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L’Eglise catholique et les débuts de la Belgique indépendante
SIMONS A. - 1949

A. SIMONS, L’Eglise catholique et les débuts de la Belgique indépendante

(Paru à Wetteren en 1949, chez Scaldis)

Chapitre III. L'Enseignement public

(page 83) « Ce serait un double malheur si le clergé devait refuser son concours, d'abord parce qu'une partie très notable et très importante de la jeunesse belge serait élevée sans recevoir une instruction solide sur ses devoirs religieux, ensuite parce que le clergé serait forcé de se placer dans une position hostile vis-à-vis du gouvernement et qui ne pourrait manquer d'être funeste tout à la fois à l'Église et à l'État. » (Cardinal Sterckx.)

Préliminaires

La Charte de l'enseignement en Belgique est inscrite dans l'article 17 de la Constitution : « L'enseignement est libre, toute mesure préventive est interdite : la répression des délits n'est réglée que par la loi. L'instruction publique donnée aux frais de l'État est également réglée par la loi. » A n'en pas douter, le principe essentiel est la liberté de l'enseignement. En tous cas, on a voulu soustraire l'instruction à l'arbitraire de l'exécutif : aussi bien la répression des délits que l’enseignement aux frais de l'Etat sont réglés par la loi et non par le gouvernement.

Cet article 17 est le résultat d'une longue préparation de l'opinion sous le régime hollandais, mais également de principes divers et de tendances quelquefois contraires qui animaient les constituants. Il est opportun de fixer unes et les autres.

Et tout d'abord, dans la pensée de tous, surtout des catholiques, il y a une étroite conjonction entre la liberté des (page 84) cultes et celle de l'enseignement. La lettre de l'archevêque de Méan est très suggestive à cet égard. « La religion a une connexion si intime avec l'enseignement qu'elle ne saurait être libre si l'enseignement ne l'est aussi. Le Congrès consacrera donc, je n'en doute pas, la liberté pleine et entière de l'enseignement. Il écartera à cet effet toute mesure préventive et il confiera aux tribunaux le soin de poursuivre les délits des instituteurs ; mais j'ose le prier de stipuler spécialement que les établissements consacrés à l'instruction et à l'éducation des jeunes gens destinés au service des autels seront placés exclusivement sous la surveillance et la direction des supérieurs ecclésiastiques. Cette disposition pourra d'abord paraître inutile parce qu'elle n'est qu'une conséquence immédiate et nécessaire de la liberté des cultes. » Et de Gerlache disait : « La liberté des cultes, la liberté de l'enseignement ont été justement rapprochés dans les articles de la Constitution, elles sont en quelque sorte identiques, c'est toujours la manifestation de la pensée sous des formes diverses. « Ce que de Brouckère confirmait : « La liberté de l'enseignement tient à la liberté de conscience. » Cette conviction était celle de Lamennais et elle s'est affirmée jusque dans notre texte constitutionnel.

Cette liaison même, en élargissant considérablement le champ de la liberté de l'enseignement, devrait, d'après certains, lui fixer des limites.

Toujours est-il que, lors de la discussion du projet de loi sur l'enseignement moyen, Rogier, s'opposant aux revendications catholiques, affirmait : « Il y a erreur et exagération, l'entente de 1828 ne s'est pas faite sur la liberté de l'enseignement en général. Il [le clergé] réclamait avant la révolution, la liberté pour son enseignement ecclésiastique, pour l'enseignement religieux. Il ne voulait pas qu'un gouvernement protestant formât le sacerdoce catholique pour des populations catholiques, et il avait raison ; une grande partie de l'opinion libérale s'associa à ses réclamations ; mais il ne s'agissait alors que de l'enseignement religieux. Il [le clergé] voulait la liberté de ses séminaires, il l'a obtenue complètement, il a obtenu, de plus, des subsides avec la liberté. Mais, avant 1830, le clergé ne manifestait pas d'établir dans le pays un enseignement laïc à lui, ni surtout d'attirer à lui tout (page 85) l'enseignement. Et bien depuis 1830, non seulement le clergé a pris sa part de l'enseignement laïc, mais il est manifeste que ses prétentions vont à rien moins qu'à absorber tout l'enseignement laïc. » (HYMANS, Histoire parlementaire, t. II , 461.)

Quoi qu'il en soit - et je pense qu'il se trompe en partie - Rogier exprime une opinion, celle des libéraux qui interprètent la liberté de l'enseignement dans un sens restrictif. (Note de bas de page, insérée après les mots « et je pense qu’il se trompe en partie » : Sans doute, de Méan s'est-il surtout cabré lorsque le Collège Philosophique fut établi et c'est alors, à propos de celui-ci, que sa résistance et ses démarches se multiplièrent. Mais il paraît bien que, à la fin de l'amalgame, les évêques envisageaient une liberté de l'enseignement considéré dans son ensemble. « Le gouvernement s'obstinera-t-il longtemps à laisser nos séminaires fermés, demandait Sterckx en 1829, cet événement doit, ce me semble, faire redoubler les efforts pour obtenir la liberté de l'enseignement. » (Sterckx à Van der Horst, le 22 février 1829, Arch. Archev., papiers Van der Horst). Puisque la liberté cultes ne suffisaient pas pour contrecarrer les effets de l'article 226 de la Loi Fondamentale (L'instruction publique est un objet constant des soins du gouvernement), il fallait bien vouloir la liberté de l'enseignement et se jeter dans les bras de la liberté comme le disait de Gerlache. La lettre d'Antonucci (Antonucci à Albani, le 3 décembre Arch. Vat. Secr. Etat, Busta 256, Belgio n°72296) laissait prévoir une opposition libérale à la pleine liberté de l'enseignement, Or, il est clair que durant I'Union les libéraux admettaient la liberté des séminaires, c'est précisément ce qui était surtout en question. C'est donc au sujet des outres établissements qu'ils pouvaient être réticents. Que les catholiques aient craint au début de la révolution prouve qu'ils avaient en vue la liberté de tout l'enseignement. Il paraît inexact que « le clergé ne manifestait pas d'établir dans le pays un enseignement laïc à lui. » Il est vrai que le mot « enseignement laïc » prête à double sens. L'épiscopat voulait la liberté pour d'autres établissements séminaires et il entendait diriger ces écoles. Mais Rogier dirait peut-être que ce n'était pas là des établissements laïcs ! Rogier est plus dans la vérité lorsqu'il dit que le clergé « ne voulait pas attirer à lui tout l'enseignement. » Il est clair, cependant, que, après la Constitution et malgré l'avis de Sterckx, Van Bommel l'a voulu (Van Bommel à Sterckx, le 13 fév. 1837, Sterckx van Bommel. le 12 juin, 1840, Arch., archev. Malines, Fonds Sterckx, Dos. III, f. 2.) Fin de la note de bas de page.)

D'autre part, dès les discussions du Congrès national, des divergences de vues s'étaient manifestées sur le fait de savoir si l'État devait ou pouvait avoir un enseignement. Les (page 86) constituants furent d'accord pour accorder à l'État le droit d'ouvrir des écoles ou du moins de les soutenir de ses deniers. Mais l'avis n'était pas unanime, au contraire, lorsqu'il s'agissait d'établir si l'État était obligé d'ouvrir des écoles. Plusieurs des congressistes optèrent pour le caractère purement supplétif de l'intervention de l'État. Celui-ci ouvrirait des écoles si l'usage de la liberté ne suffisait pas à donner aux Belges une instruction convenable. « L'instruction est nécessaire mais personne n'aura conclu de là à la nécessité pour le gouvernement d'accaparer l'instruction publique », disait Van Crombrugghe et de Brouckère ajoutait : « L'État n'est pas obligé », tandis que Dams précisait : « L'État doit intervenir si les pères de famille négligent leur devoir. »

Cependant, dans le pays comme au Congrès, beaucoup se refusaient à admettre ce caractère purement supplétif de l'État, cela par suite d'une conception laïque, ou de la crainte que la liberté fût insuffisante. Dans son rapport fait à la séance du 9 décembre 1830, Tielemans, administrateur général de l'Intérieur, disait : « En attendant [Ia réorganisation de l'enseignement supérieur et moyen], l'instruction publique est libre ; et lorsque le retour d'un ordre de choses définitif aura insensiblement ramené les esprits des sujets plus calmes de méditation, le comité de l'Intérieur pourra présenter au gouvernement un projet d'organisation générale, fondée sur l'expérience même de cette liberté d'instruction que l'on redoute encore et à laquelle on refuse le temps de manifester ses œuvres. » (HUYTTENS, Discussions... t. IV, pp. 339-340). Et dans une lettre de Méan le même fonctionnaire, déplorant l'attitude du curé de Coolscamp, l'abbé Descamp. qui, au nom de la liberté de l'enseignement, refusait l'administration civile le droit d'ouvrir une école : « Aujourd'hui que le gouvernement marche dans une voie large et franche de liberté, il serait déplorable que des excès vinssent confirmer l'opinion de ceux qui ont réprouvé cette marche et le réprouvent encore. » (Tielemans à de Méan, le 21 décembre 1830, Arch. archev., Malines, Fonds de Méan, Corresp. Pol., 1830)

Il n'est pas étonnant, dès lors, que l'article 17 fut voté de justesse, à quatre voix de majorité. Déjà, ce 24 décembre 1830, (page 87) la moitié des congressistes craignaient les abus ou les déficiences de la liberté de l'enseignement et inclinaient vers une intervention plus ou moins directe de l'État en matière d'instruction publique.

Enfin, il est opportun, avant de poursuivre cette étude, de rappeler une querelle de mots. Que faut-il entendre par « enseignement public » ? Assez tôt les libéraux voulurent réserver l'épithète « public » à l'enseignement donné aux frais de l'Etat, appelant enseignement « privé » celui organisé par des particuliers, au nom de la liberté. Cependant, durant les premières années de l'indépendance, le mot « public » était accordé aussi bien à l'enseignement aux frais de l'État qu'à l'autre. L'article 17 lui-même ne le suppose-t-il pas, puisqu'il y est question de « l'instruction publique donnée aux frais de l'État. » C'est dire qu'il y a une autre instruction publique, celle de la liberté. Et Tielemans dit : « En attendant, l'instruction publique est libre. » Même lors du Congrès Libéral, en 1846, la distinction n'apparaît pas encore nettement à l'article 3 des conclusions : « organisation d'un enseignement public à tous les degrés sous la direction exclusive de l'autorité civile, en donnant à celle-ci les moyens constitutionnels de soutenir la concurrence avec les établissements privés et en repoussant l'intervention des ministres des cultes à titre d'autorité, dans l’enseignement organisé par le pouvoir civil. » Il y a donc, d'après le texte libéral, deux enseignements publics, l'un « sous la direction exclusive de l'autorité civile qui se donne dans les établissements privés. » C'est plus tard seulement que la distinction s'établit bien nette jusqu'à parIer d'enseignement public et d'enseignement privé, réservant le premier vocable à celui organisé par l'État, le second à celui dirigé par des particuliers. (Voir sur cette question, SAINT•REMY, A., La Liberté de l'Enseignement et ses droits, dans Nova et Vetera, 1947, n°3-4, pp. 24 et sq.)

L'Enseignement supérieur

La loi qui, en 1835, organisa l'enseignement supérieur eut sa composition et sa promulgation hâtée par l'érection à Malines d'une Université catholique, et à Bruxelles d'une autre (page 88) université libre. Non seulement hâtée, mais inspirée. A cette occasion, il y eut, en effet, entre le gouvernement et l'épiscopat de nombreux échanges de vues qui précisèrent l'action du ministère et la nuancèrent. Et la correspondance entre l'archevêque Sterckx et le ministre de Theux expriment les diverses tendances qui se manifestaient durant les années 1832 à 1835, à propos de l'enseignement public en Belgique. II fut beaucoup question alors du jury d'examen. Les désaccords et les discussions se développèrent à ce sujet, longtemps après la loi de 1835.

Je m'attarderai quelque peu sur la fondation de l'Université catholique et sur les discussions suscitées par les grades universitaires, l'opportunité d'une loi, la composition du jury d'examen.

Très tôt, les évêques conçurent l'idée de créer une Université qui pût remplacer celle de Louvain, d'abord supprimée par les Français, puis étatisée, en 1816, par le roi Guillaume, Dans l'une de ses lettres, Van Bommel indique le but entrevu en 1832 : « Le crime de la Révolution, c'est d'avoir laissé subsister en son entier et de vouloir à tout prix maintenir la plus méchante des œuvres de l'ancien gouvernement, que tous les ans nos universités continuent de vomir sur la surface de notre Belgique catholique une foule de jeunes gens destinés à avoir l'influence sur le pays et les familles, et en qui la foi est fortement ébranlée, sinon ruinée tout fait, et qu'enfin le chef de l'État quelque bien intentionné qu'il puisse être, n'aura jamais assez d'énergie pour abattre ce principe de tout mal, et pour reconstruire à neuf, s'il n'est en quelque sorte mis en branle par la nation catholique, procédant par voie de fait, à entrer en jouissance de la plus précieuse de nos libertés. » (Van Bommel h Sterckx, le 6 mai 1833, Arch. archev. Malines, Université nouvelle, carton I).

Il s'agit donc pour les évêques d'obtenir que la classe intellectuelle du pays maintienne sa foi catholique, et les universités existantes, qui n'avaient d'ailleurs pas encore été réorganisées, ne pouvaient à leurs yeux jouer ce rôle. C'est bien ce qui, à ce moment, se trouve sous la plume de tous les (page 89) correspondants de l'archevêque Sterckx que ces lettres soient signées par Vilain XIIII, de Robiano ou des évêques. Le ministre de Theux lui-même en écrivait à Dubus : « La priorité (dans l'organisation de l'enseignement) devrait être accordée à l'enseignement universitaire ; l'urgence est constante, cet enseignement dégrade la Belgique par son état misérable ; il corrompt chaque année la partie de la jeunesse qui doit avoir le plus d'influence. » (de Theux à Fr. Dubus, le 15 septembre 1833, Arch. du Bus de Warnaffe)

Le Roi aurait même, d'après Sterckx, exprimé à l'évêque de Gand et à celui de Tournai son désir d'avoir une bonne université. (Sterckx à Capaccini, le 16 novembre 1833, Arch. archev. Malines, Fonds Sterckx, Dos. III, f. 2.)

Tout, en effet, laisse supposer que le souverain eût été satisfait de la chose.

Toujours est-il que dans le courant de l'année 1833 « une vingtaine de membres du Sénat et de la Chambre des Représentants s'occupent déjà des préparatifs » et soumettent leurs idées aux évêques.

Mais au moment de mettre les choses noir sur blanc et de prendre les responsabilités. plusieurs de ces notabilités catholiques hésitent à donner leur nom ; ils ne trouvent pas assez de garanties, et, d'après Van Bommel, « ils ont peur de se compromettre vis-à-vis de tel ou tel. » (Van Bommel à Sterckx, le 16 février 1834, Arch. archev. Malines, Fonds Sterckx, Dossier III, farde I.)

C’est que diverses oppositions se manifestent, aussi bien dans les rangs catholiques que libéraux. Ceux-ci s'agitent. Il est évident que l'initiative des évêques leur déplaît, en tous cas, elle attire leur particulière attention. Mgr. Delplancq, l'évêque de Tournai, en avertit l'archevêque et présente un aspect particulier de la tactique libérale : « J'apprends à l'instant, écrit-il, qu'une foule d'avocats francs-maçons à Bruxelles, cherchent nous contrecarrer dans l'érection de notre université. Ils se sont déjà assemblés, m'assure-t-on, sous la présidence du célèbre Jottrand. Il paraît que ces messieurs tirent plusieurs conséquences du mot action (note de bas de page : On avait imaginé de soutenir l'université nouvelle par un système d’actions de 1, 2 5 francs. Voir SIMON, La Grande Conquête…) qui permet (page 90) aux actionnaires de se faire rendre compte des dépenses et d'exiger une part proportionnelle dans les profits. » (Delplancq à Sterckx, le 1er mars 1834, Arch. archev. Malines, Univ. Nouv. C. I.) C'est déjà le spectre de la mainmorte. celui qui va obséder l'opinion libérale aux années 1841-1842, lors de la demande de la personnification civile de l'Université. (Voir SIMON, A., La Question de la personnification....)

D'ailleurs, les faits confirment ce que Mgr Delplancq affirme. La correspondance de Dubus raconte diverses manifestations bruyantes contre l'Université catholique avant même qu'elle ne fût née. Et le comte de Dietrichstein crut devoir en avertir Metternich : « Dans la soirée de mardi dernier il y a eu quelques rassemblements tumultueux à Bruxelles à l'instar de ceux qui avaient éclaté à Liège, à Gand, à Louvain. L'indignation d'une partie de la populace, instiguée par le parti libéral et peut-être celui orangiste contre le clergé et l'ascendant que doit lui assurer le prochain établissement d'une université catholique, s'est manifestée par quelques attroupements bruyants, des charivaris et des vitres cassées à quelques prêtres et des personnes connues pour appartenir au parti ultra-catholique. L'ordre n'a pas été troublé d'ailleurs... » (Dietrichstein à Metternich, le 23 mars 1834, cité par DE RIDDER, dans Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, t. XCII, pp. 286-287.) On comprend, comme Van Bommel l'écrivait, que certains hésitaient se compromettre.

Le chargé d'affaires autrichien poursuivait : « Il me semble indubitable que, par l'érection d'une université catholique, le clergé, fort des progrès qu'il a déjà fait depuis 1830, mettra la dernière main à l'édifice de sa domination, l'enseignement primaire, moyen, supérieur lui étant exclusivement assurés. » (Ibid.)

A la nouvelle de l'opposition libérale, Capaccini croyant que « tout l'enfer était déchaîné (sic) contre cette bonne œuvre », conseillait la prudence. mais aussi la constance. (Capaccini à Sterckx, le 6 mai 1834, Arch. archev. Malines Fonds Sterckx, Dos. 111, f. 3.)

(page 91) Il n'y avait pas seulement des obstacles du côté libéral. Plusieurs catholiques doutaient de l'opportunité de cette érection, du moins ils jugeaient que les évêques n'avaient pas à user de la liberté de l'enseignement ! Sans doute, ils pensaient nécessaire d'avoir un enseignement universit9ire catholique, mais ils soutenaient que celui-ci devait être, comme sous l'Ancien régime, d'institution pontificale. Ils croyaient qu'il fallait tourner le dos aux libertés modernes, condamnées d'ailleurs par l'encyclique Mirari Vos. Le Père Boone, dont l'influence grandissait à Bruxelles était considéré par Van Bommel comme le protagoniste de cette théorie (Van Bommel à Sterckx, le 1 juillet 1835, Ibid, Dos. 111, f. 2.). Et il semble bien que les Jésuites aient un moment pensé à cela. La correspondance qui de Rome parvenait aux évêques tendrait à le prouver et Capaccini ne le cache pas (de Montpellier à Sterckx, le 16 septembrc 1834. Capaccini à Sterckx, le 18 août 1834. ibid., Dos. II. f. 2.). En tous cas, plusieurs lettres qui reposent aux Archives vaticanes prouvent qu'on alertait le Saint-Siège dans ce sens et qu'une partie du clergé de Belgique soutenait l'opinion de ces ultramontains. Même, avec une naïveté que l'archevêque n'eut pas de peine à souligner, d'aucuns prétendaient que le gouvernement belge serait forcé par les Chambres à concourir à la fondation, à Louvain. d'une université pontificale (Sterckx à Pédécini, le 24 avril 1834, Arch. Vat., Propag., S. et R., 1834-1838, Van Brabant à Heisen, le 19 oct. 1833, Ibid., 1828-1833.). C’était, il faut le reconnaître, ne rien comprendre à la situation politique contemporaine et ne pas tenir compte « de l'ordre constitutionnel actuel qu'il n'est au pouvoir de personne de renverser », comme le disait Van Bommel.

Ces quelques considérations sur l'érection de l'université catholique confirment l'existence d'opinions divergentes au sujet de la liberté et de son emploi. Les discussions du Congrès national nous avaient préparés à cette constatation. En somme, les évêques prennent dans son absolu la liberté de l'enseignement décrétée par la Constitution ; ils veulent, immédiatement et avec propos, en profiter. Ils la croient assez forte, assez générale pour leur laisser les mains libres et, malgré (page 92) certaines hésitations de Mgr Van de Velde, évêque de Gand, et les réticences de Mgr Delplancq, ils décidèrent de créer sans tarder leur université, évitant, pour ne pas éveiller les susceptibilités de l'appeler université « libre ». (Van Bommel à Sterckx, le 22 janv. 1834, Malines, Univ. nouv., C. 1)

Mais très rapidement se présenta une difficulté plus sérieuse ; celle des grades universitaires et des diplômes. Malgré leur volonté de pratiquer dans l'enseignement supérieur - et avant la lettre - la fameuse théorie de l'Église libre dans l'État libre, certains évêques se demandaient, et Sterckx en était, si, tous comptes faits, l’accord de l'État n'était pas nécessaire pour la collation des grades, du moins pour l'obtention des diplômes et le droit d'exercer la fonction d'avocat ou de médecin par exemple.

Parmi les personnalités catholiques qui avaient été alertées par les évêques pour patronner l'université nouvelle, de Theux jouait un grand rôle. Il le devait à sa position politique. Il était ministre de l'Intérieur depuis 1831 et avait l'Instruction publique dans ses attributions. Cela même allait augmenter la difficulté.

A vrai dire, l'épiscopat espérait que la qualité de membre du cabinet ferait du ministre de Theux un allié facile. Or, celui-ci se révéla immédiatement, malgré ses affinités catholiques, un homme de gouvernement plutôt que de parti. Il voulut une solution à tous les problèmes d'enseignement public et sa correspondance avec l'archevêque Sterckx manifesta entre les deux hommes une différence d'opinion qui eut de la peine à disparaître. En fait, ce fut Sterckx qui dut céder.

Voici les idées en présence. Il s'agissait donc pour l'Université catholique à créer puis déjà ouverte - elle l'avait été à Malines le 1er novembre 1834 - d'obtenir la faculté des grades et des diplômes. Il n'est peut-être pas inutile d'ajouter que l'université de Bruxelles créée à la même époque avait les mêmes besoins.

Le ministre avait manifesté sa pensée à propos de l'enseignement universitaire : « Jusqu'à la réorganisation (page 93) [de l'enseignement par le gouvernement], l’enseignement libre est impossible. La création d'une commission d'examens est un préambule préalable indispensable, aussi est-il vivement sollicité la chambre par l'école de médecine de Bruxelles... Une seule université du gouvernement doit suffire ; alors une université libre ou des facultés libres pourront lutter avec elle ; sinon aucune n'aura assez d'élèves en proportion de la dépense. Mais il faut de bonnes garanties dans les commissions; rien n'empêcherait d'ailleurs d'accorder comme en d'autres pays la faculté de délivrer des diplômes à telle université ou faculté libre qui par ses statuts et ses professeurs offrirait des garanties désirables... Mais la chose la plus difficile est la commission d'examen. Les élèves de l'université du gouvernement doivent être examinés par leurs professeurs, sinon ceux-ci seraient discrédités ; mais aussi ils ne devraient pas pouvoir passer parla commission d'examen. La commission devrait siéger dans une autre ville et surtout dans celle où il y aurait le plus de personnes pour la composer. En tant que les déplacements de province ne se font pas avec assez de régularité, Bruxelles paraît convenir. La cour de Cassation, l'Académie, les Chambres, les savants qui y résident fourniraient les ressources ; des professeurs des établissements libres les plus distingués pourraient y être adjoints ; ce serait rétablir un peu l'équilibre, en ce que les élèves de l'université ont l'avantage d'être examinés par leurs professeurs. » (de Theux à Dubus, le 15 septembre 1833, Arch. du Bus de Warnaffe.)

Si je comprends de Theux, il propose donc que les élèves de l'université du gouvernement, comme il l'appelle, obtiennent leurs grades et leurs diplômes après un examen passé devant leurs professeurs, tandis que les élèves des établissements libres - université et faculté - les devraient conquérir devant une commission d'examen formé par des personnalités scientifiques étrangères à l'enseignement, quitte leur adjoindre des professeurs des établissements privés, à l'exclusion de ceux des universités du gouvernement « pour rétablir l'équilibre. » Toutefois, la pensée du ministre n'est pas ferme, A la rigueur, il accorderait que certains établissements libres confèrent eux-mêmes les diplômes.

(page 94) Ce sont ces idées que de Theux communique à l'archevêque dans de longues lettres ou bien au cours d'entretiens qui se tiennent Bruxelles, entre autres à la cure de la Chapelle et où l'archevêque est souvent présent.

Mais que pense Sterckx ? Une longue missive nous fait connaître son point de vue. Il l'écrit après avoir pris connaissance du projet de loi sur l'enseignement supérieur :

« On pense que comme la Constitution établit la liberté de l'enseignement. la loi ne peut s'arroger le monopole des grades académiques, qu'elle a seulement le droit de régler la collation des grades dans les universités qu'elle érige et de demander des garanties de capacité à ceux qui désirent exercer certaines professions. La loi sur l'instruction publique doit être toute en sa faveur et par conséquent elle doit laisser aux établissements libres tout ce qui est nécessaire leur développement. Or, la collation des grades est indispensable à une université libre ; sans elle il ne saurait y avoir d'émulation ni par conséquent d'études fortes. Priver une université de la collation des grades, c'est lui ôter sa splendeur et sa vie... Qui dit « université », dit « collation des grades »... Une université sans grades est un corps mutilé. C'est pourquoi l'on peut soutenir que la Constitution en établissant la liberté d'enseignement et en autorisant ainsi l'établissement d'universités libres a autorisé celles-ci à confier des grades... Toute la différence qu'il y a peut-être, c'est que les grades des universités libres seraient purement honorifiques tandis que ceux des universités du gouvernement donnent droit à certains emplois et certaines professions.

« Ce système entraînerait quelques inconvénients, entre autres ,que les étudiants qui ont obtenu des grades dans les universités pourront essuyer un refus de diplôme de la part du jury d'examen, ce qui est déshonorant pour les universités ; que beaucoup de jeunes gens se passeront par économie des grades et se borneront à demander un diplôme. Mais, d'abord le premier inconvénient n'est pas si grand et il en résulterait même un grand bien, c'est que les universités seraient plus circonspectes dans la collation des grades. D'ailleurs, quel que soit cet inconvénient, il vaut mieux que les universités le subissent plutôt que de se voir privées de la collation des grades qui est l'aliment indispensable des bonnes études... (page 95) Une personne très instruite a même fortement soutenu que sous le régime des lois actuelles. les gradués d'une université libre ont, en vertu de l'article 17 de la Constitution, les mêmes droits que les gradués des universités du gouvernement, et que les tribunaux ne pourraient les condamner s'ils exerçaient par exemple la profession de médecin. Cette opinion n'est pas sans fondement, puisque dans l'opinion contraire les universités du gouvernement jouiraient sous le régime de la Constitution du droit exclusif de conférer des grades et par conséquent du monopole de l'enseignement, ce qui est évidemment contraire à la Constitution. » (Sterckx à de Theux, le 16 Juin 1834. Arch. archev. Malines, Univ. nouv. C. I.)

En somme, la pensée de Sterckx pourrait rencontrer celle du ministre de Theux. Ni l'un ni l'autre n'ose affirmer nettement que les universités libres aient le droit de conférer des diplômes. Mais si de Theux penche clairement vers la constitution d'un jury d'examen en faveur des universités libres, Sterckx veut garder, en tous cas, pour celles-ci le droit de conférer les grades. Plus les conversations et les discussions se poursuivaient et plus de Theux, abandonnant quelque peu sa position de 1833, celle qu'il déclarait à Dubus, penchait vers la nécessité d'un jury d'examen obligatoire pour les établissements libres, puis, même nécessaire pour les universités du gouvernement. C'est ce qui ressort de sa longue correspondance avec l'archevêque. (de Theux à Sterckx, le 22 Juin 1834, ibid.)

Mais ces longs échanges de vues retardaient toujours la décision. L'université de Malines, celle de Bruxelles étaient en pleine activité, l'année académique 1834-1835 avançait : on en était au printemps 1835, la question n'était pas résolue. Les évêques en éprouvaient quelques craintes et Van Bommel s'énervait.

C'est que de Theux, acquis à l'établissement d'un jury, et les évêques y consentant, puisque cela paraissait nécessaire, une autre difficulté surgissait. Le ministre prétendait ne légiférer au sujet du jury qu'en organisant en même temps (page 96) les universités du gouvernement ; c'est par une loi organique de l'enseignement supérieur que, d'après lui, il fallait établir le jury. Or, c'est précisément ce que Sterckx repoussait. « Tout bien considéré, écrivait-il, il me semble que le gouvernement doit choisir entre deux partis, ou de se concerter avec les chefs des cultes pour établir des écoles, collèges ou universités ou de renoncer avoir de ces établissements ; à lui seul il ne saurait en organiser qui soient vraiment utiles au pays parce qu'il ne peut faire en sorte que la religion soit la base de l'enseignement... Puisqu'on prétend que ceci est impossible, il ne reste qu'à les [les universités du gouvernement] supprimer. La nécessité semble cependant permettre qu'on en conserve ou tolère deux jusqu'à ce que les universités libres suffisent pour l'enseignement supérieur. Comme elles ne doivent être conservées que provisoirement, il serait inutile de les organiser de nouveau, elles peuvent continuer sur le pied actuel, sauf à prescrire que les croyances religieuses des élèves y seront soigneusement respectées. » (Sterckx de Theux, le 22 mars 1835, ibid.)

Sterckx ne veut donc pas de loi organique de l'enseignement supérieur, ni de l'enseignement tout court. D'après cette lettre, qui est « particulière et confidentielle », l'État n'a pas le droit d'avoir un enseignement à lui pour le simple motif qu'étant séparé de l'Église et areligieux, il ne pourra inscrire la religion à la base de son enseignement alors que cela est demandé par la majorité, sinon l'unanimité des Belges. et exigé par la liberté des cultes. De plus, en ce qui concerne l'enseignement supérieur, la loi est inutile puisque les universités du gouvernement sont appelées être supprimées. Les deux universités libres respectueuses des opinions diverses des Belges doivent suffire. La doctrine de Sterckx est donc claire. Le rôle supplétif reconnu par la Constitution n'est pas de mise.

Mais c'est cela même que de Theux repoussait ; il l'avait déjà dit en 1833 : « Jusqu'à la réorganisation, l'enseignement libre est impossible Le ministre nie donc que l'État n'ait qu'un rôle supplétif ; bien plus, d'après lui, c'est l'enseignement du gouvernement, du moins pour le supérieur, qui doit (page 97) être le garant, la norme de l'enseignement libre. L'attitude de Theux était nettement gouvernementale. Il est intéressant de noter que c'est un catholique qui, le premier, inscrira dans la législation le droit de l'État en matière d'enseignement.

Il semble bien que les évêques auraient résisté plus longtemps et peut-être victorieusement, si devant l'obstination du ministre, ils n'avaient dû céder pour assurer à l'Université catholique, la collation des grades en fin d'année académique. Dans une de ses lettres, Sterckx n'avait-il pas dit : « Je ne sais pas comment les catholiques pourront tula conscientia, coopérer à l'organisation définitive d'établissements qui feront infailliblement un tort immense à la religion. » (Idem). Déjà, en 1832, certains catholiques croyaient, en effet, qu'ils ne pouvaient voter une loi qui accordât « le droit de faire des universités » et Van Bommel avait demandé à Sterckx d'obtenir à ce propos l'avis de Capaccini. (Van Bommel à Sterckx, le 2 novembre 1832, Ibid., fonds Sterckx, Dos. 111, f. 2.)

C'est pourquoi, convaincu que de Theux céderait et admettrait de constituer le jury sans faire une loi sur l'enseignement, Sterckx n'avait pas veillé à obtenir dans celle-ci des garanties pour l'instruction religieuse. Lorsque, enfin persuadé que de Theux restait intransigeant et que la loi générale était le seul moyen d'avoir le jury d'examen, Sterckx voulut faire corriger le projet dans un sens religieux, il était trop tard. « Mais il est toujours à regretter, écrivait-il, le 6 août 1835, qu'on ne puisse établir la religion comme base de l'enseignement des universités de l'État. Il doit en résulter que cet enseignement n'aura pas l'approbation de la nation dont la presque totalité est catholique et veut que la jeunesse soit élevée dans les principes religieux. Il est fâcheux que les circonstances dans lesquelles se trouve le pays fassent au gouvernement une nécessité de donner l'instruction, parce qu'elle le place dans une situation plus ou moins hostile l'égard des catholiques. Espérons que le temps viendra où cette nécessité n'existera plus. » (Sterckx de Theux, le 9 août 1835, ibid., Dos. VI, I. f. 1.)

(page 98) C'était, une nouvelle foi, ne reconnaître que le rôle supplétif de l'État, et encore. Toutefois, il y a un progrès dans la pensée du primat : il veut bien reconnaître que ce rôle s'impose momentanément et il consent à cette loi.

Mais que feront les catholiques ? Voteront-ils cette loi ? Et la question de conscience soulevée naguère par l'archevêque lui-même ? Celui-ci patronne désormais une loi qui est nécessaire pour assurer les grades à l'université catholique et donner à celle-ci une vie possible à côté des établissements de l'Etat. Au dernier moment, il apprend que des parlementaires catholiques sont hésitants. Il en écrit à l'abbé De Foere pour qu'il apaise les consciences. A la loi, il y a un double effet, dit l'archevêque : le maintien des universités areligieuses de l'État, mais également le salut de l'université catholique. Ce dernier avantage permet aux catholiques de voter la loi.

Grâce à la ténacité du ministre de Theux, appuyé, les derniers jours au moins, par les catholiques alertés par Sterckx, la loi sur l'enseignement supérieur fut votée le 25 août 1835. Van Bommel trouvait que c'était une loi libérale (VAN BOMMEL, C., Exposé des vrais principes sur l'instruction publique primaire et secondaire considérée dans ses rapports avec la Religion, Liège. 1810, p. 566). Sterckx le savait aussi ; mais il n'y avait rien à faire, puisqu'il fallait absolument le jury d'examen. (Sterckx de Foere, le 16 août 1835, ibid.)

Celui-ci était enfin constitué. Il était nommé pour trois ans. C'est la condition qui avait été nécessaire pour qu'un accord se fît. Il serait formé par sept membres dont trois désignés par le gouvernement, deux par chacune des chambres. Le Roi aurait voulu réserver toutes les nominations à l'exécutif et plusieurs libéraux étaient de cet avis.

Jusqu'en 1844 le système prévu par la loi de 1835 se maintint, malgré de réels inconvénients. Mais, cette année-là, Nothomb conduit par sa politique unioniste, voulut modifier la législation et faire admettre un jury nommé tout entier par le ministère. C'était une concession aux libéraux pour conserver l'unionisme. Les catholiques et surtout les évêques (page 99) s'y opposèrent. Ils craignaient l'ingérence gouvernementale et y voyaient un danger pour la pleine liberté de l'enseignement.

Le Roi était franchement du coté du ministre. Il demanda à Pecci et aux évêques de céder. Ceux-ci ne le voulurent pas. Autant que Sterckx, Van Bommel, avec plus de fougue d'ailleurs, s'insurgeait contre le projet Nothomb. « C’est la nation qui doit, par les trois branches du pouvoir qu'elle constitue, former le jury d'instruction parce que le jury doit être non pas la représentation des universités, mais la garantie non seulement de la liberté de l'enseignement, mais de l'enseignement bien donné. Et si l'on veut absolument que le jury représente une opinion, il ne faut pas que ce soit celle des corps universitaires, car celle-ci peut devenir mauvaise, il ne faut pas que ce soit celle d'un ministère car les ministères changent et, quoiqu'il soit vrai, constitutionnellement partant, que le ministère est sensé le produit de la majorité, cependant sur le terrain de la réalité, tel ministère arrivé par l'intrigue, pourrait en fait d'instruction et de doctrine, rendre la combinaison de ses choix éminemment suspecte. Si donc le jury doit exprimer une opinion, ce doit être celle de la nation, celle-ci ayant seule le droit politiquement parlant, d'être souveraine. » (Van Bommel à Sterckx, le 13 février 1844, Arch. archev. Malines, Fonds Sterckx, Dos. V, t. 5.)

Sterckx, aidé par le recteur de Ram, continuait d'agir comme il le pouvait pour garder la disposition de 1835. Il craignait qu'une représentation proportionnelle des quatre universités dans le jury d'examen ne fût un détriment pour Louvain, puisque les délégués de l'université de Bruxelles soutiendraient ceux des universités du gouvernement. Il insistait auprès de Dechamps, qui était ministre et soutenait le projet Nothomb. Le cardinal ne cachait pas que, d'après lui, Dechamps devait abandonner le pouvoir plutôt que de se rallier à l'idée gouvernementale. Mais le Roi soutenait les propositions Nothomb. Malgré les efforts de celui-ci pour obtenir l'adhésion séparée de l'un ou l'autre évêque, l'épiscopat demeurait ferme.

(page 100) C'est qu'il était secondé par Rome. Le cardinal Lambruschini, secrétaire d'État, ne cachait pas l'opinion du Souverain Pontife. Pour ce dernier, c'était la liberté de l'enseignement qui était en jeu. Avoir un jury nommé par le gouvernement, ne serait-ce pas l'accès vers le monopole d'État ? Aussi Pecci, engagé par le Saint Père à soutenir les évêques, se mettait en nette opposition contre Nothomb et le Roi.

Ce qui compliquait encore la situation, c'est que l'étranger, la France, la Prusse, l'Autriche, se mêlaient de l'affaire. Les gouvernements de ces pays, désireux de créer un pouvoir fort, craignaient les avances de la liberté. Ils savaient combien l'exemple belge était dangereux alors que dans leur pays se prolongeait l'écho du mot d'ordre : « La liberté comme en Belgique.3 Aussi étaient-ils attentifs. Et, à défaut d'une pression officielle sur Nothomb, il est certain que leur sympathie agissante était acquise au projet ministériel. En tous cas, les diplomates de ces pays assistaient aux débats la Chambre.

C'est que l'affaire devait évidemment aboutir. « Après huit jours de discussions les plus vives et les plus animées, qui aient jamais eu lieu dans ces chambres, écrivait Pecci, la grave affaire du jury universitaire a été résolue. » (Pecci à Lambruschini, le 30 mars 1844, cité par 'T SERCLAES, Léon XIII, t. 1, p. 110.) Elle le fut dans le sens de l'épiscopat. Le jury serait composé comme en 1835 ; mais une concession fut faite à l'opinion libérale : la loi serait à revoir dans quatre ans. « La loi adoptée est provisoire, écrivait Pecci, mais elle ne laissera pas d'exercer une salutaire influence à cause de l'intérêt vif que sa discussion a excitée dans tout le royaume et je me persuade que, les quatre ans écoulés, le ministre qui sera alors au pouvoir, se souviendra de l'opposition que le projet a rencontrée. » (Ibid. Sur cette affaire du Jury, voir les documents. Arch. archev. Malines, Fonds Sterckx, Dos. III, f. 5 et Arch. Vat., Nunz. del Belgio, 1844.) Pecci se trompait. En 1849, les libéraux étaient au pouvoir et les chambres décidèrent que, à l'avenir, le gouvernement nommerait le jury d'examen.

L’enseignement primaire

(page 101) C'est en 1842 que les Chambres votèrent la loi organique sur l'enseignement primaire. Comme on le devine, il n'avait pas fallu attendre cette date avant que l'intervention de l'État fût discutée.

Plus on s'éloignait de 1830, plus la différence entre l'opinion catholique et libérale s'accusait. Cependant, en matière d'enseignement, les premiers, primitivement partisans du rôle purement supplétif de l'État, inclinaient à croire l'intervention de celui-ci nécessaire pour l'instruction primaire.

Malgré l'effort considérable fait par les évêques dans leur diocèse respectif, l'enseignement primaire était insuffisant. De plus, les communes habilitées par la loi de 1836 à ouvrir des écoles n'avaient pas eu la diligence nécessaire. L'archevêque Sterckx ne cachait pas qu'il y avait beaucoup de progrès à faire. Il n'est pas étonnant que le gouvernement se fût préoccupé de la chose et se demandât si la liberté pouvait à elle seule assurer dans le pays l'instruction primaire requise. Il n'est pas douteux qu'à cette réelle carence s'ajoutât chez certains libéraux l'ennui que l'enseignement primaire fût de fait entre les mains du clergé.

Mais quel remède apporter? On eût tôt fait de dire qu'une loi devait intervenir et régler toute la question comme pour l'enseignement supérieur en 1835. C'était évidemment l'avis des libéraux.

Mais que pensaient les évêques et les parlementaires catholiques ? (Pour la correspondance des évêques et les divers projets de loi composés ou amendés par eux durant les rétroactes de la loi sur l’enseignement primaire de 1842, et cela depuis 1837, voir Arch. Archev. Malines. Fonds Sterckx, Dos. VI, f. l.) L'archevêque ne cachait pas son idée : il fallait une loi. Divers motifs le poussaient à cette solution. Il se sentait incapable d'assurer dans son diocèse un meilleur enseignement primaire. Sollicité par la grosse affaire de l'Université de Louvain qui lui coûtait beaucoup, il ne pouvait, comme il l'aurait voulu, aider pécuniairement les écoles (page 102) primaires. D'autre part, convaincu, après l'expérience de 1835, que l'on en arriverait quand même, tôt ou tard, à créer une loi, il ne voulait pas qu'elle se fît en dehors de l'influence épiscopale. Il savait combien le prestige de l'Église était grand dans le pays, combien son influence personnelle était puissante auprès des hommes politiques et il espérait, grâce à cela, avoir une part prépondérante dans la composition d'une loi. Il lui répugnait de penser que, par suite de l'abstention de l'épiscopat, la loi fût areligieuse comme l'avait été celle de 1835. A ce moment-là, ce fut sa volonté première de ne pas avoir de loi qui l'avait empêché d'intervenir à temps. Il s'en était consolé, en croyant que les universités libres allaient de loin l'emporter sur celles du gouvernement. Mais, en 1840, la preuve était faite que celles-ci se maintenaient ; il en serait de même pour l'enseignement primaire. Aussi voulait-il une loi, mais, précisément parce qu'il l'accordait, il s'attendait à ce que les garanties les meilleures y fussent inscrites tant pour l'enseignement religieux que pour l'éducation chrétienne.

Les autres évêques ne pensaient pas tous ainsi. Entre autres, celui de Tournai. Celui-ci ne voulait pas de loi. Il connaissait les déficiences de l'instruction primaire et il voulait les corriger en fondant une Société catholique pour favoriser les progrès de l'instruction populaire basée sur la religion. A Gand, la résistance était plus caractéristique encore. Là, le chanoine Raepsaet était à la tête du mouvement d'opposition à une loi : dans son diocèse l'enseignement primaire libre était le mieux organisé. Cela expliquait l'opposition de Raepsaet aux tendances du primat de Belgique. Voulant bien admettre les défauts et les abus de la liberté, il affirmait qu'il fallait les préférer aux inconvénients certains de l'intervention de l'État qui, sans aucun doute d'après lui, entraînerait le monopole.

Encore si le Cardinal avait été soutenu par tous les hommes politiques catholiques. Mais ceux-ci présentaient deux grosses objections. Les uns, et le fameux banc de Tournai en était, repoussaient la loi qui aurait été destructrice de l'autonomie communale ; les autres, et Adolphe Dechamps avec eux, craignaient que, de fait, la loi ne fût un moyen puissant de (page 103) monopole et, en tous cas, enlevât à l'épiscopat la liberté apostolique nécessaire.

Adolphe Dechamps avait d'ailleurs un projet constructif : une loi des subsides. L'État, plutôt que d'organiser lui-même l'enseignement, veillerait, par une sage distribution de subsides, à soutenir les particuliers, les communes elles-mêmes qui, au nom de la liberté ou de la loi communale, ouvriraient des écoles. Cette idée rejoignait une des préoccupations qui sollicitaient de Theux dès 1833 (de Theux à Fr. Dubus, le 1 septembre 1833, Arch. du Dus de Warnaffe).

Ce dernier, à ce moment-là, envisageait déjà d'accorder, moyennant de sérieuses garanties, des subsides là où il y a manque d'instruction A la fin d'une lettre à Dubus, il écrivait : « Au sujet des écoles chrétiennes et des institutions du chanoine Triest, et des institutions de femmes ayant rendu pour l'enseignement primaire des services non contestés, et étant un des puissants moyens de relever le bas peuple des villes d'un état de démoralisation et de dégradation, la loi doit les encourager en permettant l'amortissement des habitations et des institutions et des salles d'écoles. » (Idem.)

Dechamps reprenait donc cette idée et il avait dans le corps épiscopal un fervent adepte : l'évêque Van Bommel. Mais celui-ci. au départ de cette suggestion et avec la conviction de la nécessité d'une instruction religieuse pour l'enfance, envisageait pour l'État l'unique rôle de soutien pécuniaire, laissant aux évêques le soin de toute la direction de l'enseignement. C'était demander trop, pensait Sterckx : « Certes, écrivait-il, il serait à désirer que par une concession volontaire, l'autorité civile abandonnât toute la direction de ses écoles au clergé et qu'elle se bornât au simple rôle de payeuse. Mais nous n'avons pas le droit de l'exiger. Nos droits se bornent à la direction de la foi et des mœurs. Bien que ce soit l'objet principal, l'élément essentiel d'une école, ce n'est pas le seul ; bien qu'il domine tous les autres, il ne les absorbe pas. C'est pourquoi l'autorité spirituelle doit bien avoir la part principale (page 104) dans la direction des écoles, mais elle ne peut en exclure totalement l'autorité civile. » (Sterckx à Van Bommel, le 12 janvier 1840, Arch. archev. Malines, Fonds Sterckx ; dos. III, f. 2.)

L'on remarquera que l'archevêque sépare nettement le rôle de l'éducation et celui de l'instruction. Il lui paraît évident - ce qui est négligé aujourd'hui - que le premier est le plus important, ce qui postule l'intervention prépondérante du clergé, mais il admet que, pour l'instruction, la responsabilité de l'autorité civile est engagée.

Quoi qu'il en soit, après bien des échanges de vues et des réunions à Malines, Sterckx parvint à convaincre ses collègues de la nécessité d'une loi. Mais évidemment, à condition que celle-ci accordât à la religion toutes les garanties désirables. C'est d'ailleurs, je le disais, pour obtenir celles-ci que Sterckx, au contraire de ce qui s'était passé pour l'enseignement supérieur, favorisait le projet d'une loi.

Dans l'entente à réaliser avec l'autorité civile, il y avait des rapprochements assurés. Et tout d'abord, la conviction était unanime qu'on ne pouvait exclure l'éducation religieuse de l'école. En France, en Allemagne, en Angleterre, en Belgique on pensait ainsi et, pour dissiper quelques hésitations ce propos, Dechamps, dans un magistral rapport, rappelait ce qui se passait dans les pays voisins. Van Bommel dans un livre fameux, l'Exposé des vrais principes, répandait cette information dans le grand public.

Les évêques parviendraient donc aisément à inscrire la religion comme matière obligatoire de l'instruction primaire. « L'attachement des Belges à la religion est un fait notoire... L'éducation aussi bien que l'instruction doit être avant tout morale et religieuse, et la religion se conserve dans le peuple par l'instruction. » (Réunion des Évêques, août 1842, Arch. archev. Malines). Tel était le principe que les évêques pouvaient inscrire en tête de leur rapport, à leur réunion du mois d'août 1839, rapport qu'ils envoyèrent au ministre. Celui-ci était convaincu. Et s'il ne l'avait été, le Roi l'était : « Si je réussis à mettre cet enseignement primaire dans les mains des évêques et à le retirer des conseils communaux (page 105) plus ou moins soumis aux intrigues libérales, écrivait-il, l'avenir de la Belgique est assuré, j'aurai rendu un grand service à la religion. » (Léopold I un diplomate piémontais. cité par DE RIDDER A., Fragments d'histoire Contemporaine, Bruxelles, 1930, p. 29).

C'est ailleurs que le discord devait surgir. puisque les évêques considéraient l'école comme centre d'éducation et un moyen de diffusion religieuse, - « la religion se conserve dans le peuple par l'instruction » - ils confirmaient par le fait-même que la liberté de l'enseignement est une expression de la liberté des cultes.

Au nom de celle-ci, ils vont présenter d'autres exigences. Ils les expriment différentes fois : « Les pasteurs sont les seuls qui aient mission et autorité pour enseigner la religion. » (Réunion des Évêques, août 1842, Arch. archev. Malines) « Un culte quel qu'il soit a le droit d'éduquer, d'instruire ses adeptes. Or, une heure de religion n'est pas suffisante pour l'enfant ; sa religion ne vivra, ne sera vraiment source de vie pour lui, que s'il l'apprend avec et par les autres branches du savoir humain. » L'épiscopat déduisait de là qu'il avait « le droit de surveiller tout l'enseignement, de visiter les écoles, de réformer les abus en provoquant auprès des bourgmestres et des autorités les mesures nécessaires... que les règlements devaient être faits de manière à assurer à l'enseignement de la religion la part qui lui revient et aux mœurs toutes les garanties qu'elles réclament... que la part principale doit revenir à l'autorité ecclésiastique dans la nomination et la révocation des maîtres. » (Note manus Sterckx, Arch. archev. Malines, Fonds Sterckx, dos. VI, f. 1.).

Ces diverses exigences étaient fixées par l'épiscopat dès le 5 août 1839, au moment où les discussions se précisaient à propos de l'opportunité d'une loi ; c'était la condition à laquelle l'épiscopat, convaincu par Sterckx, accorderait son concours à la loi projetée. L'archevêque, à ce moment, accueillit les desiderata des évêques et promit de les faire accepter par l'autorité civile. Le primat avait obtenu l'accord de ses suffragants sur la nécessité d'une loi, encore fallait-il que les pouvoirs publics acceptassent les exigences épiscopales.

(page 106) Sans doute, celles-ci avaient une base solide. En dehors même de leur valeur interne claire à beaucoup, elles étaient recevables puisque, au nom de la liberté des cultes, il paraissait bien que seuls les chefs des cultes avaient qualité pour exprimer ce qui était nécessaire à la libre expansion de leur opinion religieuse. Du coup que l'État reconnaissait cette liberté, celle-ci devenait un argument constitutionnel de première valeur. C'est d'ailleurs sur lui que l'épiscopat prétendit étayer toute la discussion.

Car, celle-ci surgit immédiatement et se manifesta surtout lorsque Nothomb. parvenu au pouvoir à la tête de son grand ministère unioniste, voulut, dans l'accord des libéraux et des catholiques, obtenir enfin cette loi si désirée sur l'instruction primaire. Nothomb devait ménager l'opinion libérale qui repoussait les exigences épiscopales. Et c'est ce que prévoyait lorsqu'il préconisait une loi de subsides. Celle-ci aurait respecté l'organisation interne des écoles et, l'instruction convenable assurée, aiderait toute école quel que fût le culte, le particulier ou l'opinion qui l'eût ouverte. Devant les oppositions de Nothomb, Dechamps jusqu'au dernier jour défendit son idée, mais en vain.

Car Nothomb résistait. Les libéraux ne voulaient admettre que les évêques intervinssent dans la nomination des professeurs et dans la surveillance de l'enseignement qui n'était pas celui de la religion. Dans le premier cas, jugeaient-ils, c'était reconnaître au clergé une qualité d' « autorité civile », dans le second, l'ingérence du clergé dans un domaine profane. Il y avait là pour les libéraux une question de principe. Décidés sauvegarder l'indépendance du pouvoir civil, ils ne voulaient pas que dans l'école aux frais de l'État l'épiscopat eût quelque autorité que ce fût.

Les évêques, d'autre part, tenaient absolument à cette prérogative ; elle leur paraissait essentielle, car c'est le maître qui, d'après eux, faisait l'école, créait l’ « atmosphère » de l'école.

Nothomb, aidé par Dechamps, tâchait d'opérer l'union entre les deux protagonistes en donnant à l'Église toutes les garanties désirables pour l'enseignement de la religion, mais en laissant l'enseignement profane hors des prises de l'épiscopat.

Assez vite le cardinal se rendit compte qu'il fallait céder (page 107) sur le principe de la nomination des professeurs : « Le clergé, écrivait-il, doit se borner à mon avis à demander des stricts droits et tâcher de gagner tellement la confiance qu'on lui abandonne spontanément le reste. » (Sterckx à Van Bommel, le 12 janvier 1840, Ibid. dos. III, f. 2.) Qu'est-ce à dire, sinon que Sterckx fait une distinction entre le texte de la loi et la pratique. Ne parvenant pas à faire inscrire dans les articles légaux toutes les garanties désirables. se contentant de l'enseignement obligatoire de la religion, il espère, par voie administrative, obtenir, grâce à son prestige et à celui de l'Église. une pratique respectueuse de la pensée épiscopale.

Aussi, l'archevêque sollicite les évêques, malgré les résistances de Mgr Labis, à accepter le texte de loi tel que Nothomb le présente, en fin de compte. Dans ce projet il est dit que « l'enseignement primaire comprend nécessairement l'enseignement de la religion et de la morale... Que celui-ci est donné sous la direction des ministres du culte professé par la majorité des élèves fréquentant l'école... que, quant à l'enseignement de la religion, la surveillance sera exercée par les délégués des chefs des cultes », enfin que « les livres employés exclusivement pour l'enseignement de la morale et de la religion... sont approuvés par les chefs de culte seuls. »

On le remarque, les concessions à l'épiscopat sont substantielles, mais il n'est pas question de la nomination des professeurs et de l'intervention dans les branches profanes. Cependant, Sterckx est d'accord sur tout cela. Même, au dernier moment, alors que l'on veut, à la veille du vote, réserver aux uniques livres de religion la censure de l'épiscopat, c'est le cardinal qui, à une rapide délégation envoyée le soir même à l'archevêché, répond que l'on peut céder. (Fr. Dubus à E. Dubus, le 18 août 1842, Arch. Du Bus de Warnaffe, Cor. Fam., t . XII.)

La loi est donc votée avec les stipulations que j'ai indiquées plus haut. Nothomb avait défendu son projet avec force et il parvint un vote très réconfortant à la Chambre où il eut presque l'unanimité, qu'il obtint d'ailleurs au sénat. Les libéraux avaient donné leur accord ; ils se persuadaient avec Veydt que « la loi laissera peu de chose à désirer lorsqu'elle (page 108) sera confiée à un ministère libéral, ce qui arrivera infailliblement un jour. » (Veydt à Rogier, le 28 août 1812, cité par DISCAILLES., Charles Rogier, 4 vol., Bruxelles, 1895, t. III, p. 79.)

Mais alors, pourquoi les catholiques l'ont-ils votée? Certains, comme Dechamps, l'avaient fait par déférence pour l'épiscopat, mais en proclamant : « Viendra le jour où on s'en repentira. » Et les évêques? En somme, ils n'avaient pas les garanties désirées à propos de la nomination des professeurs et de l'atmosphère de l'école. Le fait même que les libéraux avaient été favorables en était la preuve.

Sans doute, l'archevêque était partisan de la loi qui, d'après lui, valait mieux que rien. Mais il y a un autre fait à considérer. A leur réunion du mois d'août 1842, alors qu'ils se rendaient compte que leurs exigences ne seraient pas admises par le ministre, ils communiquèrent à celui-ci leurs fameux désiderata de 1839. Pour eux, ils acceptaient la loi à condition que, dans la pratique, comme Sterckx l'espérait, on tînt compte de leur demande de garanties. Eux aussi, comme Veydt le disait pour l'opinion libérale, pensaient que la loi confiée à un ministère catholique ne laisserait rien à désirer. Car un tel gouvernement, et Nothomb le prouvera par sa gestion, tiendrait compte de leur avis. Les évêques parurent avoir raison, puisque bientôt de Theux, parvenu au pouvoir, donna, en 1845, par voie de règlement, entière satisfaction à l'épiscopat.

Nous touchons ainsi l'imperfection de cette loi à propos de laquelle Paul Hymans pouvait écrire : « Une action administrative peut corriger les défauts d'une loi imparfaite. » La loi de 1842, dans son texte, donnait raison aux libéraux ; mais, dans son interprétation épiscopale et son application acceptée par Nothomb et suivie par les ministres catholiques, elle donnait satisfaction aux évêques. Sa qualité serait son ambiguïté ; c'est pour cela qu'on en a voulu faire un titre de gloire pour Nothomb ; mais il est incontestable que c'est au contraire la faiblesse de cette loi. Les libéraux avaient pour eux l'avantage d'un texte clair et légal connu de tous, les évêques avaient (page 109) seulement un accord secret et même tacite sur les observations présentées au ministre.

Les pères jésuites, le père Boone en particulier, n'avaient pas manqué de souligner ce défaut et le père Janssen écrivait à Noyer, chargé d'affaires près le Saint-Siège : « On y a l'air de donner beaucoup à la Religion et à ses ministres, mais ce n'est qu'apparence... Fasse le ciel que les catholiques s' aperçoivent (sic) de l'embûche qu'on leur tend et qu'ils soient sur leurs gardes. » (Janssen à Noyer, le 11 août 1842, Arch. minist. étr.,Brux., Cor. Pol. Lég., S.-S. T. II, n°91)

Quoi qu'il en soit, l'adhésion de Sterckx et de l'épiscopat fut une véritable concession. Comme le dit M. Van Kalken, ils auraient pu faire en sorte que cette loi ne passe pas. Nothomb le reconnaissait : « La loi de 1842 empêchait l'instruction primaire de passer constitutionnellement sous l'influence exclusive des évêques. Se prévalant de leur indépendance ils étaient en train de fonder partout des écoles assurées de la confiance des populations, surtout dans les campagnes et les petites villes... par leur acquiescement, ils ont suspendu leur droit en se contentant du service religieux à prêter à certaines conditions conciliables avec la dignité du pouvoir civil. Les libéraux en échange reconnaissaient que dans l'école, la place du ministre des cultes, était marquée de droit. » (NOTHOMU, J.-B., Essai sur la Révolution Belge, 2 vol. 2ème éd., 1876, t. 11, p. 284.)

C'est Sterckx que revient d'avoir groupé les évêques et les catholiques autour de la loi. Il suivait en cela sa tendance naturelle à la conciliation, et aussi l'intérêt apostolique. Il ne voyait pas la possibilité d'organiser seul l'enseignement primaire, mais la nouvelle législation reconnaissait comme religion celle de la majorité, c'est-à-dire celle des catholiques. La religion catholique devenait pratiquement la religion officielle de l'enseignement primaire. La liberté des autres cultes était cependant sauvegardée : si les élèves d'une autre religion étaient majoritaires, c'était celle-ci qui était enseignée dans l'école. D'autre part, les élèves minoritaires étaient exemptés du cours de religion. Mais en plus de ces motifs, Sterckx avait voulu la loi pour assurer l'entente avec l'État.

(page 110) Donc, l'archevêque Sterckx et les évêques, instruits par l'expérience de 1835 étaient parvenus à faire inscrire, dans la loi, le caractère obligatoire de l'enseignement de la religion. Sans doute, les garanties désirées n'étaient pas fixées par un texte légal. Mais la pratique semblait pouvoir les accorder : le règlement de Theux en est une preuve. Toutefois, si un ministre ne le faisait pas observer et si, dès lors, les garanties devenaient illusoires, que feraient les évêques ?

L'enseignement moyen

Rogier avait, dès 1831, présenté un projet de loi sur l'enseignement moyen, mais sa discussion en fut retardée jusqu'en 1850. Dans l'entretemps, les propositions de Rogier subirent des modifications inspirées par les majorités au pouvoir. Tout particulièrement Van de Weyer et de Theux les avaient nuancées de libéralisme. Lorsque, en 1847, les libéraux, au lendemain de leur Congrès de 1846, prirent le pouvoir, l'on pouvait s'attendre à ce que le principe de l'indépendance du pouvoir civil inspirât le projet de loi que Rogier présentait définitivement à la Chambre.

Évidemment, il avait déjà été pourvu l'enseignement moyen. Là aussi, le clergé avait pris une part importante. La formule qui avait le plus de faveur était celle des collèges dirigés par le clergé, mais subsidiés par la commune (Voir SIMON, A. Le Cardinal Sterckx et la Ville de Malines...). Cependant, surtout après les précédents de 1835 et de 1842, il apparaissait que l'État devait également organiser l'instruction moyenne, surtout que la part du clergé était devenue prépondérante dans cette branche de l'instruction publique.

Après de longs préambules, on en arriva enfin au seuil de l'année 1850 et au projet Rogier, lequel devait susciter une vive querelle. Pour interpréter comme il le convient l'attitude des libéraux et des catholiques, il faut tenir compte, entre autres, de certains rétroactes importants.

Et tout d'abord, la pratique administrative de la loi sur l'instruction primaire. Au fond, les craintes de Dechamps et du père Boone se trouvaient justifiées. Des difficultés (page 111) surgissaient, surtout depuis 1847. L'épiscopat n'avait-il pas eu tort d'accorder son concours à la loi ? Les garanties ne semblaient pas suffisantes parce qu'elles n'avaient pas été inscrites dans la loi. On pouvait donc supposer que pour l'enseignement moyen, surtout sous un ministère libéral, l'épiscopat serait défiant. Le danger de monopole se précisait d'autant plus, à leurs yeux, que la solution envisagée, même par de Theux, n'était pas, comme pour l'instruction primaire, de laisser une relative autonomie aux communes . Les athénées seraient ouverts et dirigés par l'État. (La correspondance entre les évêques et celle de Sterckx avec le gouvernement à propos de la loi de 1850 et de son application se trouvent en grande partie aux Arch. archev. Malines, Fonds Sterckx, dossier V, fardes 1, 2 et 3, dossier VI, fardes 1 et 2, dossier IV, f. 3.)

Or, les libéraux, au pouvoir depuis 1847, étaient décidés à mettre en pratique les décisions de leur Congrès : « L'organisation d'un enseignement public… en repoussant l'intervention des ministres des cultes à titre d'autorité. » Leur volonté laïcisante était nette. Ils en avertissaient d'ailleurs le Saint-Siège et demandaient à leur représentant accrédité à cette cour de faire comprendre que les temps actuels exigeaient cette sécularisation et que le clergé devait s'y résoudre. (Voir note page 116, notes 1 et 2.) C'est précisément ce qui tenait l'épiscopat en éveil.

Une autre incidence fut d'une importance essentielle, non seulement parce qu'elle découvrait nettement la volonté épiscopale, mais aussi parce que, avec une réelle habileté et sur le mode obsédant, les libéraux, et tout particulièrement Lehon, ne cessèrent de la souligner. Il s'agit de la Convention de Tournai.

L'évêque de Tournai, Mgr Labis, dont on connaît je ne veux pas dire l'intransigeance, mais la ténacité et la fermeté des principes, avait conclu un accord par lequel la régence de Tournai faisait au clergé une situation très importante dans le collège communal. Il était stipulé : « En cas de nomination d'un professeur nouveau, la liste des candidats formée par la commission de l'athénée sera soumise à l'évêque du diocèse qui s'il existe des motifs graves religieux en fera l'objet d'observations (page 112) auxquelles l'administration sera tenue de faire droit. » C'était, nettement exprimée, l'intervention épiscopale dans la nomination des professeurs. Les libéraux se tinrent donc en défiance, surtout qu'il apparaissait, comme le montre la réunion des évêques en février 1846, que ceux-ci, du moins dans leur généralité, Mgr Labis et Mgr Boussen avec véhémence presque, voulaient comme base d'un accord avec l'Etat cette stipulation de la Convention de Tournai. Ce qui était diamétralement opposé aux décisions du Congres libéral. (Réunion des évêques de février 1846, Arch. archev. Malines.)

Un incident qui paraît mineur et qui mit aux prises Rogier et Nothomb, eut également son influence. Pour stigmatiser l'attitude de ce dernier qui avait cru devoir céder aux pressions épiscopales et pour montrer ce qu'il ne fallait pas faire, on dévoila en pleine chambre la teneur d'une lettre confidentielle envoyée par Nothomb à l'évêque de Gand. Sans doute, l'on pouvait discuter la délicatesse de ce geste qui faisait connaître une lettre privée, et Nothomb ne se fit pas faute de le souligner, il n'empêche que la lettre fut livrée au public et la chambre en demanda la publication dans Les Documents parlementaires. Or, cette missive contenait un paragraphe, « bâtonné de deux traits de plume en croix », c'est-à-dire qui n'avait pas été transcrit dans l'original envoyé l'évêque, mais qui n'en signalait pas moins un fait délictueux aux yeux des libéraux. Voici ce texte : « Un père de famille de Renaix s'y livrait avec succès à l'enseignement depuis trente ans, estimé de tous les habitants, fortement appuyé par l'autorité locale. Il a été sacrifié au protégé de Votre Grandeur et cependant il est impossible d'articuler contre M. Williquet aucun fait. » Nothomb avait beau dire que le texte n'avait pas été envoyé à l'évêque, il avait beau rappeler que Williquet avait joui d'un avancement avantageux. le fait était là, « il avait été sacrifié au protégé de l'évêque. » C'était pour les libéraux une insupportable abdication du pouvoir civil. Il manifestait, à leurs yeux, les abus réels que la loi admettrait si elle reconnaissait quelque autorité que ce fût aux évêques.

Le projet Rogier devait se ressentir de ces diverses circonstances. Il est manifeste que le ministre a longtemps temporisé. Sa pensée mûrissait et il espérait, par des conciliabules (page 113) officieux, arriver à un accord. Il se rendait compte de la nécessité de ne pas laisser le clergé totalement étranger aux écoles moyennes de l'État. D'autre part, il ne voulait pas inscrire le caractère obligatoire de l’enseignement de la religion. C'était, d'après lui, s'engager dans une impasse. Ce cours était obligatoire et, comme il se devait, donné sous la direction du ministre des cultes, qu'adviendrait-il si, à la suite d'un conflit, le clergé se refusait à faire ce cours ? La loi ne serait pas observée. Ou bien il fallait supposer que, en toute hypothèse, l'on se rangerait aux exigences du clergé. Ce que, évidemment, l'opinion libérale ne pouvait admettre : c'était par un biais permettre au ministre des cultes de jouer un rôle d'autorité.

Aussi Rogier conçut-il une formule nouvelle : le clergé serait « invité » à donner la religion dans les athénées et les écoles moyennes. Déjà précédemment le ministre avait déclaré : « La loi de 1842 n'offre pas au clergé une intervention efficace et honorable : elle ne donne ni au clergé ni l'État des sanctions véritables, car d'une part le gouvernement peut maintenir une école malgré l'abstention du clergé, d'autre part il ne peut forcer le clergé à entrer dans une école. Il faudrait donc une formule qui sauvegardât la dignité du gouvernement et celle du clergé, c'est l'invitation par le gouvernement. » (Arch. archev. Malines, Enseignement primaire, commission centrale, séance du 22 décembre 1849.)

Dès l'abord, ces propositions de Rogier devaient rencontrer l'opposition. Sterckx avait trop milité depuis 1835 pour ne pas s'inquiéter de ce que l'enseignement religieux ne fût pas obligatoire. D'ailleurs. il était soutenu par le Roi qui obtint finalement que la religion fût comprise parmi les branches obligatoires de l'enseignement.

Quant au mode d'intervention du clergé, le caractère d'« invité » déplaisait aux évêques. Cela leur paraissait contraire au caractère obligatoire du cours de religion. En suite de cette obligation, le clergé n'avait pas seulement être invité, il avait le droit de donner cet enseignement. Sterckx essaya de les apaiser : « Ce n'est pas cette question d'invitation qui importe. Jusqu'à présent nous avons eu l'équivalent ; c'est, en effet, à la demande du ministre. des conseils communaux que le clergé a donné l'enseignement religieux. Ce qu'il faut (page 114) éviter c'est qu'on ne laisse pas agir le délégué de l'évêque en toute liberté, c'est qu'on le prenne pour un agent du gouvernement. » (Sterckx Van Bommel, le 10 mars 1850, arch. Archev. Malines, Fonds Sterckx, D. V. t. 2.)

C'est là, en effet, que la question allait devenir épineuse. Les évêques, en définitive, présentaient deux exigences : l'homogénéité du corps professoral, le refus des écoles mixtes, c'est-à-dire d'établissements scolaires où plusieurs cultes étaient enseignés. Par la première, ils voulaient s'assurer que tous les professeurs présentassent les garanties suffisantes de moralité pour que l'atmosphère de l'école fût catholique, par la seconde, ils repoussaient que, dans la même école, deux cultes eussent leurs représentants et que deux religions fussent enseignées. Ils avaient, en ce dernier point, obtenu satisfaction dans l'enseignement primaire puisque la religion de la majorité des élèves était seule enseignée. Dans ce refus des écoles mixtes, les évêques étaient soutenus par le Saint-Siège qui, tout récemment, dans une lettre à l'épiscopat irlandais, s'était opposé à de pareilles institutions scolaires.

Sans doute, à ces deux principales revendications de l'épiscopat s'ajoutait le désir de voir l'éducation religieuse garantie par une suffisante liberté laissée au ministre du culte et par une surveillance des livres classiques, mais quelle que fût l'importance de ces dernières demandes. ce ne sont pas elles qui suscitèrent le désaccord profond entre l'épiscopat et le gouvernement.

Ce fut l'homogénéité du corps professoral. Comment l'obtenir sinon en reconnaissant à l'épiscopat une part dans la nomination ou la révocation des professeurs ? N'était-ce pas agir à titre d'autorité ? Et, malgré les propositions lénifiantes de Sterckx, l'épiscopat avait peine à abandonner les formules de la Convention de Tournai. Mgr. Labis la voulait telle quelle pour tout l'enseignement ; et plus la Chambre était émue par le rappel constant de la fameuse convention, plus Mgr de Tournai tenait à son point de vue. C'était malhabile. A lui seul, le nom de cette Convention exacerbait les libéraux. Rogier se refusait donc admettre le point de vue des évêques dans la composition du corps professoral.

(page 115) A vrai dire, l'épiscopat prétendait ne pas demander le droit de nommer les professeurs ; il exigeait seulement, disait-il, d'avoir des professeurs qui assurent une éducation chrétienne : « Les évêques n'ont pas demandé la part dans la nomination des professeurs ; ils ne la demandent pas, écrivait Sterckx, mais en vertu de la position que leur fait la Constitution, ils sont libres ou non de concourir à la loi ; ils ont le droit de demander des garanties. Le gouvernement, ainsi le veulent les évêques pour donner leur concours, doit garantir d'avance un personnel homogène. Comment ? Le gouvernement n'a qu'à trouver le moyen. » (Évêques à Rogier, le 15 mars 1851, Ibid., D. V, f. 1.)

N'est-ce pas un jeu de mots? Ce l'est, si l'État et l'Église sont hostiles ; toutefois, dans une atmosphère de concorde, comme ce fut le cas durant les années qui suivirent la loi de 1842, l'État et l'Église pourraient s'entendre pour « trouver le moyen. » Mais précisément, depuis 1847, on était en état d'alerte des deux côtés. On se suspectait, et comme les affaires ne pouvaient s'arranger dans la conciliation, il faut reconnaître que demander l'homogénéité du corps professoral, c'était pratiquement demander d'intervenir dans sa nomination. Sans doute reste-t-il vrai que, tous comptes faits, le gouvernement nommait, mais, pour le moins, sa liberté de nomination était contrecarrée. Il n'en reste pas moins que si on l'avait voulu, une entente à l'amiable était possible. Sterckx voulait dire cela lorsqu'il écrivait : « Le droit d'agréation dont jouit le ministre dans la nomination des professeurs de religion est également une garantie préalable et le gouvernement croit pouvoir en jouir sans s'immiscer dans la nomination des ministres du culte et sans s'immiscer dans l'autorité spirituelle. » (Sterck à Rogier, le 27 mars 1851, ibid.) La comparaison est bonne, mais elle suppose une bonne volonté réciproque : une des parties cédant avec magnanimité, et l'autre évitant une insistance désagréable. Sterckx laisse entendre que l'épiscopat aurait cette compréhension pour les ministres des cultes. Rogier semble croire que les évêques ne l'auraient pas pour la nomination des autres professeurs.

(page 116) Rogier avait reconnu, comme ultime concession, en décembre 1840, que les évêques nommeraient les professeurs et les inspecteurs de religion ; il voulait même, tout en ne les inscrivant pas dans la loi, assurer ces garanties par la sanction d'un arrêté royal. C'était reconnaître aux évêques le droit de diriger l'enseignement religieux dans les écoles. Encore fallait-il que les évêques voulussent y envoyer leurs prêtres.

Pendant que, à l'archevêché et à la rue de la Loi, l'on s'affairait pour arriver à un accord, le Saint-Siège était alerté. Il allait prendre une décision qui devait avoir dans la vie politico-belge une importance considérable. Le 20 mai 1850, Pie IX, dans une allocution consistoriale, condamnait pratiquement la loi sur l'enseignement moyen. Il est nécessaire, pour comprendre ce geste, de retenir, ici aussi, quelques rétroactes.

Rome avait été avertie des intentions sécularisatrices du gouvernement libéral ; cela même la mettait en garde. Aux premiers jours de mai, l'on faisait état dans les milieux romains d'une pièce émanant du ministère belge, pièce secrète, qui cependant, on ne sait par quelle indiscrétion, était connue du Saint-Siège (Note de bas de page : « On lit les lettres ici et l'on a connaissance de certaines pièces du ministère de la Justice » de Meester à d'Hoffschmidt, le 16 juin 1850, Arch. min. Brux., Cor. pol. Lega., S.-.S., t. IV. n°165.). Il y était question d'un accord à élaborer entre le Saint-Siège et le gouvernement belge, et qui se serait fait en dehors des évêques. « La conclusion d'une convention avec le Saint-Siège relativement à certaines questions mixtes sur lesquelles l'autorité civile et le clergé doivent s'entendre, serait un fait heureux. Telles sont : la question de la circonscription des diocèses, la composition des chapitres, le nombre et l'attribution des vicaires généraux pendant la vacance des sièges épiscopaux, le nombre et l'organisation des séminaires quant à l'organisation temporelle », et les desiderata se succédaient : collation des bourses. composition des fabriques (d'église), nombre des curés etc... (d'Hoffschmidt à de Brouckère, le 14 mai 1850, ibid., n°96, et annexes, I, II.) Bref c'était une volonté d'organisation mise noir sur blanc par l'État. Rome pensait que cette intervention était inopportune ; elle (page 117) liait l'Église ; elle ne tenait pas assez compte de l'autorité épiscopale ; elle semblait opposée aux libertés constitutionnelles ; elle instituait un système de concordat auquel le Saint-Siège ne voulait pas se résoudre (Instructions au nonce di San Marzano, le 23 juillet 1850, Arch., Vat. Nunz. di Bruxelles) et qui ne se comprenait pas dans les rapports d'une Église libre avec un État libre. Il semble d'ailleurs que le ministre lui-même ait admis que cette proposition était hardie, puisqu'il demandait simplement de « sonder le terrain. » (Note de bas de page : Quelques semaines plus tard, le ministre demandait de considérer comme non avenue sa lettre du 14 mai 1830.) Cette lettre devait rester secrète. Elle fut connue de Rome et elle inclina le pape à interpréter le projet de loi sur l'enseignement moyen comme un moyen bien net de sécularisation et comme l'élément d'un ensemble qui devait diminuer la liberté de l'Église en Belgique.

C'est bien ainsi que se posait la question dans les milieux pontificaux : la liberté des cultes, la liberté de l'enseignement, qui en était l'expression, couraient grand risque. C'est ce que Antonelli, le secrétaire d'Etat disait à de Brouckère au début de l'année 1850 (de Brouckère à d'Hoffschmidt, le 22 janv. 1850, Ibid., t. VI, n°10.). Sans doute, le ministre parvint-il à rassurer le cardinal, car, celui-ci avouait que l'on n'avait que des appréhensions. Mais celles-ci sont à retenir. En tous cas, si le Saint-Siège pouvait se convaincre des bonnes intentions du gouvernement en matière de liberté de l'enseignement, une autre question, celle des écoles mixtes, le préoccupait et il se ble bien que cette objection était la plus grave aux yeux de Rome.

Toujours est-il que le secrétaire d'État avait demandé à Sterckx un rapport détaillé sur le projet de loi (Antonelli Sterckx. le 26 mars 1850, Arch. archeo. Malines Fonds Sterckx, dos. V, f. 2.). A Malines, on avait pensé qu'il n'était pas sage de faire appel au Saint- Siège. Van Bommel l'avait cru utile, mais Sterckx s'y était longtemps opposé (Van Bommel à Sterckx, le 19 avril 1830, Sterckx Van Bommel, le 20 avril 1850, Arch. archev. Malines, Fonds Sterckx, dos. V, f. 2). Et lorsque la lettre du secrétaire d'État (page 118) était partie de Rome, une missive envoyée par Sterckx, enfin convaincu de l'opportunité d'un appel au Saint-Siège, n'y était pas encore parvenue. Le cardinal de Malines jugea cependant nécessaire d'envoyer, en plus, le rapport demandé. Dans celui- ci, il ne manquait pas de montrer les défauts du projet de loi, mais en définitive, sa réponse était apaisante. Il y soulignait la nécessité majeure d'une entente avec le gouvernement. « Ce serait un double malheur si le clergé devait refuser son concours, d'abord parce qu'une partie notable et très importante de la jeunesse belge serait élevée sans recevoir une instruction solide sur ses devoirs religieux, ensuite parce que le clergé serait forcé de se placer dans une position hostile vis- à-vis du gouvernement, ce qui ne pourrait manquer d'être funeste, tout à la fois, à l'Eglise et à l'État. » (Sterckx à Antonelli, le 27 avril 1850, Ibid., dos. V, t. 1). On ne peut se dispenser de voir dans cette lettre une volonté de conciliation et d'apaisement.

Cependant, comme je l'ai dit, Rome crut devoir parler. Elle le fit de façon inopinée. Le ministre près le Saint-Siège, de Brouckère, devait partir en congé. Ce diplomate voulut avoir ses apaisements. Après que Antonelli eût affirmé que, dans le consistoire de ce mois de mai, le pape ne parlerait par de l'affaire belge, l'ambassadeur partit tout réconforté. Et voici que le 20 mai, Pie IX disait : « Nous ne pouvons nous défendre de témoigner notre douleur à la vue des périls qui menacent chez elle [la nation belge] la religion catholique. » C'était vague sans doute, mais dans une conversation particulière, où il essayait de justifier son silence en arguant que le consistoire et ce qui s'y passait devaient rester secret jusqu'à la réunion cardinalice, le secrétaire d'Etat ne cachait pas que le pape avait eu en vue la loi sur l'enseignement moyen.

Après avoir exprimé sa douleur, le pape avait cependant ajouté une parole d'espoir et de « confiance que le Roi et tous ceux qui en Belgique tiennent le timon des affaires s'attacheront à défendre et à protéger les saints prélats et les ministres de cette église. » Cette restriction était sans doute la réponse aux paroles d'apaisement de Brouckère et à la volonté de conciliation de Sterckx.

(page 119) Un éclaircissement du nonce devait compliquer les choses. « Hier au soir, écrivait-il, j'ai trouvé une dépêche du cardinal [secrétaire d'État] à la date du 1er juin. S. E. me fait observer que la traduction italienne de l'allocution (que je ne puis vérifier en ce moment) a mal rendu la pensée de l'original où par les mots « qui summam rerum etc. » on a voulu faire allusion non au ministère mais aux chambres législatives. En effet, il est permis de croire que le Saint-Père par le « serenissimum » et le qui « summam rerum etc. » a eu l'intention d'indiquer les deux grands pouvoirs constitutifs de l'État. Le cardinal ajoute que je pouvais faire usage de cet éclaircissement, si l'opportunité se présente. » (di San Marzano à Sterckx, le 11 juin 1850. Ibid., dos. II, f. 3.)

Cette précision, tout en marquant la confiance au Roi et aux Chambres, était pratiquement un blâme pour le ministère et devait particulièrement indisposer le gouvernement et les libéraux.

Le ministre près le Saint-Siège est alerté ; il explique, il justifie ; il demande sinon une rectification, du moins une parole d'apaisement. Durant trois ou quatre ans, le gouvernement fait demander à Antonelli que le pape dise un mot qui corrige la mauvaise impression laissée par sa déclaration. Le pape ne crut pas devoir le faire. En somme il n'avait pas retrouvé confiance. (Voir sur ces insistances, Arch. min. All. Etr. Brux., Cor. pol.. Lég., S.-S., t. VI, n° 157 ; t. VII², n°243, 253; t. VIII, n°19, 38, 42, 44, 45).

Cette allocution consistoriale marque un tournant très important dans les relations entre l'Église et l'État belge. De même que la circulaire contre les francs-maçons avait, en 1838, creusé le fossé entre les libéraux et les évêques belges. l'allocution de 1850 modifia les rapports entre le gouvernement libéral et le Saint-Siège. Le ministère est dépité. Et rien qu'à lire la correspondance qui s'échange depuis ce moment là entre Rome et Bruxelles, on remarque que le ton et les attitudes changent. Avant ce 20 mai et les démarches immédiatement postérieures qui essaient d'en corriger l'impression défavorable, le gouvernement libéral témoigne d'une volonté d'entente, d'arrangement. S'il ne paraît plus avoir confiance (page 120) en les évêques, il espère en ce qu'il appelle l'esprit plus compréhensif de Rome et il compte malgré tout - son désir de convention en est une preuve - arriver à un accord en dehors de l'épiscopat belge. Il semble même prêt à faire des concessions ; il croit, en tous cas, pouvoir faire admettre son point de vue et surtout que, tout en étant libéral, il n'est pas hostile à la religion. Après l'allocution de mai 1850 et les vaines démarches en vue d'une rétractation pontificale, le ministère a perdu cet espoir. Il se raidit dans sa résistance à l'Église. Il n'essaie plus, ou guère, de convaincre, de se faire admettre ; il affirme. Il montre sa nette décision de poursuivre, contre Rome s'il le faut, son œuvre de sécularisation. Cette attitude se précisera évidemment lors du ministère de 1857, celui de Frère Orban qui ne mettra plus de formes. ou si peu. Le Saint- Siège lui apparaitra de plus en plus uniquement comme un État étranger avec lequel la Belgique a des relations diplomatiques. Ne comptant plus ni sur les évêques, ni sur le Saint- Siège, les ministres libéraux marcheront seuls dans la voie de la sécularisation. Les élections, à un moment donné, semblent leur donner raison.

Pour ce qui est de la loi sur l’enseignement moyen, les affaires étaient trop avancées pour permettre à l'allocution pontificale de sortir des effets favorables. La loi fut promulguée le 2 juin 1850. L'article 8 portait : « L'instruction moyenne comprend l'enseignement religieux. Les ministres des cultes seront invités à donner ou à surveiller cet enseignement dans les établissements soumis au régime de la présente loi, ils seront aussi invités à communiquer au conseil de perfectionnement leurs observations concernant l'enseignement religieux. »

A la lecture de cet article, on sent que Rogier a été le plus loin qu'il croyait pouvoir aller. Et, la rigueur, la dernière partie de l'article admettant que les ministres des cultes fassent leurs observations aux conseils de perfectionnement, laissait une possibilité d'obtenir des garanties, par voie administrative. Mais précisément, on s'en souvient, l'expérience des évêques poussait ceux-ci à vouloir des garanties inscrites dans la loi.

Devinant un refus de concours que les évêques avaient d'ailleurs annoncé, Rogier tarda à faire l'invitation prévue (page 121) par la loi. On était cependant en pleine activité : le nonce s'entremettait entre le gouvernement et les évêques. L'avis de Rome était clair, mais après les explications qui suivirent l'allocution consistoriale, Sterckx espérait encore s'accorder avec le gouvernement. Alors que, dans de nouvelles tractations où Mgr Malou, évêque de Bruges, se montrait peu conciliant, certains évêques demandaient un nouveau rapport à Rome. Sterckx crut qu'il était sage de ne pas le faire. Il savait que le Saint-Siège serait irréductible à cause de la promiscuité des divers cultes dans une même école. En tous cas il pensait qu'une démarche à Rome ralentirait la décision. (Sterckx à Malou, le 21 avril 1851, Arch. archev. Malines. Fonds Sterckx, dos. V, f. 3.).

Enfin, Rogier, dont la politique avait consisté durant plusieurs mois à obtenir pour chaque établissement l'accord de l'un ou l'autre prêtre qui consentît à donner l'enseignement de la religion, vit que cette habileté ne servait à rien. En conséquence, il fit aux évêques l'invitation prévue par l'article 8. Les évêques refusèrent d'envoyer des prêtres dans les établissements d'enseignement moyen de l'Etat. Sterckx avait tout fait pour éviter la rupture, et je crois qu'il serait arrivé à une conciliation, malgré certains évêques, si Rome n'avait été plus exigeante que lui.

C'était un échec pour Sterckx. Non seulement la loi ne lui donnait pas les garanties désirées, non seulement il ne pouvait, comme il l'avait pu pour la loi sur l'instruction primaire, compter sur une loi catholique pour se dispenser d'ouvrir lui-même des établissements d'enseignement moyen, mais il voyait avec douleur une grosse partie de la jeunesse privée de l'enseignement religieux.

C'est sur elle alors que se porta la sollicitude du primat. Il ne perdit pas courage. Ce que Devaux avait prédit, se réalisa : « Il ne faut pas s'effrayer d'un refus, avait-il dit en pleine Chambre. Il est possible que c'est une phase par laquelle il faille passer pour arriver plus tard des rapports plus stables et meilleurs avec le clergé. Le clergé a certainement le droit de préférer certaines écoles à d'autres, mais, il faut l'espérer, il se dira qu'après tout, quoi qu'il fasse, les écoles (page 122) du pouvoir laïc subsisteront, que de ces écoles sont sortis et continueront de sortir les hommes les plus influents du pays. Le clergé se dira que refuser d'exercer sur ces hommes, sur une partie si importante de la société future, une action qu'il croit si puissante, c'est à la fois une mauvaise action et un mauvais calcul. » (Séance de la Chambre du 24 avril 185) D'ailleurs, le gouvernement n'avait pas manqué de faire remarquer au Saint-Siège que la loi de 1850, malgré les imperfections que l'épiscopat voulait y voir, introduisait quand même la religion dans les établissements de l'État.

Sterckx, au lendemain de son échec, continua ses efforts. Le résultat en fut la fameuse « Convention d'Anvers ». Il parvint, en effet, après de longs pourparlers qui continuèrent jusqu'en 1854, à obtenir avec l'athénée de cette ville un accord sanctionné par arrêté royal. Le gouvernement et les chambres l'acceptèrent, mais à la condition que les autres évêques s'engagent l'appliquer, par des conventions particulières, aux établissements de leur diocèse. A un moment donné, même après l'accord du cardinal qui, à dire vrai, avait engagé les évêques sans une entente positive avec ceux-ci, l'on crut que tout était à refaire. Mgr. Labis et Mgr. Malou refusaient d'appliquer la convention dans leur diocèse. Puis, Rome y poussant d'ailleurs. tous les évêques acceptèrent ; et, les uns après les autres, la plupart des établissements, à la suite d'accords particuliers semblables à celui d'Anvers, reçurent un prêtre pour y enseigner la religion.

C'était une grande victoire pour le cardinal Sterckx. Sa ténacité et son sens de la conciliation l'emportaient. L'émotion créée par l'abstention du clergé, l'embarras du gouvernement, l'échec électoral de juin 1850 avaient d'ailleurs poussé les libéraux à être plus condescendants. Quoi qu'il en soit, des garanties substantielles étaient accordées au clergé. Car. à vrai dire, il y a peu de différence entre la convention de Tournai et celle d'Anvers. Celle-ci, intitulée « Règlement d'ordre intérieur », est pour l'enseignement moyen la réplique du règlement de 1845 établi par de Theux pour l'instruction primaire. Les exigences épiscopales repoussées dans la loi y sont admises : « l'ecclésiastique qui donne le cours de religion est nommé (page 123) par le chef du diocèse et admis par le gouvernement... l'ecclésiastique a également soin de l'éducation chrétienne des élèves... On n'emploie pour l'enseignement religieux que les livres désignés par le chef du diocèse. Dans les autres cours, il ne sera fait usage d'aucun livre qui soit contraire à l'instruction religieuse... Le préfet des études et les professeurs profiteront des occasions qui se présenteront dans l'exercice de leurs fonctions pour inculquer aux élèves les principes de morale et l'amour des devoirs religieux. Ils éviteront dans leur conduite comme aussi dans leurs leçons tout ce qui pourrait contrarier l'instruction religieuse. »

Il y a cependant une différence entre l'accord de Tournai et celui d'Anvers : la nomination des professeurs. Celle-ci n'est pas accordée à l'évêque. Mais l'on voudra remarquer que si les professeurs doivent profiter « des occasions pour inculquer aux élèves les principes de morale » et avoir une conduite correspondante, l'homogénéité du corps professoral est assurée, le choix du gouvernement, malgré tout, limité. Comme Sterckx l'avait dit - et la convention d'Anvers qui est son œuvre prouve sa sincérité - « il ne demandait pas de part dans la nomination des professeurs... Le gouvernement doit garantir d'avance un personnel homogène. Comment ? Le gouvernement n'a qu'à trouver le moyen. » Éclairé par le cardinal et animé par un véritable esprit de concorde, le ministère, sous la direction de Brouckère, avait « trouvé le moyen. »

L'accord d'Anvers dissipa le malaise suscité par la loi de 1850, la paix régna momentanément entre les deux pouvoirs. L'épineuse question de l'enseignement public avait reçu une solution viable pour les catholiques.

Conclusions

Les conclusions particulières que suggèrent les événements rappelés à propos de l'enseignement public sont les suivantes. La liberté de l'enseignement fut acquise en 1830 sans que l'on ait nettement indiqué ce que l'on voulait : les divergences d'interprétation se rencontraient non seulement entre les libéraux et les catholiques, comme on pourrait le croire, mais même entre ces derniers. Et cela pour des questions qui, aux yeux de certains de nos contemporains, paraissent alors déjà (page 124) clairement résolues. Rôle supplétif de l'Etat, droit d'un État areligieux d'avoir un enseignement public malgré la conjonction indispensable, reconnue à ce moment, entre l'éducation et l'instruction, enseignement aux frais de l'État qui serait normatif de l'enseignement libre, tels sont des points incertains.

Si le cardinal Sterckx admet assez nettement, au début, le rôle purement supplétif de l'État en matière d'enseignement supérieur - et il s'en est tenu très peu de temps (1833-1835) à cette attitude - il fut partisan presque immédiatement du devoir de l'État d'organiser l'enseignement primaire et secondaire. Quant à de Theux, le chef des catholiques politiques, il ne veut organiser l'enseignement libre qu'en fonction de ce qu'il appelle l'enseignement du gouvernement. Sans doute, les évêques de Liège, de Gand et de Tournai penchent-ils vers un enseignement libre qui aurait le monopole en Belgique, mais sous la poussée tenace, j'allais dire grâce au réalisme de Sterckx, leurs désirs ne furent pas retenus et c'est la formule de l'archevêque qui l'emporta : l'État organise l'enseignement public avec le concours du clergé.

Cette position est bien nette. Je laisse de côté l'enseignement supérieur pour lequel l'archevêque veut une liberté complète. Il y est d'ailleurs entraîné par l'existence de l'Université libérale de Bruxelles. Mais, pour le primaire et le secondaire, les évêques veulent que l'enseignement soit aux frais de l'État et réglé par la loi. Ils le veulent parce qu'ils ont l'espoir que la législation respectera la liberté des cultes et fera de l'école un centre d'éducation religieuse et catholique. Ils ont cette espérance non seulement parce qu'ils comptent sur leur prestige, mais surtout parce que, d'après eux, la majorité écrasante des catholiques le réclame et que le pays doit accepter cette exigence. Pour eux la religion catholique est, en effet, la religion de la nation.

Cette opinion a prévalu dans la loi de 1842 et dans celle de 1850 corrigée, malgré les « scrupules constitutionnels » des libéraux, par la Convention d'Anvers. Cet enseignement public pénétré de religion dans les établissements aux frais de l'Etat entraînait nécessairement, sous la garantie des évêques, l’adhésion des catholiques. Ce qui devait constituer un lien très puissant entre l'Eglise et l'État.

(page 125) Si, dans la suite, les espoirs des évêques ont été déçus. cela n'a rien à voir avec mon sujet. Ce qu'il importait de constater, c'est qu'à propos de l'enseignement public, comme pour la Constitution, l'Eglise catholique de Belgique a été amenée, malgré certaines hésitations romaines, à soutenir, grâce à ses évêques, notre nationalité naissante.

Les divers conflits et les nombreuses adaptations provoquées par le problème de l'enseignement public sont un signe manifeste de l'effort accompli par l'Église de Belgique, et surtout par le cardinal Sterckx, pour éviter, coûte que coûte, une rupture avec l'État.

Au sortir des difficultés constitutionnelles, l'Etat belge, consolidé par l'action modératrice de son Roi, aurait, sans aucun doute, pâti sérieusement d'une opposition et d'une défection catholiques à propos de l'école. Cette difficulté ajoutée aux embarras internationaux aurait rendu sa vie très difficile aux toutes premières années de son indépendance et au moment où le prince Napoléon prenait le pouvoir en France. Le Roi Léopold et le Duc de Brabant l'avaient très bien compris.