(Deuxième édition (« soigneusement revue, continuée jusqu’à l’avènement du ministère de 1855 et précédée d’un essai historique sur le royaume des Pays-Bas et la révolution de septembre »), paru à Louvain en 1861, chez Vanlinhout et Peeters. Trois tomes)
(page 100) Après l'expédition d'Anvers, l'Angleterre et la France avaient main¬tenu le blocus des côtes de la Hollande. Les rigueurs de l'embargo (page 101) continuaient à peser sur les navires saisis, et la garnison néerlandaise de la citadelle était détenue comme prisonnière de guerre.
Une même préoccupation se manifesta dans toutes les chancelleries de l'Europe ; partout on se demandait si Guillaume, privé de ses illusions par l'abstention des armées du Nord, se montrerait enfin disposé à donner une adhésion complète aux bases des vingt-quatre articles.
Depuis le 30 juin, le problème diplomatique avait beaucoup perdu de son importance primitive. L'indépendance politique des Belges, la part de la Belgique dans la dette du royaume des Pays-Bas, la déli¬mitation du territoire des deux pays, n'étaient plus des questions controversées. La liquidation du syndicat d'amortissement, les droits de navigation sur l'Escaut, les droits de transit à percevoir sur les routes du Limbourg, étaient les seules difficultés réelles qui n'eussent pas reçu leur solution.
Les Belges occupaient les cantons du Limbourg et du Luxembourg assignés à la Hollande, et ne payaient pas les 8,400,000 florins de rentes mis à leur charge. La flotte anglo-française bloquait les ports et enchaînait le commerce de la Hollande, tandis que le flanc gauche des Belges, jusque-là toujours menacé par la citadelle d'Anvers et par la flotte, se trouvait complètement dégagé. Il n'était pas probable que le cabinet de La Haye, au lieu de céder à la force, voulût continuer à subir les inconvénients de cette situation anormale. Ajoutés aux frais que nécessitait l'entretien de l'armée sur le pied de guerre, les sacrifices inhérents à cet état de choses étaient tellement considérables, qu'un retard de quelques mois suffisait pour annihiler tous les avantages que la Hollande pouvait espérer de l'admission de ses prétentions financières.
Aussi longtemps que les Hollandais occupaient une portion quelcon¬que du territoire belge, l'Angleterre et la France ne pouvaient complète¬ment abandonner les mesures coercitives, sans méconnaître à la fois l'esprit et la lettre de la convention du 22 octobre. Mais le maintien de l'embargo et la continuation du blocus n'étaient pas un obstacle à la reprise des négociations interrompues par le siége d'Anvers.
Deux partis s'offraient au choix des cabinets de Paris et de Londres. D'un côté, ils avaient le droit d'exiger l'acceptation immédiate et entière des vingt-quatre articles ; de l'autre, ils pouvaient se contenter d'une convention provisoire, stipulant la cessation indéfinie des hostilités et fixant l'attitude respective des Hollandais et des Belges pendant la (page 102) négociation d'un traité définitif. Le premier système n'eût pas été exempt d'inconvénients, ni même de dangers réels. Au retour du prin¬temps, il eût fallu remplacer la convention du 22 octobre par une véritable déclaration de guerre, envahir le sol hollandais, mécontenter de plus en plus les puissances du Nord et compromettre la paix de l'Europe ; et cela avec d'autant moins d'avantages, que la signature immédiate du traité n'en eût pas moins exigé de nouvelles négociations, pour tous les articles dont l'exécution réclamait le concours des deux peuples. Ce fut avec raison que lord Palmerston et le prince de Talleyrand donnèrent la préférence à l'idée d'une convention provisoire. Le 30 décembre, six jours après la reddition de la citadelle d'Anvers, ils transmirent aux représentants de leurs cours à La Haye un projet de traité préliminaire.
Ce projet, que le ministre des Affaires étrangères, M. Verstolk de Soelen, reçut le 2 janvier 1833, renfermait les bases d'un arrangement provisoire entre la Hollande d'une part, la France et l'Angleterre de l'autre. Ces deux puissances demandaient l'évacuation des forts de Liefkenshoek et de Lillo, la libre navigation de la Meuse avec application provisoire du tarif de Mayence, la libre navigation de l'Escaut, le passage commercial par le Limbourg sans autre entrave que le paiement d'un droit modéré de barrière, l'amnistie pour les habitants des districts du Limbourg et du Luxembourg cédés à la Hollande, et enfin la réduc¬tion de l'armée hollandaise sur le pied de paix, En retour, elles s'engageaient à obtenir du gouvernement belge la réduction de ses forces militaires et l'abandon du Luxembourg allemand et de la rive droite de la Meuse. Elles offraient de plus la levée de l'embargo, la restitution des navires saisis, la cessation des mesures coercitives et le renvoi des militaires hollandais détenus en France (Papers relative to the affairs of Belgium, B, 1re partie, p, 179.) ( Note de bas de page. Le prince de Talleyrand avait d'abord voulu proposer à la Hollande d'établir, soit comme mesure provisoire, soit comme mesure définitive, un droit de tonnage d'un florin sur l'Escaut, en laissant à une négociation future le soit de régler les autres points en litige. M. Van de Weyer, à qui ce projet avait été officieusement communiqué, s'empressa de le combattre de toutes ses forces. Il n'y avait, en effet, que deux partis auxquels on pût raisonnablement avoir recours : il fallait ou faire accepter purement et simplement la partie du thème de lord Palmerston relative à la navigation de l'Escaut, on maintenir provisoirement l'état de la navigation tel qu'il existait avant le siége de la citadelle, c'est-à-dire, sans paiement d'un droit quelconque. Nous en verrons plus loin les motifs).
A la réception de ce projet, la première pensée du cabinet de La Haye (page 103) fut d'exiger la suspension préalable des mesures coercitives, la réunion immédiate de la Conférence de Londres, et par suite la reprise des négociations sous les auspices de toutes les puissances signataires du traité du 15 novembre. Mais cette résolution fut bientôt abandonnée, grâce aux instances des ambassadeurs d'Autriche, de Prusse et de Russie. Aux yeux des représentants de ces trois cours, la démarche des gouvernements alliés dénotait des intentions pacifiques et conciliantes ; la Hollande, à leur avis, ne pouvait mieux faire que de répondre sans retard à ces ouvertures.
Suivant ce conseil, M. Verstolk présenta, le 9 janvier, un contre-projet en six articles. Le ministre hollandais acceptait les propositions rela¬tives à l'évacuation réciproque du territoire, à la navigation de la Meuse et à l'amnistie générale demandée en faveur des habitants des cantons cédés ; mais il réclamait un droit de tonnage pour la navi¬gation de l'Escaut, un droit de transit pour le passage commercial du Limbourg et le paiement annuel des 8,400,000 florins de rentes imposés à la Belgique. M. Verstolk proposait, en outre, de s'enten¬dre immédiatement sur la révocation des mesures maritimes ; tandis que, pour la réduction de l'armée sur le pied de paix, sa dépêche contenait la phrase suivante, dont nous ferons plus loin ressortir l'importance : « Ce projet ne fait point mention de la mise des armées sur le pied de paix, par le motif que cette mesure, qui d'ailleurs ne rencontrerait point de difficulté chez Sa Majesté après la con-clusion d'une convention, tant d'une nature plutôt politique que matérielle, semble se prêter davantage à être stipulée alors par un échange de notes » (Papers relative to the affairs of Belgium, B, Ire partie, p. 183 et suiv).
Sur ces entrefaites, la navigation de l'Escaut avait fait naître un incident grave. Le 5 janvier, le brick autrichien Radislow, sorti des bassins d'Anvers pour se diriger vers la mer, fut arrêté à Lillo par une canonnière ennemie et obligé de rebrousser chemin. Le capitaine s'était en vain prévalu de sa qualité de sujet autrichien ; le commandant de la canon¬nière lui avait répondu que désormais aucun bâtiment, quelle que fût sa nationalité, ne serait admis à remonter ou à descendre l'Escaut. Six jours plus tard, un autre navire autrichien, le Prince de Metter¬nich, (page 104) fut arrêté à Flessingue et ne reçut l'autorisation de se rendre à Anvers qu'après avoir donné caution du paiement des droits qui pourraient être exigés par la Hollande.
Ces actes, aussitôt dénoncés à notre gouvernement, avaient une importance qu'il n'est pas nécessaire de signaler. Le 16 novembre, le roi des Pays-Bas, usant de représailles, avait interdit l'accès des eaux hollandaises aux navires anglais et français ; mais cette décision laissait subsister le statu quo pour la marine des nations neutres. L'arrestation des navires autrichiens dénotait ainsi des exigences nou¬velles et excessives : c'était l'anéantissement de la navigation du fleuve ; c'était l'application d'une théorie inconciliable avec les principes qui avaient constamment présidé aux résolutions de toutes les puissances représentées à la Conférence de Londres.
La Belgique ne pouvait rester paisible spectatrice de cet outrage : Aussitôt que l'arrestation du Radislow fut connue à Bruxelles, le con¬seil des ministres émit à l'unanimité l'avis d'intercepter par la force les communications des forts de Lillo et de Liefkenshoek avec la Hollande, si les commandants des canonnières n'étaient pas immédia¬tement désavoués par leur gouvernement. Deux membres du conseil, allant beaucoup plus loin, voulurent même que la Belgique eût recours à une attaque générale, ou du moins à l'investissement de Maestricht, pour obtenir, par l'emploi de la force, une solution que la Hollande semblait s'attacher à rendre impossible ; mais les uns et les autres consentirent à attendre l'effet des représentations que l'Angleterre et la France ne manqueraient pas de faire au gouvernement néerlandais.
En effet, lord Palmerston et le prince de Talleyrand avaient si bien compris l'importance de cet incident imprévu qu'ils y virent un motif de suspendre immédiatement les négociations. Dans une conférence tenue le 16 janvier, ils déclarèrent à M. de Zuylen de Nyvelt, que toute discussion sur le projet de M. Verstolk serait ajournée, jusqu'à ce qu'ils eussent acquis la certitude que la navigation de l'Escaut était libre et dégagée d'entraves. L'envoyé hollandais promit de deman¬der des explications à sa cour (Papers retative to the affairs of Belgium. Ibid., p. 187.
Ces explications furent données dans une dépêche du 25 janvier. Au milieu d'une foule de digressions inutiles et de phrases (page 105) équivo¬ques, M. Versto]lk finissait par déclarer que son gouvernement était disposé à respecter la libre navigation de l'Escaut, et que l'arrestation des deux navires autrichiens avait eu pour seule cause les mesures militaires que l'attaque des positions hollandaises avait momentané¬ment rendues indispensables.
En conséquence de ces déclarations, lord Palmerston et le prince de Talleyrand se montrèrent prêts à reprendre les débats diplomatiques, parce que le principe de la liberté de la navigation de l'Escaut était maintenu. (Procès-verbal du 30 janvier 1833. Ibid., p. 194). Aussi les navires neutres furent-ils bientôt autorisés à naviguer sur le fleuve.
La Belgique n'était pas officiellement mêlée à cet échange de pro¬jets, de notes et de conférences diplomatiques ; mais, comme toute convention préliminaire devait en dernier résultat être acceptée par elle, lord Palmerston et le prince de Talleyrand se faisaient un devoir de communiquer immédiatement à M. Van de Weyer tous les détails de leurs entretiens avec M. de Zuylen de Nyvelt. Dans le cours des négociations, notre gouvernement fut ainsi constamment en mesure de faire entendre ses observations, ses conseils et ses plaintes. C'était le seul rôle que nos ministres pussent assumer. Avoir recours à ses propres forces, demander la solution du problème à la violence, compromettre la paix de l'Europe, c'eût été renoncer à l'alliance de la France et de l'Angleterre, c'est-à-dire, au seul appui réel de notre nationalité naissante.
Le système que M. Van de Weyer était chargé de défendre pouvait se réduire aux termes suivants : « S'il s'agit d'un arrangement défi¬nitif, cet arrangement doit être l'exécution intégrale du traité du 15 novembre 1831 ; des changements aux stipulations financières et commerciales de ce traité ne peuvent avoir lieu que de gré à gré, d'après les principes d'une juste compensation et moyennant l'assen¬timent des Chambres belges. S'il s'agit, au contraire, d'un arrange¬ment provisoire, il faut que celui-ci ne soit pas de nature à favoriser le système de temporisation en faveur à La Haye. La Belgique n'aban¬donnera les parties cédées du Limbourg et du Luxembourg qu'au moment où elle sera mise en possession de tous les avantages que le traité du 15 novembre lui accorde à titre de réciprocité, (page 106) notam¬ment l'évacuation complète de son territoire, la navigation de la Meuse et les routes commerciales à travers le Limbourg hollandais. Elle ne prendra pas à sa charge une part quelconque de la dette du royaume des Pays-Bas, aussi longtemps qu'elle ne sera pas en possession de tous les avantages pécuniaires, commerciaux et politiques du traité, notamment la reconnaissance du roi Léopold, la liquidation du syn¬dicat d'amortissement et la libre navigation de l'Escaut » (Note de bas de page : V. le discours du général Goblet prononcé dans la séance de la Chambre des Représentants du 23 mars 1833).
Ces lignes suffisent pour prouver que le contre-projet hollandais ne pouvait être favorablement accueilli ni à Bruxelles ni à Londres. Sous ce rapport, lord Palmerston et le prince de Talleyrand partageaient complètement les vues de M. Van de Weyer.
Le cabinet de La Haye voulait être autorisé à percevoir un droit de tonnage sur l'Escaut, sans entrer dans aucune des obligations dépendant de ce droit, telles que le pilotage et le balisage du fleuve ; il exigeait même que ce droit fût perçu à Flessingue ou à Bathz, mesure qui aurait entravé la navigation par des retards considérables. Il demandait un droit de transit sur les routes commerciales du Limbourg, tandis que le traité du 15 novembre avait garanti ce passage aux Belges, sans autre charge qu'un droit modéré de barrière. Il exigeait que les Belges fussent astreints à payer annuellement les 8,400,000 fl. de rentes que les vingt-quatre articles avaient mis à leur charge, tandis que cette portion écrasante de la dette leur avait été assignée comme partie intégrante d'un arrangement final et en échange de plusieurs avantages commerciaux, outre la reconnaissance formelle du roi Léopold et l'ad¬hésion expresse de la Hollande à la délimitation territoriale fixée par la Conférence de Londres. En d'autres termes, la Hollande réclamait pour elle tous les avantages et laissait aux Belges toutes les charges du traité du 15 novembre. Cette prétention était d'autant plus inad¬missible qu'elle dénotait chez le gouvernement de La Haye le dessein d'ajourner indéfiniment la signature du traité définitif. En effet, si les ministres hollandais étaient dirigés par des vues conciliantes, pourquoi fallait-il stipuler des paiements annuels dans une convention provisoire ? Par suite des concessions auxquelles le plénipotentiaire hollandais s'était prêté avant l'emploi des mesures coercitives, il ne (page 107) restait plus que deux ou trois problèmes à résoudre. La signature du traité définitif ne pouvait donc être éloignée, si la Hollande partageait sincèrement le désir d'arriver au terme du litige. La seule pensée de stipuler la condition d'un paiement annuel ne révélait que trop le désir de se ménager les avantages pécuniaires du traité, pour se mettre d'autant plus facilement en mesure d'entraver son exécution entière et définitive.
Mais si le contenu du contre-projet hollandais prêtait à des objec¬tions sérieuses, d'autres objections non moins graves se présentaient pour ses lacunes.
M. Verstolk voulait que la levée de l'embargo et la réduction de l'armée ne fissent pas l'objet d'une clause formelle du traité pré¬liminaire. Il proposait de révoquer les ordres maritimes à la suite d'un simple échange de notes et sans attendre la ratification d'une convention provisoire ; et bientôt les explications verbales de son re¬présentant à Londres fournirent la preuve que le cabinet de La Haye cherchait à subordonner la réduction de ses forces militaires à l'éven¬tualité d'un désarmement général en Europe, tandis que l'Angleterre et la France voulaient faire dépendre cette réduction du seul fait d'un désarmement simultané en Belgique. En effet, comme la convention préliminaire du 30 décembre prenait pour point de départ l'évacuation réciproque du territoire, suivie d'un armistice indéfini, le meilleur moyen de prévenir la reprise des hostilités était de calmer l'irritation résultant de l'attitude menaçante des armées des deux peuples (Note de bas de page : Nous résumons les termes d'une dépêche collective du prince de Talleyrand et de lord Palmerston au baron de Zuylen, en date du 14 février 1833, citée ci-après).
La forme même des contre-propositions hollandaises pouvait être justement critiquée. Comme matière d'un arrangement provisoire, elles allaient beaucoup trop loin, puisque le partage de la dette et la question des droits à payer sur l'Escaut devaient, par leur nature même, faire l'ob¬jet d'un arrangement final et complet. Au contraire, envisagées comme bases d'un traité définitif, les propositions de M. Verstolk péchaient par l'excès contraire ; car elles gardaient le silence sur plusieurs points essentiels, notamment la reconnaissance de l'indépendance politique des Belges et le règlement des avantages commerciaux qui leur étaient garantis par le traité du 15 novembre.
(page 108) Dans les premiers jours de janvier, le ton conciliant de la dépêche de M. Verstolk, et surtout l'empressement avec lequel il avait consenti à reprendre les négociations, sans exiger la levée préalable des mesures coercitives, avaient fait naître l'espoir d'une solution satisfaisante et prochaine. C'était mal connaître le caractère et les vues de Guillaume Ier. La défense de la citadelle d'Anvers, malgré l'abstention de la Prusse et sans autre résultat possible que la mort de quelques centaines de braves¬ soldats ; puis le refus de rendre deux forts inutiles en échange de deux demi-provinces, par la seule crainte de sanctionner de fait les bases fondamentales du traité du 15 novembre, tous ces symptômes d'une politique inflexible rendaient manifeste la persistance des illusions qui régnaient à la cour de La Haye. Guillaume n'avait aucunement renoncé à l'attente d'une conflagration générale, et plus d'un dignitaire de la couronne encourageait avec obstination toutes les espérances chimé¬riques de son maître. Dans les cercles intimes de la cour, l'état de choses existant en Belgique, en France et en Angleterre, était repré¬senté comme purement provisoire. Au commencement de février, un général russe avait parcouru nos provinces sous un nom supposé, avec la mission secrète d'étudier l'esprit public et de constater l'opinion de la majorité des Belges sur la durée du régime issu de la révolution de septembre. Or, dans un rapport adressé à son gouvernement, cet ambassadeur déguisé, qui prétendait avoir tout vu et tout examiné, s'était efforcé de prouver que la monarchie nouvelle, repoussée par la noblesse, la propriété et le haut commerce, avait pour seul appui le bas peuple fanatisé par les prêtres. Aux yeux du général moscovite, la lutte naissante entre les libéraux et les catholiques devait être envi¬sagée comme un symptôme irrécusable d'une dissolution prochaine (Note de bas de page : Nous pouvons attester ce fait avec une certitude entière). Pour la cour de La Haye, c'en était assez pour ne pas désespérer d'une contre-révolution à Bruxelles ! Les mêmes illusions et la même crédu¬lité présidaient à l'appréciation de tous les événements extérieurs. Les moindres indices de désordre à Paris étaient transformés en présages d'une révolution imminente, tandis que les plaintes de quelques mar-chands de la cité de Londres, lésés dans leur commerce par l'inter-ruption des relations directes avec la Hollande, annonçaient la chute de lord Palmerston et l'avènement d'un ministère réactionnaire. L'idée (page 109) seule de subordonner la réduction de l'armée à la coïncidence d'un désarmement général en Europe attestait suffisamment la vitalité du système de persévérance (Voy. dans les Souvenirs du comte Van der Duyn, les fragments datés du 9 et du 10 juin 1832 (p. 317 et suiv.)).
Quoi qu'il en soit, la ténacité avec laquelle M. de Zuylen maintenait ses propositions avait modifié les idées des plénipotentiaires de France et d'Angleterre ; ils craignaient maintenant qu'ils ne dussent renoncer à l'espoir de signer une convention préliminaire. Toutefois, faisant un nouvel effort, ils remirent à M. de Zuylen deux projets subsidiaires, l'un et l'autre datés du 1er février. Le premier reproduisait littérale¬ment le texte des propositions du 30 décembre, sauf une disposition additionnelle stipulant la reconnaissance de la neutralité de la Bel-gique, et par suite l'acceptation d'un armistice entre les deux peuples, jusqu'à la signature du traité définitif. Le second projet avait pour but de combiner les avantages d'une convention provisoire avec ceux d'un arrangement définitif. On se serait entendu sur tous les points qui restaient en litige ; on aurait annexé cet arrangement à une con¬vention préliminaire stipulant la cessation des hostilités et la reprise des rapports commerciaux ; puis on aurait convoqué les plénipoten¬tiaires des grandes puissances, pour imprimer à ces actes le caractère d'un traité européen (Papers relative to the affairs of Belgium, ibid., p. 204).
Cette nouvelle tentative échoua comme la précédente. Inébranlable dans ses idées de résistance, M. de Zuylen répondit qu'il était sans pouvoirs pour accueillir l'une ou l'autre de ces propositions. Malgré cette attitude inflexible du plénipotentiaire néerlandais, lord Palmerston et le prince de Talleyrand placèrent encore une fois le débat sur un terrain nouveau.
Les conventions préliminaires qu'ils avaient jusque-là proposées étaient basées sur l'évacuation réciproque du territoire. Cette fois, dans un quatrième projet portant la date du 5 février, ils offrirent de laisser aux deux parties, jusqu'à la signature du traité définitif, la possession des territoires qu'elles occupaient respectivement. Lillo et Liefkenshoek devaient rester provisoirement aux mains des Hollandais, tandis que le Limbourg hollandais et le Luxembourg allemand auraient continué à être occupés par les Belges. L'obligation de réduire l'armée sur le pied (page 110) de paix n'était plus stipulée. L'établissement d'un armistice et la recon¬naissance de la neutralité de la Belgique étaient envisagés comme des garanties suffisantes du maintien de la paix. On réclamait l'ouverture de la Meuse et la continuation de la libre navigation de l'Escaut ; mais, comme l'évacuation réciproque du territoire était retardée, les dissi¬dences relatives à l'amnistie et aux routes commerciales du Limbourg étaient réservées pour le traité définitif (Ibid., p. 206).
Ce troisième essai fut à son tour infructueux. Au lieu d'accueillir les propositions de l'Angleterre et de la France, M. de Zuylen de Nyvelt présenta, le 5 février, un nouveau projet complètement inadmissible. Il réclamait la levée de l'embargo et le retour des militaires détenus en France, tandis que, pour toute concession, la Hollande se serait con¬tentée, sur l'Escaut, de la perception des droits de péage et de visite établis en 1814 ; c'est-à-dire, que la Hollande, au lieu de faire la moin¬dre concession, exigeait des droits de navigation qui n'avaient plus été perçus depuis le mois de janvier 1831, et de plus la faculté de sou¬mettre les navires à des visites dont ils étaient exempts depuis deux années, et qui seules auraient suffi pour entraver le commerce mari¬time des Belges (Note de bas de page : Dans le cours des négociations, il est parlé à diverses reprises des droits perçus sur l'Escaut en 1814. A cet égard, le gouvernement belge s'est donné de grandes peines pour découvrir un protocole secret que, dit-on, Guillaume 1er aurait signé avant son avènement, et par lequel il se serait engagé à laisser la navigation de l'Escaut entièrement libre, pour les bâtiments de toutes les nations. Le protocole ne fut pas produit, mais le doute subsiste encore. Dans leur note du 14 février 1833, citée ci-après, lord Palmerston et le prince de Talleyrand disaient déjà : « Les soussignés ont de fortes raisons de croire qu'aucuns droits n'ont été légalement levés, ni aucunes visites de bâtiments légalement faites sur l'Escaut dans l'année 1814, avant l'union de la Belgique et de la Hollande. » En fait, aucun droit n'avait été perçu ni aucune visite exercée en 1814).
Ainsi, depuis deux mois, les négociations n'avaient produit d'autre fruit qu'un nouvel échange de projets et de notes diplomatiques !
Dans le dessein d'appeler une dernière fois l'attention du cabinet de La Haye sur les conséquences de sa conduite, et aussi pour mettre leur propre responsabilité à l'abri de tout reproche, les plénipotentiaires d'Angleterre et de France rédigèrent, le 14 février, une note éner¬gique, offrant plutôt les apparences d'un manifeste que d'une simple communication diplomatique. Après avoir rappelé tous les incidents des (page 111) dernières négociations, ce document se terminait par les mots suivants : « Les soussignés ont épuisé tous les moyens d'amener M. le baron de Zuylen de Nyvelt à tomber d'accord sur un arrangement, soit préliminaire, soit définitif ; et en l'invitant, comme ils le font, à trans¬mettre cette note à La Haye, pour l'information de son gouvernement, ils sentent qu'ils se doivent à eux-mêmes et aux gouvernements pour lesquels ils agissent, de déclarer qu'ils rejettent sur M. le plénipoten¬tiaire hollandais, et sur le gouvernement par les instructions duquel il est guidé, la responsabilité de toutes les conséquences qui peuvent sortir de la non-réussite des efforts sincères et persévérants des sous¬signés pour effectuer un arrangement pacifique. » La note fut immé-diatement livrée à la publicité, afin que, dans toutes les parties de l'Europe, l'opinion publique pût se prononcer entre la Hollande et ses adversaires » (Note de page : Papers relative to the affairs of Belgium, B, Ire partie, p. 200. - Le cabinet belge ne fut pas étranger à la rédaction de cette note, car on y trouve plusieurs phrases empruntées mot pour mot aux discours prononcés par le général Goblet le 21 et le 23 novembre (V. Nothomb, Essai hist. et pol., 3e édit. p. 344)).
Mais ce n'était pas seulement à la France et à l'Angleterre que le système de persévérance suscitait des embarras et des obstacles.
Tandis que les incidents diplomatiques se succédaient à Londres, des difficultés d'un autre genre se multipliaient à Bruxelles.
Au moment où les intentions et les actes du cabinet hollandais étaient dénoncés aux gouvernements et aux peuples, le ministère belge ren¬contrait dans la Chambre des Représentants une opposition vigoureuse, à laquelle l'ajournement successif du problème diplomatique servait de base. Faisant encore une fois abstraction des intérêts européens mêlés aux intérêts belges, perdant de vue tous les succès obtenus depuis le jour où la Russie avait ratifié le traité du la novembre, procédant tou¬jours avec cette inexpérience des affaires qui caractérisait le parlement belge de cette époque, l'opposition attribuait à la faiblesse, à la pusilla¬nimité des ministres, l'absence d'une solution définitive.
La discussion du budget de la Guerre de 1833 fit naître un orage parle¬mentaire, qui amena la démission du ministère et la dissolution de 1a Chambre des Représentants.
Malgré le maintien des mesures coercitives par l'Angleterre et la France, la Belgique ne pouvait songer à réduire les cadres de son armée, (page 112) avant le jour où une détermination analogue serait prise par sa rivale. Au moment où le danger d'une guerre européenne, quoique peu probable, n'avait pas complètement disparu, la réduction de nos forces militaires eût été une mesure impolitique et dangereuse. Depuis le 25 octobre 1831, aucun armistice formel ne nous garantissait contre une attaque de la Hollande. Il eût été absurde de mettre l'armée sur le pied de paix, lorsque, soit pour opérer une diversion, soit même dans le seul dessein d'amener un conflit entre la France et l'Allemagne, le cabinet de La Haye pouvait brusquement concevoir le projet de faire une pointe sur Bruxelles. La France, sans doute, se fût empressée d'accourir à notre aide ; mais le pays eût commencé par être envahi et par subir une humiliation nouvelle. « Voudriez-vous, disait le général Goblet, exposer la patrie à l'envahissement, parce que, probablement, elle ne tarderait pas à être évacuée. Je ne saurais, quant à moi, y consentir... D'autre part, il y aurait impossibilité à ce que les puis¬sances intervinssent à chaque instant, quand il plairait à la Hollande de porter ses armes chez nous ; et ce serait l'y exciter que de nous mettre vis-à-vis d'elle sur un pied d'infériorité » (Moniteur du 23 mars, Moniteur du 25).
Plus d'une fois notre gouvernement avait dit à l'Angleterre et à la France : « Nous aurons recours aux armes, si les garanties promises demeurent sans effet pour la Belgique. » C’était même ce langage qui avait déterminé ces deux puissances à agir par elles-mêmes, à une épo¬que de l'année où le siége d'Anvers et le blocus des côtes de la Hollande rencontraient des difficultés de toute nature. Fallait-il briser cette arme aux mains de nos ministres, précisément à l'heure où les mesures coer¬citives approchaient de leur dénouement ? Dans la sollicitude des puis-sances pour le maintien de la paix, c'était surtout le désarmement qu'il leur importait d'obtenir, Il y aurait eu de la folie à aller au-devant de ce vœu, avant d'avoir obtenu de la Hollande des garanties suffisantes du respect de notre indépendance.
La thèse du désarmement n'en fut pas moins plaidée par quelques orateurs de l'opposition ; mais, bientôt vaincus sur ce terrain par les arguments irréfutables des ministres, ils changèrent de batterie et sou¬tinrent que les armements étaient utiles, si la Belgique voulait prendre l'offensive par terre, pendant que la flotte anglo-française continuerait le blocus des côtes.
(page 113) Cette seconde attaque ne fut pas plus heureuse que la première. On leur répondit que l'intervention de l'Angleterre et de la France, agissant au nom des intérêts européens, ne pouvait se concilier avec une action simultanée de la Belgique, luttant pour la défense de ses intérêts par¬ticuliers, et qu'il fallait dès lors nécessairement opter entre l'interven¬tion des puissances et une attaque isolée par nos propres forces. Enfin, après quatre jours de discussions confuses et passionnées, MM. de Ro¬baulx et Pirson, appartenant l'un et l'autre à l'opposition extrême, proposèrent de ne voter le budget de la guerre que jusqu'au 1er juillet, ce terme devant suffire, à leur avis, pour amener l'exécution d'un traité définitif (Note de bas de page : MM. Pirson et de Robaulx avaient chacun formulé une proposition dis¬tincte ; mais, au fond, les deux amendements étaient identiques. L'amendement de M. Pirson portait : « Je propose à la Chambre de ne voter les dépenses de la guerre que pour les six premiers mois de l'année. » La proposition de M. de Robaulx était ainsi conçue : « Il est ouvert au ministre directeur de la Guerre, un crédit de 15 millions, pour faire face aux dépenses urgentes de l'armée sur pied de guerre, pendant les mois d'avril, mai et juin 1833. »)
Pour comprendre toute la portée de cet amendement, il faut le pla¬cer en regard du langage que les adversaires des ministres avaient tenu dans les séances précédentes. Parlant des résultats produits par l'alliance anglo-française, M. Charles de Brouckere s'était écrié : « Nous ne conservons cette alliance qu'à la condition de nous laisser conduire aveuglément, de n'avoir point de volonté à nous, de renoncer à défendre nos intérêts et notre honneur, lorsque, en blessant ces intérêts et cet honneur, on n'a point blessé ceux de nos alliés..... Il est temps que nous montrions que les Belges ont d'autres vertus que celles-là ; il est temps qu'on en finisse avec ce système de crainte et de temporisation qui nous ruine, nous humilie et qui finirait par nous déshonorer ; il est temps que nous ayons une volonté à nous..... Il est temps que nous cessions d'être Anglais ou Français, pour devenir Belges. Si l'on veut continuer à subir le joug des autres puis¬sances et à n'agir qu'avec leur permission, à consommer tous les sacrifices, à subir tous les affronts, dans la crainte de se brouiller, je consentirai difficilement à donner mon vote au budget de la guerre, parce que notre armée est inutile ; nos protecteurs nous défendront, en attendant qu'ils nous envahissent » (Séance du 25 mars, Moniteur du 27). Envisagé de ce point de (page 114) vue, l'amendement de MM. Pirson et de Robaulx était plus qu'un aver¬tissement donné aux puissances qui nous avaient garanti l'exécution du traité du 15 novembre : c'était un acte de méfiance et de blâme, dirigé à la fois contre nos alliés et contre nos ministres.
Ni les uns ni les autres ne méritaient ces reproches. Le cabinet de Bruxelles s'était constamment montré à la hauteur des circonstances et la note du 14 février suffisait pour prouver que l'Angleterre et la France n'étaient pas restées inactives.
Après la prise de la citadelle d'Anvers et la retraite de l'armée du maréchal Gérard, nos ministres s'étaient trouvés en face de deux négociations, l'une avec la France seule, l'autre avec la France et l'Angle¬terre. Or, dans l'une et dans l'autre, les intérêts belges avaient été énergiquement défendus.
La première de ces négociations avait trait aux dépenses occasion¬nées par l'intervention armée de la France. Plusieurs fois cette question avait été agitée dans les régions diplomatiques, lorsque tout à coup M. Mauguin, dans la séance de la Chambre des Députés du 8 mars 1833, vint proposer le rejet du crédit réclamé pour ces dépenses, parce que, selon lui, elles devaient être remboursées à la France par les Belges, au profit et à la demande desquels elles avaient été faites.
Le jour même où la nouvelle de cette motion parvint à Bruxelles : M. Lehon reçut l'ordre de protester énergiquement, aussi bien pour l'expédition d'Anvers que pour la campagne de 1831. Lorsque l'armée du prince d'Orange envahit nos provinces, les cinq puissances s'étaient portées garantes de la suspension d'armes imposée à la Belgique. Lorsque, l'année suivante, l'Angleterre et la France eurent recours à des mesures coercitives, d'autres conventions solennelles nous garan¬tissaient l'intégrité de notre territoire. Les deux expéditions étaient la conséquence logique, le résultat nécessaire des garanties stipulées par les puissances qui s'étaient constituées les arbitres de nos diffé¬rends avec la Hollande ; l'une et l'autre avaient pour objet l'exécution de traités imposés à la Belgique ; pour l'une et pour l'autre, la Bel-gique avait réclamé l'intervention de la France, non pas à titre de secours ordinaire, mais comme la suite naturelle et inévitable d'obli¬gations écrites dans les traités ; enfin, dans l'une et dans l'autre, l'intérêt européen figurait pour le moins au même degré que l'intérêt belge. Le général Goblet repoussa les exigences de la France avec (page 115) d'autant plus de raison et de force, que l'Angleterre n'avait pas un instant révoqué en doute l'obligation de supporter elle-même les frais causés par ses armements maritimes. Grâce à cette résistance éner¬gique, le cabinet des Tuileries ajourna ses réclamations, et la pro¬position de M. Mauguin n'eut pas de suite (Note de bas de page : M. Mauguin développa sa proposition dans un long discours, où les égards dus à une nation amie étaient constamment oubliés. L'orateur insinua assez clairement que la France eût dû s'emparer des cantons annexés à la Belgique en 1815, après le désastre de Waterloo et la seconde invasion des alliés. Il poussa l'oubli des convenances au point d'étendre à la Belgique les maximes applicables aux contribuables retardataires. « Lorsqu'un contribuable ne paie pas ses con¬tributions, s'écria-t-il , le percepteur est là pour faire saisir et vendre ses meubles. » (Moniteur universel du 12 mars 1833, 2e suppl.) Les négociations engagées à ce sujet prouvent à l'évidence que le cabinet des Tuileries était lui-même convaincu du fondement des protestations du général Goblet. S'il n'en fit pas l'aveu, c'est qu'il craignait les attaques de l'opposition et de la presse. - L'expédition d'Anvers avait sauvé l'existence parlementaire du duc de Broglie).
A coup sûr, l'attitude du ministère belge était ici exempte des reproches de condescendance et d'humble soumission sans cesse arti¬culés à la tribune.
Les résultats avaient été moins satisfaisants dans la négociation collective avec la France et l'Angleterre. Après deux mois de tentatives infructueuses, le problème diplomatique se trouvait à peu près dans la même situation qu'au jour où le drapeau belge fut arboré sur la citadelle d'Anvers. Mais si les armements de l'Angleterre et de la France n'avaient pas encore triomphé de la résistance opiniâtre du cabinet de La Haye ; si les démarches et les raisonnements de leurs plénipotentiaires n'avaient pas réussi à dissiper les illusions de Guil¬laume Ier, était-ce la faute de nos ministres ? Nous l'avons déjà dit : leur attitude était la seule qui fût compatible avec l'intérêt bien en¬tendu du gouvernement et de la nation. La Belgique n'était pas seule à souffrir de ces retards. Autant que nous, l'Angleterre et la France avaient un intérêt puissant à hâter le dénouement de la crise. Elles ne pouvaient prolonger indéfiniment les mesures coercitives ; et cepen¬dant, dans leur note du 14 février, les représentants des deux puis¬sances déclaraient formellement que ces mesures ne seraient levées qu'à la suite d'un arrangement définitif ou provisoire agréé par les Belges.
(page 116) La proposition de MM. Pirson et de Robaulx était cependant de nature à rencontrer des sympathies sur tous les bancs de la Cham¬bre. Le public n'était pas initié à tous les secrets des négociations diplomatiques. La nation supportait avec une vive impatience les désavantages d'une situation provisoire qui, après plus de deux années de souffrances et de sacrifices, semblait devoir se prolonger encore. L'acceptation des dix-huit articles du 26 juin 1831, celle des vingt-quatre articles du 14 octobre suivant, le siége d'Anvers et l'interven¬tion armée des deux premières puissances de l'Europe, avaient été successivement signalés comme terme définitif du différend hollando-¬belge. Toujours l'événement avait démenti les espérances ; toujours de nouveaux échanges de notes diplomatiques avaient été, dans la pensée des masses, les seuls résultats de l'intervention des puissan¬ces étrangères. Dans ces circonstances, l'amendement de MM. Pirson et de Robaulx pouvait être envisagé comme un stimulant pour nos ministres et un avertissement pour la diplomatie étrangère. Aussi fut-il agréé par la section centrale chargée de l'examen du budget de la guerre.
Dans l'opinion de ses auteurs, la proposition renfermait évidem¬ment la désapprobation de la conduite des ministres ; mais cette même pensée de méfiance et de blâme n'avait pas dicté le vote des membres de la section centrale. « Pour qu'on ne prenne pas le change sur les intentions de la Chambre des Représentants, disait son rapporteur, la section centrale a cru s'en rendre l'interprète fidèle en exprimant ici les motifs de sa décision. La nation est impatiente de la lenteur des négociations diplomatiques ; elle veut le dénouement de nos différends avec la Hollande. Pour arriver à cette fin, elle souscrira encore à de nouveaux sacrifices. Ce n'est donc point pour la soulager des dépenses qu'occasionne l'entretien de l'armée sur le pied de guerre, ce n'est point pour réduire cette belle ar¬mée que nous avons organisée à grands frais, que nous vous proposons de n'allouer des subsides que pour six mois ; notre but unique (et qu'on le sache bien) n'est autre que, les six mois écoulés sans espoir d'une conclusion prochaine, de presser le gouverne¬ment de recourir à des mesures énergiques propres à assurer l'indépendance de la Belgique. Dans ce cas, loin de nous opposer à des demandes de crédits, nous augmenterons, s'il en est besoin, (page 117) nos moyens de coercition et nous ne négligerons rien pour assu¬rer le triomphe de nos armes » (Discours de M. Brabant, Séance du 2 avril, Moniteur du 5.) Présentée de cette manière, la proposition de la section centrale pouvait être réduite aux termes suivants : « Nous vous accordons des crédits suffisants pour entrete¬nir l'armée sur le pied de guerre pendant les six premiers mois de cet exercice ; ces six mois passés sans solution, la Chambre subor¬donnera ses votes ultérieurs à la condition d'un recours immédiat aux mesures énergiques que réclameront les circonstances. » C'était en quelque sorte engager le gouvernement à réclamer une solution dans un délai déterminé.
Mais ce commentaire bienveillant n'empêchait pas les ministres d'envisager la proposition comme un acte éclatant d'hostilité dirigé contre le cabinet, Après quelques interpellations demeurées sans ré¬sultat, ils manifestèrent tout à coup l'intention de se retirer, si la proposition de MM. Pirson et de Robaulx était accueillie par la Chambre. Dans un amendement présenté par le ministre de l'Intérieur, ils se déclarèrent prêts à adhérer à la décision qui soumettrait le budget de la guerre à une révision, lors du vote définitif du budget général de l'État ; mais ils refusèrent de pousser la condescendance au delà des bornes de cette mesure administrative. « Le ministère, dit M. Rogier, ne peut accepter un vote dans lequel il ne verrait qu'une preuve de défiance et d'hostilité... Dans cette assemblée, il est des membres qui reprochent au ministère son peu d'énergie, son ineptie. Le ministère a besoin de savoir si la majorité partage cette opinion. Placé sous une telle prévention, il ne peut diriger les affaires intérieures ou extérieures du pays avec la fermeté et la dignité convenables » (Note de bas de page : Séance du 2 avril, Moniteur du 5. L'amendement de M. Rogier était conçu dans les termes suivants : « Considérant qu'il est dans l'esprit de la Constitution que les budgets des divers départements ne forment qu'une seule et même loi de dépenses ; vu la nécessité de soumettre à une révision les diverses allocations dont se compose le budget de la guerre en discussion, j'ai l'honneur de proposer l'amendement suivant : Le budget de la guerre pour 1833 sera soumis à une révision lors du vote définitif du budget général des dépenses de l'État et fera partie de la même loi. »).
Les débats qui suivirent cette déclaration furent pleins de confu¬sion et de violence ; mais il en résulta néanmoins, à la dernière (page 118) évidence, que la section centrale n'avait voulu, en aucune manière, émettre un vote hostile au cabinet. Son rapporteur déclara positivement que, ni dans ses termes ni dans son esprit, la proposition ne devait être envisagée comme renfermant une censure de la conduite des ministres. Qu'importaient dès lors les attaques isolées de quelques membres de l'opposition ? Les ministres pouvaient prendre acte de la déclaration du rapporteur de la section centrale et laisser à la Cham¬bre elle-même la responsabilité de son vote. Au point où l'Angleterre et la France étaient parvenues dans leurs rapports avec la Hollande, le dénouement ne pouvait être éloigné. On se trouvait à la veille du jour où l'attitude du ministère allait être justifiée ou condamnée par les faits. Pourquoi cette susceptibilité extrême, à une époque où quelques semaines d'attente suffisaient pour faire justice de toutes les exagérations ? Ainsi que l'a dit M. Nothomb, chez les peuples dont l'éducation politique est peu avancée, c'est surtout sur l'avenir qu'il faut compter (Essai hist. et pol., 3e édit., p. 359). A la vérité, l'amendement était blessant pour l'An¬gleterre et la France qui, en ce moment même, remplissaient loyalement les obligations stipulées dans le traité du 15 novembre, Mais ce n'était pas la première fois que les intentions de ces deux puis¬sances avaient été méconnues à la tribune belge, Pour prévenir les plaintes de nos alliés, il suffisait que le cabinet proclamât hautement le désintéressement et la loyauté de leur politique. Les tristes débats de novembre n'avaient pas arrêté la marche du maréchal Gérard ; de nouvelles imprudences parlementaires n'auraient pas influé sur la direction des armements maritimes.
La persistance du ministère n'eut d'autre résultat que de le conduire à une défaite éclatante. Dans la séance du 5 avril, l'amendement du ministre de l'Intérieur fut rejeté par 45 voix contre 28.
Après ce vote, la Chambre s'ajourna au 22.
L'échec du cabinet plaçait la couronne dans une position embar¬rassante. Après les essais infructueux tentés en novembre, il était à peu près certain que le roi ne réussirait pas à composer une admi¬nistration nouvelle qui offrît quelques gages de stabilité ; et cepen¬dant les ministres actuels ne pouvaient plus se présenter, sans dés¬honorer leur caractère, devant une Chambre qui avait dédaigné leurs protestations et bravé leur menace de retraite collective.
(page 119) Le roi confia à M. de Theux la tâche de composer une adminis¬tration nouvelle. Deux combinaisons furent successivement essayées. Dans la première, le roi avait lui-même indiqué les noms de quelques députés qu'il désirait voir entrer dans le ministère ; dans la seconde, il avait accordé à M. de Theux les pouvoirs les plus illimités. L'une et l'autre de ces tentatives échouèrent. Pour la seconde fois, la Bel¬gique offrait ce singulier phénomène parlementaire d'une majorité imposant un système, tout en se déclarant impuissante à le réaliser. Le chef de l'État n'avait plus qu'un seul moyen constitutionnel à sa disposition : le remède extrême de la dissolution du parlement.
Un arrêté royal du 19 avril ajourna la Chambre des Représentants au 6 mai ; un second arrêté, daté du 28 avril, en prononça la dissolution. La Chambre nouvelle fut convoquée pour le 7 juin.
(Note de bas de page) Les considérants de l'arrêté indiquent les motifs de la dissolution : « Vu les difficultés qui, depuis l'ouverture de la présente session, se sont élevées dans les rapports de l'administration avec la Chambre des Représentants ; considérant que, par suite de ces circonstances, nos ministres nous ont, à diverses reprises, offert leur démission, sans que l'on soit parvenu à composer une administration nouvelle qui présentât des gages de stabilité ; considérant que ces difficultés semblent prendre leur source dans la diversité des opinions sur la marche des relations extérieures ; considérant que, depuis la dernière élection générale, il s'est accompli des événements importants qui ont contribué à l'affermissement de l'indépendance de la Belgique, et qui, sous ce rapport, méritent d'être livrés à l'appréciation du pays ; considérant que, si c'est un des premiers principes du gouvernement représentatif que le ministère soit d'accord avec la majorité par¬lementaire, il est indispensable aussi, pour rendre l'administration possible, que cette majorité ne soit pas incertaine ; qu'une adhésion douteuse à la marche du gouvernement paralyse l'action de celui-ci, sans offrir à la couronne les éléments d'une administration nouvelle ; considérant que, d'après la loi élec¬torale, la Chambre des Représentants devrait être renouvelée par moitié le second Mardi de juin prochain ; que, d'après les articles 18 et 54 de la même loi, les membres qui viendraient à être remplacés dans cette élection partielle, vu l'impossibilité de clore immédiatement la session, continueraient à siéger jusqu'au mois de novembre, qu'ainsi des représentants dont les successeurs seraient déjà nommés influeraient, à l'exclusion de ceux-ci, sur les résolutions de la Chambre, et pourraient par leur vote décider les questions les plus impor¬tantes ; considérant que la dissolution de la Chambre des Représentants obvie à cet inconvénient et assure aux électeurs, au lieu d'un contrôle partiel, un con¬trôle général sur les actes de cette branche du pouvoir législatif et sur la marche du gouvernement... » (Fin de la note)
Ces complications intérieures, qui passionnaient l'opinion publique et mécontentaient nos alliés, étaient d'autant plus regrettables que, pendant les stériles débats de la Chambre et de la presse, les (page 120) négocia¬tions diplomatiques, loyalement poursuivies à Londres, marchaient à grands pas vers un dénouement avantageux aux Belges.
On se rappelle que, dans une note du 14 février, lord Palmerston et le prince de Talleyrand avaient en quelque sorte dénoncé la poli¬tique hollandaise à l'indignation de l'Europe. Pendant douze jours, le cabinet de La Haye garda le silence. Ce ne fut que le 26 février que M. de Zuylen répondit aux reproches des plénipotentiaires d'An¬gleterre et de France, par une longue apologie des actes de la diplo¬matie hollandaise. Prenant à son tour le rôle d'accusateur, il dénonçait l'intervention de l'Angleterre et de la France comme un attentat à la souveraineté des peuples, comme un odieux et déplorable abus de la force. « Les derniers mois de l'année 1832, dit-il, virent introduire, sous le nom de mesures coercitives, l'exercice d'une police dans les rapports des nations entre elles, et mettre en pratique envers la Hollande un système d'hostilité ouverte en pleine paix, inconnu jusqu'ici, sapant la base de l'indépendance des peuples, boulever¬sant le premier principe fondamental du droit des gens et y sub¬stituant la suprématie du plus fort. » A la suite de ce préambule sévère, il offrit néanmoins de s'entendre immédiatement sur la levée de l'embargo, la cessation du blocus et le renvoi des militaires dé-tenus en France ; mais la Hollande ne pouvait, à son avis, consentir à ce que les procédés illégitimes employés contre elle fussent mis dans la balance, comme un moyen de lui arracher de nouvelles conces¬sions. « Le gouvernement des Pays-Bas, dit-il en terminant, accepte la responsabilité de ses actes dans toute son étendue, et lorsque les causes des malheureuses circonstances actuelles seront pesées en dernier ressort, il attendra avec une conscience calme la décision du tribunal suprême, devant lequel doivent comparaître les rois et les peuples » (Papers relative to the affairs of Belgium, B, Ire partie, p. 215).
Mais ce langage hautain n'empêchait pas le cabinet de La Haye de désirer vivement le terme d'un état de choses qui, non seulement paralysait le commerce, mais interceptait les communications directes entre la mère patrie et ses colonies. Depuis plusieurs semaines, tous les événements politiques avaient marché à l'encontre des illusions et des espérances de la cour. A Londres, le ministère wigh se raffer¬missait (page 121) de jour en jour ; à Paris, l'expédition d'Anvers avait considé¬rablement amélioré la position parlementaire du duc de Broglie ; à Berlin, à Vienne, à St-Pétersbourg, on ne recueillait que de stériles témoignages de sympathie, toujours suivis du conseil de céder aux exigences des puissances occidentales. En Hollande même, les hommes modérés commençaient à plaider ouvertement la thèse de la paix, et trouvaient dans le Handelsblad un organe intelligent et accrédité. Ajoutons que l'envoyé d'Angleterre, en remettant la note du 14 février, avait parlé de rupture, et que les cabinets des Tuileries et de St-James commençaient à agiter la question de la vente des cargaisons hollan¬daises.
La note du 26 février fut le dernier acte diplomatique de M. de Zuylen. Le ton âpre et peu conciliant qu'il avait pris dans les dernières conférences, et surtout ses rapports avec les journaux de l'opposition à Londres, avaient fini par mécontenter sérieusement l'Angleterre et la France. Des représentations, faites en même temps à Paris et à Lon¬dres, forcèrent le cabinet de La Haye de le rappeler. Au commencement de mars, il fut remplacé par M. Salomon Dedel (White, Révol. belge, t. III, p. 274).
Précisément le jour où l'opposition belge formula ses premiers griefs contre le budget de la guerre, le 25 mars, M. Dedel offrit, au nom de son gouvernement, les conditions suivantes : - Armistice entre les troupes hollandaises et belges, jusqu'au 1er août 1833 ; libre naviga¬tion de l'Escaut, sans visite et sans perception d'un droit quelconque, pendant la durée de l'armistice ; navigation de la Meuse, sans autre entrave que l'application du tarif de Mayence, jusqu'à la signature d'un arrangement définitif ; libre communication de la garnison hollandaise de Maestricht avec le Brabant septentrional et avec l'Allemagne ; conser¬vation des forts de Lillo et de Liefkenshoek par la Hollande ; évacuation par les Belges des positions qu'ils n'occupaient pas le 1er novembre 1832, sur les deux rives de l'Escaut. - Le jour de la ratification de cette convention préliminaire, l'Angleterre et la France devaient lever l'em¬bargo et rendre la liberté aux prisonniers hollandais (Papers relative to the affairs of Belyium, B, 1er partie, p. 224). (Note de bas de page : Pour comprendre toute la portée de ces propositions, il importe de se rappeler que, depuis le départ de l'armée du maréchal Gérard, les Belges avaient occupé et fortifié les positions militaires des deux rives de l’Escaut, jusqu’au fort La Croix.)
(page 122) Ces propositions dénotaient un rapprochement vers les vues de l'Angleterre et de la France ; mais elles n'en prêtaient pas moins le flanc à des objections sérieuses.
Après la reddition de la citadelle, l'un des premiers soins des cabi¬nets de Paris et de Londres avait été d'obtenir l'assentiment des Belges et des Hollandais à une cessation indéfinie d'hostilités. C'était même dans ce dessein qu'ils avaient proposé la mise des deux armées sur le pied de paix et la reconnaissance de la neutralité de la Belgique dans les limites tracées par le traité du 15 novembre. Or, dans le projet com-muniqué par M. Dedel, non seulement la neutralité du territoire belge n'était pas reconnue, mais la Hollande se réservait le droit d'avoir recours aux armes après le 1er août de l'année courante. Lord Palmer¬ston et le prince de Talleyrand disaient avec raison « qu'une telle con¬vention, loin d'être un gage et un préliminaire de paix, annoncerait et sanctionnerait même la reprise des hostilités » (Papers relative to the affairs of Belgium, B, 1er partie, p. 223).
Ce n'est pas tout. La Hollande eût continué d'occuper deux forts situés sur le sol assigné à la Belgique par le traité du 15 novembre, tandis que les Belges eussent été forcés d'abandonner, sur les deux rives de l'Escaut, des positions que ce même traité avait placées dans les limites de leur pays. Enfin, la Hollande exigeait les libres communi¬cations de Maestricht avec le Brabant Néerlandais et la Prusse, tandis que le projet gardait le silence sur les communications commerciales de la Belgique avec l'Allemagne par cette même ville de Maestricht. Les plénipotentiaires d'Angleterre et de France formulèrent ces objec-tions dans une note collective du 2 avril.
Enfin forcée de céder, la Hollande, fidèle à ses habitudes, n'en disputa pas moins le terrain pied à pied. Dans un office du 16 avril, M. Dedel, après avoir adressé aux deux plénipotentiaires les compli¬ments les plus flatteurs sur leurs vues éclairées et conciliantes, déclara que son gouvernement était prêt à revenir, à l'égard de l'armistice et de la navigation de l'Escaut, à l'état de choses existant avant le 1er novembre 1832. Mais quel était cet état de choses par rapport à la reprise des hostilités ? Depuis le 25 octobre 1831, l'armistice conclu le 29 août précédent était expiré. Dans l'année qui précéda le siége d'Anvers, le roi des Pays-Bas avait plus d'une fois déclaré qu'il n'était lié par aucun (page 123) armistice, qu'il était libre dans ses mouvements et dans ses actes, qu'il avait le droit de reprendre les hostilités s'il le jugeait convenable. Le cabinet de La Haye voulait donc simplement revenir à un armistice de fait, sans autre garantie de sa prolongation que les menaces de l'Angleterre et de la France ; tandis que ces deux puissances exigeaient la reconnaissance expresse et formelle de la neutralité de la Belgique, jusqu'à la conclusion d'un traité définitif. La libre navigation de l'Escaut n'eût pas davantage été suffisamment garantie, car, dans sa dépêche du 25 mars, M. Verstolk de Soelen, tout en annonçant l'ouverture du fleuve pour les bâtiments neutres, avait insinué que son gouvernement s'était toujours réservé la faculté de réclamer, en temps opportun, les droits de navigation exigibles en 1814 (Voy. la dépêche du 16 avril dans les Papers relative to the affairs of Belgium, ibid., p. 232).
Repoussé encore de ce côté, M. Dedel offrit finalement de stipuler la cessation des hostilités en ces termes : « Tant que les relations entre la Belgique et la Hollande ne seront pas réglées par un traité définitif, Sa Majesté néerlandaise s'engage à ne pas recommencer les hostilités et à laisser la navigation de l'Escaut entièrement libre » (Note du 16 Mai. Ibid., p. 240). Cette rédaction avait été proposée par le cabinet de Berlin à celui de La Haye ; car, de même que l'Angleterre et la France avaient secrète¬ment associé la Belgique à leurs négociations, la Hollande avait eu soin de communiquer toutes ses propositions aux représentants des puis¬sances du Nord.
Dès cet instant, l'adoption d'un arrangement provisoire ne pouvait plus rencontrer des difficultés sérieuses. Le 21 mai 1833, un traité préliminaire fut conclu entre la France et l'Angleterre, d'une part, et la Hollande de l'autre. Toutes les parties s'engageaient à s'occuper sans délai du traité définitif, et chacune d'elles devait inviter les cours d'Autriche, de Prusse et de Russie à y concourir. Tant que les relations entre la Hollande et la Belgique ne seraient pas réglées par un traité définitif, le roi des Pays-Bas s'engageait à ne point recommencer les hostilités contre la Belgique et à laisser la navigation de l'Escaut entiè-rement libre. Il consentait à ce que la navigation de la Meuse fût ouverte au commerce, avec application provisoire du tarif de Mayence. En retour, l'Angleterre et la France s'engageaient à cesser les hostilités, (page 124) à lever l'embargo mis sur les navires hollandais, à renvoyer les mili¬taires détenus en France, à procurer à la Hollande des communications libres et sans entraves entre Maestricht, le Brabant septentrional et l'Allemagne. Un article additionnel étendait l'armistice aux parties du Limbourg et du Luxembourg encore occupées par les Belges.
Cette convention fut ratifiée le 31 Mai. Le lendemain, lord Palmerston et le prince de Talleyrand la notifièrent à M. Van de Weyer.
Elle fut favorablement accueillie en Belgique. La suspension d'armes, obligatoire jusqu'au jour de la conclusion du traité définitif, était une reconnaissance virtuelle de notre indépendance politique. L'article addi¬tionnel, adopté à la suite d'une demande de notre gouvernement, régularisait la position du Luxembourg allemand, dont le territoire n'avait pas été expressément compris dans l'armistice antérieur. Autour des villes de Maestricht et de Luxembourg, notre administration civile prenait un caractère de légalité que les commandants de ces forteresses n'avaient jamais complètement reconnu ; et cet avantage n'était pas à dédaigner, à cause de la sécurité qu'il assurait désormais aux habitants des communes environnantes. La convention du 21 mai nous accordait en outre la jouissance de la plupart des avantages matériels stipulés dans le traité du 15 novembre, tout en nous dispensant provisoirement de l'obligation de payer notre part des dettes du royaume des Pays. Bas. Nous obtenions la libre navigation de l'Escaut et l'ouverture de la navigation de la Meuse avec le tarif du Rhin. La Hollande, il est vrai, restait en possession des forts de Lillo et de Liefkenshoek, mais, par contre, la Belgique conservait, jusqu'au traité définitif, les districts du Limbourg et du Luxembourg assignés à sa rivale. La clause relative à la cessation indéfinie des hostilités nous donnait la faculté de réduire nos armements, autant que le permettaient la situation de l'Europe et la nécessité de conserver notre influence extérieure jusqu'au jour du traité définitif ; tandis que la Hollande restait seule chargée du poids d'une dette énorme. Enfin, l'arrangement définitif n'était pas perdu de vue, puisque toutes les parties s'engageaient à s'en occuper dans le plus bref délai possible (Note de bas de page : V. le rapport du ministre des Affaires étrangères (général Goblet), fait dans la séance de la Chambre des Représentants, le 14 juin 1833, p. 13 (Bruxelles, Remy, 1833)).
(page 125) En notifiant la convention du 21 mai, les plénipotentiaires d'Angle¬terre et de France prièrent le gouvernement belge de contracter, de son côté, l'engagement de ne pas reprendre les hostilités contre la Hollande et de laisser libres et sans entraves les communications entre la forteresse de Maestricht, le Brabant septentrional et l'Allemagne.
Le général Goblet adhéra à ces conditions par une note du 10 juin ; mais, d'une part, il eut soin d'envisager la convention du 21 mai comme un commencement d'exécution du traité du 15 novembre, de l'autre, il déclara accepter l'armistice indéfini comme la confirmation de la suspension d'armes illimitée, à laquelle la Belgique avait souscrit en 1830. Cette attitude avait le grand avantage de conserver intact le système diplomatique que le gouvernement avait constamment suivi depuis les ratifications du traité des vingt-quatre articles. Non seule¬ment nous conservions tous les droits acquis par le traité, mais nous évitions de contracter des obligations nouvelles (Ibid, p. 15 et suiv).
Quand on jette un regard en arrière, pour se rappeler les inquié¬tudes causées par les ratifications incomplètes du traité du 15 novembre, on s'aperçoit que la diplomatie belge, tout en parcourant lentement une route semée d'obstacles, n'en avait pas moins marché de progrès en progrès, jusqu'au jour où l'Angleterre et la France se décidèrent à recourir à la force. Le 4 mai 1832, les membres de la Conférence de Londres, y compris les plénipotentiaires de la Russie, déclarent que les vingt-quatre articles ont irrévocablement fixé l'indé¬pendance, la neutralité et les limites de la Belgique (Voy. Ci-dessus, p 1). Le 11 juin suivant, les représentants des cinq puissances, y compris encore une fois les deux plénipotentiaires russes, attachent à l'évacuation res¬pective du territoire toutes les conditions qui faisaient le fond de la politique belge (Ibid., p 7 et 8). Le 1er octobre, les envoyés des cinq cours, una¬nimes à blâmer la conduite de la Hollande, admettent tous la nécessité des mesures coercitives et ne diffèrent plus que sur le choix des moyens (Ibid. p 28). Un mois plus tard, l'Europe absolutiste assistait sans coup férir au siége d'Anvers, au triomphe des principes issus du mouvement révolutionnaire de 1830, à l'humiliation d'un monarque de la Sainte-Alliance.