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La lutte scolaire en Belgique
VERHAEGEN Pierre - 1905

Pierre VERHAEGEN, La lutte scolaire en Belgique

(Paru à Gand en 1905, chez A. Siffer)

Lettre adressée l'auteur par S. E. le cardinal Merry del Val, secrétaire d'Etat de Sa Sainteté Pie X

(page 13) Très illustre Monsieur,

Je me suis conformé avec empressement le plus grand au désir exprimé par Votre illustre Seigneurie, et j’ai remis bien volontiers dans les mains vénérées de notre auguste Pontife le beau livre publié par vous sous ce titre si important : « La lutte scolaire en Belgique ». Je me réjouis, à présent, de pouvoir vous faire part de la vive satisfaction avec laquelle Sa Sainteté a daigné accepter ce gracieux hommage. Le but élevé que s'est proposé Votre Seigneurie a été de représenter cette lutte glorieuse comme un exemple pour les combats d'aujourd’hui et comme un avertissement pour les batailles de demain ; aussi sera-ce pour vous une consolation s'apprendre que cet enseignement, qui ressort de tant d'actions généreuses, a pleinement obtenu l’approbation pontificale.

(page 14) En ce qui me concerne, j'ai parcouru l’histoire si féconde de cette grave période avec un intérêt d'autant plus vif que, spectateur et admirateur de ces années mémorables, j’ai pu constater par moi-même à quelle haute valeur sait atteindre la foi des Belges.

En vous faisant part de la bénédiction apostolique que le Saint Père vous envoie avec une particulière affection, je suis heureux de féliciter Votre Seigneurie pour cette glorieuse page d'histoire : elle rend hommage aux héros de la foi et servira ainsi à perpétuer la semence des champions du catholicisme.

Je me rappelle à Votre Seigneurie en lui exprimant mes sentiments de considération les plus distingués,

R. Cardinal MERRY DEL VAL.

Rome, janvier 1906.

Avant propos

(page 15) En Belgique, depuis un demi-siècle, la question religieuse est le principal aliment de la lutte des partis. La guerre à l'Eglise, à son enseignement, à ses œuvres, était à l'ordre du jour des assemblées libérales dès 1846 ; aujourd'hui encore, bien que la lutte des classes absorbe une partie de l'activité des non-croyants, l'anticléricalisme est le seul terrain où les doctrinaires les plus réactionnaires parviennent à s'entendre avec les socialistes les plus violents ; et les premiers, dont la principale ambition politique est, plus que jamais, d' « étouffer le catholicisme dans la boue, » sont prêts aux compromis les moins avouables avec les seconds, pour arriver à ce résultat.

Jamais, cependant, dans l'histoire contemporaine de notre pays, la guerre à l'Eglise n'a suscité un effort aussi haineux et aussi savamment combiné que celui dont fut témoin, de 1879 (page 17) à 1884, la période mémorable de notre Lutte scolaire.

Ces six années de domination libérale et de persécution religieuse sont parmi les plus troublées que la Belgique ait traversées depuis 1830 : elles constituent la phase aiguë du conflit entre l'Eglise, défendue par les catholiques, et la libre-pensée, soutenue par toutes les forces libérales.

Mémorable, la lutte le fut d'abord par son enjeu : la conquête des âmes. Les adversaires de l'Eglise, arrivant au pouvoir en 1878, comprirent que l'avenir ne leur appartiendrait et qu'ils ne ruineraient sûrement l'influence du catholicisme que s'ils se rendaient maîtres de l'âme des enfants. Dans ce but, ils firent une loi scolaire qui, dans leur pensée, devait arracher des âmes à l'Eglise. Cette loi excluait, en fait, la religion des programmes d'études et le prêtre de l'école ; elle livrait l'enseignement public sans contrepoids à l'arbitraire officiel et aux influences de la libre-pensée ; M. Malou la flétrit d'un nom qui devait lui survivre : il l'appela la « Loi de malheur ».

La lutte s’engage entre les partisans et les adversaires des écoles sans Dieu ; elle fut gigantesque. Jamais effort plus considérable ne fut déployé par deux adversaires en présence ; jamais l'orientation définitive de nos partis politiques ne fut éclairée d'une lumière plus saisissante.

L'histoire de cette période contient des pages tristes : vote de lois détestables, qui toutes ont pour but de ruiner la puissance du catholicisme et de consolider la domination libérale dans le pays ; mesures gouvernementales venant aggraver ces lois et se combinant avec elles pour porter atteinte à nos droits les plus sacrés ; décadence de l'esprit public et du respect dû à l'autorité ; développement de l'irréligion, surtout dans les classes inférieures et moyennes ; discordes profondes entre les citoyens.

Mais, en regard de ces souvenirs douloureux, que de pages réconfortantes et magnifiques ! Vaincu, le parti catholique se retrempe dans la lutte ; il fonde sur la liberté l'édifice merveilleux de sa résistance à la persécution et lance toutes ses troupes, unies dans un indéfectible élan, à la défense de la foi en péril ; il se sert des moyens que la Constitution et les lois mettent à sa disposition, et aux empiètements du pouvoir il oppose la résistance légale ; battu en brèche de tous côtés, il ne perd pas courage un seul (page 18) instant, et chacun des coups dont il est frappé décuple son ardeur ; au prix d'efforts et de sacrifices héroïques, il se défend victorieusement et dans tous les domaines contre l'omnipotence de l'Etat ; il réussit enfin, après six années de combats, à remporter le plus éclatant et le plus durable des triomphes.

Un quart de siècle s'est écoulé depuis la promulgation de la loi de malheur. Il nous a paru opportun, à l'occasion de cet anniversaire, d'écrire l'histoire de la lutte qui se déroula autour de cette loi et de rendre ainsi un tardif mais éclatant hommage à ceux qui organisèrent l'enseignement catholique en 1879. Dans toutes les classes de la société surgirent alors des dévouements sublimes ; nous voudrions surtout payer un tribut de reconnaissance et d'admiration aux humbles, aux héros tombés obscurément sur le champ de bataille : 'à ces Instituteurs qui, en 1879, préférèrent briser leur cœur et leur carrière plutôt que de trahir leurs convictions religieuses ; à ces membres du clergé qui n'hésitèrent pas à vendre tout ce qu'ils possédaient, pour doter leur paroisse d'une école catholique ; à ces pères de famille qui aimèrent mieux braver les fureurs d'un gouvernement hostile et se mettre spontanément dans la misère, (page 19) plutôt que de donner à leurs enfants un enseignement sans Dieu. Jamais on n'honorera autant qu'ils le méritent ces champions de la cause catholique, et nous sommes fier de pouvoir contribuer ici, dans la modeste mesure de nos forces, à sauver de l'oubli les exemples de foi et de patriotisme qu'ils nous ont donnés.

A un autre point de vue encore il nous paraît bon de remettre en lumière cette phase de notre histoire religieuse et politique : la lutte scolaire est, en effet, pour nous, catholiques, pleine d'avertissements et d'enseignements salutaires. Si, par un revirement imprévu, nos adversaires revenaient jamais au pouvoir, la lutte recommencerait, et elle serait plus terrible, n'en doutons point, qu'elle ne fut il y a vingt-cinq ans. L'exemple de la France, où la persécution religieuse sévit en ce moment avec une particulière rigueur, inspirerait en Belgique l'anticléricalisme triomphant. Il faut donc se tenir prêts à livrer de nouveau le bon combat ; il faut se remettre en mémoire la vaillance de ceux qui ont lutté avant nous et garder présentes à l'esprit les anciennes tentatives de nos adversaires ; il faut surtout que les générations nouvelles s'inspirent de ces leçons de notre histoire.

(page 20) C'est spécialement pour elles que ces pages ont été écrites ; nous nous sommes efforcé d'y condenser les événements principaux et les traits particulièrement saillants de la Lutte scolaire, avec un souci de scrupuleuse exactitude, mais aussi, - nous n'estimons pas devoir nous en cacher, - avec le désir de glorifier les catholiques belges qui, par un miracle d'énergie, ont sauvegardé leur liberté et leur foi.