(Paru à Bruxelles en 1930 aux éditions de la société d'études morales, sociales et juridiques)
(page 268) Avant d'étudier la solution du problème, cherchons à le définir et à en préciser les limites.
Une autorité administrative a fait un acte dépassant les pouvoirs qui lui sont confiés par la loi ou les règlements qui organisent sa fonction. Cet acte lèse un individu : celui-ci ne jouit en Belgique d'aucun recours juridictionnel auprès d'une autorité quelconque pour faire annuler cet acte. En droit français, l'intéressé peut faire annuler l'acte par un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux. C'est un recours semblable qu'on se propose d'établir en Belgique.
Il ne s'agit donc pas ici de réparer, par l'octroi d'une indemnité, le dommage résultant de la lésion d'un droit d'un particulier par l'administration ; le recours en annulation n'est pas, en effet, dirigé contre un patrimoine administratif, ni contre le patrimoine de l'auteur de l'acte critiqué ; le recours est dirigé contre l'acte lui-même imputé d'illégalité ; la cause du recours, c'est le vice dont l'acte est entaché.
Ce vice peut résulter de différentes causes. Tantôt, il s'agit d'un véritable excès de pouvoir, si l'acte administratif émane d'une autorité (page 269) incompétente, si certaines formes essentielles de l'acte n'ont pas été observées ou si l'acte viole la loi ou l'interprète faussement. Tantôt, l'acte en lui-même est régulier en la forme, sa légalité extrinsèque est respectée, il émane d'une autorité compétente, mais cette autorité a détourné de sa véritable destination, le pouvoir qui lui est confié. L'acte est, cette fois, examiné « dans son essence même, dans ce que nous pourrions appeler sa légalité intrinsèque, nous plaçant au point de vue téléologique. Nous dirons alors avec M. le Professeur Duguit : la valeur d'un acte s'apprécie, non d'après son objet, mais d'après le but qui détermine la volonté dont il émane. Le but devient ainsi un élément de la compétence » (ERRERA, op. cit., Journ. Trib., 1910, col. 1240. LAFERRIERE, op. cit., t. II, p. 548). C'est ce que la jurisprudence du Conseil d'Etat en France appelle le « détournement du pouvoir » qui constitue, selon M. Errera, la pire espèce d'excès de pouvoir.
Les actes entachés d'excès de pouvoir ou de détournement de pouvoir ont-ils donc pleine valeur dans notre pays et est-il impossible d'en obtenir l'annulation ? S'il s'agit du pouvoir central, il n'existe aucun recours ; comme nous l'avons fait remarquer plus haut, il y a longtemps, en effet que l'opinion a perdu confiance dans la vigilance des assemblées représentatives pour rappeler à l'ordre les administrateurs qui sont eux-mêmes les chefs (page 270) de la majorité de ces assemblées (doc. parl. Chambre, 1920-1921, n°288, p. 43). Les illégalités les plus flagrantes peuvent ainsi se produire sans qu'il y soit porté aucun remède.
Pour les autorités subordonnées, la Constitution a réservé l'intervention du pouvoir législatif pour empêcher que les conseils provinciaux et communaux ne sortent de leurs attributions et ne blessent l'intérêt général (article 108, 5° de la Constitution), et cette intervention fait l'objet de l'article 89 de la loi provinciale et de l'article 87 de la loi communale. C'est un des aspects de ce que la doctrine appelle la « tutelle administrative » ; mais nous avons montré plus haut que ce contrôle n'a rien de contentieux ; il n'a d'autre but que d'opposer un frein aux abus éventuels. Nous avons démontré également que le particulier lésé par l'acte illégal de l'autorité provinciale ou communale est dans l’impossibilité de saisir le Gouvernement ; ce recours est discrétionnaire, abandonné à la libre appréciation du supérieur hiérarchique. Chez nous, l'idée de recours individuel, juridictionnel, est restée étrangère au mécanisme de l'annulation ; c'est le Gouvernement lui-même qui prend l’initiative de l'annulation.
Le pouvoir judiciaire ne peut-il intervenir pour empêcher les illégalités de se commettre ?
En aucun cas, le pouvoir judiciaire ne peut annuler un acte de l'autorité administrative.
(page 271) L'article 107 de la Constitution prévoit, il est vrai, que les cours et tribunaux n'appliquent les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils sont conformes aux lois ; mais cette disposition ne permet pas d'annuler l'acte incriminé : le pouvoir judiciaire se borne à ne pas l'appliquer ; pour lui, cet acte est inexistant. Mais pour que l'article 107 soit appliqué, il faut que les tribunaux soient compétents, il faut donc que soit pendant devant eux un conflit que la loi leur permet de trancher ou que des poursuites soient intentées sur le pied de la décision entreprise. Si, par exemple, un citoyen belge est expulsé en violation de la loi du 12 janvier 1897, il lui est impossible de faire annuler l'arrêté d'expulsion ; il doit se laisser expulser, puis rentrer en Belgique où il sera poursuivi pour rupture de ban ; devant le tribunal il pourra invoquer l'illégalité de l'arrêté d'expulsion et sera acquitté. Si un bourgmestre refuse de légaliser une signature, il est impossible de faire annuler cette décision illégale ; la partie lésée pourra seulement intenter une action en dommages et intérêts contre le bourgmestre fautif (doc. parl. Chambre, 1920-1921, n°288, p. 42).
Il faut noter de plus que lorsqu'un tribunal se refuse à appliquer une disposition administrative qu'il considère comme illégale, il n'apprécie jamais que sa légalité extrinsèque (Cass., 14 févrer 1910, Pas., 1910, I, 95 et réquis. du proc. Gén. Cass., 30 novembre 1837, Pas., 1837, I, 190) ; si un bourgmestre (page 272) interdit les rassemblements pour empêcher une manifestation religieuse ou politique en fondant son interdiction sur l'imminence imaginaire de troubles graves, s'il fait démolir un immeuble en invoquant faussement qu'il menace ruine, les tribunaux s'inclineront devant la décision administrative ; l'affirmation du bourgmestre est légalement la vérité. Jamais les tribunaux n'ont admis le détournement de pouvoirs ; si certaines décisions paraissent se rallier au principe du détournement de pouvoirs, c'est uniquement le cas où l'administration incriminée aurait avoué un but poursuivi par elle et échappant à sa compétence (BOURQUIN ? op. cit., pp. 81 et 82.
Tel fut le cas, par exemple, d'un règlement communal qui exigeait une autorisation pour la vente de journaux sur la voie publique « pour empêcher la diffusion d'idées subversives. » La Cour de cassation s'est refusée à appliquer ce règlement, cet objet n'étant pas confié la vigilance des corps communaux (Cass., 18 janvier 1892, Pas., 1892, I, 84). Mais hors ce cas exceptionnel, où l'illégalité du but poursuivi résulte de la décision même de l'autorité administrative, les tribunaux s'abstiennent de rechercher si l’auteur de l'acte critiqué n'a pas détourné le pouvoir que la loi lui a accordé (Cass., 18 janvier 1892 et 9 juin 1892, pas., 1892, I, 86 et 286.
Comme dans plusieurs autres domaines que nous avons déjà étudiés, la question de la nécessité (page 273) d'organiser en Belgique un contentieux d'annulation ne se discute plus guère dans le monde du droit ; la doctrine reconnaît, peut-on dire unanimement, qu'une organisation politique sainement constituée ne peut laisser subsister la possibilité d'abus graves, d'illégalités flagrantes, sans remèdes ni recours. Tout acte entaché d’excès ou de détournement de pouvoirs, dans les diverses hypothèses que nous venons de mentionner doit pouvoir être annulé.
Qu'on ne dise pas que Ces abus sont rares ; ils existent, et si leur nombre est petit, demain ils peuvent se multiplier à l'abri d'une législation qui protège en fait les injustices. Il ne faut de plus pas perdre de vue l'effet préventif de la réforme proposée. Il en est du recours pour excès de pouvoir, comme de tout recours juridictionnel : il préviendra les injustices plus souvent encore qu'il ne les redressera. La certitude, la probabilité même d'une annulation seront pour les administrateurs enclins à transgresser les limites de leur autorité, le plus salutaire des avertissements (doc. parl. Chambre 1920-1921, n°288, p. 34).
S'il est indispensable de créer un recours contre les excès ou les détournements de pouvoir, comment organiser ce recours? Deux questions se posent ici : quels sont les actes susceptibles de recours et devant quelle autorité le recours devra-t-il être porté ?
Quels sont les actes qu'une loi devrait rendre susceptibles de recours pour excès de pouvoir ou pour détournement de pouvoir ?
(page 274) Une exception s'impose : il existe des actes que la doctrine française appelle « les actes de gouvernement », mettant aux prises l'intérêt individuel et l'Etat dans sa mission souveraine (LAFERRIERE, op. cit., t. II, p. 32), actes dont il ne appartenir aucune autorité d'apprécier la légalité ; nous en avons déjà parlé dans la section précédente; la souveraineté du pays interdit qu'on puisse en ébranler l'autorité en les soumettant à l'appréciation d'une juridiction quelconque.
Le rapport de la commission extraparlementaire de 1921 range sous cette dénomination d'actes de gouvernement, les actes du roi agissant comme chef de l'Etat, sous le seul contrôle de la responsabilité des ministres devant le Parlement, par exemple pour la conclusion d'un traité, dans le commandement de l'armée (mais dans l'exécution des lois qui régissent l'organisation ou l'administration de la force publique), dans la convocation ou la dissolution des Chambres. De plus, toute administration possède, même sous l'empire des lois qui régissent le plus rigoureusement son activité, le pouvoir de prendre certaines mesures discrétionnaires. C'est à la loi, mais le plus souvent encore à la doctrine et à la jurisprudence qu'il appartient d'établir dans quel cas l'administration dispose de cette latitude nécessaire. La Cour investie du pouvoir de juridiction administrative ne peut naturellement pas se substituer à l'administration active ; c'est (page 275) pourquoi les actes discrétionnaires de celle-ci échappent en principe au recours pour excès de pouvoir » (doc. parl. Chambre 1920-1921, n°288, p. 39).
Il ne peut être question non plus de soumettre à l'annulation les actes du pouvoir législatif - ce ne pourrait être que pour en contester la constitutionnalité -, ni les actes du pouvoir judiciaire, pour lesquels la loi a organisé des recours qui offrent toutes les garanties désirables.
Seraient donc susceptibles de recours en annulation pour excès ou pour détournement de pouvoirs tous les actes du pouvoir exécutif, à quelque degré que ce pouvoir soit exercé - le Conseil d'Etat de France peut annuler des décrets du président de la république - ainsi que les actes des autorités subordonnées provinciales et communales ; pour ces derniers cas, le recours pour excès de pouvoir se superposerait au recours hiérarchique existant déjà par application de l'article 108, 5° de la Constitution.
Le recours pour excès de pouvoir devrait également être ouvert, comme en France, contre le refus exprès ou tacite d'une administration de statuer sur une demande qui lui est adressée ; si, dans un délai, fixé en France à quatre mois, l'administration n'avait pas répondu à une demande, celle-ci serait considérée comme rejetée et le recours pour excès de pouvoir serait recevable.
(page 276) Devant quelle autorité la loi devrait-elle ouvrir un recours ? Nous sommes ici en présence de deux thèses opposées : certains juristes préconisent l'autorité judiciaire, et vu l'importance de cette attribution, ce ne peut être que la plus haute autorité judiciaire du pays, la Cour de Cassation. Cette idée fut, pour la première fois, exposée d'une façon systématique par M. Errera, recteur de l'université de Bruxelles, dans le discours qu'il prononça la séance de rentrée en 1910 (Journ. trib., 1919, pp. 159 à 1262) ; il en démontra la parfaite conformité avec les principes de notre Constitution, et les idées dominantes au Congrès national dont cette solution maintiendrait la tradition.
M. Paul Leclercq, aujourd'hui procureur général à la Cour de Cassation, formula ce système à la commission extraparlementaire de 1921 chargée d'étudier la révision des dispositions constitutionnelles relatives au pouvoir judiciaire, et celle-ci se rallia en ordre principal et unanimement à cette suggestion en proposant de modifier comme suit l'article 106 de la Constitution : « La Cour de cassation prononce, d'après le mode réglé par la loi, sur les conflits d'attributions et sur les demandes en annulation du chef d'excès de pouvoir, formées contre les actes des autorités administratives » (doc. parl. Chambre 1920-1921, n°288, p. 44). (page 277) Nous avons rappelé, dans le chapitre II, dans quelles circonstances cette proposition échoua devant le Parlement, et nous aurons l'occasion, ci-dessous, de passer en revue les objections qui ont été soulevées contre cette solution.
A côté de la solution judiciaire, on a préconisé une solution administrative, la création d'une Cour de justice administrative chargée de statuer comme le Conseil d'Etat de France, sur les recours pour les excès de pouvoir formés contre les actes des autorités administratives. Cette juridiction serait évidemment la même que celle dont nous avons suggéré la création dans le domaine de la responsabilité de la puissance publique.
La commission extraparlementaire de 1921 l'avait envisagée, en ordre subsidiaire, en proposant, dans le cas où la solution judiciaire n'aurait pas été acceptée, de compléter l'article 94 de la Constitution par un alinéa ainsi conçu : « La loi peut instituer une juridiction chargée de statuer sur les litiges administratifs qu’elle désignerait, ainsi que sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les actes des autorités administratives » (doc. parl. Sénat 1920-1921, n°291, p. 3).
Nous étudierons successivement la solution judiciaire et la solution administrative ; nos préférences vont la première ; nous estimons qu'il n'existe aucun corps dans l’Etat qui puisse avoir (page 278) une autorité plus grande que la Cour de cassation pour être investie de ce pouvoir d'annuler les actes des autorités administratives. Des objections ont été soulevées contre les deux thèses, nous les passerons successivement en revue ; toutes s'appliquent à la thèse judiciaire ; un certain nombre d'entre elles seulement s'appliquent à la thèse administrative. Lorsque nous aurons répondu aux objections formulées contre le premier système, nous aurons, en même temps, réfuté celles qui sont soulevées contre la seconde solution.
(page 278) Nous avons rappelé au chapitre II, dans quelles conditions le Gouvernement avait envisagé la révision de certaines dispositions du titre III, chapitre III de la Constitution consacrée au pouvoir judiciaire, et comment la déclaration de révision avait laissé à la Constituante le champ libre pour introduire un Conseil d'Etat dans nos institutions nationales. La proposition de confier le contentieux d'annulation fut développée devant cette commission par M. le Procureur général Paul Leclercq. Dans une note du 26 février 1921, M. Leclercq fit valoir divers arguments à l'appui de sa thèse, qui rallia après discussion, l'unanimité de la commission.
Il établit un parallèle entre les pouvoirs accordés actuellement par la Constitution et par la (page 279) loi à la Cour de cassation, et le recours pour excès de pouvoir ; l'annulation pour excès de pouvoir est un acte juridictionnel par lequel un corps chargé de la mission de juger, annule, exclusivement pour violation de la loi, sans s'occuper soit du fond, soit de son opportunité, un acte administratif qui lèse un intérêt individuel pour la protection duquel l'action en annulation est donnée ; or, la Cour de cassation a exactement pour mission d'annuler, sans s'occuper du fond, les actes qui sont contraires à la loi ; dans l'un et l'autre cas, il s'agit d'examiner un acte exclusivement dans ses rapports avec la loi, en réussissant faire abstraction de son utilité et de son opportunité, tâche pour laquelle un certain entraînement est nécessaire, La Cour de cassation ne statue jamais sur le fond, elle apprécie exclusivement si l’arrêt dénoncé a commis l'illégalité qui lui est reprochée, exactement comme en cas de recours pour excès de pouvoir. le Conseil d'Etat de France apprécie si la décision administrative dénoncée est entachée d'illégalité, abstraction faite de l'opportunité sur le fond.
Quel est d'ailleurs le corps qui en Belgique jouit d'une autorité plus grande que notre Cour suprême, pour annuler les actes des autorités administratives aux différents degrés de la hiérarchie ?
Cependant cette thèse admirablement développée dans le rapport adressé au Gouvernement par la Commission chargée de préparer la révision du titre III (page 280) chapitre III de la Constitution, sous la signature de MM. Leclercq, Nerinckx et Vauthier a soulevé de nombreuses critiques (ce rapport a été distribué aux membres des Chambre, session 1920-1921, n°288, XXXII, p. 27) ; la plupart des arguments que l'on pouvait invoquer contre cette extension de la compétence de la cour de Cassation ont été étudiés et réfutés dans ce rapport même.
Nous sommes néanmoins dans l'obligation de les examiner à nouveau, la Chambre des représentants, sur la proposition de son rapporteur, M. Mechelynck, n'ayant pas admis la réforme. De plus, comme il s'agit de résoudre le problème, non par une révision constitutionnelle, mais par une réforme législative ordinaire, celui-ci se présente actuellement sous un aspect différent.
Il importe tout d'abord de remarquer que la lecture du rapport de M. Mechelynck (doc. parl. Chambre, loc. cit, pp. 12 et suiv.) donne l'impression que son auteur avait l'idée préconçue de repousser toute solution devant aboutir soit à la création d'une Cour du contentieux administratif, soit à l'extension de la compétence de la Cour de cassation au contentieux de l'annulation. C'est ainsi que M. Mechelynck reprend les objections déjà combattues dans le rapport de la commission spéciale, sans faire la moindre allusion à la réponse qui y avait été donnée. Deux pages de remarques, presque complètement dépourvues de démonstration, telle est la seule réfutation du rapport de la (page 281) commission extraparlementaire ; on peut y constater que les idées introduites dans la législation française par l’Assemblée constituante étaient encore celles du rapporteur de la Chambre qui semble d'ailleurs avoir ignoré les importantes études juridiques dont nous avons parlé au chapitre II.
Nous allons donc passer en revue les objections que l'on peut soulever contre l'extension de la compétence de la Cour de cassation aux recours contre les excès de pouvoirs des autorités administratives.
PREMIERE OBJECTION. « Il faut une révision constitutionnelle pour étendre la compétence de la Cour de cassation au contentieux de l' annulation. »
La question a été soulevée lorsque le législateur constituant a été appelé à examiner la révision de l'article 95 de la Constitution, en vue d'étendre la colonie du Congo, la compétence de la Cour de cassation. La Commission extraparlementaire qui comprenait dans son sein deux membres de la Cour de cassation, avait émis l'avis qu'une révision ne s'imposait pas, le législateur ordinaire ayant les pouvoirs nécessaires à cet effet. La Chambre se rallia à cet avis, et l'article 95 ne fut pas modifié. De plus, lorsque la Chambre eut à délibérer sur le projet de révision de l'article 105, en vue d'étendre la compétence de la Cour de cassation au (page 282) contentieux de l'annulation, M. Franck, ministre des colonies, d'accord avec le premier ministre, déclara avec l'assentiment de l'assemblée que la question restait ouverte, que la Constitution laissait au législateur ordinaire toute liberté d'adopter telle solution qu'il estimerait opportune, et qu'aucun obstacle d'ordre constitutionnel ne s'opposerait à que la loi intervienne pour protéger les particuliers contre l'arbitraire du pouvoir central aussi bien que contre l'arbitraire des autorités locales (Ann. parl. Chambre, 1920-1921, p. 1481). Cette déclaration, reprise dans le rapport de M. Braun au Sénat, peut être considérée comme ayant également rencontré l’assentiment de la haute assemblée. (doc. parl. Sénat, 1920-1921, n°291, p.4).
Le législateur ordinaire a d'ailleurs, à maintes reprises, étendu la compétence de la Cour de cassation, notamment en matière de dommages de guerre (article69 de la loi du 25 avril 1920), matière reconnue administrative par la jurisprudence » (Cass. 11 mars 1920 et 4 mars 1920, Pas., 1920, I, 83 et 79).
Mais. dit M. Mechelynck dans son rapport la Chambre, la Constitution, par son article 67, confie au roi le droit de faire les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois ; le droit d'annulation accordé à une Cour du contentieux administratif ou à toute autre juridiction comporterait une réduction de ce pouvoir constitutionnel.
Il est incontestable qu'il n'appartient pas au (page 283) législateur ordinaire de porter la moindre atteinte au pouvoir réglementaire du roi ; mais l'article 67 dit en termes exprès que ce pouvoir est confié au roi pour l'exécution des lois. Un arrêté illégal ne peut être pris pour l'exécution d'une loi ; si semblable arrêté est promulgué, le roi est sorti du pouvoir que lui accorde l'article 67 et par conséquent, on ne peut soutenir que l'article 67 porte obstacle à ce que la Cour de cassation l'annule. Le législateur constituant a d'ailleurs prévu expressément l’éventualité d'arrêtés ou de règlements illégaux puisqu'il a décidé, en l'article 107, que les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements qu'autant qu'ils sont conformes aux lois.
Dans son désir de porter obstacle à l'organisation d'une Cour du contentieux administratif ou à l'extension au contentieux d’annulation, de la compétence de la Cour de cassation, M. Mechelynck s'est d'ailleurs attaché à démontrer que l'exécution de semblable projet porterait atteinte à des articles de la Constitution non soumis à révision en 1921 mais cet argument, pas plus que ceux que nous envisagerons dans la suite, ne peut être retenu (doc. parl. Chambre, 1920-1921, n°288, XXXII, p. 20).
Nous pouvons donc conclure qu'une révision constitutionnelle n'est pas nécessaire pour étendre la compétence de la Cour de cassation au contentieux d'annulation.
(page 284) DEUXIEME OBJECTION. « Le système proposé est contraire au principe de la séparation des pouvoirs. »
Dans son rapport, M. Mechelynck s'est fait l'écho de cette objection que la « proposition porterait atteinte au principe fondamental de droit constitutionnel : la séparation des pouvoirs ; le Congrès de 1830 s'est efforcé de la réaliser par des dispositions précises ; il a donné au pouvoir judiciaire une organisation destinée à le défendre contre les usurpations commises sous les régimes précédents par le pouvoir exécutif à l'égard des cours et tribunaux et il y a réussi ; il ne faut pas aujourd'hui, en déplaçant les limites fixées, armer le pouvoir judiciaire d'un droit qui lui permettrait d'entraver à son tour l'exercice du pouvoir exécutif » (doc. parl. Chambre loc. cit., p. 23).
Il ne semble pas que le rapporteur de la Chambre ait eu connaissance des travaux juridiques récents qui ont précisé ce qu'il fallait entendre par la théorie de la séparation des pouvoirs, travaux tels que ceux de M. Wodon (op. cit., p. 83) et de M. Leclercq (Pas., 1920, I, 196). Comme l'a fait observer la Cour de cassation dans son arrêt du 5 novembre 1920 (Pas., 1920, I, 233), les mots « séparation des pouvoirs » ont eu, selon les pays et les époques, un sens très différent ; la seule qu'il nous importe de démontrer, c'est que la séparation des pouvoirs, telle qu'elle résulte de la Constitution belge, ne (page 285) porte pas obstacle à ce que la Cour de cassation apprécie la validité des actes de l'administration, même dans un domaine qui n'est pas celui des droits civils. « En se prononçant sur cette validité, elle n'adresse aucune injonction à l'administration, elle n'use d'aucune contrainte son égard. Elle se borne à constater qu'un acte administratif est infecté d'un vice qui le rend contraire au droit » (Rapport de la commission extraparlementaire, loc. cit., p. 35). Annuler un acte illégal du pouvoir exécutif ne peut en aucune manière entraver l'exercice de ce pouvoir puisqu'il est sorti des limites imposées par la loi, limites qu'il doit respecter comme le particulier.
Il existe d'ailleurs déjà des exemples d'intervention de la Cour de cassation dans le domaine administratif et personne n'a songé, ni à contester la constitutionnalité des lois qui ont institué ces interventions, ni même à méconnaitre l'intérêt qu'il y a voir la Cour intervenir dans de semblables cas, de sa haute autorité. C'est, par exemple, le cas de la procédure instituée par les lois sur la réparation des dommages de guerre dont nous venons de parler. La juridiction gracieuse des tribunaux a d'ailleurs un caractère nettement administratif (par exemple, l’autorisation de vente des biens des mineurs).
Comme l'a fait observer M. Leclercq dans sa note du 26 février 1921 à la Commission extraparlementaire, « la séparation des pouvoirs implique simplement qu'un corps non administratif ne fait (page 286) pas un acte administratif ; dans la procédure de l'annulation pour excès de pouvoir, le corps qui statue sur le recours, statue exclusivement dans l'intérêt de la loi ; il envisage exclusivement la légalité de l'acte ; c'est là le propre de la mission de la Cour de cassation
L'honorable magistrat fit d'ailleurs remarquer à la Commission que si la mission de la Cour de cassation est considérée comme étant celle d'un corps exerçant le pouvoir judiciaire, tel que les articles 92 et 93 de la Constitution le définissent, c'est uniquement parce que sa décision intervient au cours d'un procès, et en vue d'assurer, dans cette contestation, l'observation de la loi ; sur dénonciation de son procureur général, agissant d'ordre du ministre de la justice, la Cour de cassation annule les actes par lesquels les juges ont excédé leurs pouvoirs (article 80 de la loi du 27 ventôse an VIII et article 441 du code d'instruction criminelle) sur connaissance qui lui en est donnée par son procureur général, la Cour de cassation casse, exclusivement dans l’intérêt de la loi, les arrêts et jugements coulés en force de chose jugée qui sont illégaux (article 88 de la loi du 27 ventôse an VIII, article 442 du code d'instruction criminelle, article 29 de la loi du 4 août 1832) ; dans le premier cas, il paraît extrêmement douteux, dans le second, il est certain que la Cour de cassation n’exerce pas le pouvoir judiciaire tel que le supposent les articles 92 et 93 de la Constitution ; elle agit exclusivement dans (page 287) l'intérêt de la loi, abstraction faite de toute contestation sur un droit civil. Elle exerce une mission de gardienne de la loi qui n'est pas l'exercice du pouvoir judiciaire proprement dit.
L'extension de la compétence de la Cour de cassation au domaine du contentieux de l'annulation ne serait en rien contraire à l'organisation des pouvoirs, telle que notre législateur constituant l'a conçue.
TROISIEME OBJECTION. « La Cour de cassation n'a pas compétence pour statuer erga omnes »
Nous venons de rappeler que la Cour de cassation dispose du pouvoir de casser, dans l'intérêt de la loi, les jugements et arrêts illégaux coulés en force de chose jugée ; cette annulation s'exerce erga omnes sous réserve des droits qui seraient déjà acquis à des particuliers en vertu de l'acte annulé. Non seulement aucun principe constitutionnel ne s'oppose à ce que la Cour de cassation statue en ce sens, mais il n'est pas contraire aux principes de la législation existante qu'une innovation soit introduite dans ce domaine. Assurément semblable pouvoir ne lui a jamais appartenu en matière administrative, mais puisque rien ne s'oppose à l'extension de sa compétence en matière administrative, nous ne voyons pas pourquoi cette extension n'aurait pas comme conséquence de rendre les décisions qu'elle prendrait en cette matière, valables à l'égard de tous.
(page 288) QUATRIEME OBJECTION. L'article 107 de la Constitution interdit aux cours et tribunaux d’annuler un acte du pouvoir exécutif »
L'article 107 de la Constitution dispose que les cours et tribunaux n'appliquent les arrêtés et règlements généraux provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils sont conformes aux lois ; par conséquent, lorsqu'un tribunal reconnaît qu’•un arrêté ou un règlement général, provincial ou local n'est pas conforme aux lois, il doit en refuser l'application, mais il n'en prononce pas la nullité ; appelé à statuer sur cc conflit de droits, il considère l'acte du pouvoir exécutif comme inexistant. D'où, conclut M. Mechelyrlck (doc. parl. Chambre, loc. cit., p. 22), il n'est pas possible d’accorder à la Cour de cassation un pouvoir que l'article 107 lui refuse,
Cette conclusion dépasse les prémisses : où trouve-t-on semblable interdiction dans la Constitution ? Celle-ci se borne à dire que les cours et tribunaux n'appliquent pas les arrêtés non conformes aux lois ; elle ne dit rien de plus. En vertu de l'article 107, un tribunal ne pourrait évidemment, au cours d'un procès, déclarer nul un arrêté qu'il estime illégal : il se bornera à ne pas l'appliquer ; mais où voit-on que cet article interdise d’attribuer une mission nouvelle à la Cour de cassation dans un cas qu'il ne prévoit pas ; semblable interdiction ne résulte ni du texte, ni de l'esprit de l'article 107.
(page 289) CINQUIEME OBJECTION. « L'article 108, 5°, après avoir confié aux Conseils provinciaux et communaux tout ce qui est d’intérêt provincial el communal réserve l'intervention du roi ou du pouvoir législatif pour empêcher que les Conseils Provinciaux et communaux ne sortent de leurs attributions ou ne blessent l’intérêt généal. Cet article, dit-on, interdit de confier à la Cour de cassation, compétente pour annuler des décisions des Conseils provinciaux ou communaux par lesquels ces organismes excéderaient leurs pouvoirs. » Or, il s'agit là d'une partie extrêmement importante du contentieux d’annulation (doc. parl. Chambre, loc. cit., p. 23).
Nous avons attribué à un oubli, l’absence de mention de l'article 108 5° dans le projet de déclaration de révision constitutionnelle ; comme nous l'avons exposé au chapitre II, le Gouvernement désirait soumettre aux Chambres constituantes la question du Conseil d'Etat dans son ensemble, et il est réellement incompréhensible que dans une matière aussi grave, semblable omission ait été faite.
M. Mechelynck. en soulevant l'objection tirée de l'article 108, 5°, fait remarquer qu'elle a paru péremptoire à la commission de la Chambre ; or, en la supposant péremptoire, objection qui devait engager la commission de la Chambre à repousser l'intervention de la Cour de cassation dans les affaires provinciales et communales dont l'article 108, 5° fait mention, mais non dans les affaires (page 290) gouvernementales : encore une fois la conclusion dépassait de loin les limites de l'argumentation.
Il est exact, comme l'écrit M. Mechelynck, que la commission extraparlementaire n'a pas examiné cette objection dans son rapport et c'est là chose assez étonnante. La dite commission avait en effet parfaitement soumis cette objection à un examen très attentif : deux de ses membres, MM. Mahiels et Wodon l'avaient spécialement étudiée, la question avait été discutée sous toutes ses faces au cours des séances du 21 janvier et du 16 mars 1921 ; après que les différentes thèses en présence eurent été défendues avec beaucoup de science par différents membres de la commission, une décision avait été prise sans opposition à la séance du 16 mars ; la commission émettait l'avis que l'article 108 5° de la Constitution ne faisait pas obstacle à la réforme projetée. Il est, dans ces conditions, assez étonnant que le rapport adressé au Gouvernement n'en fasse pas mention ; il semble que les rapporteurs se soient bornés à réfuter les objections formulées dans les milieux parlementaires, sans faire mention de celles que ses membres eux-mêmes avaient soulevées au cours des discussions.
Si donc nous ne trouvons pas dans le rapport de MM. Leclercq, Nerincx et Vauthier la réponse à l'objection, recherchons dans les discussions de la commission comment le problème doit être résolu.
Rappelons d'abord les textes : L'article 108 de la Constitution dispose que les (/page 291) institutions provinciales et communales sont réglées par des lois qui consacrent l’application de certains principes : parmi ceux-ci se trouvent, sub n°5 du même article : « l'intervention du roi ou du pouvoir législatif pour que les Conseils provinciaux et communaux ne sortent de leurs attributions et ne blessent l'intérêt général. »
L'article 108 5° fait donc allusion à l'intervention de deux pouvoirs pour empêcher les abus pouvant résulter de l'autonomie provinciale et communales.
Les lois provinciale et communale ont organisé, conformément à la disposition constitutionnelle, un recours hiérarchique, sans caractère juridictionnel ; le particulier peut s'adresser à l'autorité supérieure, il ne peut la saisir.
Mais que faut-il penser de l'intervention du pouvoir législatif telle qu'elle est prévue l'article 108 5° ? Le législateur constituant a-t-il autorisé la création, par le pouvoir législatif ordinaire, de tout organisme qu'il juge utile en vue d'assurer le respect de la loi et de l'intérêt général par les conseils provinciaux et communaux ? N'a-t-il pas au contraire confié simplement au pouvoir législatif ordinaire l’exercice d'une haute tutelle administrative se traduisant par un acte d'administration fait en forme de loi ?
Les partisans de ce dernier système invoquent deux arguments :
A quel titre le constituant, après avoir chargé (page 292) le pouvoir législatif ordinaire de régler l'organisation des institutions provinciales et communales, aurait-il prévu une seconde fois, et dans la même disposition, l'intervention de ce pouvoir pour empêcher les abus de l'autonomie locale ? De plus, lors des travaux préparatoires de la loi communale du 30 mars 1836 (Ann. parl. Chambre 26 et 27 novembre 1834), on a discuté la question de savoir si l'article 108, 5° autorisait l'option entre le pouvoir législatif et le pouvoir royal, ou prescrivait l'intervention cumulative de ces deux pouvoirs et il semble résulter des discussions que les membres de la Chambre considéraient l'intervention du pouvoir législatif comme constituant, de même que l'intervention royale, un acte de tutelle provinciale ou communale supérieure.
Nous ne pouvons nous rallier à cette thèse qui n'a d'ailleurs pas été admise par la commission extraparlementaire.
L'article 108 5° n'a pas pour but, en effet, d'autoriser le législateur ordinaire à prescrire des règles pour empêcher que les conseils provinciaux et communaux ne sortent de leurs attributions et ne blessent l'intérêt général ; la loi eût pu prescrire semblables règles sans qu'existât l'article 108, 5°. Mais le constituant a voulu imposer au législateur ordinaire l'obligation de prévoir, dans les lois communale ou provinciale, soit l'intervention du roi, (page 293) soit celle du pouvoir législatif pour réprimer les abus de l'autonomie locale ? (note de M. Wodon à la commission.)
Si telle est bien la portée de l'article 108, 5°, on se rend compte immédiatement que le constituant a prévu un minimum de garanties contre les excès de l'autonomie locale, mais que rien, dans la Constitution, ne s'oppose à l'adoption, par le législateur ordinaire, de garanties supplémentaires (observations de M. LECLERCQ à la séance de la commission du 16 mars 1921).
Le législateur constituant a voulu protéger l'intérêt général contre le pouvoir local : c'est à cette fin qu'il a décidé que le pouvoir législatif et le roi pourraient agir d'office. Mais le constituant ne s'est pas occupé de l'intérêt des particuliers. Il croyait, à ce moment, que la protection du pouvoir judiciaire suffisait. Or, l’expérience a précisément démontré que cette protection n'est pas efficace dans tous les cas; en organisant un nouveau recours, on complète donc le système constitutionnel, sans toucher à l'article 108, 5° (observations de M. VAUTHIER à la même séance).
Il serait d'ailleurs anormal d'admettre que le législateur ordinaire ne puisse pas organiser, en matière provinciale et communale, un recours juridictionnel non prévu à l'article 108, 5°. On admet, en effet, que l'organisation de semblable recours contre les actes émanant de l'autorité supérieure est conforme à notre Constitution. Si une décision d'un (page 294) conseil communal ou provincial était considérée comme contraire à la loi, la juridiction du contentieux administratif serait donc incompétente, parce qu'il s'agit d'un pouvoir local ; mais dès que le Gouvernement ayant usé de son pouvoir de tutelle, aurait approuvé ou improuvé cet acte de l'autorité locale, la dite juridiction redeviendrait compétente, car il ne s'agirait plus, cette fois, d'annuler une délibération du conseil communal, mais bien une décision de l'autorité supérieure. Il faudrait admettre que le recours hiérarchique écarte le recours juridictionnel ; or, le recours hiérarchique n'appartenant pas au particulier, celui-ci se verrait sans droit, si, par une collusion entre l'autorité locale et l'autorité centrale, cette dernière s'abstenait de statuer sur le recours hiérarchique, Le constituant n'a pu vouloir pareille anomalie. D'ailleurs, en France, où le recours hiérarchique et le recours juridictionnel existent tous deux, le premier n'écarte pas le second.
On peut donc conclure que l'article 108, 5° de la Constitution ne fait pas obstacle à ce que soit instituée une juridiction chargée de statuer, en matière de contentieux d'annulation, ou que cette compétence soit confiée à la Cour de cassation.
SIXIÈME OBJECTION. « Les magistrats de l'ordre judiciaire n'ont pas acquis la formation nécessaire (page 295) pour statuer sur des recours dont le caractère est exclusivement administratif. »
Le rapport de la commission extraparlementaire a soulevé la question de la compétence des tribunaux judiciaires, en matière administrative.
Il est incontestable que les litiges administratifs ont un caractère nettement différent des procès civils. « Dans un procès civil, la contestation se ramène forcément au point de savoir si le droit d'un particulier, droit dérivant soit de la loi écrite ou coutumière, soit d'un contrat - droit presque toujours nettement délimité - a ou non subi une lésion. Dans un litige administratif, au contraire, il s'agit de mettre en rapport le droit que s'attribue à tort ou raison un individu ou un organisme politique avec les fonctions que le législateur a confiées à l'administration... Il y a lieu de concilier les intérêts légitimes des individus avec les intérêts non moins respectables de la collectivité dont l'administration est l'organe (doc. parl. Chambre, 1920-1921, n°288, XXXII, p. 35. MARCQ, op. cit., p. 409).
Il est incontestable que nos magistrats ne sont, en général, pas habitués à l'étude du droit administratif : c'est chose naturelle, puisqu'ils ont rarement l'occasion d'en appliquer les dispositions. Mais pourquoi, s'ils avaient à connaître d’affaires administratives, ne pourraient-ils acquérir, dans ce domaine, les connaissances de l'expérience indispensables à l'accomplissement de leur mission ? (page 296) « Nous avons la ferme confiance, poursuivait le rapport de la commission extraparlementaire, que la Cour de cassation, si elle est investie de la mission de statuer sur les excès de pouvoir, apportera, dans le jugement de ses contestations, l’esprit qui a permis au Conseil d’Etat de France, d'élaborer une jurisprudence qui est l'une des plus admirables créations du droit moderne » (doc. parl. Chambre, loc. cit., p. 30.
Il faut d'ailleurs reconnaître que s'il y a dans le passé un reproche faire aux tribunaux, ce n'est pas d'avoir négligé de tenir compte des devoirs impérieux auxquels l’administration ne peut se soustraire, mais de s'y être trop arrêtés ; cette tendance les a poussés à cette jurisprudence que nous avons critiquée dans la section précédente consacrée à la responsabilité des autorités publiques et qui a abouti, dans de nombreux cas, à proclamer beaucoup trop souvent l'immunité de l'administration. Il ne semble pas qu'il y ait lieu de craindre de voir notre magistrature tomber dans l’excès contraire.
SEPTIÈME OBJECTION. « Il faut éviter de confier aux tribunaux des causes dont le caractère politique risque de faire suspecter leur impartialité »
Le rapport de la commission extraparlementaire répond à cette objection : « Nous ne prétendons pas que ce soit purement imaginaire. Mais nous (page 291) estimons qu'il faut avoir le courage de l'affronter si l'on ne peut, qu'à ce prix, procurer à des intérêts légitimes les garanties qu'un régime constitutionnel sainement organisé est tenu de leur fournir » (Ibidem). D'ailleurs, dans un pays où les passions politiques sont aussi vives que chez nous, le Conseil d'Etat de France n'a pas vu entamer sa réputation d'impartialité, et il jouit d'une confiance qui n'est pas inférieure à celle du pouvoir judiciaire. Il n'est cependant pas investi de garanties d'indépendance aussi grandes que notre Cour de cassation.
HUITIÈME OBJECTION. « On a enfin soutenu que l'article 28 de la Constitution, disposant que l'interprétation des lois, par voie d'autorité, n'appartient qu'au pouvoir législatif, la Cour de cassation ne pouvait être appelée d’assurer semblable interprétation. »
Si cette objection a été soulevée dans les milieux parlementaires, ce ne peut être que par une ignorance complète de ce qu'il faut entendre par l'interprétation par voie d'autorité : c'est une interprétation qui s'impose à tous, dans l'avenir, comme la loi elle-même, dont elle fait partie intégrante.
Or, il n'est jamais entré dans les intentions de personne de confier semblable pouvoir à la Cour de Cassation ni à aucune juridiction administrative quelconque. Ces juridictions ne peuvent être appelées (page 298) à statuer que sur un litige déterminé ; la décision prise ne s'impose pas dans une espèce analogue ; les variations de jurisprudence se révèleront d'ailleurs au fur et à mesure que le droit administratif se développera chez nous.
Nous pouvons donc conclure que si les objections soulevées contre le projet de conférer à la Cour de cassation le contentieux d'annulation sont nombreuses, les unes ne résistent pas à un examen sérieux, les autres peuvent aisément être repoussées par des arguments juridiques pour quiconque n'est pas animé d'idées préconçues contre cette réforme.
En vue de résoudre la question du contentieux d'annulation, on a souvent préconisé en Belgique la création d'une Cour du contentieux administratif exerçant, dans ce domaine, des attributions analogues à celles du Conseil d'Etat de France, Cette solution a même été envisagée avant la solution judiciaire conférant cette compétente à la Cour de cassation.
Nous avons, dans le chapitre précédent, démontré la nécessité d'instituer dans notre pays une Cour de justice administrative ; si, en matière de contentieux d'annulation, la solution administrative doit être admise, ce serait évidemment la même (page 299) institution qui aurait compétence pour statuer sur l'un et l'autre cas.
Se rendant compte de ce que les milieux parlementaires se montraient assez peu favorables à l'idée de confier le contentieux d'annulation à la Cour de cassation, la commission extraparlementaire de 1921 avait adopté une conclusion subsidiaire consistant à ajouter à l'article 106 de la Constitution un alinéa nouveau ainsi conçu : « la loi peut instituer une juridiction chargée de statuer sur les litiges administratifs qu'elle désigne, ainsi que sur les recours en annulation pour excès de pouvoir contre les actes des autorités administratives » (procès-verbal de la commission, 20 avril 1921).
Nous avons marqué nos préférences pour la solution judiciaire ; si le Parlement ne pouvait l’admettre, estimant préférable de faire appel à un organisme nouveau, la solution administrative s'impose : elle aurait pour elle l'expérience particulièrement concluante d'un grand pays voisin.
En étudiant la solution judiciaire, nous avons rencontré d'assez nombreuses objections ; les unes s'attachent à écarter l'intervention du pouvoir judiciaire pour annuler les actes des autorités administratives ; elles s'attaquent à la solution judiciaire, mais laissent intacte la proposition de confier le contentieux d'annulation à une Cour du contentieux administratif. Les autres, au contraire, tendent à faire écarter du cadre de nos institutions tout recours juridictionnel contre les excès de (page 300) pouvoir ; ces objections s'appliquent à la solution administrative comme à la solution judiciaire ; nous les avons réfutées les unes et les autres et il n'existe pas, à notre connaissance, d'objection formulée spécialement contre l'idée de confier le contentieux d'annulation à une Cour de justice administrative.
Nous avons démontré que la création d'une Cour du contentieux administratif s'impose en Belgique Elle devra nécessairement être investie des attributions dont, dans le domaine du contentieux de pleine juridiction, ne peut être chargé le pouvoir judiciaire, même dans l'hypothèse la plus favorable à l'extension de la compétence des tribunaux. A elle, également, incombera la mission du contentieux de l'annulation, si nos Chambres législatives n'acceptent pas de confier cette importante attribution à la Cour de cassation.
D'autres domaines encore s'ouvrent à son activité. On a maintes fois, en Belgique, préconisé la création d'un Conseil d'Etat en vue de résoudre des conflits qui surgissent entre les autorités administratives sur des questions administratives. Ces conflits échappent nécessairement à l'action du pouvoir judiciaire. Celui-ci n'a pas à intervenir dans les contestations administratives sur des choses (page 301) d’administration dans l'administration interne (Pas, 1920, I, 199). On y met actuellement fin d'une façon empirique, sans règles précises, notamment par la voie d’une décision du Conseil des ministres. Le Conseil d’Etat de France intervient actuellement dans ce domaine ; il est logique que la Cour du contentieux administratif en soit saisie. On évitera ainsi des conflits positifs ou négatifs de compétence dont directement ou indirectement le particulier souffre préjudice et qui ne peuvent que porter atteinte au prestige de l'administration.
D'après l'exposé des motifs du projet de déclaration de révision de la Constitution, le Gouvernement proposait d'enlever à la Cour de cassation la compétence en matière de conflits d'attributions, pour confier cette compétence à un corps nouveau composé, d'après le principe admis en France par l'article 25 de la loi du 26 mai 1872 pour le tribunal des conflits, « en partie de membres de la Cour de cassation, en partie de membres de la Cour administrative » (doc. parl. 1918-1919, n°329, 5°). Cette proposition n'a pas été discutée, le refus de créer une Cour du contentieux administratif rendant cette suggestion inutile ; mais nous n'hésitons pas à combattre l'institution par la Constitution d'un tribunal des conflits entre le pouvoir judiciaire et l'autorité administrative ; nos constituants ont établi la prééminence de la justice sur l'administration ; il ne peut être question de toucher (page 301) à ce principe. Aussi la compétence de la Cour du contentieux administratif devrait-elle être restreinte en matière de conflits d'attributions, aux conflits entre administrations, la Cour de cassation devant rester investie du droit de trancher les conflits entre le pouvoir judiciaire et la Cour du Contentieux administratif elle-même.
La question du statut des fonctionnaires (commission extraparlementaire de 1921, séance du 12 janvier 1921), si souvent débattue, devra un jour se résoudre ; la Cour du contentieux administratif jouerait dans ce domaine un rôle important, et dès à présent pourrait lui être confié l'examen des cas d'application des lois du 30 juillet 1903 et du 9 août 1909 sur la stabilité des emplois communaux et des emplois des établissements communaux d'assistance, matières confiées actuellement à la décision du Gouvernement statuant avec les vices d'organisation et l'absence de garanties que nous avons mis en lumière dans la section du présent chapitre.
D'une manière générale, la Cour remplirait d'ailleurs toutes les attributions que nos lois ou nos arrêtés royaux confèrent actuellement à des organismes de contentieux administratif ; le principal d'entre eux, le Conseil des mines, entre parfaitement dans le cadre que nous venons de tracer. Déjà, on a proposé de supprimer cette institution pour le motif que le caractère restreint de ses (page 303) attributions ne permet pas d'absorber l'activité d'un tel organisme. Cette suppression serait, à notre avis, une erreur, car elle enlèverait, dans cette matière délicate de la législation minière, les garanties d'impartialité que le législateur, depuis 1810, a cependant jugé nécessaires. L'objection disparaîtrait si un nouvel organisme, la Cour du contentieux administratif, héritait des attributions du Conseil des mines.
Il n'est pas possible d'envisager tous les cas où la Cour du contentieux administratif pourrait rendre des services signalés. L'expérience démontrera, une fois l'organisme créé, quelles sont les attributions supplémentaires qui devront lui être conférées. Bornons-nous à rappeler un exemple (Ann. parl. Chambre, 1920-1921, p. 1489 ; discours de M. Carton de Wiart,, premier ministre) : lors de la discussion de l'article 7 du projet qui devint la loi du octobre 1919 sur les contrats d'avant- guerre, le législateur se trouva dans la nécessité d'attribuer à une juridiction administrative le soin de prendre, en matière de majoration de péages, des décisions souveraines qui auraient force de chose jugée, L'intervention de l'autorité judiciaire qui eût assuré le maximum de garanties, fut estimée impossible ; semblable mission eût pu être confiée aux Députations permanentes, mais le Parlement a craint, non sans raison, de voir celles-ci se laisser influencer, plus par des arguments d'ordre politique que par des considérations d'ordre économique ; la discussion aboutit à confier cette mission au (page 304) Gouvernement lui-même, bien que tout le monde eût reconnu le système imparfait, faute de trouver un organisme administratif offrant suffisamment de garanties de compétence et d'impartialité pour cette mission (Liége, 9 avril 1924, et Cass., 10 juin 1926. Pas/, 1926, I, 13. Ann. parl Chambre, 8 octobre 1919). Ces hésitations n'eussent pas existé. et le problème eût été aussitôt résolu, s'il avait existé une Cour du contentieux administratif. Il en est de même dans de nombreux cas d'application de la loi du 10 mars 1925 sur les distributions d'énergie électrique.
Comment devrait être organisée la Cour du contentieux administratif ?
Il n'entre pas dans nos intentions d'examiner ici en détail l'organisation de cette juridiction ; nous nous bornerons à rappeler les dispositions du projet élaboré en 1911 par le Conseil de législation, projet fort complet, dont il y aurait lieu de s'inspirer. Ce projet laissait au Gouvernement la nomination du personnel de la Cour ; il rejetait l'idée de la présentation de candidats, s'attachant à établir un système qui ne permît de nommer que des candidats dont l'aptitude professionnelle et la compétence auraient été sérieusement éprouvées.
Le personnel des conseillers serait peu nombreux et il serait pris en majorité parmi les auditeurs qui auraient accompli à la Cour un stage d'au moins (page 305) cinq ans ; les autres places seraient confiées à des hommes qui auront fait leurs preuves dans la magistrature, le barreau ou l'enseignement du droit.
L'institution de l'auditorat, inspirée de la France et de l'Allemagne, avait pour but d'assurer le bon recrutement de la Cour dans l'avenir ; le recrutement des auditeurs serait soumis à des conditions d'aptitude générale et des connaissances professionnelles très strictes (travaux du Conseil de législation 1912, p. 31).
Est-il conforme la Constitution de créer une Cour du contentieux administratif ? Trois objections de droit constitutionnel ont été soulevées contre la création d'une Cour du contentieux administratif ayant les attributions que nous venons de définir ; certains ont considéré que l'institution de cette juridiction administrative serait contraire au principe de la responsabilité ministérielle inscrit dans les articles 63, 64 ct 90 de la Constitution ; d'autres y sont vu une atteinte au principe de l'article 92 qui donne aux tribunaux judiciaires compétence exclusive en matière de contestations qui ont pour objet des droits civils ; d'autres enfin ont estimé que la Constitution n'ayant pas fait mention d'une Cour du contentieux administratif, et ayant même sciemment omis de consacrer le maintien du Conseil d'Etat de l'ancien (page 306) régime, il serait contraire à notre pacte fondamental de créer semblable organisme,
Examinons successivement objections.
PREMIERE OBJECTION. « Les articles 63, 64 et 90 de la Constitution établissent le principe de la responsabilité des ministres devant le Parlement; la création d'une juridiction administrative indépendante du Gouvernement qui n’aurait pas à répondre de ses décisions, porte atteinte à ce principe. »
Cette objection paraît surtout avoir préoccupé certains hommes d'Etat qui ont participé à la préparation ou la discussion des projets de Conseil d'Etat de 1830 à 1857, et spécialement de M. Rogier. Nous en fait mention au chapitre II (cf, p. 40). Rappelons tout d'abord que cette objection n'était pas, même à cette époque, unanimement admise : le chevalier de Theux, M. Plaisant, notamment estimaient que la création de semblable organisme était parfaitement compatible avec la Constitution (cf. pp. 38 et 52).
Il faut tout d'abord se rendre compte que l'introduction de la responsabilité ministérielle dans la Constitution était considérée par les hommes d’Etat de la Révolution de 1830 comme une des principales conquêtes du nouveau régime ; or, faute de tradition, cette notion de la responsabilité ministérielle ne répondait pas encore chez nous à une idée définie avec netteté et précision ; aussi voulant éviter tout (page 307) ce qui directement ou indirectement y eût porté atteinte, on se montrait fort disposé à repousser la création de toute institution dont le fonctionnement, en contact plus ou moins direct avec le Gouvernement, pourrait avoir comme conséquence d'établir des bornes trop étroites à la notion encore imprécise de la responsabilité ministérielle.
Cette raison n'existe plus aujourd'hui, et les juristes les plus qualifiés qui ont étudié la question dans ces derniers temps, se sont abstenus de la soulever.
En effet, cette objection ne peut nous arrêter ; tout d'abord, comme nous l'avons rappelé au chapitre II, lorsque la création d'une Cour du contentieux administratif fut discutée au Parlement en 1921, il fut nettement entendu que le législateur ordinaire pourrait la créer sans enfreindre un texte constitutionnel : le Parlement ne considérait donc pas que cette création pût porter atteinte au principe resté intangible de la responsabilité ministérielle. Cette idée n'est d'ailleurs pas nouvelle ; la loi du 2 mai 1837 sur les mines, votée précisément à l'époque où la question était soulevée par M. Rogier, institua un Conseil des Mines dont les décisions dans certains cas lient le Gouvernement ; personne n'a estimé que la responsabilité ministérielle s'en trouvait entamée, ce corps statuant en toute indépendance vis-à-vis du Gouvernement.
L'article 93 de la Constitution dispose que les (page 308) contestations qui ont pour objet des droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi, Il est incontestable que lorsqu'une loi investit les tribunaux du droit de statuer sur les contestations relatives à des droits politiques, le Gouvernement n'est pas responsable de la décision qu'ils prennent, et à laquelle il est resté complètement étranger. Pourquoi n'en serait-il pas de même si une cour administrative indépendante était chargée de trancher les mêmes conflits, qui serait cependant conforme à la Constitution. On ne voit aucune raison pour en décider différemment dans l'un et l'autre cas. Nos lois ont d'ailleurs, depuis 1830, institué des juridictions administratives nombreuses - juridictions de milice, électorales, de dommages de guerre, etc. parmi lesquelles il en est qui statuent en toute indépendance, sans qu'on dire que leur fonctionnement porte atteinte à la responsabilité gouvernementale. Les ministres répondent de leurs actes, des actes de tous leurs subordonnés ; point n'est besoin qu'ils répondent des décisions prises par des juridictions administratives instituées par la loi.
DEUXIEME OBJECTION. « L'article 92 de la Constitution donne compétence exclusive aux tribunaux judiciaires pour toutes contestations qui pour objet des droits civils ; on ne peut enlever aux tribunaux la connaissance des litiges que la loi leur attribue. »
(page 309) Cette objection a fait l'objet d'un examen de M. Vauthier, lors de l'élaboration, en 1912, du projet du Conseil de législation. » Ce qui démontre, disait M. Vauthier, que les droits dont il s'agit ne sont pas de nature civile, c'est que les tribunaux se refusent de statuer à leur sujet... Que l'on qualifie des droits de « droits politiques », droits à l’égard desquels l'article 93 de la Constitution prévoit la création de tribunaux spéciaux, il n’y aurait pas à cela un grave inconvénient. Mieux vaut, peut-être, ne pas s'attacher à une interprétation trop étroite, trop littérale des articles 92 et 93. A l'époque où furent rédigés ces textes, c'est à peine si l'on soupçonnait l'importance des débats qui mettent en jeu la responsabilité de l'administration. On aurait fort embarrassé nos Constituants en leur demandant si la réclamation d'une personne, victime d'un acte ou d'une omission de l'autorité, est de nature civile ou politique. Les droits que prévoit la Constitution de 1831, ce sont évidemment ceux qui, à cette date, présentaient un semblable caractère. C'étaient avant tout, sinon uniquement, les droits personnels et les droits de famille, le droit de propriété et ses démembrements, les droits d'un contrat ou d'un quasi-contrat imputables à des particuliers. Les droits politiques étaient essentiellement ceux qui impliquent une participation de leurs titulaires à la chose publique. Quant aux droits nés des relations entre les administrés et les administrations, on n'y songeait guère. Il serait étrange que (page 310) l'indifférence inévitable des constituants à leur égard nous réduise à écarter un remède à l'application duquel, appelés à prononcer, ils eussent probablement applaudi » (travaux du Conseil de législation, 1912, p. 30. Voir aussi VAUTHIER, Droit administratif de la Belgique, n°429).
Il est incontestable que, depuis la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, le domaine des conflits dans lesquels, en matière de responsabilité de la puissance publique, les tribunaux se refusent de statuer est considérablement réduit ; la réponse de M. Vauthier conserve néanmoins sa pleine valeur dans tous les cas où ce refus subsiste.
TROISIEME OBJECTION. « La Constitution n'ayant pas fait mention d'une Cour du contentieux administratif et ayant sciemment omis de maintenir le Conseil d'Etat de l'ancien régime, il est contraire à notre pacte fondamental de créer un tel organisme. «
l est noter tout d'abord que si telle eût été l'intention du législateur constituant de 1831, ce ne fut certainement pas celle du législateur constituant de 1921 qui a expressément manifesté son intention de laisser en cette matière la voie libre au législateur ordinaire. Mais le Congrès de 1831 a-t-il rejeté toute idée de créer une Cour du contentieux administratif ? Cette question s'est-elle posée devant lui ? Non. Le Congrès s'est refusé à maintenir le Conseil d'Etat de l'Empire et celui du Gouvernement hollandais ; mais il n'a pas même envisagé (page 311) la création d'une Cour administrative indépendante, et nous ignorons comment il aurait résolu la question si elle lui avait été posée.
Nous pouvons donc conclure qu'aucune des objections soulevées contre l'institution d'une Cour du contentieux administratif ne doit nous arrêter.