(Paru à Gand en 1905, chez A. Siffer)
(page 141) Faute de pouvoir supprimer les nouvelles écoles libres, le gouvernement devait se mettre en mesure d*en soutenir la concurrence et, dans ce but, faire appel à toutes les forces, utiliser toutes les influences dont il disposait. Sa politique suivit deux phases, dont la seconde ne fut d'ailleurs que le prolongement naturel et l'aggravation de la première.
Le gouvernement commença par compléter son personnel et ses établissements scolaires, s'efforçant, pour peupler les écoles officielles et pour rassurer les familles, de masquer le caractère neutre ou irréligieux de son enseignement, contrecarrant l'enseignement libre par des moyens indirects ou non avoués, le persécutant au nom de l' intérêt général. Puis, lorsqu'il s'aperçut que la relative modération de cette politique ne trompait personne et n'avait d'autre effet que de mécontenter les radicaux, le gouvernement, épousant les revendications de la gauche avancée, engagea contre toutes les libertés publiques une persécution acharnée et ouverte ; la Constitution et les lois furent violées, l'enseignement libre publiquement dénigré, traité de criminel et combattu par un ensemble de mesures dont on ne songeait même plus à cacher l'esprit de parti : ce fut la phase extrême de la lutte ; je m'en occuperai plus loin.
Dans les pages qui suivent je m'efforcerai d'esquisser l'application proprement dite de la loi de malheur et la première période de la persécution libérale.
Reconstitution des cadres supérieurs de l'enseignement - Pénurie d'instituteurs et d'institutrices - Les nominations de M. Van Humbeeck - Décadence de l’enseignement officiel au point de vue pédagogique - Les écoles désertes - La chasse à l'élève - Les loisirs du corps enseignant - Son impopularité
Le premier soin du ministère de l'instruction publique fut de reconstituer les cadres supérieurs de l'enseignement, désorganisés à demi par la retraite des fonctionnaires les plus expérimentés. Il fut pourvu à la direction des écoles normales. Neuf nouvelles places d'inspecteurs principaux furent créées, et vingt-sept d'inspecteurs cantonaux. Ces fonctionnaires allaient devenir des alliés précieux pour le gouvernement : ils furent chargés d'espionner les communes et de signaler à l'autorité supérieure les résistances locales. Leur recrutement ne souffrit pas de difficultés.
Il en fut autrement des instituteurs et des institutrices, dont il fallait pourvoir, en un espace de temps fort limité, les écoles nouvelles et celles qui étaient devenues vacantes à la suite des démissions données par les maîtres chrétiens. (page 143) Ces démissions, M. Van Humbeeck les voyait avec effroi se multiplier à mesure qu'approchait la date de la rentrée des classes. En1879. Pour doter d'écoles officielles toutes les communes du pays, il lui fallait plus de 2000 instituteurs nouveaux, et chaque jour des vides se produisaient, en dépit des procédés d'intimidation auxquels il avait recours. Le ministre adressa des circulaires aux élèves des écoles normales libres pour leur offrir des places dans son enseignement, mais, de ce côté encore, il ne rencontra que fort peu de succès. Les inspecteurs furent chargés partout de recruter des maîtres diplômés ou même non diplômés, disait une circulaire, pour le cas où les démissions deviendraient encore plus nombreuses. Un arrêté royal suspendit la loi qui réservait les fonctions d'instituteur exclusivement aux Belges. (Note de bas de page : C'est une des clichés de nos adversaires que nous faisons une concurrence déloyale à l'enseignement officiel en nous servant, pour diriger nos écoles libres, de religieux et de religieuses venus de l'étranger. L'accusation est manifestement fausse ; mais, quand même elle serait fondée, ce n'est pas aux libéraux à nous reprocher de faire usage de ce qui est, en définitive, notre droit ; eux, c'est avec l'argent de I'Etat qu'ils payaient les étrangers appelés en Belgique pour combattre I'enseignement librement fondé et entretenu par des Belges.) Le département de la guerre invita les colonels à signaler au gouvernement les anciens moniteurs de l'armée capables (?) de remplir les fonctions d'instituteur primaire.
La disette subsistant toujours, on prit dans les écoles normales de l'Etat un énorme contingent d'élèves de 16 à 17 ans, non diplômés, et on les nomma d’office instituteurs (page 144) communaux. On finit par s'adresser à des jeunes gens dépourvus de toute expérience pédagogique. A Reppel on envoya un instituteur qui n'avait qu'une année d'école normale ; Brée fut gratifié d'un sous-maître âgé de moins de 16 ans et qui n'avait fréquenté aucun cours normal ; Oedelem se vit imposer un instituteur de 15 ans, Geerdingen un jeune homme n'ayant passé que par l'école primaire. Ces nominations incroyables, faites contre le gré et contre le droit des communes, devinrent très fréquentes ; le ministre finit par s'adresser couramment à des gens d'une incapacité notoire. A Ellicom, il chargea de la direction de l'école officielle un commis-voyageur. A Nederheim, il nomma d'autorité le fils non diplômé d'un instituteur de Tongres, lui-même dépourvu de diplôme ; ce jeune homme suivait jusqu'alors les cours de 6e latine ; il n'avait pas 15 ans. A Greindl, les fonctions d'instituteur furent dévolues à un enfant de 13 ans. Ailleurs on ne craignit pas de nommer des indignes : c'est ainsi qu'à Woubrechtegem l'instruction des deux élèves de l'école officielle fut confiée à un pédagogue s'adonnant notoirement à l'ivrognerie, tandis que Opoeteren fut pourvu d'un instituteur qui, à la suite de graves démêlés avec la justice, avait été forcé de donner sa démission dans une autre commune.
Les difficultés du recrutement n'étaient pas moindres dans les écoles de filles. Le ministre avait beau vider les écoles normales, prendre toutes les postulantes qui lui offraient leurs services, se contenter même de jeunes filles qui n'avaient jamais fréquenté qu'une école primaire (page 145) ou un atelier de couture (Note de bas de page : A Saint-Gérad et à Saint-Médard, l’enseignement des filles fut confié à des institutrices qui n'avaient jamais qu'un atelier de couture. A Tellin, le ministre nomma institutrices deux jeunes personnes qui jusque là dirigeaient un café à Saint-Hubert.) Pendant plusieurs mois, nombre de classes restèrent vides, faute de maîtresses pour les diriger, et, jusqu'en 1884, le personnel féminin des écoles primaires resta insuffisant.
Quant aux écoles normales des deux sexes il ne fut guère aisé non plus de les peupler. L'interdit jeté par le clergé sur ces établissements était partout observé avec une extrême rigueur, et, en dépit des efforts de M. Van Humbeeck, les familles chrétiennes se refusaient obstinément à envoyer leurs enfants dans les établissements officiels. La situation devenait d'autant plus difficile pour le gouvernement, qu'il avait besoin d'un nombre considérable d'élèves pour garnir les nouvelles écoles normales qu'il créait sur plusieurs points. L'une d'elles s'ouvrait Namur en novembre. « La gueuserie de Namur, disait à ce propos l'Ami de l'Ordre, a dû se mettre en quatre pour racoler un nombre présentable d'aspirantes. On a été jusqu'à embaucher des bonnes d'enfants et des servantes, plus aptes à balayer la rue et à soigner le pot-au-feu qu'à s'initier aux choses de l'enseignement. Tout a fait nombre. » Mais, dès le lendemain, les désertions commençaient, et les vides ainsi produits ne pouvaient plus être comblés.
Le gouvernement, cependant, ne se tenait pas pour battu : il augmentait de neuf le nombre de ses écoles (page 146) normales et poussait démesurément la production de ses instituteurs. Pendant les cinq années de la lutte scolaire, les établissements officiels délivrèrent jusque 3.496 diplômes, soit seulement 300 diplômes de moins que pendant les 34 années précédentes.
Tels maîtres, tel enseignement : dans l'école Van Humbeeck, l'enseignement fut la hauteur du corps professoral, c'est-à-dire que son infériorité devint flagrante.
Les programmes scolaires du gouvernement furent surchargés d'une foule de matières inutiles, que les écoliers n'étaient pas plus en mesure de comprendre ni de retenir, que la plupart des maîtres n'étaient capables de les enseigner. Dans un petit nombre d'écoles, les maîtres essayèrent d'inculquer leurs élèves cette masse de connaissances disparates : ils firent de ces malheureux enfants des « petits savants » ou plutôt de jeunes déclassés, à qui il ne resta de leur séjour à l'école qu'une énorme dose de suffisance. Mais le plus souvent les instituteurs se montraient complètement inférieurs à la tâche qui leur était imposée par la franc-maçonnerie.
Dans certains ressorts des Flandres, c'était à peine si, au témoignage des inspecteurs, on pouvait découvrir une seule école où toutes les branches du programme fussent enseignées. Même dans les sphères libérales, on considérait les programmes officiels comme des réclames dénuées de toute valeur pratique et destinées à éblouir les badauds, plutôt que comme des règlements observer par les instituteurs ; Gand, non seulement les programmes du (page 147) ministère de l'instruction publique n'étaient pas suivis dans les écoles communales, mais les instituteurs reçurent l'ordre formel de n'en tenir aucun compte. (Voir, à ce sujet, le Bulletin officiel des séances du conseil communal de Gand (année 1880, séance du 15 novembre, p. 675.)
Les rapports des inspecteurs scolaires de cette époque contiennent de curieux détails sur la situation de l'enseignement officiel.
Qu'on en juge par cet extrait d'un rapport de l'inspecteur du ressort de Charleroi :
« Des instituteurs semblent n’avoir accepté leurs fonctions qu'à défaut d'autre position. Ils donnent aux amusements le temps qu'ils devraient consacrer à la lecture de nos grands écrivains. Les meilleurs ouvrages de pédagogie leur sont inconnus. Ils sont aussi pressés d'abandonner leur école qu'ils sont lents s'y rendre ; parfois même ils la ferment arbitrairement. La prospérité de l'enseignement les touche peu ; aussi les résultats qu'ils obtiennent sont en rapport avec leur indifférence et leur apathie.
« Des mesures de rigueur devront prises contre eux... 190 écoles ont un mobilier complet ; dans 103 autres il laisse à désirer. ; il est mauvais dans 52. »
Les concours annuels institués par le gouvernement entre les élèves des écoles primaires officielles achevèrent de révéler le désarroi de la situation. Le nombre de certificats délivrés chaque année diminua progressivement : en 1880, 8802 élèves prirent part au concours et obtinrent 5000 certificats ; en 1882, 7803 élèves n'obtinrent que 4066 certificats ; en 1884, le nombre des certificats s'éleva seulement à 2678 pour 10,055 concurrents.
(page 148) Au fond, le mal était souvent plus apparent que réel, étant donnée l'infériorité écrasante de la population scolaire officielle.
Dans la séance de la Chambre du 18 novembre 1879, M. Frère-Orban déclara, avec une certaine complaisance, qu'il n'y avait dans le pays que 168 écoles officielles absolument désertes. Pour significatif qu'il fût, l'aveu du chef du cabinet n'était pas complet. Le nombre des écoles vides était, en réalité, bien plus considérable, et il fallait y ajouter une quantité plus grande encore d'établissements à peu près déserts. Le Limbourg contenait 38 écoles communales complètement vides. En Flandre Orientale, il y avait 53 écoles officielles qui ne comptaient pas un seul élève ; dans 68 autres, le chiffre des élèves ne dépassait pas la dizaine ; en Flandre Occidentale, la situation était sensiblement la même. Dans la province de Namur, 38 communes entretenaient une ou plusieurs écoles entièrement vides ; il y avait, de plus, 61 écoles ne contenant pas 10 élèves. En Luxembourg, la proportion était plus forte encore : on y trouvait 32 communes dont les écoles n'étaient fréquentées par aucun garçon ni aucune fille, 59 écoles n'atteignant (page 149) pas le chiffre de 5 élèves, 64 qui en avaient de 5 à 9, sans arriver au chiffre de 10.
Dans le pays entier, 728 communes, soit environ un tiers du nombre total, ne comptaient pas dans leurs écoles une population supérieure à 25 élèves.
Un petit fait, qui dépeint la situation de l’enseignement officiel, telle qu'elle se présentait dans de nombreuses localités. L'école communale de Moerkerke n'avait comme unique élève qu'un bambin de 9 ans ; le curé rencontre un jour le pauvre petit se promenant tout seul dans les champs. « Eh bien ! mon ami. lui dit-il, il n'y a donc pas école aujourd'hui ? » « - Non, M. le curé, quand je ne vais pas à l'école, il n'y a pas école. »
Encore n'était-ce point faute de peines qu'on obtenait ces brillants résultats.
Sur tous les points du pays, une véritable traque à l'élève avait été organisée. On s'était adressé d'abord à tous ceux que leur situation plaçait dans la dépendance de l'administration centrale : de fait, presque partout, la population scolaire se composait en majorité d'enfants appartenant aux instituteurs, aux agents de l'Etat ou aux hospices civils ; dans beaucoup de communes rurales les enfants de fonctionnaires étaient même les seuls élèves des établissements neutres.
D'autre part, les membres des comités scolaires officiels, les pédagogues de tout rang, les maîtres des pauvres, les gardes champêtres libéraux et autres libres-penseurs de village s'étaient mis en campagne, battant consciencieusement jusqu'aux moindres hameaux, ramassant tout ce qu'ils (page 150) parvenaient à découvrir, enrôlant indistinctement les grands et les petits élèves, qui n'allaient à aucune école pour le bon motif qu'ils étaient ou trop jeunes ou trop âgés. A Houffalize, on rencontrait dans les écoles d'adultes des élèves de 40, 50, 60 et même 70 ans. Par contre, de nombreuses classes primaires étaient fréquentées par des enfants de l'âge le plus tendre. M. Beernaert signala à la Chambre une école de filles de la Flandre Occidentale qui contenait 10 élèves n'ayant pas plus de 3 ans et demi (Séance du 4 février 1880). Il y a des classes, disait M. Malou, qui sont remplies de moutards, à ce point qu'à la sortie de l'école la moitié des élèves porte l'autre ; on ajoute même qu'à raison de l'inexpérience des élèves, on dut mettre, dans certaines écoles, du sable derrière les bancs » (Séance du 29 janvier 1880). Dans une importante commune de la Flandre orientale, un membre du comité scolaire officiel apporta un jour triomphalement à l'institutrice gardienne un enfant dont il voulait peupler son école, déserte jusque là. L'institutrice se récria : le petit n'avait qu'un an et demi ! L'agent recruteur insista, menaça d'une destitution ; rien n'y fit. L'enfant fut rapporté sa mère, mais un rapport défavorable l'institutrice fut envoyé au ministère de l'instruction publique.
On conçoit que, dans ces conditions, le métier d'instituteur était souvent une sinécure. Maîtres et maîtresses coulaient leurs jours dans une douce oisiveté. Quelques-uns, (page 151) cependant, se morfondant d'ennui, utilisaient d'une manière plus profitable les loisirs que leur laissait l'enseignement officiel. A Saint-Paul, en Flandre orientale, l'instituteur, jeune homme industrieux et actif, ne trouva rien de mieux que d'installer dans le local absolument vide de son école un élevage de lapins ; l'instituteur de Carlsbourg, qui n'avait pour élèves que ses propres enfants, envoya ceux-ci à l'école libre et transforma ses classes en volières à corneilles. Un jeune limbourgeois, qui « dirigeait » dans une commune rurale une école sans élèves, avait été nommé instituteur à Tongres, en remplacement d'un confrère mis à la pension ; il trouva ingénieux de cumuler ce nouveau poste, qui lui procurait 12 élèves, avec son ancienne place de magister de campagne. Mais ceci dépassait les bornes permises. L'administration rurale se refusa formellement à payer son instituteur ubiquiste ; par extraordinaire, l'autorité centrale lui donna raison et reconnut qu'il n'était pas possible de faire la leçon, à une lieue de distance, dans deux écoles la fois.
Certains instituteurs occupaient joyeusement leurs loisirs. On cite un maître d'école du Luxembourg qui passait le plus clair de son temps à faire danser au violon les filles des villages voisins. A Sainte-Croix, prés de Bruges, l'instituteur en chef et le sous-instituteur, à peines installés de quelque temps, s'étaient vu retirer le seul enfant qui eût continué à fréquenter communale. Ils furent tout d’abord désolés : n'avoir qu'un seul élève pour deux pédagogues, et le perdre : c'était navrant. Aussi ces zélés fonctionnaires essayèrent-ils de se consoler en faisant, à partir (page 152) de ce moment, de quotidiennes excursions à Bruges. Mais le bourgmestre de Sainte-Croix, M. de Bie, ne l'entendait pas ainsi. On obligeait la commune à payer deux instituteurs, sous prétexte que des élèves pourraient se présenter à l'école : M. de Bie obligea les deux instituteurs à se trouver chaque jour dans leur établissement pendant les heures fixées par les règlements, sans même leur faire grâce de la demi-heure consacrée à la récitation du catéchisme officiel. Le bourgmestre faisait constater ou bien allait lui-même constater chaque jour si les deux budgétivores de la commune étaient à leur poste.
L'enseignement officiel était battu à plate couture ; le gouvernement s'en apercevait avec terreur. Pour masquer la situation, il recourait à tous les artifices imaginables. Ainsi, il grossissait le chiffre d'élèves de certaines écoles vides, en y envoyant des élèves d'autres communes (c’est le cas des communes d’Enghien et de Mont-Saint-Amand). Il se refusait, malgré les sommations de la droite, à faire connaître au pays la population scolaire détaillée de ses établissements (Annales parlementaires, 17 février 1880). Il alla jusqu'à casser, au nom de l'intérêt général, la décision d'une députation permanente qui avait prescrit aux communes de son ressort de lui fournir des renseignements sur la situation de leurs écoles (Arrêté royal du 2 juillet 1880, cassant la décision prise le 22 juin 1880 par la députation de la Flandre occidentale).
(page 153) Mais ces dissimulations ne trompaient personne. Les écoles désertes ne se remplissaient pas ; les autres continuaient de se vider. L'hostilité du pays contre la loi scolaire se faisait menaçante. Surtout dans les campagnes, on ne ménageait aucune marque d'antipathie aux instituteurs neutres. Ceux-ci étaient parvenus à se rendre odieux à tel point que les habitants de beaucoup de villages, Ies traitant comme des renégats, s'abstenaient de toute communication avec eux. Ici les voituriers refusent de les transporter, eux et leurs meubles, à leur nouveau domicile ; ailleurs les paysans s'entendent pour ne leur vendre aucune denrée alimentaire, et il faut qu'ils fassent venir de la ville voisine le pain, la viande, la bière. Les fournisseurs à qui ils s'adressent les éconduisent. Parfois l'école ne contient pas de logement, et l'instituteur doit chercher une chambre dans le village : alors les propriétaires se coalisent pour repousser ses propositions, et il est obligé de s'installer hors de la localité.
Les administrations communales n'étaient, en général, pas moins hostiles au nouvel enseignement. Le plus souvent elles refusaient d'user de leur droit de nommer l'instituteur et s'abstenaient de voter son traitement ; la plupart s'opposaient énergiquement à la construction de nouvelles écoles et soutenaient indirectement l'enseignement libre, qui était seul dans les vœux de la population.
Ne pouvant compter sur aucun appui dans la plupart de ces administrations, le gouvernement voulut au moins y introduire des éléments favorables à ses vues. L'occasion (page 154) lui en fut donnée au début de 1879 : le mandat des bourgmestres et des échevins devait être renouvelé ; le choix du ministre de l'intérieur se porta, partout où il put s'exercer, sur des hommes entièrement dévoués à la politique du gouvernement. M. Rolin les prit dans la minorité du conseil ; souvent même il désigna comme bourgmestre le seul membre libéral de l'administration, sans tenir aucun compte des garanties de capacité ni de dignité.
Ces vexations demeurèrent sans effet. Les « bourgmestres roliniens » n'en imposaient pas plus aux communes forcées de les subir, que les gouverneurs de combat n'étaient écoutés par les assemblées provinciales.
Devant la menace de cette opposition formidable, le gouvernement n'avait qu'une chose à faire : c'était de désarmer. Il fit tout juste le contraire : il se lança à corps perdu dans la lutte contre la liberté des consciences et contre l'autonomie locale.
Nous allons le suivre dans les phases diverses de cette néfaste stratégie, si féconde en abus de pouvoir et en coups de parti ; nous le verrons combattre l'enseignement libre au moyen des gaspillages scolaires ; s'efforcer de capter les sympathies des familles par l'appât de l'instruction gratuite ; travailler à endormir leur vigilance par la simulation hypocrite d'un beau zèle religieux ; recourir contre elles à une pression éhontée ; s'en prendre enfin à la liberté d'enseignement elle-même et contrecarrer son expansion par de multiples vexations administratives.
But des gaspillages scolaires - Création d'écoles inutiles - Nomination d'instituteurs parasites - Accroissements insensés des budgets scolaires des communes - Coût de l'enseignement officiel - Traitement plantureux des instituteurs communaux - Crise financière des communes - Résistance des administrations locales - L' « autorité scolaire » - La délation - Les annulations - Dilapidation des finances des provinces et de l'Etat - Accroissement de l'ensemble des dépenses scolaires - L'emprunt - Le déficit
(page 155) « Nous avons institué un système scolaire, s'était écrié à la Chambre un haut dignitaire de la Loge, M. le Hardy de Beaulieu ; nous devons le soutenir. » Et, sans souci de la volonté que lui signifiait le pays, le gouvernement se mit en devoir d'exécuter l'oukase de la franc-maçonnerie. Il commença par mettre au pillage les caisses des communes, en leur imposant des charges scolaires exorbitantes, véritables contributions de guerre.
Le but poursuivi était double : d'une part, on avait chance, en fortifiant la machine gouvernementale, de décourager, à la longue, les contribuables catholiques, forcés de payer deux fois ; d'autre part. on se vengeait des communes récalcitrantes en les ruinant, on les punissait de leur résistance en détruisant leur autonomie. Ce procédé, - on s'en rendait parfaitement compte dans les hautes sphères - n'aurait pas pour résultat immédiat de peupler les écoles désertes ; mais ainsi du moins il apparaîtrait aux yeux de tous que le gouvernement n'entendait pas reculer.
(page 156) Saigner le pays aux quatre veines, pour le mieux combattre, tel fut donc le mot d'ordre de la politique scolaire maçonnique. Les communes furent désormais rançonnées, non pas raison des nécessités réelles d'un service public, mais à raison des préférences et des sympathies que leurs habitants accordaient à l'enseignement libre. De nouvelles écoles furent décrétées précisément dans les communes où l’enseignement officiel était le plus abandonné, - corvées sans cesse alourdies et dont le caractère vindicatif n'était pas même dissimulé. Quant aux maîtres parasites, on vit leur nombre s'accroître à mesure que diminuait la population de leurs classes ; ils devinrent des garnisaires ministériels, vivant aux frais des habitants. Bref, il semblait que le gouvernement eût pris pour maxime que moins l’enseignement officiel était fréquenté dans une commune, plus il importait d'y multiplier les dilapidations scolaires.
La presse catholique et les chefs de la droite, dans leurs discours à la Chambre et au Sénat. firent connaître au pays, dans leur détail, ces splendeurs de la politique libérale. Tous les ans, lors de la discussion du budget de l'instruction publique, un véritable réquisitoire était ainsi dressé contre le gouvernement et ses effroyables gaspillages. A la Chambre, l'attaque était menée principalement par MM. Jacobs, Beernaert, Woeste. van Hoorde, Cornesse, van den Peereboom et Tack ; au Sénat, c'étaient surtout MM. Solvyns, Lammens, Casier, qui harcelaient l'adversaire.
On me permettra d'emprunter à ces exposés bourrés de faits quelques traits particulièrement saillants.
(page 157) Un mot d'abord sur les écoles.
La règle est qu'on en crée de nouvelles partout, même lorsque la nécessité ne s'en fait nullement sentir. Là où une école suffit, on en établit une seconde. Là où une école mixte répond à tous les besoins, on ordonne aux communes d'ouvrir des écoles de filles, on prescrit l’établissement d'écoles gardiennes, d'écoles d'adultes. A Hoorebeke-Sainte-Marie, commune de moins de 1600 âmes, on exige deux écoles de filles, deux écoles de garçons et deux écoles gardiennes. A Oostakker, l'école officielle était mixte ; elle avait 11 élèves, 9 garçons et 2 filles ; le ministre ordonne à la commune de créer une école de filles. A Beveren, près de Roulers, il y a un élève à l'école officielle ; le ministre impose la construction d'une deuxième école. En Limbourg, la population scolaire des établissements publics était autrefois de 25,000 élèves ; elle est tombée en dessous de 5000 ; cela n'empêche pas le ministre de décréter la création de plus de cent écoles nouvelles.
Ces vexations étaient surtout fréquentes dans les campagnes ; cependant bien des petites villes n'étaient pas traitées avec plus de ménagements. A Saint-Nicolas, on comptait, en 1880, 18 écoles neutres et 8 écoles catholiques. Dans les 10 classes officielles, il y avait 270 élèves, contre 2408 dans les 8 écoles libres ; les premières pouvaient recevoir le triple d'élèves. Que fait M. Van Humbeeck ? il ordonne l'érection : 1° d'une nouvelle école pour garçons ; 2° d'une école centrale pour filles ; 3° d'une section gardienne. A Enghien, il y avait en tout quatre petits garçons fréquentant l'école primaire (page 158) communale. Le 31 mai 1880, le ministre de l'instruction publique prend un arrêté ordonnant la création d'ure école gardienne. Vu, disait l'arrêté. le rapport de l'inspection scolaire, d'où il résulte qu'une institution destinée à recevoir les enfants de 3 à 6 ans est Enghien, etc. (Note de bas de page : M. Van Humbeeck alla jusqu’à soutenir en pleine Chambre (séance du 19 juin 1883) celte thèse Incroyable que le nombre des élèves n’avait aucun rapport avec le développement des bâtiments et que les constructions nouvelles pouvaient et devaient s’étendre en raison inverse de la diminution de la population scolaire.)
Mainte de ces constructions scolaires affichait un luxe insensé ou se faisait remarquer par ses dimensions absolument exagérées. Telle école primaire, située en rase campagne et presque vide d'élèves, comptait vingt fenêtres de façade au rez-de-chaussée. Au milieu des bruyères de la Campine, dans de pauvres hameaux composés de quelques chaumières et éloignés de tout village important, s'élevaient de véritables palais scolaires, construits en matériaux de choix. A Bruges, le gouvernement édifia une école normale dont le coût dépassa un million et demi. Blankenberghe se vit doter d'une école primaire tellement vaste que, pendant la saison balnéaire, l'instituteur et l'institutrice y louaient des appartements : dans cette même commune, on éleva une école moyenne de 200.000 francs. A Grammont, le gouvernement imposa la construction d'une école primaire qui coûta plus de 300,000 francs.
De 1879 à 1884, il fut dépensé, rien que par les communes, plus de 26 millions en constructions scolaires.
(page 159) Les nominations d'instituteurs donnaient lieu à des abus encore plus révoltants. Elles se faisaient presque toujours d'office, la plupart des communes refusant de prêter la main au gaspillage éhonté de leurs deniers. Le gouvernement finit par imposer ses instituteurs, sans plus même consulter les administrations communales jugées hostiles !
On vivait sous le régime du bon plaisir. Qu'on en juge par ces quelques exemples. A Swevezeele, il y avait un instituteur pour deux enfants ; cela ne suffit pas ; le ministre nomme un sous-instituteur. A Oostroosebeke, il n'y avait qu'un enfant à l'école officielle. Il semblait qu'un instituteur dût suffire ; la commune le pensait ainsi. Elle se trompait, car le gouvernement lui en imposa un second. Et ce ne fut pas tout : l'unique élève quitta l’école, de telle sorte que les deux instituteurs passèrent désormais leurs journées à se regarder. A Opbrakel, village de 1,750 âmes, l'école communale de garçons était vide ; l'école de filles contenait une fille étrangère à la commune. Or, il y avait, pour cette seule fille, un instituteur en chef, un sous-instituteur, une sous-institutrice. Le ministre installa une seconde sous-institutrice. A Bruges, on nomma, en novembre 1880, une douzaine de nouvelles maîtresses et, notamment, une institutrice et six sous-institutrices pour une école dont le local n'était pas encore construit !
Ces charges purement vexatoires imposées aux communes les plus pauvres faisaient monter les budgets scolaires dans des proportions invraisemblables. Ainsi, à Bavichove et à Bellegem, il n'y avait, en 1879, (page 160) pas un seul élève dans l'école, et cependant la première de ces deux communes est obligée de payer annuellement 2,950 francs pour l'enseignement, tandis que la seconde est forcée d'en dépenser 4,597. A Saint-Paul, à Hamme (Sainte-Anne) et à Belcele, les budgets scolaires pour 1882 s'élèvent respectivement à 3591 francs, 3.200 francs et 5,971 francs, bien que les écoles de ces trois communes ne soient fréquentées par aucun élève. A Anseghem, l'école officielle comptait, en 1880, deux élèves, le budget s'élevait alors à 4,290 francs. En 1882, ces deux enfants cessent de suivre les cours, l’école est complètement vide ; c'est le moment de réduire la dépense. Mais le ministre veille au grain ; il inscrit d'office au budget de 1882 une somme de 5384 francs, soit une augmentation de plus de mille francs !
Dans l'arrondissement de Courtrai, les dépenses scolaires s'élèvent, en 1882, à 21,379 francs pour cinq communes dont les écoles officielles ne contiennent pas un seul élève ; elles atteignent 46,121 francs dans 14 communes qui ont ensemble 68 élèves dans leurs écoles.
En 1181, le service ordinaire de l’enseignement primaire dans la Flandre occidentale passe de 991,292 francs, chiffre de 1875, 1.354,994 francs, et cela malgré une perte de 65,633 élèves ; en d'autres termes, les dépenses ordinaires de l'enseignement primaire, qui, en 1875, revenaient à 11 francs par élève. montent, en 1881, à 77 francs par tête, et les dettes des communes augmentent de près de 9 millions de francs.
En Limbourg, il est établi par les documents officiels que l'enseignement public coûte, en 1880, 661,980 francs, (page 161) sans les dépenses extraordinaires ou indirectes ; or, les écoles primaires ne sont fréquentées que par 4,680 élèves et les classes gardiennes par 79 enfants ; il en résulte que chaque élève qui fréquente une école publique en Limbourg coûte annuellement aux contribuables 142 francs 21.
Un relevé des écoles des deux Flandres qui sont les moins peuplées donne un total de 724 instituteurs pour 432 élèves ; les traitements globaux des maîtres s'élevant à 1,089,720 francs, ces 432 élèves coûtent, en moyenne, rien qu'en traitements, chacun 2,520 francs.
Et ce n'étaient pas seulement les dépenses obligatoires et soi-disant normales qui encombraient les budgets scolaires des communes : celles-ci se voyaient tous les jours imposer d'office des dépenses légalement facultatives, pour fournitures classiques, pour chauffage et entretien des locaux, pour aménagement de classes nouvelles, pour augmentation du traitement des instituteurs.
Il n'était pas d'interprétation arbitraire à laquelle on n'eût recours pour grossir sans cesse les émoluments de ces intéressants fonctionnaires. Le gouvernement ne se contentait pas des sommes qui leur étaient allouées par les communes dans les limites fixées par la loi ; partout il les majorait, et, la plupart du temps, sans aucune espèce de fondement.
A l'école officielle de Lendelede, il n'y avait plus, en 1880, que trois élèves. La commune, qui, jusque là, entretenait un instituteur en chef à 1,520 francs et un sous- instituteur à 1,100 francs, crut de bonne administration de (page 162) congédier le sous-instituteur. Cette décision parut inadmissible à l'autorité centrale. Le budget de Lendelede fut annulé et « réorganisé » : l'instituteur en chef vit porter son traitement à 2,491 francs ; le sous-instituteur fut rétabli et reçut 1.225 francs ; en y ajoutant 225 francs de frais divers, le budget scolaire s'éleva 3,941 francs, soit 1,313 francs par élève.
A Sleydinghe, tous les enfants en âge d'école suivaient l’enseignement catholique, sauf quatre, dont deux garçons et deux filles, appartenant tous à la même famille, celle d'un fermier du très libéral châtelain de Moerbeke, Lippens. député de Gand. L'administration communale croyait avoir fait très largement les choses en allouant à l'école des garçons un budget de 1,725 francs et à celle des filles des allocations s'élevant au même chiffre. L'autorité centrale se montra plus libérale des deniers des contribuables : elle éleva le budget de l'école des garçons 4,275 francs et celui de l'école des filles 4,075 francs. Chacun des quatre petits fermiers de M. Lippens coûta dorénavant à la commune de Sleydinghe la modeste somme de 2.087 francs par an.
Pour grossir le traitement de ses pédagogues, l'autorité supérieure recourait aux prétextes les plus saugrenus.
L'école officielle de Thielrode comptait un élève, une fille, qui recevait l'instruction d'un maître et d’une maîtresse. Le premier touchait de ce chef un traitement de 1,800 francs, plus 100 francs pour l’enseignement du catéchisme ; on lui ajouta 200 francs pour... une école d'adultes (page 163) qui ne fut jamais fréquentée que par lui-même. Quant à l’institutrice, elle touchait 1,200 francs ; si bien que l'instruction d'une seule petite fille coûtait à la commune, rien traitements, la bagatelle de 3,300 francs.
A Burst, on nomme d'office une maîtresse de couture, - c'est la femme de l'instituteur, - bien que l'école officielle ne soit fréquentée que par trois garçons.
A Laerne, l'école officielle compte 22 élèves, filles ct garçons, y compris les 4 enfants du maître ; parmi la population scolaire masculine il y a de tout petits bambins encore en jupons. La place de sous-instituteur étant devenue vacante, le conseil communal la supprime au budget de 1880. M. Van Humbeeck s'empresse de la rétablir ; il choisit pour cette fonction un des fils du maître d'école. Ce dernier, qui a trois fils, est laissé libre de confier la place à celui d'entre eux qui lui convient le mieux. L'aîné a 13 ans, mais il préfère son second fils, qui compte 12 années et qui suivait encore les leçons de l'école paternelle. Le ministre avait attaché la place de sous-instituteur un traitement de 1,200 francs : superbes débuts pour un jeune homme qui passe ainsi d'un bond du banc des élèves au pupitre du magister. Ce n'est pas tout. M. Van Humbeeck, qui tient à prouver qu'il affectionne ses maitres. nomme encore la femme de l'instituteur aux fonctions de « maîtresse d’ouvrages manuels », ce qui lui vaut 500 francs pour apprendre tricoter à deux filles, dont l'une est la sienne propre. Cette tribu privilégiée de rongeurs émarge donc à (page 164) concurrence de 3,900 francs par an au budget de la commune de Laerne.
Rappelons encore le cas de la commune de Meulebeke, un des plus frappants, et qui fut souvent cité la Chambre.
Les écoles officielles de cette commune de 9000 âmes contenaient, au début de 1880, vingt-cinq élèves, tous dépendant, par leurs familles, du bon plaisir de l'administration centrale ou de certains industriels libéraux (Note de bas de page : Les écoles catholiques de Meulebeke étaient fréquentées à la même date par douze cents enfants). De ces 25 élèves, quatre ont dépassé l'âge légal de 14 ans, onze ne l'ont pas atteint, puisqu'ils n'ont pas 6 ans ; parmi les inscrits figure même une enfant née le 29 janvier 1879. Pour instruire cette intéressante génération, la commune a été contrainte de dépenser 90,000 francs en constructions scolaires ; elle entretient trois instituteurs et trois institutrices au traitement global de 10,500 francs ; l'ensemble du budget scolaire s'élève à 14,916 francs, ce qui constitue une dépense de près de 600 francs par élève. Cependant, M. Van Humbeeck juge la dépense insuffisante : il met l'administration communale en demeure de construire cinq nouvelles écoles. Ce n'est pas assez. L'instituteur en chef, appuyé par le gouverneur de la province, réclame des augmentations de traitement s'élevant plus de 4000 francs, pour lui et les membres de sa famille qui collaborent à l'instruction des 25 bébés officiels. Or, voici le décompte de ce que la (page 165) commune de Meulebeke avait déjà à payer à cette famille privilégiée : Traitements de M. Théophile Viaene 3,454 fr., M. Prudent Viane 1,150 fr., Mlle Mélanie Viaene 2 ;350 fr., Mlle Emilie Viane 1,000 fr., Mlle Marie Viane 700 fr. ; et pour l’école d’adultes : M. Théophile Viane 500 fr., Mlle Mélanie Viane 500 fr. Soit au total : 9,054 fr.
La commune refusa de satisfaire les ambitions nouvelles de ce clan coûteux. Sa résistance énergique eut partiellement raison des injonctions de l'autorité supérieure.
L'exemple de la famille Viaene ne resta pas isolé. A partir de 1880, on vit figurer aux Annales parlementaires d'innombrables pétitions d'instituteurs réclamant l'amélioration de leur sort : presque toutes demandaient que le revenu (sic) de ces rentiers du département de l'instruction publique fût fixe au lieu d'être calculé sur la population scolaire. M. Van Humbeeck finit par leur donner raison : un règlement du 31 décembre 1883 décida que les traitements des instituteurs seraient dorénavant gradués en raison de l'importance de la population des communes.
Ces dilapidations provoquaient une indignation générale dans une foule de communes. Blessés dans leurs convictions intimes, les contribuables se voyaient, d'autre part, gravement atteints dans leurs intérêts matériels. Pour subvenir aux (page 166) dépenses nécessitées par les écoles vides et par les maîtres parasites, bon nombre de communes avaient été forcées de négliger des dépenses utiles ou même de créer des taxes nouvelles. L'état des trésors locaux devenait détestable ; les souffrances de l'agriculture s'accentuaient chaque jour davantage : la rentrée des impôts était loin d’être aussi régulière qu'auparavant ; des milliers de familles ne les acquittaient plus qu'avec peine, surtout dans les campagnes.
Mais ce n'était pas seulement dans les communes rurales que régnait la gêne ; les plus grandes villes du pays, surtout celles qui étaient pourvues d'administrations libérales, voyaient le plus clair de leurs ressources servir à alimenter le gargantua scolaire. (Note de bas de page : Nulle part, croyons-nous, les gaspillages scolaires n'atteignirent des proportions aussi fabuleuses qu'à Bruxelles. L’Etoile belge elle-même signala des chiffres qui font rêver : tel instituteur gagnait, en 1882, 6,750 francs, un autre 7,800, un autre 8,200, un quatrième 9,300 . Un ménage dont le mari et la femme étaient directeurs d’école encaissait 13,100 francs ; un autre couple se faisait annuellement 14,200 francs dans l’enseignement. Plusieurs instituteurs recevaient des « indemnités spéciales » pour des cours qu’ils ne donnaient pas ou pour des « travaux extraordinaires » de pure fantaisie ; l’un d’eux se voyait allouer 1200 francs par an pour diriger une école israélite supprimée quatre ans auparavant ; ses émoluments montaient à un total de 9,900 francs. L’Etoile voulut bien reconnaître que ces traitements étaient « prodigieux » et « qu’on pouvait les qualifie d’abus. » (Etoile belge, 20 février 1883.)
Il ressort des comptes des 21 communes du pays dont la population dépassait 20,000 âmes, qu'en une année, de 1879 à 1880, les impositions communales furent majorées de 2,878,000 francs, tandis que les dépenses scolaires augmentaient de 3, 250,000 francs. Dans dix de ces communes, le service de l'instruction publique (page 167) dévorait, et même au-delà, tout le produit des impôts communaux, c'est-à-dire que les ressources naturelles de ces communes, seule base stable de leur existence financière, étaient confisquées soit volontairement, par la complicité d'administrations de parti, soit violemment, par une sorte de brigandage d'Etat. Conséquence : les principales communes du pays devaient vivre d'aumônes gouvernementales ou solder leur budget en déficit.
Les administrations soucieuses des intérêts de leurs commettants luttaient aussi longtemps que possible et résistaient de leur mieux aux exigences du ministère. (Note de bas de page : Les administrations de Renais, Audenarde, Bruges. Saint-Nicolas, Nivelles, Mont-Saint-Amand se distinguèrent par la vigueur de résistance.) Parfois elles obtenaient gain de cause, grâce l'énergie et la persévérance de leur opposition (Note de bas de page : La ténacité victorieuse de la petite ville de Laroche est restée célèbre dans les Ardennes. En réponse aux injonctions ministérielles, le conseil communal de Laroche décida successivement de supprimer l'école des filles, de ne pas accueillit les sous-institutrices intérimaires imposées par le gouvernement, de ne pas payer leurs traitements ; il adressa à ce sujet des protestations à la Chambre, au Sénat, au Roi lui-même, tint bon devant les menaces du commissaire d’arrondissement, de l’inspecteur cantonal et du ministre Van Humbeeck et obtint finalement un gain de cause partiel par la suppression des places de sous-instituteur et de sous-institutrice (20 mars 1883)).
Mais le plus souvent leurs protestations se butaient, impuissantes, aux forces coalisées de la centralisation et de la bureaucratie ; elles ne réussissaient qu'à attiser les colères et provoquer dc nouvelles vexations, telles que l'envoi de commissaires spéciaux aux communes les plus opiniâtres.
(page 168) Il semblait qu'un quatrième pouvoir se fût établi dans l'Etat, pouvoir absorbant tous les autres, s'imposant à tous et s'intitulant lui-même « l'autorité scolaire ». Devant le despotisme de cette autorité tout devait plier et tout pliait ; elle escomptait à l'avance la signature ministérielle et même la signature royale. On cherchait en vain à connaître quelles étaient les règles qui guidaient cette autorité scolaire, quels étaient les principes sur lesquels elle se basait, qui la dirigeaient, qui la portaient à majorer le traitement de tel instituteur de 200 francs, les émoluments de tel autre de 300, de 400 francs, alors que la position de ces instituteurs était parfaitement identique : ils se trouvaient tous ou presque tous devant des écoles vides.
Ennuyer les communes « cléricales », contrecarrer l'enseignement libre, espionner, dénoncer les fonctionnaires, les bourgmestres et jusqu'aux magistrats trop indépendants pour se faire les serviles complices du ministère, telle était au fond l'occupation unique de ce pouvoir mystérieux ; à cela s'employaient les gouverneurs de province, les commissaires d'arrondissement, les inspecteurs, les membres des comités scolaires, les instituteurs pourvus de lucratives sinécures.
La délation sévissait partout. Les instituteurs qui voulaient plaire la considéraient comme le chemin de l'avancement : ils savaient qu'en espionnant, en dénonçant, ils se faisaient bien noter, et ils espionnaient, ils dénonçaient à outrance. Non seulement les délations étaient accueillies, mais elles étaient sollicitées, provoquées par les agents du gouvernement. Souvent elles donnaient lieu à des enquêtes administratives ou judiciaires. (page 169) On vit un gouverneur partir en guerre contre une administration communale réputée factieuse, et cela sur la foi de dénonciations anonymes.(Note de bas de page : Dénonciations contre l'administration communale d'Audenarde (avril-mai 1882).)
Quant à l'autorité scolaire supérieure, elle agissait envers les pouvoirs locaux exactement comme si elle se fût trouvée en pays conquis. Poussée par les délateurs à sa solde, elle faisait ou défaisait les budgets des communes, bâtissait ou agrandissait les écoles, multipliait sans cesse le personnels scolaire et introduisait d'office ses créatures dans les grasses prébendes de l'enseignement officiel. (Note de bas de page : On est frappé de voir combien, à vingt-cinq ans de distance, les procédés mis en œuvre sous le gouvernement de M. Frère-Orban ressemble à ceux qui fleurissent actuellement en France. La délation érigée à la hauteur d'une institution officielle est un nouveau trait d'analogie les deux régimes. A ces signes on reconnaît l’inspiration commune de la franc-maçonnerie.)
La commune n'avait plus rien à dire dans ses écoles. La loi lui attribuait la nomination des instituteurs ; or, dès qu'une nomination déplaisait, l'inspecteur refusait la prestation de serment à l'élu et faisait nommer par le gouvernement un de ses protégés, en violation flagrante de la loi. Un instituteur est accusé par la rumeur publique de vivre en relations adultérines avec une cabaretière chez qui il demeure. Le fait est porté par le bourgmestre la connaissance de l' « autorité scolaire ». L'instituteur porte plainte contre le bourgmestre et m’accuse de calomnie. Une enquête judiciaire a lieu : elle doit révéler des faits graves à charge de l'instituteur, puisque sa plainte est repoussée. Que fait (page 170) le ministre ? Il nomme celle que la rumeur publique accuse de complicité, il la nomme maitresse de couture dans l’école de cet instituteur. M. Jacobs dénonça le fait à la Chambre.
Il n'était pas même possible aux contribuables d'avoir connaissance de l'emploi de leur argent : ce fut ainsi que la Belgique étonnée put lire au Moniteur du 20 janvier un arrêté annulant la délibération d'une députation permanente qui, « pour affirmer son droit de s'intéresser aux affaires de la province » (sic), avait décidé que les budgets scolaires des communes seraient déposés sur son bureau. (Délibération de la députation permanente de la Flandre occidentale, 13 janvier 1881).
Jamais période ne fut plus féconde en arrêtés d'annulation. En un seul exercice, le gouverneur de la Flandre orientale prit de 600 à 700 recours contre des décisions de conseils communaux relatives aux écoles ; le gouverneur de la Flandre occidentale avoua une proportion analogue. Il n'était pas rare de voir au Moniteur des arrêtés royaux annulant globalement une cinquantaine de délibérations émanées d'autorités locales.
Les provinces n'étaient pas traitées avec plus de ménagements que les communes. Dès 1879, les six conseils provinciaux ayant une majorité catholique avaient rayé de leurs budgets, comme constituant des dépenses non obligatoires, les subsides aux écoles gardiennes et d'adultes et ceux qui leur étaient demandés pour construction de bâtiments d'école. Le gouvernement, violant sa propre loi scolaire, imposa d'office (page 171) aux provinces les dépenses dont elles ne voulaient pas se charger. Les provinces tinrent bon : elles refusèrent unanimement de voter les crédits sollicités. Leurs budgets furent remaniés de fond en comble ; le déficit s'y introduisit et y régna bientôt à l'état chronique.
Quant aux ressources de l'Etat, le gouvernement y puisait avec une désinvolture d'autant plus insouciante qu'aucun obstacle n'était ici dans son chemin. Nous n'entrerons pas dans le détail de ces prodigalités que stigmatisaient même certains journaux libéraux. Signalons seulement, à titre exemplatif, les abus de l'inspection scolaire, avec ses traitements de 12,000 à 15.000 francs, ses frais de route et de séjour d'une exagération fabuleuse, ses « suppléments » encaissés sous les formes les plus variées et sous les prétextes les plus futiles.
Rappelons encore les millions inutilement engloutis dans la construction des écoles normales, et ce « Musée scolaire », une des plus célèbres créations de M. Van Humbeeck, qui absorba en un seul exercice 60,000 francs, sur lesquels 47,000 passèrent en gratifications au personnel supérieur de l'instruction publique et en « indemnités pour travaux extraordinaires ».
N'oublions pas, enfin, l'hôtel de celui qui présidait à ce noble emploi de l'argent des contribuables et la stupeur de ceux-ci lorsqu'ils apprirent que l'ameublement du ministère de l'instruction publique avait coûté 442,000 francs.
Le budget de l'instruction publique s'élevait, en I877, à 11,582,041 francs ; en 1884, ce même budget atteignait le chiffre de 22, 107,013 francs.
(page 172) L'année 1877 soldait les dépenses de l'enseignement primaire par une somme globale de 26 ;260,214 francs ; à cette époque, 597,624 élèves fréquentaient les écoles communales ou inspectées. En 1883, tous les pouvoirs publics consacraient au même service la somme de 35,028,116 francs, alors que la population des écoles primaires officielles était descendue à 346,012 enfants. Ainsi, la dépense, qui revenait à 43 francs 50 par élève, en 1877, s'élevait, en 1884. grâce aux gaspillages scolaires, à 101 francs 20 par tête.
Pour couvrir ces dépenses. le gouvernement fit appel à l'impôt. Il commença, en 1879, par se faire allouer 12 millions, sous prétexte de combler le déficit prétendument laissé par le ministère Malou. Les dépenses augmentant et le déficit devenant cette fois indéniable, le cabinet, dans la session de 1882-1883, proposa un ensemble d'impôts s'élevant à 19 millions et frappant l'agriculture, le commerce et l'industrie. Il dut renoncer à un impôt projeté sur les cafés, vit rejeter des droits d'entrée sur le vinaigre, mais l'ensemble des impôts votés ne s'éleva pas moins à un total de 12 millions.
L'emprunt se développa progressivement. Au 31 décembre 1 878, la dette publique du royaume s'élevait à 1,253,994,648. Au 31 décembre 1884, elle était de 1,768,022,048 francs. Ainsi, en six années, le capital de la dette s'était augmenté de 514,027,400 francs, soit par an, en moyenne, de 85,671,233 francs.
Le déficit suivit la même progression. Il était de 3 millions en 1879 ; il n'était plus que de 88,000 francs en 1880 : il fut de 6 millions en et s'éleva l'année suivante à 15 millions ; (page 173) il atteignit, pour l'ensemble des six années de la domination libérale, le chiffre de 50,767,177 francs.
La gratuité absolue de l'enseignement primaire est décrétée par les administrations locales dans les communes libérales, par le gouvernement dans les communes catholiques - Résistance des communes et des députations permanentes catholiques - Les inspecteurs scolaires sont chargés de la révision des listes d'indigents - Inscription fictive, sur ces listes, d'élèves qui fréquentent les écoles libres, d'enfants appartenant à des familles aisées - Charges exorbitantes imposées de ce chef aux bureaux de bienfaisance
Les gaspillages scolaires du gouvernement n'avaient réussi qu'à exaspérer le pays. Beaucoup d'administrations communales libérales crurent plus habile de flatter l'esprit d'économie des familles, en décrétant la gratuité absolue dans les écoles placées sous leur direction.
Aussi prodigue des fonds qui ne lui appartiennent pas qu'avare de ses propres ressources, le libéralisme n'a jamais hésité à imposer au public les charges dont il est personnellement le bénéficiaire. Cette fois encore on vit les libéraux faire les généreux aux frais des contribuables catholiques et payer avec l'argent de ces derniers la gratuité des écoles neutres.
Les grandes villes donnèrent l'exemple ; les conseils de village suivirent. A Boitsfort, l'administration libérale (page 174) ne se contenta pas de donner gratuitement l'enseignement ; elle compléta cette mesure en décidant que tous les enfants de la classe ouvrière fréquentant les écoles officielles seraient habillés aux frais de la commune. A Neufchâteau, on promit des livrets à la caisse d'épargne. à Hodister, des gratifications annuelles. A Rueue, on décréta la gratuité absolue des fournitures classiques, sauf pour les garçons dont les sœurs allaient à l'école libre. L'administration de Pamele (14 élèves et 4 instituteurs) fit aux parents des distributions de linge ; aux enfants elle remit des tambours et des poupées. A Montzen, le bourgmestre fit servir ostensiblement aux bambins officiels. le jour de l'ouverture des classes, un déjeuner au chocolat ; chaque enfant reçut en outre un gros sac de friandises destiné à ses parents. Le clou de la propagande scolaire revient cependant à Verviers : les édiles de l'endroit ne trouvèrent rien de mieux. pour attirer les enfants dans les écoles communales, que d'y instituer un service dentaire gratuit à l'usage des élèves !
Cependant, les députations permanentes catholiques veillaient avec un soin jaloux à ce que la rétribution scolaire, dans les écoles officielles, fût fixée un taux suffisamment élevé et ce que l'admission gratuite des enfants y demeurât dans des limites convenables. Elles modéraient le zèle des communes qui décrétaient la gratuité absolue ou grossissaient les listes d'indigents, et cassaient leurs délibérations. Mais ces résistances réussissaient rarement à arrêter l'effet des mesures votées par les administrations libérales. A son tour, le gouvernement annulait impitoyablement les décisions (page 175) des députations permanentes, prétextant qu'elles étaient « contraires à l'intérêt général » ou « dénuées de tout fondement en fait et en droit », et déclarant « que la commune est mieux à même que personne de savoir qui doit recevoir renseignement gratuit ».
Par contre, un grand nombre de communes se refusaient à faire figurer sur leurs contrôles les enfants non indigents ; alors c'était l'inspecteur scolaire qui protestait, et cette fois le gouvernement donnait raison à l'inspection : « La commune, disait-il, n'entend rien à ces choses-là ; elle ne sait comment doivent être dressées les listes des enfants en âge d'école ; il n'y a pas lieu de s'arrêter à son avis ». Le cabinet maçonnique finit ainsi, au mépris de sa propre loi, par imposer la gratuité absolue à une foule de communes, tandis qu'il interdisait aux autres les plus légères augmentations de la rétribution scolaire.
Sur ce dernier point encore l'autonomie locale fut systématiquement foulée aux pieds. Les délibérations les plus anodines des conseils communaux étaient annulées sous des prétextes absolument futiles ou même sans aucune espèce de motif. A Saint-Médard, l'administration communale avait augmenté de quelques centimes la rétribution à payer par les élèves de l'école officielle ; celle-ci étant fréquentée par deux enfants, l'augmentation montait à 1 franc 10 par mois. La décision de la commune fut cassée, « parce que, paraît-il (sic), cette augmentation aurait pu nuire à l'école officielle et favoriser dans l'avenir les écoles libres en voie de création. »
Pour faciliter encore, en ce domaine, la tâche de(page 176) l' « autorité scolaire », M. Van Humbeeck envoya aux gouverneurs de province, le 5 juin 1880, une circulaire destinée à annihiler complètement les droits des députations permanentes : il était enjoint aux inspecteurs cantonaux de réviser dorénavant eux-mêmes les listes d'indigents dressées par chaque commune et de les compléter, le cas échéant, avant qu'elles eussent été soumises à la députation permanente. De leur côté, les gouverneurs étaient invités à se pourvoir auprès du Roi contre les décisions des députations, « chaque fois qu'elles ne seraient pas conformes aux propositions des inspecteurs.
En fait, la gratuité scolaire fut décrétée presque partout. Mais c'était peine perdue ; les catholiques en faisaient autant dans leurs écoles et les établissements officiels continuaient de se vider. Alors l' « autorité scolaire « inscrivit fictivement sur les listes officielles d'indigents des enfants qui fréquentaient les écoles libres. On arrivait ainsi à gonfler le chiffre de la population scolaire libérale, si bien que, dans le Limbourg, par exemple, au dire du chevalier Schaetzen, député de Tongres, plus de 1,000 enfants figuraient à tort sur les relevés des inspecteurs de l'Etat pour l'exercice 1881 ; on se retournait ensuite vers les bureaux de bienfaisance ; on les forçait à grossir les émoluments des pédagogues officiels, en proportion des indigents vrais ou faux inscrits sur leurs listes, et c'était un spectacle révoltant de voir, en une foule d'endroits, ces fonctionnaires parasites bénéficier d'allocations indûment prélevées sur le patrimoine des pauvres.
Ce qui n'était pas moins odieux, c'est qu'on inscrivait sur les contrôles des indigents des enfants appartenant à des familles aisées, voire même des morts... A Eecke, où l'école ne comptait pas un seul élève, l'instituteur signala, comme secouru par l'assistance publique, le fils de M. Edmond De Bock, avocat à Gand et propriétaire d'une maison de campagne dans la localité. A Evergem, un échevin payant 192 francs de contributions vit également figurer son fils sur la liste des enfants indigents. A Eyne, le ministre inscrivit d'office les enfants du bourgmestre et du notaire. Un inspecteur de Saint-Trond renseigna sur sa liste la fille d'un grand propriétaire foncier, éligible au Sénat !
On ne tenait d'ailleurs aucun compte des réclamations des intéressés. A Rommershoven, les noms de cinq enfants aisés avaient été inscrits par arrêté royal sur les contrôles des admissions gratuites. Les parents avaient protesté. L'administration communale prit la délibération suivante :
« Le collège déclare illégales et inadmissibles les inscriptions prescrites par l'arrêté royal du 24 février Une administration communale pourrait faire erreur ; mais des inscriptions illégales, comme celles qui nous occupent, sont injustifiables ; elles ont en outre pour effet de priver de leurs ressources les pauvres et les infirmes, qui se trouvent dans le plus grand besoin. »
On pouvait croire que le ministre de l'instruction publique, ayant été mal informé une première fois, allait revenir sur sa décision. Il n'en fut rien. Un arrêté royal du 4 juin 1883 annula purement et simplement la décision rectificative du conseil communal.
L'entretien de ces indigents fictifs constituait pour les (page 178) communes et pour les bureaux de bienfaisance une charge exorbitante. Qu'on en juge par ce qui se passait à Hal en 1880.
Au moment où la loi de 1879 avait été votée, il y avait dans cette ville une école gardienne dirigée par des Sœurs. Cette école recevait chaque année du bureau de bienfaisance un subside de 300 francs pour distribution de soupe ; elle était fréquentée à cette époque par 200 enfants. A la suite du vote de la loi du juillet, l'école des Sœurs perdit son caractère semi-officiel ; le subside de 300 francs lui fut en conséquence retiré. Le 1er octobre 1879, une école gardienne officielle est établie à Hal ; elle est fréquentée par 13 enfants, dont un seulement appartenant à une famille recevant des secours publics. La députation permanente du Brabant est informée de cette situation ; aussitôt elle ordonne au bureau de bienfaisance de Hal d'allouer, pour la population scolaire réduite de l'établissement officiel, le même subside du chef de distribution de soupe qu'il accordait autrefois aux 200 élèves de l'école des Sœurs. Le bureau de bienfaisance s'y refuse : « Considérant, dit-il, que l'école officielle ouverte au mois d'octobre de cette année n'était fréquentée que par treize élèves, dont trois d'une autre commune et un seulement dont les parents sont à charge de la bienfaisance, le bureau décide unanimement de ne pas rapporter au budget la somme de 300 francs. » Nouvel arrêté de la députation : elle persiste dans sa première résolution et allègue pour tout motif « que les raisons énoncées dans la délibération du bureau de bienfaisance (page 179) ne justifient pas la suppression dont il s'agit. » Cependant, le bureau continue à ne donner aucune suite à l'injonction de la députation. Le gouverneur le menace d'un commissaire spécial. Le bureau répond au gouverneur : « Notre administration de bienfaisance est parfaitement disposée à payer pour les enfants qui fréquentent l'école gardienne du gouvernement, mais seulement, selon la règle de justice, pour ceux qui sont à charge de la bienfaisance. Notre conscience et le mandat dont nous sommes investis nous défendent - de disposer du denier des pauvres en faveur d'enfants qui ne sont pas indigents. »
Il n'y avait rien à répondre à cela. Mais la force se soucie peu de bonnes raisons. Le gouverneur envoya à Hal un commissaire spécial. et le subside refusé fut inscrit d'office au budget du bureau de bienfaisance, absolument comme si l'unique élève officiel ayant droit aux secours publics avait consommé autant de soupe que les 200 élèves des Sœurs.