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L’Eglise catholique et les débuts de la Belgique indépendante
SIMONS A. - 1949

A. SIMONS, L’Eglise catholique et les débuts de la Belgique indépendante

(Paru à Wetteren en 1949, chez Scaldis)

Avant-Propos

(page 5) Au lendemain des journées révolutionnaires de 1830, le statut civil de l'Église avait été aboli en Belgique.

Depuis des siècles cependant, l'Église était habituée à compter sur l'État, à faire partie de lui. Et voici qu'une brusque séparation les plaçait étrangers, l'un en face de l'autre.

Brusque ; car il faut à peine tenir compte des premières années de la période française. Dès 1801, Bonaparte avait fait à l'Église une situation qui se rapprochait de celle de l'Ancien Régime. Il avait renouvelé le Césaro-papisme duquel les souverains du XVIIIème siècle s'étaient à peine détachés, eux pour lesquels l'Église était un instrument politique, du moins qui l'avaient voulu tel. Et, malgré la liberté des cultes inscrite dans la Loi Fondamentale, Guillaume, despote éclairé comme on l'a justement appelé, maintint le clergé dans un rôle de fonctionnaire. On se méprendrait, en effet, si l'on considérait cette liberté voulue par les Grandes Puissances, comme une libération de l'Église vis-à-vis de l'État : c’était plutôt la volonté de ne pas désavantager l'Église Catholique dans l'union à un pays de confession protestante. Par là même, l'Église continuait de tenir, sous le régime hollandais, une place dans l'État ; elle en était un corps constitué.

Toutefois, les antiques rapports entre l'Église et l'État furent modifiés durant la période hollandaise. Pour le religieux. comme pour le civil et le national sous le régime napoléonien, l'amalgame fut un moment d'adaptation aux temps modernes. La différence entre les mentalités et l'action d'un de Broglie et d'un de Méan marquent ce progrès, ou du moins cette évolution. L'Église prit alors conscience des nécessités et des dangers d'un État moderne et, par une maturation très rapide, elle se prépara à la liberté. A ce propos, on n'a pas assez souligné la profonde influence et la hardiesse du prince de Méan, archevêque de Malines (1817-1831).

(page 6) Quoi qu'il en soit, dès les jours d'octobre 1830, l'Église et l'État furent quelque peu désemparés de se trouver séparés. La psychologie populaire, les institutions, les habitudes, le désir des évêques, tout était bousculé. Il n'est pas étonnant, dès lors, que, à partir de l'Église comme de l'État, un mouvement d'abord inconscient puis voulu, inclinât l'une vers l'autre, les deux sociétés, la religieuse et la civile pour trouver un modus vivendi.

D'autre part, en Belgique, pays de tradition catholique, l'Église était vivante au cœur des populations. Le clergé et les évêques avaient une influence considérable augmentée durant les années de résistance à Napoléon et à Guillaume. Il était évident que l'État allait devoir respecter ce clergé et ce peuple, même avoir des prévenances pour le premier, s'il voulait s'établir non dans la force et le mécontentement, mais dans la concorde et la bonne volonté.

On a dit, à l'étranger, que 1830 avait créé un État factice. Il fallait, en tous cas, pour qu'il devint une nation, que l'âme du peuple fût acquise et, pour cela, que les catholiques majoritaires dans le pays fussent d'accord avec le régime, d'autant plus qu'ils avaient tenu une part importante dans le développement sinon de la révolution. du moins du climat d'opposition qui l'avait facilitée. Il le fallait pour avoir la nécessaire collaboration de tous, et ainsi s'imposer à l'Europe. Il le fallait pour qu'une partie notable de notre peuple, plus européen que belge, ne regardât point au delà des frontières vers telle ou telle nation qui aurait proposé une réponse plus favorable à ses aspirations spirituelles. Léopold Ier craignait ce danger.

Il m'a donc paru intéressant de faire connaître les attitudes et les positions prises par l'Église et l'Etat belges au début de la Belgique contemporaine.

Les origines diplomatiques de la Belgique furent difficiles et elles ne se situent pas seulement aux mois d'août et de septembre 1830. Durant plusieurs années. même après les XVIII articles et jusqu'aux XXIV au moins, des tiraillements graves et des inquiétudes se manifestèrent au sujet de notre statut international donc notre vie nationale. (page 7) A notre indépendance il y des origines religieuses aussi difficultueuses et aussi prolongées. Après l’apport certain des catholiques dans la préparation de notre révolution et leur accord lorsqu'elle éclata, il fallut leur concours pour rendre la nation viable. Ces pages tendent à le prouver.

Elles indiqueront les influences, surtout celle de Méan et de Rome, qui, « aux alentours de la Constitution » (Chapitre I) et de sa première application, ont incliné les catholiques vers l'État ; elles montreront comment, « dans le sillage de Léopold Ier » (Chapitre II), les catholiques ont été efficacement et habilement sollicités par le Roi pour faire corps avec la nation ; puis, dans l'épineuse question de « l'enseignement public » (Chapitre III), on pourra découvrir les allées et venues de la confiance et de la défiance entre le gouvernement et l'épiscopat et les solutions généralement conciliatrices du cardinal Sterckx.

Rome et de Méan, Léopold Ier, le cardinal Sterckx, tels sont les acteurs vigilants qui ont attaché les catholiques belges au jeune État, et ont rendu possibles sa vie interne et son existence internationale.


Je me suis évidemment servi des ouvrages généraux qui tracent le cadre des événements que je raconte : les Pirenne, de Lichtervelde, de Ridder, Terlinden, Hymans, Garsou. van Kalken, de Moreau, Bronne, Haag, pour ne citer que les historiens les plus importants.

L'originalité de mon travail se situe dans mon contact avec les importantes archives de l'archevêché de Malines. (Note de bas de page : Les Fonds consultés aux Archives de l'Archevêché de Malines sont les suivants: Fonds de Méan (liasse Église et État), Fonds Papiers Van der Horst. Fonds Université Nouvelle. Carton I, Fonds Sterckx (13 gros dossiers), Fonds du Secrétariat (2 cartons), Fonds du Vicariat (3 cartons), Ancien Fonds du Vicariat (7 dossiers), Ancien Fonds du Secrétariat (65 cartons). Fin de la note de bas de page.)

Étudiant depuis de nombreuses années l'épiscopat du cardinal Sterckx (1832-1867), j'ai pu prendre connaissance d'une foule de documents, pour la grosse part inédits, et, par une longue accoutumance, [remarque du webmaster : une très longue note de bas de page, non reproduite dans la présente version numérisée, reprend l’ensemble des travaux de Simons portant sur ce sujet d’études], en faire jaillir les convictions et les faits que je signale. Les archives vaticanes (page 8) les archives générales du Royaume, celles du ministère des Affaires Étrangères me sont venues à point pour éclairer beaucoup de situations. D'autre part, la très volumineuse correspondance de François Dubus, membre du Congrès National et de la Chambre des Représentants, m'a permis de préciser tel ou tel événement, telle ou telle tendance.

(page 9) Ce livre est écrit à même les sources. Et si j'ai jugé inutile de fixer, par des références, l'apport indispensable des historiens cités plus haut et d'autres, j'ai cru, au contraire, qu'il me fallait, pour les documents que j'emprunte aux archives, multiplier les notes et même étendre les citations.

Le sujet était délicat parce que, en Belgique, les passions politiques sont restées vives et que les attitudes passées de l'un ou l'autre parti politique suscitent, aujourd'hui encore, l'énervement et s'éclairent à la faveur ou la défaveur de préjugés ou d'intérêts électoraux. Je crois cependant avoir pu garder l'objectivité requise et avoir été le partisan de la seule vérité. Amicus Plato, magis amica veritas