(Paru à Bruxelles en 1930 aux éditions de la société d'études morales, sociales et juridiques)
Ceux qui se sont attachés à l'étude du problème (page 152) de la rédaction des lois ou des dispositions réglementaires et ont préconisé un remède à la situation actuelle, ont suggéré la création d’un organisme auquel ils proposaient de donner tantôt le nom de Conseil d'Etat, tantôt le nom de Conseil de législation. Cet organisme aurait pour mission de collaborer, soit avec le pouvoir législatif pour rédiger les projets de loi, « codifier les règles qui jour à jour se révèlent et réclament une expression précise et claire » (PICARD, Pand. belges, t. V, page XVII), soit avec le pouvoir exécutif pour la préparation des arrêtés réglementaires.
Tout récemment encore, M, Braun, ministre d'Etat, quittant le Sénat après vingt-neuf années de vie parlementaire, signalait, dans un discours d'adieu, la nécessité de renforcer dans ce domaine l'action gouvernementale, éclairée et guidée par un comité de législation d'une autorité accrue (Ann. parl. Sénat, 2 mai 1929).
Mais si le remède proposé est toujours le même, les divergences de vue sur les modalités d'application sont nombreuses, tout au moins lorsqu'il s'agit d’associer l'action d'un Conseil de législation à l'action du pouvoir législatif ce sont ces divergences qui ont retardé, depuis un siècle, la solution du problème.
Une question préalable se pose : Faut-il introduire dans notre Constitution une disposition prévoyant la création d'un Conseil de législation ?
(page 153) Nous ne voyons, quant à nous, aucune raison pour nous départir de la réponse qui a été donnée à cette question par le législateur constituant en 1921. Selon l’opinion du rapporteur M. Mechelynck (doc. parl. Chambre, 1920-1921, n°88, p. 9), l'intervention obligatoire d'un Conseil de législation serait incompatible avec le régime parlementaire tel qu'il fonctionne en Belgique, Cette affirmation est incontestable, pour autant que cette intervention soit non seulement obligatoire mais générale, c'est-à-dire qu'elle soit exigée pour tout projet ou toute proposition de loi et pour tout amendement. D'après la Constitution, en effet, chaque branche du pouvoir législatif jouit du droit d'initiative (article 27), et les Chambres ont le droit d'amender et de diviser les articles et les amendements qui leur sont proposés (article 28). Or, le droit d'initiative des trois branches du pouvoir législatif n'a jamais été critiqué et si, incontestablement, les membres du Parlement abusent du droit d'amendement, on ne peut songer à le leur enlever.
Sous l'Empire, période pendant laquelle nous avons connu le régime de consultation obligatoire d'un Conseil d'Etat législatif, les assemblées - Tribunat et Corps Législatif - ne disposaient ni du droit d'initiative, ni du droit d'amendement ; mais il ne paraît pas qu'on puisse songer à en revenir à semblable régime.
(page 154) La Constitution doit se limiter aux grands principes de notre organisation politique ; si elle impose la nécessité de la consultation du Conseil de législation pour tout projet ou toute proposition de loi, ainsi que pour tout amendement quel qu'il soit, il en résultera une entrave sérieuse au droit d'amendement, et le fonctionnement, déjà si lent de la machine parlementaire, sera rendu encore plus lourd. D'autre part, on ne voit pas l'utilité d'affirmer dans la Constitution le principe de la consultation d’un Conseil de législation, le législateur ordinaire ayant apprécier dans quelles conditions cette consultation serait obligatoire,
Il n'y a donc pas lieu de prévoir dans la Constitution la création d’un Conseil de législation.
Mais cette tâche s'impose au législateur ordinaire, et il est de son devoir après les nombreuses allusions faites à cette lacune de notre organisation tant au Palais de la Nation, qu'en dehors des milieux parlementaires, de ne plus tarder à l'accomplir.
Un pas a été fait dans cette voie par le Gouvernement en créant le Conseil de législation qui fonctionne au Ministère de la Justice et a déjà rendu dans le domaine de la confection des lois de très grands services. En vue d'accentuer sa collaboration (page 155) avec les Chambres et de permettre plus aisément d'y recourir, l'arrêté royal du 13 mai 1922 a créé dans son sein un comité permanent dont les réunions sont très fréquentes.
Mais de graves lacunes existent dans son organisation.
Tout d'abord, il est institué par un arrêté royal et non par une loi. Il est donc une création du Gouvernement et non du pouvoir législatif ; il a mission d'éclairer le Ministre de la Justice, de lui prêter son concours pour lui faciliter l'usage de son droit d'initiative législative ; si on conçoit qu'officieusement les Chambres puissent recourir à ses services pour demander son avis sur tel ou tel point déterminé, on ne voit pas ces assemblées associer, d’une façon officielle et fréquente, le Conseil de législation à leurs travaux, ni prévoir dans leur règlement l'intervention de Conseil dont l'organisation, l'existence même sont entre les mains du Gouvernement.
Seule l'institution législative donnerait ce Conseil l'autorité nécessaire pour remplir sa mission.
Même au point de vue purement gouvernemental, l'action du Conseil de législation est actuellement insuffisante. Tout d'abord, il ne fonctionne qu'auprès d'un seul département, celui de la Justice ; les autres ministères peuvent avoir recours ses services ; ils s'en abstiennent presque toujours, Or. c'est précisément dans les départements autres que celui de la Justice que l'intervention d'un (page 156) organisme composé de juristes qualifiés s'impose ; en effet, le Ministère de la Justice est précisément celui où les fonctionnaires sont, de par leurs fonctions mêmes, le plus au courant des questions de droit.
Il faut excepter, bien entendu, de la compétence du Conseil projeté, les lois purement formelles comme les budgets, les naturalisations. etc...
Nous disi0ns que le Conseil de législation devrait être non seulement le collaborateur du Gouvernement, mais aussi celui des Chambres législatives. Comment peut-on songer à organiser cette collaboration ?
Faut-il, tout d'abord, imposer l'obligation de renvoyer au Conseil de législation toute proposition de loi émanant de l’initiative parlementaire ? Il ne nous semble pas qu’il doive en être ainsi les Chambres sont souvent saisies de propositions déposées par tel ou tel membre qui désire ainsi manifester d'une façon explicite son désir de voir réaliser une réforme ; mais il ne manque pas de projets de cette espèce, qui n'ont aucune suite et ne font pas même l’objet d examen en section centrale ou en commission. Il pourrait de plus être délicat de soumettre semblables propositions au Conseil de Législation en raison de leur caractère généralement politique ; quelle serait, en effet, la tâche du Conseil ? Peut-il critiquer les idées du membre de la Chambre ou du Sénat, auteur du projet ? Doit-il se borner (page 157) à en améliorer la rédaction au point de vue juridique ? S'il faut se rallier à cette dernière solution, qui ne voit que le Conseil pourrait être amené à améliorer la rédaction de propositions absolument inacceptables par les Chambres.
A notre avis, l'intervention du Conseil devrait se produire au moment de la rédaction du rapport de la section centrale ou de la commission. A ce moment, il existe un texte sur lequel cette section ou cette commission sont d'accord. Il n'y a plus d'inconvénient à soumettre ce texte an Conseil de législation ; celui-ci n'aura pas à émettre d'avis sur le caractère éventuellement politique du projet, il se préoccupera uniquement du problème juridique il améliorera, s'il y a lieu, la rédaction du projet, et fera toutes propositions que son examen lui suggèrera. Le règlement de la Chambre et du Sénat pourrait prévoir que la section centrale ou la commission ont toujours le droit, même avant ce moment, de consulter le Conseil de législation sur toute question sur laquelle elles désireraient avoir son avis : mais avant d'être proposé aux Chambres, le texte admis par la commission ou la section centrale devrait obligatoirement être soumis pour avis au Conseil de législation ; il appartiendrait à la centrale ou à la commission d'adopter ou de rejeter les modifications proposées par le Conseil ; le rapporteur s'en expliquerait dans son rapport. Comme il peut se présenter des cas où, pour des raisons d'urgence ou d'autres motifs qu'il (page 158) n'est pas possible de prévoir, on estime préférable de ne pas consulter le Conseil sur une proposition déterminée, le règlement pourrait prévoir que par un vote à très forte majorité, la consultation du Conseil pourra être écartée.
L'intervention du Conseil de Législation se pose également en matière d'amendements déposés en cours de discussion. Il appartient tout d'abord aux Chambres de prendre des mesures réglementaires pour que, comme l'écrivait M. Mechelynck, lors de la révision constitutionnelle, tout en laissant ce droit s'exercer au cours des débats, la Chambre s'en impose un usage plus prudent (doc. parl. Chambre, 1920-1921, n°288, p. 11).
Il est incontestable que les dispositions réglementaires actuellement en vigueur se sont révélées insuffisantes. L'article 54 du règlement de la Chambre et les articles 42 et 43 du règlement du Sénat disposent que les assemblées ne délibèrent sur aucun amendement qui, après avoir été développé, n'est pas appuyé par cinq ou par deux membres selon les assemblées : celles-ci peuvent décider de renvoyer tout amendement à l'examen des sections ou commissions, et, dans ce cas, suspendre leur délibération. L'article 56 du règlement de la Chambre et l'article 44 du règlement du Sénat prévoient l'obligation de laisser s'écouler au moins un jour entre la séance au cours de laquelle les articles (page 159) amendés ont été votés, et la séance où l'assemblée aura à se prononcer sur le vote d'ensemble. A cette seconde séance, de nouveaux amendements ne peuvent être présentés que s'ils sont motivés par l'adoption d'amendements ou le rejet d'articles votés en première lecture, et si de nombreux amendements sont adoptés, l'assemblée peut décider que le vote définitif sera ajourné à une séance ultérieure.
Une réglementation plus stricte s'impose.
Dans la discussion ci-dessus rappelée, M. Mechelynck suggérait au nom de la Commission des XXI chargée de préparer la révision de la Constitution, que tout amendement, avant d'être soumis au vote, fasse l'objet d'un rapport de la section centrale ou de la commission chargée d'examiner le projet, et en tous cas, que le rapport soit fait, entre les deux délibérations, sur le projet amendé (Doc. parl. Chambre, n°288. p. 11. Voir aussi Doc. parl. Chambre, 1887-1888, n°285).
Cette mesure aurait un double avantage ; d'une part soumettre à un examen attentif de la commission ou de la section centrale, les amendements déposés au cours de la discussion ; d'autre part, obliger les membres des Chambres à formuler en temps leurs amendements, et éviter ainsi un vote sur des propositions insuffisamment réfléchies.
Comment pourrait-on prévoir en cette matière l'intervention du Conseil de législation ?
Tout d'abord, la section centrale ou la (page 160) commission apprécierait si un amendement doit être renvoyé au Conseil de législation avant qu'elle soit appelée à formuler son avis. Cette consultation devrait être facultative et réservée aux amendements ayant pour effet de modifier sérieusement l'économie du projet.
Ensuite le règlement devrait prévoir qu’entre le vote des articles et le vote en seconde lecture sur l'ensemble du projet, le texte en serait soumis au Conseil de législation. Il n'y a pas lien de craindre que cette consultation apporte une entrave au fonctionnement de la législature ; en effet, ce second examen portera sur un projet que le Conseil a déjà une première fois étudié et qu'il connaît ; le Conseil n'aura plus à examiner le fond du projet, puisque la Chambre a manifesté son intention de légiférer dans un sens déterminé, mais rechercher si la pensée du législateur, telle qu'elle découle des travaux parlementaires, est exprimée en des termes clairs, si le projet ne renferme pas de contradictions, si les dispositions adoptées n'ont pas pour effet de modifier la législation en vigueur sur l'un ou l'autre point qui n'a pas été aperçu par l'assemblée. Il importerait en tous cas, de réserver la possibilité, en cas d'urgence, ou pour tout autre motif grave, de laisser l'assemblée saisie, le soin de décider, par un vote acquis à une majorité spéciale, qu'il n'y a pas lieu de demander l'avis du Conseil de Législation.
(page 161) Nous sommes persuadés que ces différentes réformes amélioreraient le fonctionnement des assemblées législatives et, sans porter obstacle à aucune prérogative qui leur est accordée par la Constitution, de nous doter de lois mieux rédigées, et de diminuer ainsi le nombre de contestations auxquelles donne lieu leur interprétation.
Diverses objections ont été soulevées contre l'institution d'un Conseil de législation chargé, par la loi, de participer la rédaction des lois.
PREMIERE OBJECTION - « Il serait contraire à la Constitution de créer un Conseil de législation ayant le rôle ci-dessus prévu. »
On a prétendu que la Constitution ne prévoyant pas l'organisation d'un Conseil de législation, la création de cet organisme serait contraire à notre pacte fondamental ; nos Constituants, disent les partisans de cette thèse, ont, en 1830, retranché le Conseil d'Etat, ou tout autre organisme appelé à le remplacer, du rang de nos institutions ; il serait contraire à leur volonté de le rétablir.
Il n'est pas douteux que le Congrès ait, tout au moins par omission, rejeté l'idée de créer un Conseil (page 162) d'Etat mais quiconque prétend qu'il a écarté, par là même toute institution destinée à collaborer avec le pouvoir législatif en vue d'améliorer la confection des lois, dépasse singulièrement les données du problème.
Quelle est l'institution dont le Congrès n'a plus voulu doter notre pays ? C'est le Conseil d'Etat de l’Empire ou du royaume des Pays-Bas, organisme de despotisme entre les mains du gouvernement central, prêt à l'aider dans ses tendances à établir la suprématie de l'administration sur le pouvoir judiciaire (Discours de M. Janssens, Pas, 1902, I, 4). Mais le Congrès a, par des textes exprès, empêché le retour de semblables actes ; il a, au contraire, nous le démontrerons plus loin, par des dispositions comme celles de l'article 106 de la Constitution, mis le pouvoir judiciaire à l'abri des empiétements de l'autorité administrative. Par conséquent toute institution qui se meut dans le cadre de la doctrine traditionnelle du Congrès est parfaitement compatible avec notre pacte fondamental. Nous avons d'ailleurs, dans le chapitre II, rappelé les idées défendues par de nombreux hommes politiques qui ont collaboré à la rédaction de la Constitution, ou ont vécu en contact avec des membres du Congrès et qui ont, dès le lendemain de sa mise en vigueur, proclamé la parfaite conformité de la création d'un Conseil d'Etat législatif avec la Constitution.
(page 163) DEUXIEME OBJECTION - « La création d'un Conseil de Législation porte atteinte â la responsabilité ministérielle. »
C'est surtout au cours des premières années de notre indépendance nationale que cette objection a été soulevée. Il y a lieu de noter que l'absence de responsabilité ministérielle avait été un des grands griefs des Belges avant 1830, et que l'inscription de ce principe dans la Constitution était considérée comme une des principales garanties contre les abus éventuels du pouvoir exécutif. Toute mesure soupçonnée de pouvoir atténuer de quelque façon cette conquête de nos Constituants devait exciter la méfiance ; aussi certains parlementaires étaient ils parfois réellement hantés par la crainte de voir des ministres saisir l'occasion de l'une ou l'autre réforme utile, en vue d'atténuer leur responsabilité politique, Assurément un projet limité aux idées que nous avons exposées ci-dessus ne peut-il, à aucun titre, soulever cette objection et on comprend mal la crainte exprimée jadis par certains parlementaires au sujet des projets de M. Charles Rogier. Le Conseil de législation, tel que nous le concevons, est un organisme purement consultatif ; le Gouvernement ou les Chambres le consulteront, sans être tenus de suivre ses avis. Le Ministre, notamment, sera toujours libre de soumettre aux Chambres ou de conserver dans les archives (page 164) ministérielles les projets révisés par le Conseil (Pas, 1902, I, 10) ; dans un cas comme dans l'autre sa responsabilité est entière ; il pourra être interpellé parce qu'il refuse de déposer un projet préparé par son administration et qui aurait rencontré l'adhésion du Conseil : si, au contraire, il dépose le projet, il en assumera la pleine responsabilité. L'avis du Conseil ne l'en dégagera pas plus que l'avis des fonctionnaires de son département.
On comprend d’ailleurs assez mal que cette objection soit soulevée, alors que, dès la mise en vigueur de notre Constitution, le Gouvernement s'aida de commissions extraparlementaires pour la rédaction des lois soumettre au Parlement : jamais on n'a considéré que ce système limitait la responsabilité ministérielle.
TROISIEME OBJECTION - « L'institution d'un Conseil de législation porte atteinte au droit d'initiative parlementaire et au droit d'amendement. »
Nous avons d'abord démontré plus haut que, si certains membres des Chambres abusent de ces droits, nous ne songeons pas à proposer de les leur enlever ; il faudrait d'ailleurs pour aboutir ce résultat, une modification constitutionnelle, alors que nous ne proposons qu'une réforme législative.
On peut évidemment concevoir l'existence d'un (page 165) Conseil de législation qui porterait une entrave sérieuse à l'exercice de l’un ou de l’autre de ces droits, mais dans l'exposé que nous avons fait ci-dessus, le droit d'initiative reste entier, sans limitation ni réglementation ; quant au droit d'amendement, il est l'objet d'une réglementation qui se borne à en supprimer les abus. Comme nous l'avons rappelé, la réglementation proposée a déjà été suggérée dans la Chambre elle-même ; si le Parlement avait adopté les suggestions rappelées par M. Mechelynck en 1921 au nom de la commission des XXI, notre projet de réforme pourrait être appliqué sans qu'aucune nouvelle réglementation du droit d'amendement ne s'imposât.
QUATRIEME OBJECTION - « Il impossible de composer un collège de personnes suffisamment compétentes pour donner leur avis tous les projets de lois. »
On a prétendu qu'il était impossible d'organiser un Conseil dont les membres auraient la compétence voulue pour rédiger des projets de lois ou d'arrêtés sur toutes les matières dont doit s'occuper le législateur.
Cette objection serait péremptoire, si le Conseil de législation devait rédiger lui-même les projets les plus divers. On ne voit pas un organisme compétent pour rédiger à la fois des projets de lois (page 166) civiles ou commerciales, de lois sur la milice, sur l'hygiène, de lois fiscales, de lois sur les pensions de ou sur les distributions d'électricité. Mais tel ne peut être le rôle du Conseil de législation. Aussi avons-nous prévu que les projets seraient rédigés par les services compétents des départements ministériels ; mais le Conseil de législation les reverra au point de vue juridique, en corrigera la rédaction, éventuellement après discussion avec le fonctionnaire auteur de la loi. Il apportera à la préparation du projet à la fois son expérience dans cette mission extrêmement délicate de la rédaction des lois, et ses connaissances juridiques qui, unies aux connaissances du service compétent de l'administration dans le domaine du projet de loi, permettra de présenter aux Chambres une œuvre parfaitement au point.
Nous avons étudié les attributions du de législation, son fonctionnement dans le cadre de nos institutions, quelle sera maintenant son organisation intérieure ?
En tout premier lieu, le Conseil doit être permanent. Il faut qu'il soit, en tout temps, à la disposition du Gouvernement et des Chambres pour exercer sa mission ; il faut que ses membres soient revêtus (page 167) d'un mandat qui leur permettra de se spécialiser dans la rédaction des lois. Seule la permanence du mandat donnera aux membres du Conseil l'expérience requise pour exercer une mission aussi délicate : seul un Conseil permanent maintiendra l'unité de direction dans la préparation législative. Il n'y a pas à méconnaître les services rendus par les commissions spéciales instaurées pour la préparation de l'une ou de l'autre loi ; mais ces commissions manquent de tradition, elles ont souvent cessé d'exister lorsque le projet vient en discussion devant le Parlement (Pas, 1902, I, 11. Pand. bel, t. VI, p. XVLII.)
Faut-il que le mandat de membre du Conseil de législation soit incompatible avec toute autre fonction ou profession publique ou privée ? A notre avis, non.
Pour bien remplir son rôle, il est indispensable que le Conseil soit composé de personnes qui pratiquent le droit ; c'est par la pratique que les membres du Conseil s'initient à la rédaction des lois, c'est l’étude et l'interprétation des lois défectueuses qui doivent former leur expérience. M. Edmond Picard (Pand. belges, VI, p. XXII), en défendant l'idée de la constitution d'un Conseil de législation, estimait qu'il ne fallait pas y trop de professeurs, et il reprenait, à cette occasion, une phrase d'un des plus illustres d'entre eux, M. Laurent : « Ce n'est pas que la voix de la science ne doive se faire entendre dans les (page 168) débats, mais, à notre avis, elle ne doit pas dominer, car le travail législatif n'est pas une affaire de théorie ; le droit est une face de la vie, les exigences de la vie réelle sont souvent tout autres que les exigences de la chaire » (LAURENT, Belg. Jur., 1878, p. 737).
Napoléon s'était d'ailleurs rendu compte de l'utilité de faire intervenir la magistrature dans le domaine de la préparation législative, en chargeant par l'arrêté du 5 nivôse an X, le tribunal de cassation d'envoyer, dans le cours du mois de fructidor de chaque année, une députation de douze de ses membres, chargée de présenter aux consuls, en Conseil d'Etat, les ministres présents, le tableau des parties de la législation dont l'expérience aurait fait connaître les vices ou l'insuffisance.
Il est donc indispensable d'autoriser le cumul pour que des praticiens du droit comme les magistrats, les membres du barreau, et des professeurs des facultés de droit puissent apporter leur précieux concours à cette œuvre délicate de la préparation des lois.
Seuls, les fonctionnaires en seraient exclus comme membres permanents ; ils seraient appelés, d'ailleurs à un autre titre, à collaborer au fonctionnement du Conseil, celui-ci devant faire appel, pour chaque projet, aux fonctionnaires de l'administration, qui en ont assumé la rédaction.
Si le travail devient pour eux trop absorbant, il (page 169) serait aisé d'augmenter le nombre des membres du Conseil et de créer dans son sein des sections qui se partageraient le programme.
La seule fonction exclusive du Conseil serait celle du secrétaire qui, avec l'aide de secrétaires adjoints s'il y a lieu, tous docteurs en droit, assureraient le fonctionnement des services administratifs du Conseil, et aideraient les membres dans leur travail de documentation ou de rédaction de rapports.
La composition du Conseil devrait être entourée de garanties ; il faudrait en même temps, pour que la collaboration avec les Chambres législatives soit confiante, que celles-ci interviennent dans la nomination d'une partie des membres du Conseil. Nous nous rallions très volontiers à la suggestion de M. le Procureur général R. Janssens qui proposait que la nomination des membres émane du roi sur trois listes de candidats présentés par la Cour de cassation, la Chambre des Représentants et le Sénat. Comme garantie de capacité, on pourrait exiger dix années de magistrature, de professorat dans une faculté de droit ou d'inscription au tableau de l'Ordre des avocats.
L'institution dont nous projetons la création ayant son point de départ dans un organisme déjà existant, fonctionnant dans le cadre de nos institutions constitutionnelles, pourrait, à peu de frais, résoudre le problème de l'amélioration de la rédaction de nos lois, débattu depuis près d'un siècle.