(Deuxième édition (« soigneusement revue, continuée jusqu’à l’avènement du ministère de 1855 et précédée d’un essai historique sur le royaume des Pays-Bas et la révolution de septembre »), paru à Louvain en 1861, chez Vanlinhout et Peeters. Trois tomes)
(page 296) Avant d'aborder le récit des débats diplomatiques de 1838, il convient de jeter un rapide coup d'œil sur les incidents survenus depuis la séparation de la Conférence de Londres (24 août 1835).
Les plénipotentiaires des cinq cours avaient dit au roi Guillaume : « Nos délibérations ne seront reprises que le jour où vous produirez, soit une adhésion pure et simple aux bases territoriales des vingt¬-quatre articles, soit l'assentiment de vos agnats et de la Diète de Francfort à l'incorporation d'une partie du Limbourg au royaume de Hollande » (Voy. ci-dessus, chap. 19, p. 155).
Ce langage était clair et précis ; mais le monarque néerlandais, tou¬jours préoccupé des avantages du système de persévérance, tâcha de lui donner un sens qui fût de nature à justifier sa politique de tergi¬versation et de subterfuges.
Dès le 3 novembre 1835, le cabinet de La Haye fit solliciter l'assen¬timent de la Diète de Francfort et de la cour ducale de Nassau à 'l'incorporation du Limbourg au territoire hollandais. L'une et l'autre repoussèrent la demande et réclamèrent dans le Limbourg une indem¬nité territoriale pour la partie du Luxembourg cédée à la Belgique. Le duc de Nassau, instigué par son auguste agnat, avait même un instant manifesté le projet de s'en tenir purement et simplement aux traités de Vienne (Note de bas de page : La décision de la Diète ne fut prise que le 18 août 1836. Tout en se disant prête à adhérer aux bases territoriales des vingt-quatre articles, moyennant une indemnité dans le Limbourg, la haute assemblée avait ajouté à son assentiment une condition onéreuse pour les Belges, qui ne se trouvait pas dans le traité du 15 novembre. Elle voulait que la Belgique fût soumise à l'obligation « de ne point établir de fortifications dans la partie du grand-duché de Luxembourg qui lui serait cédée, et qui, des lors, se séparerait des liens fédératifs de l'Allemagne ; que, nommément, la ville d'Arlon ne fût jamais fortifiée. » Le cabinet de Bruxelles s'empressa de protester vivement contre cette prétention, aussitôt qu'il en eut connaissance. - Voy.le texte de la décision de la Diète dans le rapport présenté aux Chambres par le ministre des Affaires étrangères (M. de Theux) le 1er février 1839 (Bruxelles, Remy, 1839)).
(page 297) M. Dedel, ambassadeur néerlandais à Londres, reçut l'ordre de notifier ce double refus au cabinet britannique. Feignant de croire que les plénipotentiaires des cinq cours n'avaient imposé à la Hollande que la seule condition de faire les démarches nécessaires en Allemagne, M. Dedel pria le chef du Foreign-Office de réunir immédiatement la Conférence, afin de reprendre les négociations interrompues en 1835.
Cette prétention ne pouvait être accueillie. Malgré les instances des diplomates des cours du Nord, le ministre anglais répondit, avec raison, que la Conférence avait subordonné la reprise de ses séances à des conditions qui n'étaient pas remplies. Puisque la Diète et les agnats repoussaient le système du cabinet de La Haye, celui-ci devait se montrer prêt à accepter les arrangements territoriaux du traité du 15 novembre. Or, à ce sujet, la note néerlandaise gardait un silence absolu (Note de bas de page : Quelque temps après, M. Verstolk renouvela sa tentative, sans obtenir plus de succès, malgré les efforts des cours du Nord, qui croyaient à la sincérité de leur allié. La Russie poussa même la condescendance au point d'insinuer qu'il convenait de modifier les bases territoriales des vingt-quatre articles, dans un sens favorable à la Hollande. Aussitôt informé de cet incident imprévu, M. de Theux se fit un devoir de protester de nouveau et de défendre énergiquement le statu quo résultant de la convention du 21 Mai. La démarche de la Russie n'eut pas d'autre suite, parce que lord Palmerston, d'accord avec le cabinet des Tui¬leries, persista dans son refus de réunir la Conférence avant l'accomplissement des conditions fixées en 1835).
La résistance du chef du cabinet de St-James entrait à tous égards dans les vues secrètes de Guillaume 1er. A la tribune des États Généraux, ses ministres en firent le texte d'un véritable réquisitoire contre les tendances qui, jusque-là, s'étaient manifestées dans les relations diplomatiques. « On avait osé révoquer en doute la loyauté du cabinet de La Haye ; on avait poussé l'injustice au point de lui attribuer le projet de prolonger indéfiniment une situation anormale qui fatiguait l'Europe ; on ne se contentait pas même des démarches pressantes que, dans son ardent désir de mettre un terme au différend (page 298) hollando-belge, il avait tentées à Francfort et à la cour de Nassau ! » Tel fut le thème que, pendant trois années, les ministres néerlandais dévelop¬pèrent avec une uniformité désespérante. C'était, sauf quelques détails accessoires, le langage que M. Verstolk de Soelen avait déjà tenu, à son retour de Londres, dans un discours du 24 octobre 1835 (Voy. surtout le rapport de M. de Zuylen de Nyvelt, chargé ad interim du portefeuille des Affaires étrangères, fait à la deuxième Chambre des États Géné¬raux, le 4 avril 1834 (Moniteur belge du 8)).
Mais la ruse était trop grossière pour faire des dupes. Laissant au roi et à ses ministres les chimères qui servaient de base à leur poli¬tique ; voyant chaque jour l'Europe plus calme, la Belgique plus forte et l'alliance anglo-française plus intime, les États Généraux ne cessaient de réclamer le terme de la crise. D'année en année leurs demandes devenaient plus pressantes, leurs plaintes plus énergiques, et enfin, dans leur session ordinaire de 1837, ils s'exprimèrent avec une net¬teté qui rendait tout retard ultérieur impossible. Surchargée d'impôts, inquiète de l'avenir, fatiguée d'attendre sans cesse une solution tou¬jours annoncée comme prochaine, la nation hollandaise se rangea décidément du côté des adversaires des ministres, et tout annonçait que le système de persévérance allait misérablement échouer contre le refus des budgets de la guerre et de la dette publique. Courbant la tête, déçu de toutes ses espérances, le désespoir dans l'âme, Guillaume fut obligé de céder, et la note du 14 mars fut expédiée à Londres.
Quel était ici le rôle de la diplomatie belge ? Fallait-il formuler immédiatement un système bien déterminé ? Était-il préférable d'attendre les événements avant de dire le dernier mot de la politique nationale ?
Répondre à la démarche de la Hollande par une adhésion de même nature, consentir à l'exécution pure et simple des vingt-quatre articles, évacuer le territoire cédé, payer les arrérages de la dette, prendre tous ces engagements sans exiger le concours préalable des Chambres, en un mot, déclarer que le traité de 1831 avait conservé sa force obliga¬toire, c'eût été sacrifier odieusement les intérêts et la dignité du pays. Ce projet impolitique et dangereux ne se présenta pas un instant à la pensée des ministres. Ils étaient unanimement convaincus que, sous le rapport du territoire comme sous le rapport de la dette, la Belgique était en droit de faire entendre des protestations énergiques.
(page 299) La situation était grave ; partout se montraient des obstacles en appa¬rence insurmontables.¬
Dans la question du territoire, ce n'était pas seulement la Hollande et la maison de Nassau, mais encore la Confédération germanique, l'An¬gleterre, la France elle-même, qui allaient probablement combattre les vœux des Belges. Dans le cours des négociations de 1835, nos plénipotentiaires avaient accepté les bases territoriales des vingt-quatre arti¬cles ; et ces négociations avaient été non pas rompues, mais suspendues jusqu'au jour où le roi des Pays-Bas accepterait, de son côté, les limites fixées par le traité du 15 novembre, circonstance qui venait de se réaliser. En supposant même que le cabinet de La Haye, renonçant à des possessions peu lucratives, consentît à nous les abandonner en échange d'une indemnité pécuniaire, nous nous trouvions en présence de l'Allemagne, revendiquant le Luxembourg en vertu des traités de 1815. Dans cette hypothèse, la Belgique devait nécessairement se mon¬trer prête à entrer dans la Confédération germanique, comme proprié¬taire du grand-duché, et alors nous rencontrions la résistance opiniâtre du gouvernement français, dont le chef s'était écrié du haut de son trône : « La Belgique ne fera pas partie de la Confédération germani¬que » (Discours prononcé à l'ouverture des Chambres le 23 juillet 1831). Une seule solution pouvait être agréée par la France ; c'était de laisser la forteresse à l'Allemagne et de conserver le statu quo pour le reste de la province. Mais comment obtenir cette concession de la Diète de Francfort, si fière dans la défense des intérêts fédéraux, si hostile aux principes démocratiques proclamés dans la charte belge ?
La question financière se présentait sous un jour plus favorable ; mais cependant, là aussi, la diplomatie nationale allait rencontrer des difficultés sérieuses. On pouvait espérer la remise des arrérages de la dette, parce que le long et imprudent refus de la Hollande avait néces¬sité des dépenses militaires bien plus considérables ; mais cette con¬cession était loin de suffire pour réparer les erreurs financières com¬mises en 1831. Le cabinet de Bruxelles voulait obtenir la diminution du chiffre même de la dette mise à notre charge ; et là il allait rencon¬trer, à côté de l'indifférence de l'Angleterre, la résistance énergique de l'Autriche, de la Prusse et de la Russie, dont les sympathies pour la cause hollandaise se manifestaient sans scrupule.
(page 300) En attendant que l’attitude des puissances étrangères se fut nettement dessinée, il importait d'imaginer un système qui, tout en nous dispensant de dire le dernier mot de nos prétentions, permît au gou¬vernement de se réserver toutes les chances favorables de l'avenir. Les instructions que M. de Theux transmit aux agents belges à l'étranger, et surtout à M. Van de Weyer, partaient du principe que le statu quo ne pouvait cesser qu'à la suite d'un arrangement de gré à gré entre la Hollande et la Belgique. Par son adhésion pure et simple aux vingt¬-quatre articles, le roi Guillaume voulait replacer le problème diploma¬tique dans l'état où il se trouvait en 1831. Or, depuis cette époque, bien des faits essentiels étaient venus modifier les rapports respectifs de toutes les parties intéressées. En ratifiant le traité du 15 novembre, l'Autriche, la Prusse et la Russie avaient fait des réserves portant sur les articles IX, XII et XIII, c'est-à-dire, sur des stipulations territo¬riales, fluviales et financières d'une importance considérable. La Russie surtout avait formellement exigé que ces articles fissent, dans la suite, l'objet d'une modification de gré à gré entre la Belgique et la Hollande. Trois puissances avaient donc mis elles-mêmes un terme aux fonctions d'arbitres qu'elles s'étaient arrogées, et le seul rôle qu'elles pussent remplir dans une négociation ultérieure était, tout au plus, celui de médiatrices. Sans doute, les réserves avaient été faites avec la pensée secrète d'obtenir des conditions plus avantageuses pour le gouverne¬ment de La Haye ; mais elles n'en restaient pas moins debout, et, par un étrange revirement, le cabinet de Bruxelles pouvait s'en emparer à son tour, pour réclamer une négociation nouvelle ; il pouvait dire aux ministres des cours du Nord : « Vos réserves attestent que des stipulations, d'abord déclarées finales et irrévocables, avaient perdu ce caractère aux yeux de vos maîtres. » Cet argument trouvait une force nouvelle dans la convention du 21 mai 1833, dont l'article V exigeait le maintien du statu quo, jusqu'au jour d'un traité définitif, complet et direct entre la Belgique et la Hollande. Les choses n'étant plus entières, l'évacuation du territoire devait être nécessairement précédée d'un nouveau traité entre Guillaume et ses anciens sujets des provinces méridionales. Le système provisoirement adopté par M. de Theux pouvait se résumer ainsi : « La Belgique a le droit d'exiger la négociation d'un traité direct avec la Hollande ; elle puise ce droit, d'abord dans les réserves des cours du Nord, ensuite dans la (page 301) con¬vention du 21 mai 1833. Jusqu'à ce que les conditions de cet arran¬gement définitif soient acceptées de part et d'autre, le cabinet de Bruxelles maintiendra le statu quo dont l'inviolabilité lui est garantie par l'Angleterre et la France. Si la ratification des vingt-quatre arti¬cles eût été favorablement accueillie en 1831, alors que l'ennemi occupait Anvers et que le pays était sous l'impression d'une déplorable défaite, il n'en saurait plus être de même en 1838. Sept années se sont écoulées ; les provinces de Limbourg et de Luxembourg se sont persuadées que le morcellement est impossible ; toute collision nouvelle est improbable, et la Belgique n'a plus rien à redouter de l'attaque de son voisin du nord. Il faut donc des conditions nouvelles. »
La forme même de cette négociation ultérieure offrait ici une impor¬tance de premier ordre. Les relations entre les cours de Russie et de Hollande étaient plus intimes que jamais ; à Berlin, le baron de Werther disait hautement que la Prusse ne consentirait pas à modifier les vingt-quatre articles dans un sens défavorable à la Hollande ; à Vienne, le prince de Metternich s'exprimait d'une manière tout aussi peu rassu¬rante. Accepter, dans de telles conditions, l'arbitrage de la Conférence de Londres, c'eût été soumettre sa cause à un tribunal où trois voix sur cinq appartenaient à la Hollande. Il fallait donc s'attacher à obtenir une négociation directe entre les deux parties intéressées, et, pour arriver à ce résultat, provoquer des dissidences au sein même de la Conférence. M. de Theux ne manqua pas de signaler ce côté de la question à la sollicitude de nos agents à Paris et à Londres ; et nous verrons que, si cette politique habile n'obtint pas tous les avantages qu'on en attendait, elle nous valut du moins plus d'un incident favo¬rable (Note de bas de page : Rapport déjà cité du ministre des Affaires étrangères (M. de Theux), p. 13 et suiv.).
La diplomatie belge débuta par un succès d'une importance réelle.
Deux jours après la réception de la note hollandaise, lord Palmer¬ston avait convoqué les membres de la Conférence. Il n'eut pas de peine à leur démontrer l'impossibilité absolue de l'acceptation pure et simple des vingt-quatre articles. Les plénipotentiaires des cours du Nord en convinrent eux-mêmes ; mais, voulant immédiatement lier le roi Guillaume en prenant acte de ses offres, ils proposèrent de déclarer (page 302) que la Conférence était prête à signer les Vingt-quatre Articles avec le plénipotentiaire néerlandais, « sous la réserve des articles IX, XI, XII, XIII et XIV, restés en litige dans les négociations de 1833, et avec la garantie d'une indemnité territoriale dans le Limbourg en faveur de la Confédération germanique. » Le plénipotentiaire de Prusse fut même chargé de rédiger une note conçue en ce sens.
M. Van de Weyer, qui s'était empressé de faire connaître ce projet à Bruxelles et qui avait aussitôt reçu l'ordre de le combattre de toutes ses forces, fit comprendre aux représentants de l'Angleterre et de la France combien cet acte décisif, accompli au début des négo¬ciations, allait modifier le statu quo au détriment des Belges. En accueillant la proposition des cours du Nord, la Conférence eût déclaré qu'elle possédait le droit de signer un traité final avec la Hollande, sauf à s'entendre plus tard avec la Belgique ; elle eût posé en prin¬cipe que les débats ultérieurs ne pouvaient porter que sur les cinq articles mis en réserve ; elle eût définitivement tranché le problème de l'incorporation du Limbourg à l'Allemagne ; elle eût enlevé à la Bel¬gique tout espoir d'obtenir des changements aux bases territoriales du traité du 15 novembre ; en un mot, elle nous eût privés de tous les avantages importants que nous pouvions obtenir dans une négo¬ciation directe ou indirecte avec la Hollande.
Les démarches de M. Van de Weyer obtinrent le résultat désiré. Lord Palmerston et le général Sébastiani combattirent le projet de leurs collègues de la Conférence. Des pourparlers s'engagèrent, des discussions assez vives eurent lieu au Foreign-Office, et finale¬ment il fut convenu que le plénipotentiaire anglais répondrait à M. Dedel par un simple accusé de réception, pendant que les repré¬sentants des autres cours demanderaient des instructions nouvelles. Aucune mention n'était faite, ni du traité du 15 novembre, ni des négociations suspendues en 1833. A tous égards, la position de la Belgique restait entière.
(Note de bas de page) La Conférence s'était réunie le 19 mars, et la résolution de répondre par un simple accusé de réception ne fut prise que le 6 avril. Les pourparlers qui remplirent ce long intervalle furent entremêlés d'un incident étrange. Après l'abandon de son premier projet, le baron de Bulow s'était chargé de rédiger l'exposé historique fait par le plénipotentiaire d'Angleterre et destiné à prouver que l'acceptation pure et simple des 24 articles n'était plus possible. A la demande officieuse de M. Van de Weyer, lord Palmerston avait fait annexer à ce récit la relation secrète des négociations de 1833 (Voy. ci-dessus, chap. 19, p. 154), la note des plénipotentiaires belges du 28 septembre de la mémé année (lbid., p. 155), et enfin un discours du 24 octobre 1833, dans lequel M. Verstolk avait complète¬ment dénaturé lé caractère des négociations précédentes. Pour le surplus, ou se serait borné à prendre acte de la note hollandaise et à déclarer qu'on y voyait avec satisfaction le désir qu'éprouvait la Hollande de reprendre avec la Belgique la négociation directe interrompue en 1833. Les plénipotentiaires des cours du Nord avaient donné leur assentiment, le protocole était rédigé, les annexes étaient imprimées, lorsque le comte Pozzo di Borgo accourut au Foreign-Office pour déclarer qu'il était impossible d'infliger cette humiliation au roi des Pays-¬Bas, « dont le ministre avait dit le contraire de ce qui s'était passé au sein de la Conférence de Londres. » Comme les plénipotentiaires de Berlin et de Vienne appuyaient énergiquement cet avis, lord Palmerston fit une concession. On con¬vint qu'aucun Protocole ne serait rédigé, que le ministre britannique répondrait à M. Dedel par un simple accusé de réception, et que les autres plénipotentiaires demanderaient de nouvelles instructions à leurs cours. (Fin de la note)
(page 303) Cet incident amena la suspension des séances de la Conférence depuis la fin de mars jusqu'au commencement d'août. Les cours du Nord voulaient prendre une attitude commune ; un échange actif de courriers eut lieu entre Berlin, St-Pétersbourg, Vienne et La Haye, et ces rapports, à une époque où l'Europe n'était pas encore sillon¬née de chemins de fer, amenèrent des retards considérables.
(Note de bas de page) On s'est beaucoup occupé de la question de savoir si le Roi Guillaume, avant de notifier son adhésion aux vingt-quatre articles, avait pris confidentielle¬ment l'avis des cabinets de Berlin, de St-Pétersbourg et de Vienne. Le fait est certain pour ce qui concerne la Russie ; mais il est loin d'être démontré pour l'Autriche et la Prusse. Plusieurs circonstances nous font supposer que le prince de Metternich et le baron de Werther furent surpris par l'événement. Au mo¬ment où M. Dedel fit la remise de la note du 14 mars, le comte Pozzo di Borgo avait reçu l'ordre d'appuyer toutes les demandes de la Hollande ; mais les pléni¬potentiaires de Berlin et de Vienne s'empressèrent, au contraire, de réclamer des instructions. Dès la première réunion au Foreign-Office, ils manifestèrent l'intention de ne signer le protocole que ad referendum. Du reste, ce point n'offre qu'un intérêt historique très secondaire. - On peut en dire autant des bruits répandus sur les premières instructions données à leurs agents par les gouver¬nements de Berlin et de Vienne. (Fin de la note).
Le gouvernement belge se hâta de profiter de cet intervalle pour sonder le terrain et se procurer au dehors un appui efficace. Comme la note hollandaise n'avait pas été notifiée au cabinet de Bruxelles, les négociations étaient encore purement officieuses. Aucune proposi¬tion n'ayant été faite à la Belgique, elle ne devait pas en formuler de son côté. Nous conservions ainsi l'immense avantage de pouvoir nous dispenser de produire nos prétentions dernières, à une époque où l'on ignorait la tournure que prendraient les débats de la Conférence. (page 304) Le désaccord, que M. Van de Weyer avait adroitement provoqué au sein de cette assemblée, pouvait se reproduire encore, et les Belges, que le statu quo de 1833 maintenait dans la possession de tous leurs avantages, étaient évidemment intéressés à le prolonger jusqu'au jour où toute résistance ultérieure deviendrait impossible.
La conservation du territoire devait être le but et le résultat de la politique nationale. Plusieurs projets destinés à nous procurer cet avantage furent successivement présentés à Paris et à Londres.
Il était manifeste que les embarras financiers avaient seuls triomphé de l'opiniâtreté du roi Guillaume. Le cabinet de La Haye éprouvait avant tout des besoins d'argent, et la possession de quelques districts du Limbourg et du Luxembourg, plus onéreuse que profitable, n'était pas de nature à améliorer ses finances. Pourquoi ne pourrait-on pas modifier les vingt-quatre articles de manière à procurer un avantage réel aux deux parties directement intéressées ? Pourquoi ne ferait-on pas un arrangement qui, laissant la ville de Luxembourg à l'Allemagne et les districts ruraux à la Belgique, indemniserait la Hollande, soit à l'aide d'un capital immédiatement exigible, soit par la constitution d'une rente annuelle ?
Partant de cette base, MM. Lehon et Van de Weyer insinuèrent aux cabinets de Paris et de Londres la pensée de substituer à la ces¬sion du territoire une large compensation pécuniaire au profit de la Hollande (Note de bas de page : La Belgique aurait même consenti à recevoir une garnison fédérale dans Maestricht ; mais cette idée rencontrait à Paris une répulsion insurmontable. Les sommités de l'armée dirent nettement que la France serait forcée de faire un casus belli de la fédéralisation du chef-lieu du Limbourg).
Cette tentative échoua dès son début. Le roi Louis-Philippe, aussi bien que lord Palmerston, répondit que la question du territoire n'était ni belge ni hollandaise, mais européenne. « L'Allemagne, disait-il, fait de la conservation du territoire fédéral une question d'honneur et de dignité. La Belgique ne pourrait conserver les dis¬tricts cédés qu'au prix d'une guerre générale, et la France, pas plus que l'Angleterre, ne vous suivra sur ce terrain. » Ce fut en vain que le comte Lehon, notre représentant à la cour des Tuileries, invoqua le vœu si manifeste des populations belges en faveur du statu quo territorial ; l'intérêt bien entendu de toutes les puissances, (page 305) y compris la Hollande elle-même, pour qui des populations désaffec¬tionnées, hostiles, seraient un grave et perpétuel embarras ; les dangers que présenterait, pour la paix et la stabilité générales, un démem-brement qui blesserait les sympathies nationales les plus pures, les plus légitimes, et qui, en troublant le présent, compromettrait la sécurité de l'avenir. Tous les arguments et toutes les influences furent épuisés en pure perte. A Paris, à Londres, comme à Berlin, à St-Pétersbourg et à Vienne, on répondait invariablement que la question du territoire était jugée depuis 1831 (Rapport déjà cité du ler février 1839, p. 20).
Prévoyant dès lors que cette opposition des grandes puissances pourrait devenir insurmontable, M. de Theux, sans abandonner son premier projet, crut devoir signaler à l'attention de nos agents, comme plan subsidiaire, le système d'une trêve de longue durée, pendant laquelle on aurait modifié le statu quo financier d'une manière plus ou moins sensible au profit de la Hollande. Depuis longtemps cette pensée s'était offerte à l'imagination de nos hommes d'État. En 1836, pendant les débats provoqués par la motion de M. Dumortier, M. No¬thomb avait dit : « Il n'existe qu'un seul et grand intérêt pour le roi - Guillaume, intérêt à côté duquel tous les autres disparaissent : l'intérêt dynastique. Il s'agit de savoir si le roi Guillaume abdiquera ses droits sur la Belgique… C'est devant cette question que le roi Guillaume recule ; c'est pour en ajourner indéfiniment la solution qu'en 1833 il a accepté la convention du 21 mai qui prive la Hol-lande de tous les avantages matériels du traité du 15 novembre.... Ces situations ne sont pas nouvelles, et notre propre histoire en offre un exemple. Lorsque la nationalité hollandaise fut reconnue par l'Espagne en 1648, Philippe II était mort ; son fils même l'avait suivi dans sa tombe après un règne de 25 ans ; il était réservé à son petit-fils Philippe IV de consommer le sacrifice. La Hollande recueillit tous les bénéfices du temps, et elle obtint de Philippe IV des conditions qu'elle aurait vainement demandées à Philippe II. L'avenir entier d'une dynastie est en cause, d'une dynastie dont trois générations se trouvent en présence. Cette dynastie descen¬dra-t-elle du haut rang où l'avaient placée, de l'aveu de l'Europe, les traités de 1815 ?.. Il est permis de croire que le roi Guillaume (page 306) abandonnera la solution de cette question à ses descendants et qu'il voudra mourir dans l'intégrité de ses droits. » (Moniteur du 13 novembre 1836).
C'était cette pensée que M. de Theux reproduisait sous une forme nouvelle et avec des conditions qui pouvaient la faire accueillir par la Hollande ; il aurait même voulu que l'initiative fût partie de La Haye. Fatigués du poids écrasant des contributions de guerre, las de payer les intérêts de la dette mise à la charge des Belges, les États Généraux avaient forcé le roi de souscrire aux vingt-quatre articles. Or, dans le sys¬tème proposé par M. de Theux, on disait au vieux monarque : « Laissez-nous provisoirement quelques cantons improductifs pour vous, et nous nous chargerons provisoirement du service d'une partie de la dette. » Ce projet subsidiaire ne manquait ni de pru-dence ni d'habileté. Il n'est pas nécessaire de prouver que le béné-fice résultant de la possession du territoire devait inévitablement tourner à l'avantage des Belges, tandis que l'augmentation plus ou moins considérable du budget de la dette eût été amplement compen¬sée par la réduction de l'armée au pied de paix. Le traité de Munster, par lequel l'Espagne abandonna ses prétentions sur la Hollande, avait été précédé d'une trêve de douze années, conclue entre Philippe IV et les Provinces-Unies, sous la médiation de l'Angleterre et de la France (Note de bas de page : La presse s'empara plus tard de cette pensée et en fît le sujet de ses con¬troverses (Voy. l'Observateur du 18, du 22 et du 26 juillet 1838)).
Malheureusement, on ne tarda pas à acquérir la conviction que cette nouvelle tentative recevrait le même accueil que la précédente. Les conflits survenus dans le Luxembourg avaient frappé le statu quo d'un discrédit universel (Note de bas de page : L'incident du Grünenwalt avait surtout produit ce résultat (Voy. ci-dessus, p. 280 en note)). Les gouvernements allemands et surtout le cabinet de Berlin, effrayés de la fermentation qui régnait parmi les catholiques des provinces rhénanes, demandaient qu'on mît immé-diatement un terme à la situation provisoire. A Paris et à Londres, l'idée d'une trêve rencontrait, moins d'obstacles ; mais cependant, là aussi, on donnait la préférence à un arrangement final. Pendant que l'état de l'Orient devenait chaque jour plus orageux et plus précaire, on voulait débarrasser l'Occident d'un conflit qui, depuis huit années, (page 307) tenait en quelque sorte les puissances du premier ordre en présence d'une menace permanente de guerre. Guillaume lui-même, que des indiscrétions avaient mis au courant, fit céder son orgueil dynastique à la joie d'enlever cet avantage à ceux qu'il nommait toujours les rebelles des provinces méridionales. Contrairement à ce qu'on avait d'abord cru à Bruxelles et à Londres, le monarque néerlandais, une fois entré dans la voie pacifique, montrait une véritable impatience d'en finir avec les Belges. Même au Palais de La Haye, le Système de persévérance avait fait son temps,
Ces négociations, auxquelles MM, Van de Weyer et Lehon s'associaient avec une habileté remarquable, avaient pour complément une correspondance et des démarches non moins actives à l'égard de la question financière.
On a dit à la tribune, on a écrit dans les journaux que, dès le mois de mars, lord Palmerston, d'accord avec le cabinet des Tuileries, avait offert de réduire la dette à une rente de quatre millions de florins, à la seule condition que la Belgique débutât par l'acceptation pure et simple des bases territoriales des Vingt-quatre Articles. C'est une erreur grossière, une accusation déloyale imaginée par les ennemis des minis¬tres. Lord Palmerston, abandonnant cette fois le système qu'il avait défendu en 1835, accueillait nos protestations contre le paiement des arrérages échus depuis 1830 ; mais, quant au chiffre même de la rente mise à notre charge, il s'exprimait d'une tout autre manière. « Vous voudriez, disait-il, diminuer votre dette et augmenter votre territoire ; ce sont deux bonnes choses, sans doute ; mais il n'est pas en notre pouvoir de vous les accorder. Il ne sera plus question de paiement des arrérages ; mais vous resterez grevés du paiement annuel de la somme de 8,400,000 florins. Il ne nous est pas plus permis de revenir sur ces stipulations financières que sur la question des limites. L'un et l'autre point sont irrévocablement jugés » (Note de bas de page : Lord Palmerston tenait encore ce langage au mois de juin. On en verra plus loin la preuve).
Le chef du cabinet britannique alla plus loin ; il confirma ce langage par une circulaire officielle.
A la suite de l'incident de Strassen et des adresses des Chambres belges qui en furent la suite, tous les représentants des puissances (page 307) allemandes étaient accourus au Foreign-Office, pour se plaindre amè¬rement de cette soi-disant atteinte aux droits et à la dignité de la Confé¬dération germanique. Leurs protestations y reçurent l'accueil le plus favorable. Lord Palmerston déclara nettement que les folles tentatives des Belges ne prévaudraient pas contre la persévérance et la loyauté du cabinet britannique ; puis, pour dissiper toutes les inquiétudes et tous les doutes, il adressa aux ministres anglais à Berlin, à St-Péters¬bourg et à Vienne, une circulaire renfermant l'assurance que le cabinet de St-James, dans le règlement de la question territoriale, ne s'écar¬terait en rien des limites tracées par les Vingt-quatre Articles. Une deuxième dépêche, expédiée le même jour, s'exprimait d'une manière moins décisive à l'égard de la question financière ; mais cependant, sous ce rapport encore, lord Palmerston se prononçait pour le main¬tien du traité du 15 novembre, sauf toutefois la libération des arré¬rages.
Sir Hamilton Seymour, ambassadeur britannique à Bruxelles, vint donner lecture de ces dépêches à M. de Theux (Note de bas de page : Lord Granville, ambassadeur d'Angleterre à Paris, avait vainement pressé le comte Molé de s'associer à cette démarche).
On a fait une foule de conjectures sur le mobile secret qui, dès le début des négociations, fit prendre à lord Palmerston cette attitude hautaine et décidée, à l'égard d'un peuple que, jusque-là, il avait con¬stamment protégé de son influence dans les régions les plus élevées de la diplomatie européenne. On a voulu connaître les causes de cette démarche inopinée, faite avant la reconstitution de la Conférence et alors que la Belgique n'avait pas encore été officiellement invitée à s'expliquer sur les deux points capitaux qui faisaient l'objet des cir¬culaires anglaises. On a dit que le chef du Foreign-Office voulait prendre sa revanche de l'attitude du cabinet des Tuileries dans les affaires d'Es¬pagne, où celui-ci avait refusé de suivre la politique aventureuse de l'Angleterre. On a ajouté qu'il redoutait, d'une part, la haine des nom¬breux créanciers de la Hollande que renfermait la cité de Londres, de l'autre, les reproches et les attaques des torys, qui n'auraient pas manqué de lui faire un crime de l'abandon d'un arrangement terri¬torial réglé depuis sept années. Il nous semble plus probable que, mal¬gré sa haute intelligence, lord Palmerston obéissait à cet instinct secret (page 309) qui, même au sein de l'alliance la plus intime, inspire à tout Anglais la pensée de combattre en toute circonstance l'accroissement de l'in¬fluence morale de la France. Il n'ignorait pas que c'eût été surtout au roi Louis-Philippe que les Belges auraient attribué le succès de leurs démarches. Peut-être aussi craignait-il de mécontenter trop vivement les puissances du Nord, à une époque où la question d'Orient pou¬vait amener des dissidences graves entre les cabinets de Paris et de Londres.
Quoi qu'il en soit, cet incident augmenta de beaucoup la gravité de la situation ; les embarras de nos ministres étaient d'autant plus grands que, sans manquer aux lois de la prudence la plus vulgaire, ils ne pouvaient faire table rase de tous les engagements contractés depuis 1830.
Adoptant le système mis en avant par M. Dumortier, un grand nom¬bre d'hommes politiques prétendaient que, faute d'avoir été immédiatement exécuté, le traité du 15 novembre était frappé de nullité radicale. En se plaçant au point de vue des motifs qui déterminèrent le vote des Chambres en 1831, la thèse était irréfutable ; on avait évidemment accepté les Vingt-quatre Articles parce qu'on y voyait le moyen de clore la période révolutionnaire. Mais le problème devenait bien plus épineux quand on se rappelait les événements postérieurs. Plus d'une fois la Belgique avait proclamé que le traité du 15 novembre était la charte diplomatique de ses rapports avec l'Europe ; en 1832, elle avait invoqué ce traité pour requérir l'intervention armée de la France et de l'Angle¬terre ; en 1833, une négociation avait été engagée avec la Hollande, sous la médiation de la Conférence de Londres, et dans ces rapports, indirects mais officiels, les vingt-quatre articles avaient encore une fois servi de point de départ et de base. D'ailleurs, la controverse était loin d'offrir l'importance qu'on lui attribuait à cette époque. Que le traité eût ou non conservé sa force légale, la position de la Belgique restait absolument la même. Il suffisait que l'Europe, représentée par la Conférence de Londres, voulût nous imposer, en 1838, les conditions qu"elle nous avait déjà dictées en 1831. En rejetant le traité particu¬lier de 1831, nous nous trouvions en présence du traité général de 1815, et le problème diplomatique n'était ni moins compliqué ni moins redoutable. Le rejet impérieux du passé aurait eu pour seule consé¬quence de fournir un nouveau grief à nos adversaires. Les deux (page 310) cabi¬nets qui se montraient disposés à accueillir une partie de nos récla¬mations nous disaient avec raison : « Prenez garde ! Si vous déchirez le traité du 15 novembre, le royaume des Pays-Bas existe de droit, et vous vous replacez en présence des Huit Articles de 1814 et du traité de Vienne de 1815 ; vous cessez d'être les sujets légitimes de Léopold, pour redevenir les sujets rebelles de Guillaume Ier ; vous vous trouvez encore une fois en face de l'Europe, imposant son arbitrage en vertu d'un traité garanti par toutes les puissances ; vous rentrez dans la voie révolutionnaire, à une époque où la révolution est vaincue depuis les Pyrénées jusqu'à la Vistule » (Rapport de M. de Theux, p. 21).
Le gouvernement belge était trop éclairé pour se lancer dans cette voie semée de piéges et de précipices. En attendant que la Conférence reprît ses travaux, il persévéra dans son système de négociations officieuses. Gardant momentanément le silence sur la valeur légale du traité du 15 novembre, il se contenta de faire valoir, avec autant de persévérance que d'adresse, les titres du pays à la conservation du territoire et à la réduction de la dette.
Abandonné par l'Angleterre dans la question territoriale, M. de Theux tâcha de regagner à Paris le terrain qu'il venait de perdre à Londres. Cette tentative nouvelle offrait une importance réelle. L'attitude de la France pouvait, en toute hypothèse, exercer une influence décisive sur les résolutions des puissances allemandes.
M. Lehon reçut l'ordre d'exposer au comte Molé toutes les raisons qui, même au point de vue de la politique générale, devaient faire accueillir les réclamations des Belges. La Prusse n'avait rien à gagner à l'irritation profonde et durable que le démembrement du Limbourg allait jeter dans les districts riverains de ses provinces rhénanes. La Hollande, avec son trésor obéré et ses finances compromises, avait un intérêt immense à recevoir une indemnité pécuniaire, en échange de quelques milliers de catholiques limbourgeois, prêts à conclure une ligue offensive et défensive avec leurs coreligionnaires du Brabant sep¬tentrIonal. L'Europe entière se préparait une source de complications et d'embarras futurs, en consommant une iniquité qui devait laisser des haines implacables dans l'âme des victimes. La France surtout allait ternir son prestige et annuler son influence morale, en laissant (page 311) s'accomplir, le long de ses frontières et pour ainsi dire sous les yeux de ses soldats, l'un des actes les plus odieux de la diplomatie du dix¬-neuvième siècle. Si le cabinet des Tuileries ne voulait pas que le roi des Belges devînt membre de la Confédération germanique, il y avait un moyen facile d'écarter cet obstacle. Le statu quo pouvait être con¬servé pour la forteresse de Luxembourg, et rien ne s'opposait à ce que le même régime fût appliqué à Maestricht. La Belgique était prête à garantir les libres communications de ces villes avec la Hollande et avec l'Allemagne ; Guillaume conservait le titre de grand-duc de Luxem¬bourg ; l'administration civile des deux places restait à la Hollande ; l'intérêt allemand était hors de cause ; les Belges ne se séparaient pas de ceux qui les avaient aidés à conquérir leur indépendance, et, comme couronnement de l'œuvre, toute cause d'irritation, toute semence de guerre nouvelle disparaissait de l'Europe centrale. La Belgique, heu¬reuse et prospère, aurait chaque jour mieux compris le rôle de neu¬tralité bienveillante que lui assignait l'équilibre européen (Note de bas de page : M. Lehon fut même autorisé à dire que la Belgique ferait raser les fortifica¬tions de Venloo. - Il est vrai que les concessions que nous venons d'énumérer ne furent pas faites dès le début. On avait d'abord, mais vainement, tenté de faire consentir la France à ce que la Belgique, substituée aux droits de la Hol¬lande, entrât, du chef du Luxembourg, dans la Confédération germanique).
Il eût été difficile de présenter la question sous un jour plus favo¬rable ; mais l'attente du gouvernement belge n'en fut pas moins déçue. Les raisonnements que nous venons de résumer ne nous procurèrent d'autre avantage que celui de connaître les mobiles secrets de la poli¬tique française.
On apprit que la France n'aurait jamais consenti à faire de Maestricht une forteresse fédérale, mais que, sans l'opposition opiniâtre de l'An¬gleterre, elle aurait appuyé de toutes ses forces le projet qui tendait à nous conserver les cantons ruraux du Limbourg et du Luxembourg, en échange d'une indemnité pécuniaire. Le comte Molé avoua franche¬ment que l'union de la Grande-Bretagne et de la France eût été assez forte pour faire reculer les puissances du Nord et nous procurer des conditions moins injustes et moins humiliantes ; mais il ne croyait pas que, depuis la défection du cabinet britannique, le gouvernement fran¬çais pût, sans manquer à tous ses devoirs, prendre seul une attitude menaçante vis-à-vis de l'Europe. « Au lieu de nous qualifier de (page 312) protec¬teurs désintéressés du faible, on verrait en nous, disait-il, « des voisins ambitieux qui, sous prétexte de mieux constituer la monar¬chie belge, travailleraient à faire ajourner sa reconnaissance définitive, afin de se ménager le moyen de s'emparer de son territoire à la première occasion favorable. Nous rencontrerions ces préjugés ; non-seulement à Berlin, à Vienne, à St-Pétersbourg, mais aussi à Londres. La France, séparée de l'Angleterre, provoquerait partout des soupçons et des craintes. Le roi Louis-Philippe a placé sa signa¬ture au bas des Vingt-quatre Articles. Il s'empressera d'accueillir toutes les modifications qui seront concertées entre les cinq cours, Mais à quel titre et de quel droit protesterait-il, seul en Europe, contre une fixation de limites qu'il a solennellement approuvée en 1831 ? » Il ajoutait que la France, exigeant seule le changement des limites fixées par le traité du 15 novembre, malgré l'opposition vive et compacte des quatre cours, devrait se préparer à subir toutes les conséquences de ce système ; en d'autres termes, qu'elle aurait à se résoudre éventuellement à la guerre, qui pourrait fort bien résulter de l'anéantissement de l'alliance anglo-française. Or, il ne voulait ni ne pouvait, disait-il, exposer son pays à cette épreuve redoutable. Le roi Louis-Philippe s'exprimait absolument de la même manière, Quatre puissances sur cinq étant d'accord pour exiger le maintien des arran¬gements territoriaux de 1831, la Belgique devait, selon lui, renoncer à des prétentions incompatibles avec le maintien de la paix de l'Europe. ¬La France, réduite à l'isolement, ne pouvait tirer l'épée et se jeter dans les hasards d’une propagande armée, sans autre perspective que l'avantage, peu considérable pour elle, de conserver à la Belgique quelques cantons revendiqués par la Hollande et par l'Allemagne. Puisque la forteresse de Luxembourg devait, en toute hypothèse, rester à la disposition de la Diète de Francfort, le problème diplomatique n'offrait pas pour la France une importance de premier ordre.
Tel était le langage qu'on tenait non seulement aux Tuileries, mais encore dans tous les salons parlementaires de la capitale. M. Thiers, M. Guizot, le duc de Broglie, toutes les sommités de l'opposition gou¬vernementale, confidentiellement consultées par M. Lehon, partageaient à cet égard les opinions du comte Molé. L'extrême gauche, réduite au rôle de minorité impuissante, se montrait seule disposée à recourir à la guerre générale, parce qu'elle y voyait le moyen de reprendre sa propagande révolutionnaire.
(page 313) Les efforts de la diplomatie nationale obtinrent plus de succès dans le règlement de la question financière. Malgré l'avis des ministres anglais, le cabinet des Tuileries voulait que les erreurs matérielles, aussi évidentes que grossières, commises au détriment des Belges, fussent réparées par la Conférence. .
Il y avait là une dernière planche de salut. Puisque l'Angleterre et la France acceptaient les arrangements territoriaux de 1831, le Lim¬bourg et le Luxembourg ne pouvaient être sauvés - s'ils pouvaient l'être - qu'au moyen d'une transaction sur le chiffre de la dette.
Un examen loyal et complet de la liquidation de 1831 devait avoir pour résultat d'accroître de cinq à six millions de florins de rentes le budget de la dette hollandaise. Cette augmentation, jointe aux dépenses énormes que le Système de persévérance avait rendues né¬cessaires, allait porter un coup sensible aux finances néerlandaises, et, dans cette hypothèse, le rachat des cantons cédés, soit à l'aide d'un capital fixe, soit à l'aide d'une rente, n'était pas dénué de toute chance de succès. La Hollande, gardant ses anciennes limites, pou¬vait sans déshonneur accepter une indemnité pécuniaire, en échange des communes que lui attribuaient les Vingt-quatre Articles. Il était permis d'espérer que les Hollandais, peuple calculateur et peu cheva¬leresque, placés entre les millions offerts par les Belges et le stérile honneur de conserver à leur roi le titre de grand-duc, se pronon¬ceraient en faveur des millions. Qu'importait aux États Généraux la remise à la Hollande de quelques districts qui, dès le lendemain, pouvaient être érigés en duché germanique et soumis à une admi-nistration distincte ? Forcé de céder encore une fois aux exigences de son peuple, Guillaume se serait alors adressé aux monarques du Nord ; et qui sait si ces derniers, guidés par le désir de venir en aide à leur allié, ne se seraient pas relâchés de la rigueur de leurs pré¬tentions primitives ? Tel était du moins le résultat que la Belgique était en droit d'attendre de l'examen préalable de la question finan¬cière.
Dirigeant aussitôt ses efforts de ce côté, M. de Theux pria M. Van de Weyer d'insister à Londres, plus vivement que jamais, sur la nécessité d'une révision de la dette.
Notre plénipotentiaire s'acquitta de cette mission avec son activité habituelle. Après avoir passé en revue tous les actes de la (page 314) Confé¬rence, il fit surtout valoir la déclaration des cinq plénipotentiaires consignée dans le protocole du 6 octobre 1831. A la suite de la fixation des bases du partage de la dette, la Conférence avait dit que, si les tableaux fournis par les agents hollandais renfermaient des erreurs essentielles, la Belgique aurait plus tard la faculté de discuter ce point contradictoirement avec sa rivale. C'était ce droit que le cabinet de Bruxelles demandait à exercer aujourd'hui. Les tableaux envoyés par les Hollandais étaient tellement vicieux que des dettes exclusive¬ment hollandaises y figuraient sous le titre d'emprunts contractés pendant la durée de la communauté (Voy. t. l, p. 184 et suiv).
Le chef du Foreign-Office se montra d'abord inflexible ; mais bientôt, cédant aux instances de la France, et plus encore à la haute influence du roi Léopold, il fit une première concession. Il promit d'appuyer la demande en révision autorisée par le protocole du 6 octobre 1831 (n° 48), mais seulement en ce sens que la Belgique pourrait se pré¬valoir des inexactitudes qui s'étaient glissées dans les tableaux fournis par les négociateurs néerlandais. Lord Palmerston fit cette déclara¬tion dans la deuxième semaine de Juin.
Ce résultat, obtenu au moment où les ministres des cours du Nord n'avaient pas encore reçu leurs instructions définitives, n'était pas dépourvu d'importance ; mais les prétentions et les griefs du cabinet de Bruxelles étaient bien plus considérables. Non seulement la Con¬férence avait basé ses calculs sur des tableaux dressés d'une manière inexacte, mais elle avait attribué à la Belgique la dette austro-belge et une soi-disant dette française, dont la première n'avait jamais pesé sur nos provinces, et dont la seconde n'existait plus que dans l'imagination des diplomates du Nord. Elle nous avait de plus imposé une rente de 600,000 florins, en échange de quelques avantages com¬merciaux dont l'établissement du chemin de fer avait de beaucoup réduit l'importance. La dette française et les avantages commerciaux figuraient seuls pour 2,600,000 florins (5,502,600 fr.) dans le tribut annuel qu'on nous avait assigné à Londres. Il était évident que la révision, pour être équitable et complète, devait s'étendre à tous ces points essentiels (Voy. t. l, p. 187 et 189).
(page 315) Dans l'annexe A de son protocole du 26 juin 1831 (n°26), la Con¬férence avait elle-même indiqué la base de ses calculs, en disant que « le partage des dettes devait avoir lieu de manière à faire retomber sur chacun des deux pays la totalité des dettes qui, avant la réunion, pesaient sur les divers territoires dont ils se composent, et à diviser dans une juste proportion celles qui avaient été contractées en commun » (Papers relative to the affairs of Belgium, A, p. 65).
C'était évidemment d'après cette base que la Conférence avait procédé dans la rédaction des vingt-quatre articles, et dès lors la Belgique pouvait, en toute justice, se prévaloir des erreurs manifestes commises par les plénipotentiaires des cinq cours. Mais c'était en vain que M. Van de Weyer faisait valoir toutes les considérations qui devaient faire accueillir ce système. Lord Palmer¬ston répondait invariablement : « La Conférence, dans son protocole du 6 octobre 1831, s'est imposée, à elle, l'obligation de réparer les erreurs où elle pourrait avoir été entraînée par les tableaux qui lui ont été fournis. Pour tout ce qui sort de cet acte et de ses annexes, la Belgique est liée par le traité du 15 novembre 1831. » Comme la dette austro-belge, la dette française et le prix des avan¬tages commerciaux ne figuraient pas dans les tableaux des dettes communes dressés par les plénipotentiaires néerlandais, il prétendait que ces trois points n'étaient pas susceptibles de révision.
Mais si la question de la dette restait à peu près stationnaire à Lon¬dres, la légitimité des plaintes de la Belgique devenait chaque jour plus évidente aux yeux de tous les hommes désintéressés. M. Du¬mortier venait de publier son remarquable travail sur les opérations financières de la Conférence, et ses arguments, basés sur des chiffres irrécusables, avaient obtenu un retentissement européen. Une com¬mission, instituée le 29 juin 1838 et présidée par le ministre des Finances, avait rédigé un mémoire lucide et complet sur tous les détails de ce vaste problème, et, de même que M. Dumortier, elle était arrivée à la conclusion que les intérêts belges avaient été odieu¬sement méconnus à Londres. Elle avait prouvé, d'une manière irré-fragable, que la part des Belges, dans les dettes existant au moment de la dissolution du royaume des Pays-Bas, formait une rente de 2,215,000 fl., au lieu de 8,400,000 fl. admis par la Conférence (Note de bas de page : La commission était composée de la manière suivante : MM. le baron d'Huart, président ; J. Fallon, vice-président ; Ch. de Brouckere, B. Dumortier et A. Dujardin, membres).
(page 315) De tels travaux devaient nécessairement exercer une influence salu¬taire. Lord Palmerston fut lui-même ébranlé, et c'est peut-être alors qu'il conçut le projet d'offrir un chiffre transactionnel, idée qu'il fit plus tard accueillir par ses collègues.
Sur ces entrefaites, on était arrivé au milieu de juillet. Les pléni¬potentiaires des cours du Nord venaient de recevoir leurs instruc¬tions, et, quelques jours plus tard, la Conférence reprit sa mission européenne. Lord Palmerston et le général Sébastiani représentaient l'Angleterre et la France ; le comte Pozzo di Borgo, le baron de Bulow et le baron de Senfft-Pilsach étaient porteurs des pleins pouvoirs de la Russie, de la Prusse et de l'Autriche.
La Belgique restait toujours en dehors des négociations officielles. Aucune invitation de se faire représenter auprès de la Conférence n'était parvenue à Bruxelles ; la note hollandaise du 14 mars n'avait pas même été notifiée à M. Van de Weyer. Notre gouvernement n'en agissait pas moins avec une activité incessante. A Paris et à Londres, nos représentants étaient journellement en rapport avec les hommes dont les avis pouvaient influer sur la direction des affaires diplo¬matiques.
Les membres de la Conférence débutèrent eux-mêmes par des entretiens officieux ou, pour mieux dire, préliminaires.
On a vu que, dans les négociations de 1833, plusieurs dispositions des vingt-quatre articles, et entre autres les bases territoriales, avaient été acceptées par les délégués de la Belgique. Il était donc à craindre que les plénipotentiaires des cinq cours, reprenant les choses dans l'état où elles se trouvaient le 28 septembre 1833, ne posassent en principe que la Conférence, envisageant la question du territoire comme déjà réglée, devait uniquement s'occuper du petit nombre de points laissés en litige au moment de sa séparation. Le démembre¬ment des deux provinces était alors résolu au profit de la Hollande, et, même pour les stipulations financières, la Belgique ne pouvait espérer que des concessions sans importance (Note de bas de page : En 1833, le chiffre de la rente de 8,400,000 fl. n'avait pas été sérieusement contesté).
Dès le mois de juin, M. de Theux avait entrevu ce danger et pris (page 317) ses mesures en conséquence. Toujours convaincu que le Limbourg et le Luxembourg ne pouvaient être sauvés qu'à l'aide d'une transaction sur le chiffre de la dette, il fit comprendre à nos agents combien la Belgique était intéressée à ce que la Conférence débutât par l'examen des questions financières et fluviales. Celles-ci étant résolues en votre faveur, nous pouvions produire avec avantage une proposition de rachat des droits éventuels de la Hollande ; tandis que, le problème territorial une fois tranché à notre détriment, toute démarche ulté¬rieure devait échouer contre la lassitude et l'impatience des grandes puissances. Il était même permis d'espérer que la question financière aurait amené des dissidences parmi les plénipotentiaires, et par suite le maintien du statu quo, ou du moins une négociation directe avec la Hollande.
Les efforts de la diplomatie nationale, aussitôt dirigés de ce côté, obtinrent un plein succès. A Paris, le comte Molé promit de faire placer la question financière en première ligne. A Londres, lord Pal¬merston, après avoir d'abord présenté des objections assez vives, finit, grâce aux instances de M. Van de Weyer, par prendre un enga¬gement analogue (Note de bas de page : L'engagement pris par lord Palmerston était cependant moins explicite et moins formel que la promesse faite par le comte Molé. Son langage prouvait qu'il n'entendait pas engager l'avenir d'une manière irrévocable).
Les prévisions de M. de Theux ne tardèrent pas à se réaliser. Quel¬ques jours après la réception des ordres de leurs cours, MM, de Senfft, de Bulow et Pozzo di Borgo prièrent lord Palmerston de nous proposer officieusement la signature d'un traité avec la Hollande. Ce traité aurait compris les, vingt-quatre articles de 1831, plus quelques articles addi¬tionnels concernant la navigation de l'Escaut, les arrérages de la dette et la liquidation du syndicat. On aurait renvoyé ces points à l'examen d'une commission composée de Hollandais et de Belges en nombre égal ; cette commission se serait prononcée dans un terme de trois mois, et, faute d'entente, le litige eût été soumis au jugement arbitral de la Conférence (Note de bas de page : Le baron de Bulow avait rédigé deux projets conçus en ce sens).
Fidèle à ses instructions, M. Van de Weyer repoussa ce projet comme entièrement inadmissible. Il fit remarquer que son adoption aurait eu pour unique résultat de modifier le statu quo au détriment de la Belgique (page 318) et à l'avantage de la Hollande. La question du territoire et le chiffre de la rente de 8,400,000 florins, c'est-à-dire les deux points capitaux, eussent été décidés contre nous, tandis que le non-paiement des arré¬rages et la liquidation du Syndicat seraient restés en litige, pour être plus tard définitivement réglés par un tribunal européen, où trois membres sur cinq se montraient les défenseurs infatigables du roi Guillaume. M. Van de Weyer déclara que la Belgique était prête à ouvrir une négociation directe avec la Hollande, pour arriver à la conclusion d'un traité complet et définitif mais il ajouta qu'elle ne consentirait jamais à nommer des commissaires pour régler quelques points acces¬soires, après que toutes les questions essentielles auraient été préalablement résolues à son préjudice. Il eut le bonheur de faire partager sa conviction par les ministres d'Angleterre et de France. L'un et l'autre rejetèrent le projet des diplomates du Nord. Ils répondirent que la Conférence avait épuisé son droit d'arbitrage depuis 183, et que son rôle se bornait désormais à rapprocher les deux parties, à l'aide de propositions qui pussent être agréées par l'une et par l'autre. Ils ajoutèrent que la nomination de commissaires n'avait jamais lieu que pour procéder aux mesures d'exécution d'un traité parfait, tandis que, dans le projet approuvé à Berlin, à St-Pétersbourg et à Vienne, les commissaires auraient dû poser des principes et décider des ques-tions politiques et financières.
La question de la dette acquérant ainsi chaque jour une importance nouvelle, le cabinet de Bruxelles envoya à Londres MM. Dujardin et Fallon, l'un et l'autre membres de la commission instituée le 29 Juin. Ils remirent aux plénipotentiaires d'Angleterre et de France une copie du mémoire à la rédaction duquel ils avaient concouru, et ce document fut aussitôt communiqué aux autres membres de la Con¬férence.
Prenant cette fois ouvertement le rôle de défenseurs officieux des intérêts de la Hollande, MM. de Senfft et de Bulow adressèrent à leurs collègues une soi-disant réfutation du mémoire belge ; mais, sentant eux-mêmes la faiblesse de leur réponse, ils firent un premier pas en arrière et proposèrent de libérer la Belgique des arrérages de la dette, moyennant une indemnité de 9,800,000 fl. , accordée à sa rivale. Quant à la rente de 8,400,000 fl., la Belgique en serait restée grevée, sauf à décompter de ce chiffre une somme proportionnée à l'importance de (page 319) la part qui lui reviendrait dans l'actif du Syndicat d'amortissement (Note de bas de page : Encore cette liquidation eût-elle dû se faire sur des bases entièrement favo¬rables à la Hollande (Voy. le texte complet des propositions de MM. Senfft et de Bulow, de même que la réponse des commissaires belges, à la suite du rapport de M. de Theux, p. 123 et 127).
On devine sans peine l'accueil que ces propositions reçurent à Brux¬elles. La remise partielle des arrérages de la dette était loin de suffire pour nous indemniser des dépenses occasionnées par le refus prolongé de la Hollande. Suivant un compte en règle envoyé à Paris et à Lon¬dres, les pertes provenant de ce chef dépassaient les arrérages de plus de quarante-trois millions de francs ; et cette somme devenait bien plus considérable encore, quand on y ajoutait les dégâts causés par le bom¬bardement d'Anvers, l'inondation des polders et l'attaque déloyale de 1831. Nos ministres persistèrent à réclamer la libération intégrale des arrérages, la moitié de l'actif du Syndicat, et surtout un nouvel examen de la liquidation de 1831.
A la fin du mois d'août, la question financière offrait donc l'aspect suivant : un seul plénipotentiaire admettait la libération des arrérages et la révision complète des opérations de 1831 ; un second admettait la libération des arrérages et la révision dans le sens du protocole du 6 octobre 1831 ; trois autres réduisaient les arrérages à 9,800,000 fl. et maintenaient en principe la rente de 8,400,000 fl. établie par les vingt-quatre articles. Cet état de choses était loin de répondre aux vœux des Belges ; mais du moins, quand on se rappelle les tendances que lord Palmerston manifestait au début, la question de la dette avait fait des progrès.
Il n'en était pas de même de la question territoriale. La résistance du cabinet anglais avait paralysé la bonne volonté de la France. Le projet d'une trêve de longue durée avait été lui-même rejeté comme entièrement impraticable.
On était ainsi arrivé au mois de septembre, lorsque le vicomte Pal¬merston, d'accord avec le général Sébastiani, pria les commissaires belges de proposer un chiffre transactionnel embrassant à la fois la dette et le Syndicat d'amortissement ; c'était, à ses yeux, le seul moyen de rapprocher les membres de la Conférence et d'être utile à la Belgique. MM. Fallon et Dujardin qui, pas plus que M. Van de Weyer, n'étaient autorisés à s'écarter des chiffres du mémoire de la commission des finances, s'engagèrent à porter la proposition à Bruxelles.
(page 320) Le conseil des ministres crut devoir repousser cette demande nouvelle. Comment, en effet, eût-on pu proposer un chiffre transactionnel à Bruxelles, alors que le cabinet de La Haye détenait et dérobait à la publicité la plupart des documents indispensables pour fixer l'impor¬tance de l'actif du Syndicat ? Toutefois, pour répondre aux vues conci¬liantes du ministre anglais, M. de Theux proposa de nommer des commissaires qui, avant la conclusion du traité définitif, auraient procédé à la liquidation, de la dette et du Syndicat. Leur travail eût été ensuite communiqué à la Conférence, et celle-ci l'aurait pris pour base de ses propositions officieuses aux deux peuples. Le 12 octobre, nos commissaires, revenus à Londres, remirent à lord Palmerston un memorandum rédigé en ce sens, et le ministre anglais s'empressa de le communiquer aux plénipotentiaires des autres cours.
L'attitude du gouvernement belge fut sévèrement blâmée par quel¬ques membres de la Conférence. Pendant que le comte Pozzo di Borgo proférait des menaces, dans un langage qui ne conservait pas tou¬jours l'urbanité diplomatique, les envoyés d'Autriche et de Prusse adressèrent à lord Palmerston une note énergique et pressante : « Si le gouvernement belge, » disaient-ils, restait sourd à la voix de la raison ; s'il méconnaissait plus longtemps ses obligations et cher¬chait à prolonger un état provisoire, il serait bien temps aussi que les cabinets de Londres et de Paris lui déclarassent qu'ils ne comptent plus protéger un statu quo que la Belgique maintiendrait contre l'esprit et la lettre de la convention du 21 mai 1833 » (Note de bas de page : Note du 15 octobre. Rapport de M. de Theux, p. 31). Mais ce langage menaçant ne produisit d'autre résultat que de faire ressortir de plus en plus l'impatience et les inquiétudes des ministres des cours du Nord. On savait à Bruxelles que, tout en blâmant ce qu'ils appelaient le revirement de lord Palmerston, ils avaient fini par se rallier à l'idée d'un chiffre transactionnel. On en concluait qu'une résistance éner¬gique mais calme, inspirant chaque jour des craintes nouvelles, pouvait nous valoir incessamment des conditions plus favorables. Sous peine de ternir l'honneur national, la Belgique devait persister dans ses pré¬tentions légitimes, au moins jusqu'au jour où l'Angleterre et la France, ayant dit le dernier mot de leur politique, laisseraient le champ libre aux soldats de l'absolutisme (Note de bas de page : Le ministère devait persévérer dans cette voie avec d'autant plus d’assurance que la cause belge rencontrait partout des sympathies chaleureuses. Nous nous bornerons à citer un seul exemple. M. de Bonald, dont les opinions libérales n'étaient pas suspectes, écrivit spontanément à M. de Senfft pour lui recomman¬der les intérêts des populations catholiques du Limbourg et du Luxembourg. La minute d'une de ses lettres, que le hasard a fait tomber entre nos mains, ren-ferme le passage suivant : « Les souverains chancelant sur leur trône, où le respect ne les soutient plus, ne respectent pas non plus assez le vœu des peuples ; aussi les émeutes et les séditions les en punissent, et, malgré leurs énormes armées, ils n'osent plus avoir une volonté et se résignent à tous les faits accomplis. »)
(page 321) Un événement important vint bientôt accroître la gravité de la situation.
Le 16 octobre, les plénipotentiaires des cinq cours se réunirent en Conférence et déclarèrent inadmissible le système de révision mis en avant par la Belgique ; puis, fixant eux-mêmes un chiffre transaction¬nel, tant pour la dette que pour le Syndicat, ils réduisirent la part des Belges de 8,400,000 fi. à 5,400,000 fi. de rente. Ils rédigèrent ensuite une série d'articles destinés à être communiqués aux deux parties et reproduisant toutes les stipulations territoriales des vingt-quatre arti¬cles.
Ces propositions parvinrent à Bruxelles le 23 octobre, deux semaines avant l'ouverture des Chambres. Cette fois, le gouvernement se trou¬vait en présence non-seulement du principe, mais du chiffre même d'une transaction sur la dette ; de plus, les bases territoriales des vingt-quatre articles étaient formellement maintenues au profit du roi des Pays-Bas.
Tous les diplomates de Londres montraient une vive impatience de connaître le parti qu'on prendrait en Belgique. Dès le 27 octobre, MM. de Senfft et de Bulow adressèrent à lord Palmerston un memorandum destiné à prouver que, dans l'hypothèse du rejet des dernières propositions de la Conférence, toutes les puissances réunies devraient mettre un terme à la situation provisoire établie en 1833. Lord Palmerston lui-même chargea l'ambassadeur britannique de déclarer à M. de Theux que, « si la négociation échouait par suite d'obstacles suscités par le gouvernement belge, la Grande-Bretagne ne pourrait s'opposer à ce que la Confédération germanique ou le roi des Pays-Bas fussent dis¬pensés de respecter plus longtemps le statu quo territorial. » Aux yeux des membres du cabinet de St-James, notre refus aurait donné aux (page 322) troupes allemandes le droit de s'emparer des districts du Limbourg et du Luxembourg arrachés à la Belgique.
La situation devenait donc de plus en plus grave ; mais le gouverne¬ment belge conserva le calme et la dignité qui avaient constamment caractérisé ses démarches. Courageux et fermes, parce qu'ils avaient pour appui les vœux et les sympathies de la nation, les ministres étaient unanimes à dire que l'heure de la soumission n'avait pas sonné. Comme le traité offert par la Conférence se trouvait encore à l'état de simples propositions officieuses, ils crurent pouvoir y répondre par des propo¬sitions contraires. Tandis que M. Lehon fut chargé de faire de nouvelles démarches à Paris, M. Van de Weyer reçut l'autorisation d'offrir, sous la réserve expresse de nos droits territoriaux, un chiffre transactionnel de 5,200,000 fl. pour terminer les difficultés relatives au partage de la dette.
Cette offre fut envisagée comme un refus de négocier, et l'attitude de la Conférence prit aussitôt un caractère d'impatience et d'irritation qui prouvait de plus en plus que l'Europe éprouvait le besoin d'en finir avec le différend hollando.belge.
L'Autriche, la Prusse et la Russie firent entendre des menaces ; l'Angleterre reconnut la nécessité de mettre un terme au statu quo ; la France elle-même déclara qu'elle ne s'opposerait pas à l'occupation militaire des districts cédés !
Sur ces entrefaites, les Chambres avaient repris leurs travaux. Le ministère, par la bouche du roi, promit de défendre la cause nationale avec persévérance et courage. Il tint parole.
Dans leurs adresses en réponse au discours du trône, le Sénat et la Chambre des Représentants avaient manifesté l'intention de voter tous les sacrifices pécuniaires que la conservation du territoire pourrait exiger. Encouragé par cette offre patriotique, M. de Theux fit un pas de plus et autorisa M. Van de Weyer à fixer le chiffre transactionnel à 5,600,000 fl. et même à 5,800,000. La Conférence repoussa de nouveau ces offres ; seulement, comme dernière limite de ses concessions, elle consentit à fixer la rente à cinq millions de florins.
Le rejet des propositions du 16 octobre nous avait donc valu une diminution de 400,000 fl. ; mais, par contre, la question territoriale prenait chaque jour un aspect plus alarmant. Le 28 novembre, MM. de Senfft et de Bulow, agissant comme porteurs des pleins pouvoirs de la (page 323) Diète germanique, remirent à lord Palmerston une protestation formelle contre les exigences des Belges (Voy., pour cette partie des négociations, le rapport de M. de Theux, p. 32 à 43).
Une circonstance imprévue hâta le dénouement de la crise.
Guidé par les sympathies que lui inspirait la Belgique, effrayé peut¬-être des conséquences que pouvait produire, même en France, l'enva¬hissement de nos provinces par une armée allemande, le roi Louis¬-Philippe chargea son ambassadeur à La Haye de faire une démarche personnelle auprès de Guillaume 1er. Il voulait amener le gouvernement néerlandais à se contenter d'une indemnité pécuniaire. Il croyait qu'une négociation directe entre les deux peuples, dégagée de l'intérêt allemand qui prédominait à Londres, aurait promptement amené une solution satisfaisante. (Note de bas de page : Une tentative moins connue, mais également infructueuse, fut faite à La Haye par M. Dubus de Ghysignies, ancien gouverneur général des Indes néer¬landaises, ministre d'État en Hollande, mais attaché à la Belgique par sa nais¬sance, par sa famille et par le siége de sa fortune. M. Dubus crut pouvoir assumer le rôle de conciliateur et offrir au roi Guillaume une indemnité pécu¬niaire en échange des cantons cédés du Limbourg et du Luxembourg. Le gouvernement belge s'était empressé d'accueillir ce projet ; mais Guillaume repoussa toutes les ouvertures avec une persévérance inflexible).
Ainsi qu'il était facile de le prédire, cette démarche échoua contre l'opiniâtreté hautaine de Guillaume ; mais elle eût, de plus, le grand inconvénient de faire suspecter la loyauté de la France au sein de la Conférence de Londres. Lord Palmerston lui-même y vit un dangereux encouragement donné aux manifestations patriotiques des Belges, et, de même que les ministres des cours du Nord, il crut y découvrir une arrière-pensée de politique égoïste et personnelle. Il en résulta que le général Sébastiani, sous peine de voir accréditer dans toutes les capi¬tales des soupçons injurieux pour la royauté de juillet, fut forcé de se rapprocher de plus en plus de ses quatre collègues. On en acquit bientôt la preuve.
Le 6 décembre, tous les plénipotentiaires se réunirent au Foreign¬-Office et signèrent un protocole final. Ce document diplomatique repro¬duisait les arrangements territoriaux du traité du 15 novembre et fixait à une rente annuelle de cinq millions de florins la part des Belges dans les dettes du royaume-uni des Pays-Bas. Les droits de navigation sur (page 324) l'Escaut étaient portés à fl. 1,50 par tonneau, et ces droits devaient être perçus à Anvers, afin d'éviter des visites et des retards nuisibles à la navigation du fleuve. Les Belges étaient privés de leur part éventuelle dans l'actif du Syndicat ; mais ils étaient libérés des arrérages de la dette jusqu'au 1er janvier 1839. Le pilotage et le balisage de l'Escaut restaient soumis à une surveillance commune ; mais les Belges obte¬naient la faculté d'établir des stations de pilotes à l'embouchure et sur tout le cours du fleuve, et les navires arrivant de la mer ou venant d'Anvers étaient déclarés complètement libres dans leur choix. Pour le surplus, les vingt-quatre articles étaient maintenus dans leurs disposi¬tions essentielles. La Conférence s'était contentée d'y ajouter un article nouveau portant que les jugements et les actes authentiques antérieurs au traité définitif conserveraient leur force et vigueur dans les parties du Limbourg et du Luxembourg assignées au roi des Pays-Bas (Note de bas de page : On aura remarqué que, sous le rapport de la navigation, la Conférence nous accordait ce que nous avions demandé en 1833 (Voy. ci-dessus chap. 19, p. 148 et 149 en note)).
Lord Palmerston, le baron de Senfft, le baron de Bulow et le comte Pozzo di Borgo avaient signé le protocole sans réserve ; le général Sébastiani seul s'était réservé l'approbation de sa cour.
Cette grave nouvelle parvint à Bruxelles dans la matinée du 10 décembre.
Le conseil des ministres fit aussitôt transmettre à M. Lehon l'ordre d'insister de toutes ses forces pour amener le roi Louis-Philippe à refu¬ser son adhésion ; mais cette tentative demeura sans résultat. La France elle-même, fatiguée de lutter seule contre les autres puissances représentées à Londres, avait fini par désirer le terme du différend hollando¬-belge. La conduite du comte Molé ne fut pas même exempte d'une certaine duplicité. Au lieu d'émettre franchement son avis, il prit l'engagement secret d'adhérer au protocole, aussitôt que les Chambres françaises auraient voté l'adresse en réponse au discours du trône (Note de bas de page : M. Desages, directeur des affaires politiques au département des Affaires étrangères à Paris, fut envoyé à Londres pour obtenir l'assentiment de la Con¬férence à cette combinaison mystérieuse. Cet assentiment ne fut pas donné sans peine. Le comte Molé dut s'engager à faire signer le protocole au plus tard le 16 janvier. En fait cependant, la signature du général Sébastiani ne fut donnée que le 22).
A Londres, où M. Van de Weyer fut autorisé à porter la dette à quatre (page 325) millions de florins, les instances de la Belgique furent également déclarées inadmissibles. Lord Palmerston ne voulut pas même discuter cette offre avant l'acceptation pure et simple des arrangements territoriaux. A toutes les démarches, à tous les raisonnements, il répondait que l'épo¬que des discussions préliminaires était passée, et que désormais le problème des limites devait venir en première ligne. « Renoncez aux districts cédés du Limbourg et du Luxembourg, disait-il, « et peut-être réussirai-je à vous procurer une diminution du chiffre de la dette. Adhérez aux bases territoriales et offrez 4,600,000 fl. pour votre part dans la dette. » Mais le ministre anglais savait, mieux que personne, que cette proposition n'offrait rien de sérieux. C'était précisément en vue d'obtenir notre adhésion aux bases territoriales que la dette avait été réduite de 5,400,000 fl. Le jour où la Belgiqùe aurait consenti au démembrement de son sol, les puissances du Nord, possédant la ma¬jorité au sein de la Conférence, se seraient plus que jamais montrées inflexibles (Note de bas de page : Lord Palmerston avait déjà tenu ce langage dans la dernière quinzaine de novembre, et c'est probablement cet incident qui a donné lieu à l'erreur que nous avons signalée ci-dessus, p. 307).
Abandonné de la France et de l'Angleterre, le cabinet de Bruxelles crut la situation assez grave pour sortir enfin du cercle des négociations officieuses. Il prit le parti d'adresser officiellement à l'Europe des propositions attestant l'importance des sacrifices que le pays était prêt 'à s'imposer pour la conservation du Limbourg et du Luxembourg ; de plus, comme des doutes absurdes mais tenaces s'étaient répandus sur l'énergie de nos agents, il adjoignit M. de Mérode à l'ambassade de Paris et M. de Gerlache à l'ambassade de Londres.
Le 15 janvier, M. Van de Weyer, accompagné de M. de Gerlache, remit à lord Palmerston, avec prière de la communiquer à la Conférence, une note renfermant les dernières propositions des Belges. Ce docu¬ment diplomatique énumérait avec précision tous les droits, tous les griefs et toutes les espérances du pays. Prenant pour point de départ les dix-huit articles du 26 juin 1831, nos plénipotentiaires passaient en revue tous les motifs qui, non-seulement par rapport à la Belgique, mais aussi par rapport à la Hollande, à l'Allemagne et à la France, devaient faire éviter le démembrement de deux provinces du jeune royaume ; puis, abordant la question financière, ils faisaient ressortir (page 326) les sacrifices que, même avec le chiffre de cinq millions de rente, on imposait injustement aux Belges, dans l'intérêt d'un prince et d'un peuple qui, depuis huit années, bravaient les instances et les menaces de la Conférence ; enfin, arrivant aux compensations offertes par la Belgique en échange des districts qu'on voulait lui arracher, ils proposaient, indépendamment de l'acceptation de la rente de cinq millions de florins, un capital de soixante millions de francs immé¬diatement exigible (Note de bas de page :La note du 15 janvier, très remarquable dans sa rédaction, a été repro-duite dans le rapport de M. de Theux, p. 43.)
A Paris, MM. de Mérode et Lehon ; à Londres, MM. de Gerlache et Van de Weyer, se donnèrent des peines infinies pour faire accepter cette offre transactionnelle. Ils virent successivement les représentants des cours étrangères, et même la plupart des hommes influents du parlement et de la presse. Ils firent valoir l'intérêt de la Hollande, à laquelle on offrait soixante millions en échange d'un territoire qui n'ajoutait rien à ses ressources ; l'intérêt de l'Europe, à laquelle il importait que la Belgique obtint une existence honorable et respectée ; l'intérêt de la civilisation et de la justice, qui ne permettaient pas qu'on traitât 360,000 hommes libres comme un vil troupeau subordonné aux caprices de quelques gouvernements plus forts que les autres ; l'intérêt du roi Léopold, dont la sagesse avait tant contribué au maintien de la paix, qui avait accepté le trône à la sollicitation de toutes les puissances, et qu'on allait jeter dans une position pleine de périls de toute nature. Mais ces nouvelles instances n'aboutirent qu'à l'expression de quelques témoignages d'une sympathie stérile. L'œuvre de la Conférence fut maintenue avec une rigueur inflexible (Note de bas de page : MM. de Gerlache et de Mérode étaient porteurs d'instructions secrètes qui leur permettaient : 1° de porter l'indemnité pécuniaire à 70 et même à 100 mil¬lions, si la Hollande voulait. entrer dans cette voie ; 2° de faire mettre en avant, par une tierce personne, un projet qui laisserait Venloo à la Hollande, et au roi grand-duc le territoire compris entre les routes de Trèves et de Thionville, plus un rayon d'une demi-lieue autour de la forteresse de Luxembourg. Cette der¬nière proposition pouvait même être accompagnée de l'offre d'une indemnité pécuniaire. Maestricht serait, dans cette hypothèse, devenue forteresse fédérale, et les Be]gès se seraient engagés à ne construire aucune place forte entre Maes-tricht, Venloo et Aix-la-Chapelle. Tout fut inutile ; les cinq cours étaient décidées à ne pas revenir sur leurs pas).
La France avait promis de signer définitivement le protocole (page 327) du 6 décembre, aussitôt que les Chambres auraient voté l'adresse. Elle tint parole. Le 22 janvier, le général Sébastiani adhéra sans réserve à l'ultimatum de la Conférence, et le lendemain M. Van de Weyer en fut informé par un message officiel. Notre plénipotentiaire reçut en même temps deux projets de traité, l'un entre la Belgique et les puissances représentées à la Conférence, l'autre entre la Belgique et la Hollande. Il était invité à produire, aussi promptement que possible, l'adhésion du roi Léopold.
Tels étaient les faits que, dans les séances du 1er et du 2 février, M. de Theux vint révéler aux Chambres belges (Note de bas de page : Nous ferons de nouveau remarquer que tous les détails inédits que renferme notre récit ont été puisés à des sources sûres et s'appuient sur des docu¬ments irrécusables).