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Histoire du royaume des Pays-Bas et de la révolution belge de 1830
VAN KALKEN Frans - 1910

Frans VAN KALKEN, Histoire du royaume des Pays-Bas et de la révolution belge de 1830

(Paru à Bruxelles en 1910, chez J. Lebègue et Compagnie)

Chapitre premier. La réunion de la Belgique et de la Hollande en 1814

Décadence de la république des Provinces-Unies à la fin du XVIIIe siècle. Conquêtes de Pichegru. La république batave (1795-1806). Le royaume de Hollande (1806-1810). Le régime impérial (1810-1813). Soulèvement du peuple hollandais (novembre 1813). Le prince d'Orange proclamé prince souverain des Pays-Bas (2 décembre 1813). Le nouveau régime salué avec allégresse en Hollande

Les Pays-Bas autrichiens à la fin de l'ancien régime. La bataille de Jemappes (6 novembre 1792) et la première invasion française. Neerwinden (18 mars 1793). Fleurus (27 juin 1794). Annexion de la Belgique à la France (1er octobre 1795). La Belgique sous le Consulat et l'Empire. Entrée des Alliés dans nos provinces (janvier-février 1814). Etablissement d'un gouvernement provisoire.

Intentions des Alliés à l'égard de la Belgique. Protocole de Londres (21 juin 1814). Le prince d'Orange appelé à gouverner la Belgique, provisoirement « au nom des Alliés » (1er août 1814). Caractères essentiels de la réunion de la Belgique et de la Hollande. Sentiments des Hollandais et des Belges par rapport à cette réunion. Fâcheuses conditions dans lesquelles elle a été opérée.

(page 11) A la fin du XVIIIe siècle, à ce moment pathétique de l'histoire où, dans toute l'Europe, surgissait le conflit entre les conceptions surannées de l'ancien régime et les grands principes de liberté modernes, la république des Provinces-Unies, tombée dans un état de profond abaissement, était déchirée par des discordes intérieures dues en partie, elles aussi, aux désirs des (page 12) masses d'améliorer leurs conditions d'existence politique et morale. Aux Prinsgezinden, partisans d'une extension des pouvoirs du stadhouder Guillaume V (1748-1806), s'opposaient les Staatsgezinden ou Patriotten. Parmi ces adversaires du parti stadhoudérien, si les uns, membres des vieilles familles bourgeoises aristocratiques, n'avaient pour idéal que le maintien des droits des États, tels qu'ils étaient stipulés dans l'Union d'Utrecht de 1579, bien d'autres - plus réellement patriotes - défendaient un programme démocratique. Dispersés par les soldats prussiens, envoyés en 1787 au secours de Guillaume V par son beau-frère, le roi Frédéric-Guillaume II, des milliers de patriotes durent se réfugier en France où, dès le début de la révolution, ils formèrent, à Paris, des groupements actifs. Après la déclaration de guerre faite par la France aux Provinces-Unies, le 1er février 1793, ces exilés se hâtèrent d'entrer en rapports avec les comités révolutionnaires secrets de la Néerlande ; la « légion batave » de Daendels combattit avec intrépidité aux côtés des soldats de Pichegru ; tous saluèrent avec enthousiasme la chute de l'ancien régime et la proclamation de la république batave après la fuite en Angleterre du dernier stadhouder (18 janvier 1795).

Sous l'influence des réformes de l'Assemblée constituante et de la Convention, les défenseurs des principes de 89 en Hollande, les unitaires, surent rapidement triompher des ultimes défenseurs du régime seigneurial et des fédéralistes. Quoique directement redevable à la France de son évolution vers les idées modernes, le peuple batave, dans son ensemble, ne lui en sut aucun gré et les patriotes eux-mêmes se détachèrent bientôt de la nation libératrice. C'est que cette puissante voisine leur faisait payer bien cher leur émancipation. En juin 1806, Napoléon substituait (page 13) le royaume de Hollande à la république batave ; ensuite, ne trouvant point en son frère Louis un instrument assez docile pour obéir à ses volontés, il annexait directement à l'Empire les anciennes Provinces-Unies et en nommait Lebrun, duc de Plaisance, lieutenant général (9 juillet 1810). Pendant trois années, les Hollandais vécurent affaissés sous le despotisme napoléonien. La guerre maritime avec l'Angleterre leur avait coûté leurs plus belles colonies ; le blocus continental provoquait une hausse exorbitante du prix des denrées les plus usuelles et des produits les plus communs ; les impôts indirects, nommés « droits réunis », les accises, les réquisitions de tout genre ruinaient une population déjà décimée par les levées continuelles de conscrits et les appels d'inscrits maritimes. Enfin, les Néerlandais, courbés sous des lois étrangères qui leur paraissaient haïssables, n'avaient même pas la ressource de pouvoir se plaindre. Préfets, sous-préfets et maires surveillaient les moindres actes de leurs administrés, la censure muselait la presse, des garnisons nombreuses contenaient les villes. Faut-il s'étonner si les Hollandais, en dépit de certains progrès matériels et des avantages de l'égalité civile que leur avait octroyés le Code Napoléon, en étaient arrivés à déserter l’Empire ? La nouvelle des désastres de Russie en 1812, celle de la bataille de Leipzig en octobre 1813, firent naître dans les cœurs bataves l'espoir secret d'une prompte délivrance. Déjà la Prusse, la Westphalie se soulèvent. Les Alliés, harcelant les troupes impériales en retraite, marchent vers la frontière néerlandaise. Soudain, le 15 novembre 1813, le bas peuple d'Amsterdam, appuyé par des notables énergiques, s'insurge ! Le lendemain un gouvernement provisoire organise la résistance au nom du prince d'Orange et, le 30 du même mois, le fils du dernier stadhouder Guillaume V (page 14) - mort en exil en 1806 - débarque sur la plage de Scheveningen, accueilli par les cris enthousiastes d'« Oranje boven ! »

Quelle forme de gouvernement les Hollandais allaient-ils donner à leur patrie redevenue indépendante ? (1) Les anciens Staatsgezinden, appartenant aux plus vieilles familles aristocratiques, ex-membres des conseils urbains de régence (oud-regenten), ayant pour interprète de leurs sentiments le comte Gysbrecht Karel van Hogendorp, souhaitaient une restauration du régime stadhoudérien basée sur l'Union d'Utrecht, reconnaissant en même temps la nécessité d'étendre quelque peu les pouvoirs du prince.

Par contre, les ex-patriotes démocrates, acquis en 1813 au dogme de la centralisation d'État et aux théories consacrant la prééminence du pouvoir exécutif, réclamaient la création d'un royaume des Pays-Bas. Le prince d'Orange penchait en faveur de cette dernière solution, mais, par égard pour ses alliés, il se contenta provisoirement du titre de Souvereine Vorst der Nederlanden (prince souverain des Pays-Bas), désirant conserver cette dénomination modeste jusqu'à ce que - comme il le disait lui-même – « une augmentation territoriale nous mette à même d'être un royaume conséquent. » (BLOK, Geschiedenis, p. 284). Ce retour au pouvoir de la maison d'Orange-Nassau provoqua dans toute la Néerlande une grande allégresse. Guillaume se montrait énergique et déterminé. Avec l'aide des cosaques de Constantin von Benkendorff, des Prussiens de Bülow et de 8,000 Anglais débarqués dans le port (page 15) d'Hellevoetsluis, de nombreux volontaires, bourgeois et paysans chassèrent rapidement les Français du sol batave. Les dernières places fortes se rendirent en mai 1814 (BLOK, Geschiedenis, p. 289). Ainsi, après une période d'effacement, réapparut dans le rang des États de l'Europe, la république des Provinces-Unies rajeunie et transformée en État moderne. Heureux de se retrouver sous le sceptre de leurs princes nationaux, les Néerlandais n'aspiraient plus qu'au rétablissement, à l'extérieur et à l'intérieur, d'une paix durable leur permettant de veiller, comme autrefois, au développement de leur prospérité matérielle. Rien ne peint mieux leur mentalité à la fois pieuse, conservatrice et pleine de bon sens pratique que le billet anonyme suivant, distribué à profusion dans les rues, en 1813 :

« De zee is open ;

« De koophandel herleeft.

« Alle partijschap heeft opgehouden,

« Al het geledene is vergeeten en vergeeven.

« Alle de aanzienlijken komen in de regeering.

« Elk dankt God.

« De oude tijden komen wederom.

« Oranje boven ! »

(La mer est libre ; le commerce renaît. Toute lutte entre partis a cessé, toutes les souffrances passées sont oubliées et pardonnées. Tous les notables ont accès au pouvoir. Chacun remercie Dieu. Les temps anciens sont revenus. Vive Orange ! (ELZEVIER'S GEÏLLUSTREERD MAANDSCHRIFT, 17e année (1907), DI H. E. GREVE, Hollandsche spotprenten in de XIXde eeuw. II. Ann. 1815-1833, p. 316).


(page 16) Plus encore que les Provinces-Unies, les Pays-Bas autrichiens avaient conservé, au cours des temps modernes, une organisation presque médiévale. En pleine décadence politique, économique, sociale, intellectuelle et morale depuis plus de deux siècles, nos dix provinces avaient su garder, à travers tant de vicissitudes, une part appréciable de leur vieille autonomie. Chacune d'elles défendait ses lois, ses traditions, ses coutumes et en faisait jurer solennellement le respect par ses princes, Habsbourgs de la branche espagnole, ou après 1715, de la branche autrichienne, au jour de leur avènement. Le mécanisme de nos institutions centrales ne s'était guère modifié depuis Charles-Quint. Très catholiques, très conservatrices et particularistes à outrance, nos populations s'immobilisaient dans la contemplation du passé, alors qu'autour d'elles princes et peuples évoluaient vers des conceptions politiques toutes nouvelles. L'idéal des Brabançons notamment était resté la célèbre Joyeuse Entrée de 1356, charte-type à laquelle ils ne prétendaient voir apporter aucune modification. Chaque région, chaque ville, chaque groupement social veillait, avec un soin jaloux, au maintien de ses propres privilèges, sans le moindre souci de l'intérêt général. Joseph II, despote éclairé, animé des meilleures intentions, mais trop vif et trop impatient dans la mise à exécution de ses réformes hâtives, avait provoqué la violente réaction connue sous le nom de « révolution brabançonne » (1789-1790). Placés à la tête de la république éphémère des Etats-Belgiques-Unis, les fanatiques partisans de Vandernoot ou « Statistes » traquèrent immédiatement et sans merci (page 17) les adeptes des libertés modernes dits « Vonckistes », bien que ces derniers eussent, comme eux, combattu le régime autrichien. Depuis, retombés sous l'autorité de leurs princes légitimes, les Belges n'étaient plus sortis de leur apathie, satisfaits du rétablissement du statu quo existant sous Marie-Thérèse.

Le cycle de vingt-quatre années de guerre entre la France et l'Europe - cycle qui aboutit à la journée de Waterloo - eut également son prélude dans nos provinces. Le 20 avril 1792, Louis XVI déclarait la guerre à François II, roi de Hongrie et de Bohême. Le 6 novembre de la même année, le général Dumouriez chassait les Autrichiens de leurs formidables retranchements à Jemappes ; le 14, il faisait son entrée à Bruxelles. Le premier accueil fait par les Belges aux armées de la République ne fut pas défavorable ; leurs sympathies pour l'Autriche avaient beaucoup diminué ; de plus, Dumouriez s'était hâté de les rassurer par un manifeste leur promettant qu'ils pourraient choisir librement la forme de gouvernement et la charte constitutionnelle qui leur conviendraient le mieux. Mais ils ne conservèrent pas longtemps leurs dispositions sympathiques vis-à-vis des envahisseurs. Ceux-ci, étrangers à leurs institutions et à leurs mœurs, auraient dû agir avec la plus grande circonspection ; or, les méthodes de temporisation n'étaient point le fait des impétueux dirigeants de la jeune République française. Le décret de Cambon du 17 décembre 1792 mit fin, en une seule fois, à toutes les distinctions d'ordres et à tous les privilèges dans les pays occupés militairement.

Violemment arrachés à leur léthargie séculaire, les Belges ne comprirent rien au dogme de la souveraineté du peuple, mais, par contre, ils s'émurent profondément des persécutions dirigées contre les classes sociales pour lesquelles ils professaient un respect traditionnel. C'est (page 18) avec tristesse qu'ils assistèrent à la séquestration et au pillage des biens des nobles, clercs et patriciens ; cette tristesse devint de la colère lorsqu'ils subirent les réquisitions incessantes des chefs d'armée, la dictature des commissaires de la Convention, lorsqu'ils virent profaner leurs églises et déporter leurs ecclésiastiques. Bientôt, dans tout le pays, une surexcitation très grave se manifesta. Dumouriez, comprenant le danger et d'ailleurs lui-même exaspéré par les agissements d'une lie de « clubistes » venus de Paris, engagea les Belges à créer, le plus tôt possible, un pouvoir législatif. Malheureusement ils ne secondèrent pas ses vues, affaiblis qu'ils étaient par des siècles de particularisme et, de plus, paralysés par le terrorisme des sans-culottes qui comme l'écrivait Dumouriez à la Convention, le 12 mars 1793, leur arrachaient « à coups de sabre » des veux publics de réunion à la France (J.-B. NOTHOMB, Essai historique et politique sur la révolution belge (4® édit., Bruxelles, 1876, 2 vol.), t. 1er, p. 17).

Brusquement, la bataille de Neerwinden mit un terme à la première occupation française. Vainqueurs, le 18 mars 1793, les Autrichiens reconquirent en peu de semaines toute la Belgique et partout nos pères saluèrent d'acclamations joyeuses le retour de ces mêmes « habits blancs » qu'ils avaient, trois ans auparavant, chassés de notre sol.

La restauration de l'ancien régime fut prompte et complète. Une dernière fois, dans notre histoire, un souverain, François II, prêta le serment de fidélité à la Joyeuse-Entrée. Mais un an après déjà, les bataillons de Jourdan, victorieux à Fleurus le 27 juin 1794, reprenaient la Belgique au pas de course. Il ne fut plus question cette fois de grouper nos provinces en un État autonome. Voulant couvrir Paris au nord et (page 19) avoir une nouvelle hypothèque pour l'émission des assignats, les membres de la Convention, après lecture d'un rapport de Merlin de Douai, votèrent l'annexion de la Belgique à la République française, le 9 vendémiaire an IV (1er octobre 1795) (NOTHOMB, Essai, t. Ier, pp. 17 et suiv. Sur les mobiles de l'annexion, voir le texte des paroles de Merlin de Douai. Lire aussi les protestations d'Armand (de la Meuse) et de Lesage (d'Eure-et-Loire)).

Alors, pendant vingt ans, les anciens Pays-Bas autrichiens, convertis en neuf départements, partagèrent les destinées de la France sans que jamais un réel courant de sympathie rapprochât les habitants des deux pays. Certes, la bourgeoisie de nos grandes villes entra en rapports avec la société française, des députés belges siégèrent aux conseils des Anciens et des Cinq-Cents, Napoléon eut, parmi ses préfets, ses fonctionnaires, ses généraux, ses grenadiers de la garde les plus dévoués, un grand nombre de nos compatriotes, mais la masse du peuple, catholique et restée fidèle à l'esprit de ses anciennes chartes, demeura hostile au régime français. Sous le Directoire, elle souffrit du désordre général, de la chute des assignats, de la loi du maximum. En 1798 et 1799, les paysans, s'opposant à l'établissement de la conscription, couvrirent de leurs guérillas la plus grande partie de notre sol. Sous le Consulat et l'Empire la situation s'améliora, il est vrai. Nos provinces pacifiées vécurent sous le régime d'uniformité et de forte centralisation administrative et judiciaire instauré par Napoléon (Pour les détails, cf. PROSPER POULLET, Les Institutions françaises de 1795 à 1814. Essai sur les origines des institutions belges contemporaines (Bruxelles, Dewit, 1907, I1vol).). Le Concordat de 1801 y régit les rapports du pouvoir religieux avec la société laïque ; le Code civil y fut introduit en 1804 ; Napoléon fit faire des travaux importants au port d'Anvers. (page 20) Mais, malgré ces progrès, jamais les Belges ne purent s'accoutumer à la rigueur du régime impérial. Tout comme les Hollandais, ils souffraient du blocus continental, des droits réunis, des levées successives de conscrits. Plus de liberté d'opinions ; la presse se consumait dans le marasme (Sur l'état de la presse bruxelloise, sous le Consulat et l'Empire, cf. A. Warzée, Essai historique et critique sur les journaux belges (Gand, 1845), pp. 28 et suiv. Liste des journaux du temps, avec commentaires. Cf. surtout pp. 58-62) ; Bruxelles, d'où s'étaient éloignés les hommes de science et de talent que la fascination de la capitale avait attirés, était devenue une petite ville de province où l'herbe croissait entre les pavés (L. HYMANS, Histoire politique et parlementaire de la Belgique de 1814 à 1830, t. Ier. La fondation du royaume des Pays-Bas (Bruxelles, 1869). Passim). Le clergé, dévoué à Pie VII, subissait de rudes persécutions et la haute bourgeoisie atterrée voyait, sans oser protester, ses fils envoyés sur un ordre du maître aux armées d'Espagne ou de Russie, ses filles les mieux dotées, mariées sans leur consentement aux protégés du monarque (Comte H. DE MÉRODE-WESTERLOO, Souvenirs (Paris-Bruxelles, 1864). Passim. Comte A.-L. VAN DER MEERE, Mémoires (Bruxelles, 1880). Passim) ! En Belgique comme en Hollande, les revers subis par Napoléon Ier pendant les années 1812 et 1813 firent naître l'espoir de la délivrance. Mais nos pères, tenus le plus possible dans l'ignorance des événements par les hauts fonctionnaires, menacés par les garnisons françaises et manquant de chefs capables de diriger un mouvement insurrectionnel, n'osèrent point se soulever (TH. JUSTE, Le Soulèvement de la Hollande en 1813 et la fondation du royaume des Pays-Bas (Bruxelles, 1870), pp. 88-90).

En janvier 1814, l'armée du roi de Suède, Charles XIV (Bernadotte), pénètre dans nos provinces ; le général russe von Wintzingerode refoule le duc de Tarente (page 21) (Macdonald) le long de la Meuse ; les Français, civils ou militaires, fuient devant les sotnias de cosaques lancées à bride abattue sur les grand-routes. Alors seulement la joie des Belges éclate : « A Bruxelles, - occupée par Bülow dans les premiers jours de février - les manifestations, si longtemps comprimées, tenaient de la folie, » dit Van der Meere (A.-L. VAN DER MEERE, Mémoires, p. 23). « On courait de maison en maison pour se complimenter ; on riait et l'on pleurait en même temps ; on s'arrêtait pour s'embrasser : on eût dit que la baguette d'un magicien avait frappé tout ce monde de vertige. »

Aussitôt la capitale reconquise, les chefs des troupes alliées s'occupèrent d'y installer un gouvernement provisoire (Vlaamsch België sedert 1830. Uitgave van het V. de Hoonfonds, Eerste deel (Gent, 1905). V. Fris : I. De regeering van koning Willem I, p. 86). Le 12 février, ils convoquèrent les chefs des trente-deux principales familles résidant à Bruxelles, presque toutes austrophiles, pour les consulter à propos du choix d'un gouverneur général temporaire. Sur leur avis, le comte de Lottum et M. Delius, commissaires des puissances, conférèrent cette dignité au duc de Beaufort-Spontin et lui adjoignirent un conseil administratif de notables, chargé de maintenir l'ordre public et de pourvoir à l'entretien des troupes étrangères (JUSTE, Le Soulèvement, pp. 94 et suiv). Un mois après, un Prussien, le baron von Horst, remplaçait le duc de Beaufort, mais, le 29 mars déjà, le baron de Vincent, ancien colonel du régiment de Latour, était désigné pour occuper ce poste, par des lettres patentes de l'empereur François Ier, formulées au nom de tous les Alliés. De Vincent n’entra cependant effectivement en fonctions que le 6 mai.


(page 22) Pendant les premiers mois de l'année 1814, les Alliés se bornèrent à maintenir dans nos provinces un gouvernement purement provisoire, bien qu'il parût être de l'intérêt de tous d'y créer, le plus tôt possible, un régime politique stable. Ils n'avaient pu d'emblée se mettre d'accord sur une formule définitive, devant satisfaire à la fois les vues de toutes les puissances coalisées. On avait d'abord songé à faire de la Belgique et de quelques territoires rhénans juxtaposés un État intermédiaire, sous le sceptre du frère cadet de l'empereur d'Autriche, l'archiduc Charles (né en 1771, mort en 1847), stratégiste et tacticien remarquable, gouverneur général des Pays-Bas autrichiens en 1793, déjà proposé par d'aucuns comme souverain de notre territoire, lors de la révolution brabançonne (P. J. BLOK, Geschiedenis, p. 307). Mais un second projet prévalut bientôt : celui de céder la Belgique au prince d'Orange, combinaison qui, tout en étant conforme aux intérêts de l'Europe puisqu'elle créait un boulevard contre d'éventuels empiétements de la France devait permettre aux Alliés de s'acquitter de leur dette de reconnaissance envers Guillaume, en réalisant le plus cher et le plus ancien de ses vœux (Dr TH. COLENBRANDER, De Belgische omwenteling (La Haye, 1905), p. 91). Ce prince avait en effet rendu les plus grands services militaires à la coalition en combattant la République de 1793 à 1795 ; en commandant une division prussienne en 1806 et en prenant part à la bataille de Wagram, trois (page 23) ans plus tard, comme feld-maréchal au service de l'Autriche.

(Note de bas de page : Guillaume, prince d'Orange, né à La Haye le 24 août 1772, fils du stadhouder Guillaume V (1748-1806) et petit-fils du stadhouder Guillaume IV (1711-1751), n'appartenait pas à la branche directe issue de Guillaume le Taciturne. Eteint en la personne du stadhouder-roi d'Angleterre, Guillaume III, en 1702, le nom d'Orange passa à Jean)Guillaume Friso, stadhouder héréditaire de Frise et de Groningen (mort en 1711, noyé au passage du Moerdyk), issu de la branche de Jean de Nassau-Dillenburg et arrière-grand-père du prince souverain des Pays-Bas).

L'Angleterre appuyait de tout son pouvoir le prince d'Orange dont elle attendait, en retour, une renonciation complète à tout espoir de reprendre la colonie du Cap et d'autres anciennes colonies hollandaises passées sous le sceptre britannique pendant les guerres de la République et de l'Empire (FRIS, t. Ier, p. 87). Néanmoins les négociations avec les puissances furent assez longues (Détails sur ces négociations, cf. BLOK, Geschiedenis, pp. 307-309). Engagées en 1813, elles reçurent une première solution par la convention de Troyes, du 15 février 1814. Le 30 mai, le premier traité de Paris promettait à la Hollande un « accroissement de territoire » (article 6) dont les limites étaient déterminées d'une façon générale par les articles secrets 3 et 4. Le 21 juin, enfin, les puissances signaient à Londres, dans le plus grand secret, un protocole en huit articles stipulant dans quelles conditions serait opérée la réunion des ex-Pays-Bas autrichiens et de la principauté épiscopale de Liége avec les anciennes Provinces-Unies (FRIS, t. Ier, pp. 86 et 87). Loin de songer à reconstituer une fédération de dix-sept provinces autonomes, les Alliés désiraient leur « réunion intime et complète », ils voulaient fonder « un seul et même État » offrant l'aspect de l'« amalgame le plus complet ». En (page 24) attendant la ratification de ces mesures par le prochain Congrès de Vienne, ils ne permirent au prince souverain de prendre en mains les rênes du pouvoir, en Belgique, le 1er août 1814, qu'à titre provisoire et « au nom des Alliés ». Malgré son impatience, Guillaume dut donc s'incliner devant cette décision qui donnait aux débuts de son règne sur nos provinces l'impression d'une occupation étrangère, impression encore fortifiée par la présence momentanée dans nos places fortes, de troupes anglaises (BLOK, Geschiedenis, p. 312).

Cependant, malgré son aspect provisoire, la réunion de la Belgique et de la Hollande était désormais un fait accompli. Cette œuvre possédait-elle en soi des éléments de durée, et les conditions dans lesquelles elle avait été réalisée augmentaient-elles ses chances de succès ? Ce fut le double problème qui se posa dès le premier jour à nombre de politiciens réfléchis.

On l'a vu, la fusion était due exclusivement à l'initiative des puissances agissant « en vertu des principes adoptés par elles pour l'établissement d'un état d'équilibre en Europe » et « en vertu de leur droit de conquête ». En l'opérant, elles avaient voulu assurer la paix sur le continent et satisfaire les visées du prince Guillaume (DE BOSCH-KEMPER, De staatkundige geschiedenis van Nederland tot 1830, chap. XIX, p. 441. Selon l'expression du grand diplomate anglais, lord Aberdeen (1784-1860), la réunion avait été an arrangement for an European object). Mais elles ne s'étaient pas souciées de savoir si cet arrangement diplomatique convenait aux deux nations en cause. De sorte qu'au sujet d'une question vitale, liant leur avenir matériel et politique, devant influer constamment sur leur développement social et intellectuel, ni l'un ni l'autre des deux peuples n'avait été consulté, ni même pressenti. Or, quels étaient les sentiments respectifs des populations (page 25) du Nord et du Midi dans le nouvel État, par rapport à la situation créée par les puissances ?

En Hollande, l'opinion publique était représentée, en 1814, par une aristocratie bourgeoise très conservatrice, composée de vieilles familles de régents et de magistrats, de commerçants enrichis, de spéculateurs, de rentiers. Gourmée, solennelle, d'un abord froid, cette société avait gardé en grande partie ses mœurs d'autrefois, elle affectait un mépris profond pour les « nouveautés », surtout pour celles venant de la France, vitupérait volontiers contre la Révolution de 1789 et la « turbulence du siècle », enfin, craignait avant tout, alors que la fin des guerres napoléoniennes laissait entrevoir la reposante perspective d'une ère de paix, tout nouvel événement susceptible de provoquer des « fluctuations des cours de Bourse ». Sans être positivement hostile à la réunion, cette bourgeoisie eût préféré, à coup sûr, voir se reconstituer dans les limites des Provinces-Unies d'autrefois, l'ancien État néerlandais, habité par une population homogène, sous une dynastie de son choix (DE BOSCH-KEMPER, De staatkundige geschiedenis van Nederland tot 1830, chap. XX, pp. 497 et suiv.). Cet accroissement disproportionné de territoire lui paraissait dangereux (ID., Ibid., chap. XXI, pp. 568 et suiv.). Elle redoutait une lente absorption de la population batave par les éléments belges plus nombreux, probabilité dont son amour-propre national souffrait d'autant plus qu'elle était consciente de son développement intellectuel, fière des glorieux souvenirs que lui avait laissés son « siècle d'or », et qu'elle dédaignait quelque peu ses nouveaux frères arriérés et affaiblis par deux cents ans d'asservissement (FRIS, t. Ier, pp. 87 et 88). En outre, beaucoup de négociants s'inquiétaient de la concurrence des compatriotes (page 26) méridionaux, bien des officiers se demandaient comment défendre une frontière trop étendue ; enfin, plus que tous les autres, les calvinistes hollandais murmuraient contre une fusion avec les Belges, fervents catholiques à l'exception d'une petite minorité de libres penseurs voltairiens. Précisément à ce moment un retour à l'orthodoxie se manifestait en Hollande, sous l'influence du poète Bilderdijk (1756-1831), et bientôt son disciple Isaak da Costa (1798-1860), autre précurseur des antirévolutionnaires de nos jours, allait publier ses Bezwaren tegen den geest der Eeuw, 1823 (Griefs contre l'esprit du siècle), violent réquisitoire contre le libéralisme et toutes les conquêtes politico-morales de la Révolution française.

En Belgique, la réunion n'était pas moins discutée et peut-être encore plus combattue. Certes, tout le monde était d'accord, dès le début de l'année 1814, pour désirer la fin d'une situation provisoire, pleine de dangers puisqu'à différentes reprises il fut question dans les milieux diplomatiques d'un démembrement éventuel des anciens Pays-Bas autrichiens, à peine délivrés. Mais, quant à la solution à donner au problème de notre avenir, les avis différaient complètement. Fait curieux - bien explicable cependant si l'on songe qu'à travers toute l'histoire moderne, nos provinces avaient été gouvernées par des princes étrangers - nul ne proposait la constitution d'une Belgique indépendante, telle qu'elle se créa en 1830. Beaucoup de nobles, de vieilles familles patriciennes, d'anciens membres des états provinciaux, de doyens des métiers, presque tous les prêtres et les réguliers désiraient le retour de notre pays sous le sceptre de la maison d'Autriche, soit directement, soit en ayant pour souverain l'archiduc Charles. Ces partisans fanatiques de l'ancien régime, voulant supprimer vingt-cinq années de notre histoire, réclamaient le rétablissement (page 27) de la Joyeuse Entrée et des anciennes coutumes, la restitution des biens nationaux au clergé, bref, une restauration ramenant la Belgique à l'état politico-social dans lequel elle se trouvait avant la révolution brabançonne ! Le vieux chef des Statistes, Henri van der Noot, sortit de la retraite où il était tombé dans l'oubli, pour lancer un manifeste suranné et ridicule ; les anciens syndics des nations de Bruxelles et d'autres défenseurs du passé s'agitèrent tant que le gouvernement autrichien lui-même, impatienté, finit par menacer de poursuites ces politiqueurs rétrogrades (Sur ces menées des partisans de l'Autriche, cf. Juste, Le Soulèvement, pp. 97, 120 et 121, etc.). Il va de soi que ces éléments réactionnaires étaient à priori hostiles à la réunion, les prêtres ennemis du protestantisme aussi bien que les nobles méprisant les roturiers enrichis de l'ancienne république des Provinces-Unies (BLOK, Geschiedenis, p. 311).

En opposition avec ces austrophiles, un certain nombre de membres de la classe moyenne désiraient le maintien de la domination française, par attachement aux principes de 89, ou par admiration pour la centralisation impériale, mode de gouvernement plutôt opportun - il faut en convenir - dans nos provinces ultra-particularistes. C'étaient pour la plupart des officiers et des fonctionnaires belges autrefois au service de Napoléon, ou des républicains français et des bonapartistes émigrés après la restauration des Bourbons. Peu nombreux et isolés au milieu d'une population pleine de rancune au souvenir du régime de coercition qu'elle venait de subir, ils ne semblent guère avoir fait, en 1814, de propagande en faveur de leurs idées.

(Note de bas de page : FRIS, t. Ier, p. 89, croit le parti français très puissant en 1814 et soutenu par le gouvernement de Louis XVIII, qui désirait une nouvelle réunion de la Belgique à la France. Nous n'avons cependant trouvé aucune trace de l'activité de ce groupe à ce moment, aussi préférons-nous nous rallier à l'avis d'un contemporain, le comte du Chastel, lorsqu'il dit : « La France ne laissait pas de vrais partisans à cette époque en Belgique. » (Comte ADOLPHE DU CHASTEL, 1830. Les Hollandais avant, pendant et après la révolution. D'après des souvenirs de famille. (Bruxelles, A. Dewit, 1908, p. 11.)

Il n'en fut pas de même des partisans de la réunion (page 28) de la Belgique à la Hollande. Ceux-ci, bourgeois libéraux hostiles à tout recul vers l'ancien régime, acquéreurs de biens nationaux, fabricants augurant bien des résultats d'une fusion du Sud industriel avec le Nord commercial et colonisateur, entrèrent activement en rapports avec les agents du prince souverain, envoyés dès février 1814 en Belgique, pour y familiariser le peuple, avec l'idée de la réunion, par des brochures polémiques. (Sur les intrigues des émissaires du gouvernement hollandais, le baron van Zuylen van Nyevelt et le comte de Bijlandt, ainsi que sur leurs polémiques avec les catholiques belges : Van Beughem, Raepsaet, etc., voir Blok, Geschiedenis, p. 310).

Ces groupements, pourtant, étaient peu nombreux, - et si l'on considère la masse du peuple belge qui, sans parti pris, subissait la succession des événements politiques et diplomatiques sans en comprendre ni les causes, ni l'enchaînement, ni les conséquences, l'on peut dire que, dans son ensemble, il éprouvait vis-à-vis de l'annexion des craintes indéterminées mais réelles. Le passé ne rapprochait nullement les Belges des Hollandais. Déjà au XV° siècle, alors que les ducs de Bourgogne avaient groupé sous leur autorité la plupart des provinces des Pays-Bas, on remarquait entre celles du Nord et celles du Midi, de grandes différences au point de vue des mœurs, de la civilisation, de la culture artistique (COLENBRANDER, De Belgische omwenteling. Le chapitre 1er est tout entier consacré à l'étude de ces différences. L'auteur signale cependant aussi, fort justement, une série d'analogies communes aux habitants des futures dix-sept provinces et les différenciant en bloc des peuples voisins). La révolution du XVI° siècle avait abouti à une scission nette. Pendant deux siècles désormais, Hollandais calvinistes et Belges catholiques allaient vivre en conflit permanent. La puissante république des Provinces-Unies, rivale commerciale égoïste et jalouse, profita de ce que l'Espagne ne pouvait se passer de sa coopération militaire dans ses guerres contre Louis XIV, pour y mettre comme prix l'abaissement et la ruine de nos provinces. Plusieurs fois elle projeta leur partage, d'accord avec la France ; elle annexa territoire sur territoire, ferma l'Escaut, enlevant ainsi à Anvers tout espoir de se relever, imposa des tarifs douaniers onéreux à nos gouvernants humiliés. Le traité de la Barrière de 1715 - date funèbre dans notre histoire - marqua le couronnement de cette politique de destruction froide et méthodique qui se maintint durant tout le régime autrichien. Les Belges de 1814 pouvaient-ils éprouver autre chose que de l'hostilité ou tout au moins de l'indifférence pour les fils de ces hommes politiques, de ces soldats, de ces pasteurs, de tous ces Hollandais enfin, qui avaient tant fait souffrir leurs aïeux dans leurs intérêts matériels comme dans leur foi et dans leur orgueil ? (Note de bas de page : COLENBRANDER, De Belgische omwenteling, pp. 84 et suiv., montre fort bien que les rares tentatives de rapprochement entre la république des Provinces-Unies et les Pays-Bas, avant la Révolution française, ne furent que des spéculations théoriques d'hommes d'Etat, ne répondant aucunement aux désirs des deux peuples). De plus, les Belges étaient d'un tempérament plus mobile, d'allures plus libres. Sous le régime impérial, la bourgeoisie, par suite de l'emploi constant du français dans les écoles, les administrations et les tribunaux, s'était imprégnée de culture latine (FRIS, t. Ier, p. 88). Les catholiques militants redoutaient le (page 30) voisinage des calvinistes et la perspective d'être gouvernés par un prince appartenant à cette dernière confession leur était insupportable. Bien des commerçants aussi témoignaient, à l'égard de la fusion, des craintes aussi vives que celles éprouvées par les négociants du Nord dont nous avons parlé plus haut. Bref, d'une façon générale, les Belges pas plus que les Hollandais ne désiraient la réunion, mais comme eux, ils la subirent passivement. C'est ce que constatait avec clairvoyance le marquis de la Tour du Pin, ambassadeur de France à Bruxelles, lorsque, dans un rapport à son gouvernement, le 22 septembre 1815, il écrivait : « Ce mariage de convenance s'est fait sans aucun amour de part et d'autre, et il est douteux s'il fera le bonheur d'aucune des deux parties. » (Revue générale de Belgique (ann. 1895 et 1896). PROSPER POULLET, Les Premières Années du royaume des Pays-Bas (1815-1818). Numéro de janvier 1896, p. 9.)

Or, de ce « bonheur » les grandes puissances n'avaient pas douté un instant. Très fières de leur œuvre, elles n'avaient pas seulement voulu « réunir » les deux peuples, mais les « amalgamer », entreprise dont le caractère illogique frappait déjà alors nombre de contemporains éminents. En 1817, l'ambassadeur d'Autriche à Bruxelles, von Binder, critiquait « la fausse idée d'un amalgame moral et politique de deux pays diamétralement opposés » et préconisait une « fédération entre les deux pays, gouvernés chacun d'une manière analogue à sa situation. ». BLOK, Geschiedenis, p. 374La Tour du Pin partageait son opinion. En effet, l'union « intime et complète » ne pouvait équitablement se faire sans que l'on réservât aux Belges, de beaucoup les plus nombreux, la prépondérance dans le nouveau royaume et c'est ce à quoi les Hollandais, si orgueilleux de leur passé, de leur richesse, de leur culture, (page 31) ne pourraient jamais consentir. Vouloir opérer l'amalgame en laissant aux Bataves leur situation privilégiée c'était tomber dans l'absurde (COLENBRANDER, De Belgische omwenteling, p. 129). Ni les puissances, ni Guillaume ne purent résoudre ce dilemme. Embarrassés dès le début, ils agirent d'une façon équivoque, s'égarant dans les contradictions. Le 30 mai 1814, le traité de Paris octroyait la Belgique à la Hollande, en guise d' « accroissement de territoire ; le 1er août 1814, le prince souverain parlait, dans une proclamation aux Belges, d'un « agrandissement de la Belgique (2) » ! (M. JOSSON, dans ses Onthullingen over de Belgische omwenteling van 1830 (Anvers, 1903), pp. 90 et 91, fait justement remarquer que Nothomb a attaché trop d'importance au sens de l'expression symptomatique « accroissement de territoire » caractérisant « l'histoire de la réunion de quinze ans entre la Belgique et la Hollande ».

C'étaient là des formules. De fait, les Belges, de l'avis même des historiens hollandais d'aujourd'hui, furent sacrifiés aux intérêts de la Hollande et c'est à juste titre que les articles du protocole de Londres furent dérisoirement appelés par eux : « articles de La Haye. » (COLENBRANDER, De Belgische omwenteling, pp. 116 et suiv.)

L'ouvre des grandes puissances, fragile et mal agencée, contenait donc en soi, dans ses éléments constitutifs, des germes de désagrégation qui devaient bientôt la mettre en péril.