce qui nous a intéressé au premier chef, c'est l'armée en elle-même : son climat moral, ses traditions, les coutumes de cette société fermée : son accord ou ses discordances avec le pays ; ses servitudes, ses défauts, ses vertus aussi. Il nous a fallu résister à la tentation de brancher sur l'objet, l'itinéraire principal de cet exposé, comme on le fait dans les guides détaillés, des questions connexes, des itinéraires dérivés possédant eux aussi un puissant intérêt. Un seul exemple : le rôle capital du roi Léopold Ier dans le développement de notre armée mériterait à lui seul des chapitres considérables. Nous y avons renoncé, tout comme d'autres études connexes qui, nous le craignions, eussent encombré la perspective.

Nous avons mené ce travail sans idée préconçue, en nous efforçant l'objectivité. Comme toute société humaine, ce microcosme a ses petitesses, ses manies, ses préjugés, à côté de ses grandeurs et de son désintéressement.