Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

L’affaire [du cimetière] de Saint-Génois. Articles extraits des journaux : L’Echo du Parlement, L'Organe de Courtrai, Le Journal de Courtrai, ’T Jaer 30 et Le Katholyke Zondag
- 1868

L’affaire de Saint-Génois. Articles extraits des journaux : L’Echo du Parlement, L'Organe de Courtrai, Le Journal de Courtrai, ’T Jaer 30 et Le Katholyke Zondag

(Paru à Courtrai en 1868, chez Vermaut-Grafmeyer)

Journal de Courtrai

Journal de Courtrai, 2 août 1868 (numéro 93)

Il nous serait difficile d'exprimer l'indignation que nous avons ressentie en lisant les deux derniers numéros de l'Organe. La responsabilité des incendies et des destructions, qui ont eu lieu dernièrement à Saint-Genois, y est clairement et directement imputée à l'opinion catholique.

C'est une infamie.

Au misérable, qui a eu lieu l'impudence d'écrire ces articles, nous jetons à la figure ce sanglant outrage : vous êtes un vil et lâche calomniateur ; il n'y a que votre lâcheté qui égale votre vilénie !

Quoi ! parce que au milieu des circonstances douloureuses, que tout le monde connaît, des faits criminels se produisent à Saint-Genois, vous vous croyez autorisé à calomnier méchamment, sous le voile de l'anonyme, toute une catégorie de personnes des plus respectables !

Et sur quoi vous basez-vous pour articuler d'aussi graves accusations ? où sont vos preuves ? où sont vos témoins ? La police judiciaire informe la main criminelle qu'elle a découverte : est-ce une main catholique ? oseriez-vous l'affirmer ? Le parquet vous aurait-il par hasard livré le secret de ses investigations ?

Nous ne pouvons le croire.

Non, des preuves, des témoins, des communications officielles, même des indices vous n'en avez point.

Ce sont des soupçons passionnés, des inductions malveillantes, des imputations aussi téméraires qu'insolentes, qui servent de fondement à vos accusations.

Vous exploitez, au profit de l'opinion libérale, les regrettables événements de Saint-Genois, et pour mieux atteindre votre but, vous descendez jusqu'aux plus basses et plus ignobles calomnies : voilà le mot, voilà l'explication vraie de votre exécrable conduite.

Et que diriez-vous, si, empruntant votre odieuse polémique ; si, écoutant trop légèrement des soupçons qui s'élèvent involontairement dans notre esprit, nous vous tenions ce langage :

Le feu qui a dévoré ces meules de colza et de paille, c'est vous qui l'avez allumé ! Le bras qui a dévasté ces champs de tabac, qui a brisé ces arbres, c'est vous encore, c'est le libéralisme qui l'a armé et dirigé !

Oui, c'est vous ; oui, c'est le libéralisme ; car qiQis fecit cui prodest !< :I> quel magnifique thème de déclamation que ces incendies et ces dévastations accomplies au milieu des malheureux conflits qui existent ! quelles passions à ameuter contre le clergé et le parti catholique ! quelles indignités à leur imputer !

Et du reste, pourrions-nous dire encore, le libéralisme n'est-il pas capable de ces faits, quelque odieux et quelque criminels qu'ils soient ? Avez-vous oublié votre passé ?

N'est-ce pas vous qui en 1857, avez mis le feu à l'école des frères de la doctrine chrétienne, de Jemmapes, et avez tramé vos victimes au milieu des flammes ? Et en fait de destruction, nous nous rappelons vos exploits pour les avoir vus de nos propres yeux : les pavés soulevés, les carreaux brisés, les portes enfoncées, par l'écume de votre parti que vous lancez bouillonnante contre nous dans toutes les grandes occasions.

Vous le voyez, les circonstances elles-mêmes se chargent en quelque sorte de dresser contre vous un acte d'accusation. L'intérêt évident que vous avez à diffamer l'opinion conservatrice ; la brutalité de vos habitudes, vos antécédents coupables dont vous recueillez encore chaque jour les bénéfices : tout conspire à vous désigner comme les auteurs ou tout au moins les instigateurs de ces crimes. Nous laissons là les circonstances matérielles dont il ne nous serait pas difficile de tirer parti contre vous.

Quoiqu'il en soit de la part de responsabilité qu'il faut assigner au libéralisme dans ces sinistres méfaits qui ont consterné la commune de Saint-Genois, et ont eu un si triste retentissement dans le pays tout entier, en écrivant ces dernières lignes nous ne pouvons nous empêcher de rappeler à notre mémoire un des souvenirs les plus lugubres de l'histoire romaine.

En l'an 64 de Jésus-Christ, sous le règne du cruel et débauché Néron, un immense incendie, allumé par une main invisible aux quatre coins de la ville, éclata à Rome.

Le feu exerça ses ravages pendant neuf jours. Le peuple, pour échapper au fléau destructeur, se réfugia dans les tombeaux. Les édifices publics ; les demeures des anciens généraux romains, encore parées des dépouilles des ennemis ; les temples bâtis et consacrés par les Rois de Rome ou pendant les guerres des Gaules et de Carthage ; enfin tout ce que l'antiquité avait laissé de curieux et de mémorable fut dévoré par les flammes et réduit en cendres.

L'empereur, pendant que l'incendie sévissait, revêtu de son costume de comédien, regardait ce spectacle lamentable du haut d'une tour, charmé, disait-il, de la beauté de la flamme, et chantant la prise de Troie.

La ville détruite de fond en comble, Néron, l'auteur et l'admirateur de cet épouvantable crime, eut la cynique impudence d'en accuser les chrétiens et de sévir contre eux avec plus de cruauté que jamais !

Que de fois n'avons-nous pas vu le libéralisme, revêtu de son costume de comédien, s'irriter à la vue de ses propres turpitudes et les imputer hypocritement à ses adversaires !

Katholyke Zondag (traduction littérale)

Katholyke Zondag, 20 juin 1868 (numéro 713)

(page 41) Il se passe de singulières choses à Saint-Genois, une commune d'environ 4,000 âmes, située à deux lieues sud-est de Courtrai. Là règne, sous le titre de bourgmestre, une espèce de potentat, qui prétend mettre toute la commune sous le joug. Inutile de demander s'il est libéral.

Le prédécesseur de glorieuse mémoire du pacha de Saint-Genois avait formé le projet, depuis huit à neuf ans, de déplacer le beau et vaste cimetière, qui entoure l'antique église, et de le transformer en place publique. Quels motifs y avaient-ils pour le faire ? Cet homme voulait rendre son nom glorieux plus glorieux encore, voilà tout.

L'autorité ecclésiastique, d'accord en cela avec tous ceux qui sont doués d'un jugement sain, trouva que ce n'était pas là un motif suffisant pour déplacer le cimetière et refusa l'approbation requise.

Une élection communale enleva à ce gaillard glorieux son écharpe et son siège. mais, un autre personnage, qui avait abusé de la bonne foi des habitants, fut élu pour le conseil communal, et, comme il fut jugé capable de servir les projets antireligieux du ministère, il fut nommé naturellement bourgmestre de la commune.

Après beaucoup de démarches et d'efforts inutiles pour obtenir de l'autorité ecclésiastique le déplacement du cimetière ; après beaucoup de consultations pour trouver les meilleurs moyens de chicane, le pacha de Saint-Genois lança, il y a quelques jours, un décret, par lequel il ordonne, de sa propre autorité, à dater du 9 du mois courant : 1° la fermeture de l'ancien cimetière, 2° l'ouverture, à sa place, d'un charnier, 3° que dorénavant personne ne pourra être inhumé ailleurs que dans ce charnier. Quel droit notre pacha avait-il d'agir de la sorte ? Pas le moindre. S'il avait eu une once d'esprit, il aurait su que le cimetière est de la même nature que l'église, que c'est une dépendance, une extension de l'église, que c'est l'église des morts, tout aussi bien que l'église elle-même est l'église des vivants ; par conséquent, qu'il ne lui est pas plus donné d'ouvrir un cimetière qu'une église, et que celui, qui ouvre un cimetière contre le gré de l'autorité spirituelle n'agit pas moins d'une manière hérétique que celui qui ouvre une église. Aussi le bon sens de la population de Saint-Genois n'a pas hésité un instant : elle a octroyé à cet homme le titre de Dominé, de ministre hérétique, de prédicateur hérétique.

Dans une populeuse commune, comme Saint-Genois, le décret du pacha devait certes trouver bientôt son application. Un certain Antoine Lenencre vint à mourir ; il serait donc le premier enterré en terre non bénite. Rempli d'effroi pour ce malheur, le brave homme avait fait écrire dans son testament, qu'il ne voulait être enterré dans aucun autre endroit que dans le cimetière bénit. Casser des testaments, agir contre la dernière volonté, voilà ce qui est devenu une vertu pour les partisans de la clique libérâtre. On ne put obtenir du secrétaire un permis d'inhumation qu'à la condition que le mort serait enterré dans le champ d'enfouissement ; c'est ainsi que les habitants de Saint-Genois appellent le nouveau charnier.

C'était dans l'après-dinée de la fête-Dieu que Lenencre devait être enterré. Comme le nouveau Dominé avait envoyé le fossoyeur au charnier, le curé avait chargé un autre, vers le commencement des Vêpres, de creuser la fosse au cimetière. mais à peine celui-ci eut-il commencé que le Dominé accourut et défendit de continuer.

Après le salut commença le service funèbre. Quoique le curé, par mesure de prudence, eût défendu de sonner les cloches, une foule innombrable était accourue ; tous, à peu d'exceptions près, se tenaient là, l'indignation dans le cœur, l'indignation dans les yeux.

Après les prières et les cérémonies de l'Eglise, le clergé, suivi de la foule, conduisit gravement le cadavre jusqu'à la place où le curé avait ordonné de creuser la fosse.

A peu de distance de là, le Dominé entouré de son sacristain, de ses pleureurs ou croque-morts restait à épier tout ce qui se faisait.

Le curé, ayant achevé la cérémonie aussi loin qu'il put, dit aux assistants : « Mes paroissiens, j'ai accompli mon devoir aussi loin que je puis. Maintenant je cède devant la force, que celui, que la chose concerne, remplisse son devoir. » Et le curé retourne avec ses vicaires dans l'église.

Le Dominé alors s'approcha, fit chercher, à la maison communale, un poêle, maçonnique sans doute, et ayant appelé quelques frères de la clique, il fit porter le cadavre au charnier.

Le garde-champêtre ouvrait le cortège. Le bourgmestre, accompagné des frères de sa clique et de beaucoup de curieux, suivait le cadavre.

Pendant le cortège, le Dominé cherchait à s'excuser auprès du peuple. « Il ne faut pas m'en vouloir, disait-il, c'est la loi qui m'oblige. » Monsieur le Dominé, la loi vous oblige à respecter la liberté et la religion de vos semblables.

Après que le cadavre fut descendu dans la fosse, le Dominé, joignant l'hypocrisie au mauvais vouloir, engagea les assistants à faire une prière pour le défunt et se mit à genoux. C'est là que notre homme fut baptisé du nom de Dominé.

Quels seront dans la suite les conséquences de cette attaque contre la Religion et le Droit ? Nous ne serions point étonnés de voir, dans la paroisse chrétienne de Saint-Genois, que les malades moyennés se fassent transporter dans d'autres paroisses pour y mourir, ou qu'ils stipulent qu'ils doivent être enterrés en terre bénite, dans une paroisse adjacente, ce à quoi ils ont toujours droit. De plus, l'autorité ecclésiastique peut défendre de sonner le glas funèbre, de faire des services, de célébrer des messes pour ceux dont (page 42) les proches ne produisent pas un permis d'enterrer en terre bénite, elle peut même refuser de les recevoir dans l'église. Enfin, l'évêque peut suspendre tous les services et fermer l'église pour un temps ou pour toujours. Combien alors n'auraient pas souffrir toutes les personnes faisant négoce ?

Et toutes ces conséquences redoutables proviennent de ce que ces braves gens catholiques de Saint-Genois ont placé à leur tête, par l'élection, deux ou trois administrateurs libéraux.

Apprenez donc et soyez plus sages à l'avenir.


Katholyke Zondag, 20 juin 1868 (numéro 713)

Nous recevons de Moen, commune limitrophe de Saint-Genois, une lettre qui a rapport aux scandales, dont cette dernière paroisse est malheureusement le théâtre. Nous la laissons suivre, sans commentaires ultérieurs :

« Moen. 20 Juin 1868.

« Monsieur le rédacteur.

« Comme je me trouve à peu de distance de Saint-Genois et que je m'intéresse beaucoup aux scandales révoltants, qui se commettent dans cette paroisse, par une aveugle opiniâtreté, je me crois à même de satisfaire la légitime curiosité de vos lecteurs sur les faits et gestes du libéralisme maçonnique de Saint-Genois.

Comme je vous en avais exprimé l'idée, dans ma lettre précédente, c'était bien un poêle solidaire, que le Dominé de Saint-Genois avait fait jeter sur le cadavre de l'homme chrétien, Antoine Lenencre, pour le faire traîner du cimetière au charnier. Le matin même de la Fête-Dieu un jeune homme était allé le prendre à Tournai.

Voyez quels sacrilèges se commettent ici !

Depuis le premier enterrement lugubre du 11 de ce mois, deux autres enfouissements de cadavres ont encore eu lieu. Je dois vous en dire aussi un mot.

Le premier eut lieu le mercredi 17 de ce mois. La pauvre femme, qui devait être enterrée et enfouie, était l'épouse du tambour de la musique de la clique. Le mari de la défunte donna facilement la main au prédicateur de Saint-Genois. Il alla demander au curé l'enterrement ecclésiastique pour sa femme. Comme je vous l'ai fait pressentir déjà, le curé répondit à cet homme qu'avant d'accorder à sa femme l'enterrement religieux, il devait avoir l'assurance qu'après le service religieux le cadavre ne serait pas profané ; il exigea donc une déclaration écrite qu'elle pourrait être enterrée en terre bénite.

La déclaration écrite exigée ne fut pas délivrée par l'autorité, et celle-ci fixa l'heure de l'enfouissement au mercredi 17 à 7 heures du matin.

Le curé voulant prévenir autant qu'il était en lui, toute profanation du temple consacré à Dieu, les messes furent dites de bon matin, sans tinter ou sonner les cloches et portes closes.

A 8 heures, on présenta, à la porte de l'église, le cadavre, couvert du poêle solidaire et accompagné du Dominé n°1, du Dominé n°2 (l'échevin de la clique), des gardes-champêtres et d'une foule considérable. Trouvant la porte fermée, ils se retirèrent se dirigeant vers le charnier où ils mirent en terre la malheureuse femme.

Monsieur le Prédicateur devait jouer son rôle jusqu'au bout. Sur le bord de la tombe, il prit la parole et dit : « ci-git enfouie (oui, enfouie) l'épouse de..... ; nous remettons son âme entre les mains du Seigneur. Récitons un Pater. » L'ave Maria fut omis, car les protestants n'honorent pas la Sainte-Vierge. Quelle force n'auront pas eue ces prières, tombées des lèvres de ces hommes qui sont en rébellion contre leur pasteur, leur évêque, leur Dieu. On serait tenté de les stigmatiser du nom de prières dérisoires, insultantes. Et dire qu'on voyait dans ce cortège hérétique une dame Delbèque, une dame Reine Glorieux, mêlées à quelques déguenillées du Dries ! Aujourd'hui a encore eu lieu l'enfouissement d'un enfant ; mais, comme les Dominés, n°1 et 2, se trouvaient encore au lit, ils se sont faits remplacer par les gardes-champêtres. Il y a progrès, comme vous voyez.

Monsieur le rédacteur, ayez la bonté de communiquer cela à vos lecteurs, afin qu'ils comprennent bien que, s'ils désirent conserver la paix et l'union dans leur commune, ils ne doivent jamais élire des libéraux pour le conseil communal. Vous promettant des renseignements ultérieurs, s'il arrive quelque chose de remarquable, je vous salue amicalement.

« N. N. »


Katholyke Zondag, 20 juin 1868 (numéro 713)

Nous venons de recevoir un souvenir historique du défunt Lenencre. La voici :

« A la pieuse et douloureuse mémoire

« d'Antoine Delencre,

« célibataire, né à Saint-Genois et y décédé le 10 juin 1868, à l'âge de 60 ans,

« qui fut enterré le premier dans le cimetière non bénit ou cimetière des gueux, à Saint-Genois, contre son gré et contre sa volonté expresse et contre celle de sa famille et de l'autorité ecclésiastique.

« Il fut ferme et prudent dans sa vie, patient dans ses longues infirmités ; c'est pourquoi il se réjouira au dernier jour. (Prov. 31.)

« Antoine, où êtes-vous ? (Gen. 3.) Je cherche mes frères (Gen. 37, v 16/

« Une mort amère devait-elle donc ainsi me séparer de mes frères ? (Reg. 15.)

« Comme Jacob vit que le jour de sa mort approchait, il appela son fils et lui dit : si j'ai trouvé grâce devant vous, donnez-moi une marque de cette bonté que vous avez pour moi, de me promettre avec vérité que vous ne m'enterrerez point en Égypte ; mais que je reposerai avec mes pères et que vous me transporterez hors de ce pays et me mettrez dans le sépulcre de mes ancêtres. Joseph lui répondit : Mon père, je ferai ce que vous me commandez. (Gen. 47, v. 29, 30.)

« Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. (Luc. 23.)

« Avelghem. — Impr. de Schipman-Huyghe. »


Katholyke Zondag, 1er août 1868 (numéro 719)

Qui a conçu l'idée d'ouvrir un cimetière communal à Saint-Genois ? Les libérâtres.

Les libérâtres de Saint-Genois sont de grands hommes, de forts logiciens, de profonds philosophes.

Philosophes des temps anciens et modernes, voilez-vous la face, vous êtes vainvus, votre renommée s'est envolée. Oyez plutôt : A la date du 26 Novembre 1858, dans une lettre adressée au gouverneur de la province, touchant le plan de la nouvelle église à bâtir à Saint-Genois, Mgr Malou, évêque de Bruges, écrivit les lignes suivantes : « L'orientation est d'autant plus facile que l'on se propose de transférer le cimetière hors de l'aggloméré des maisons et que l'on peut disposer du cimetière tout entier. »

Aucun autre mot touchant cette affaire.

Que dit Mgr Malou dans ces lignes ? Le prélat dit-il que l'ancien cimetière sera ou doit être déplacé ? Nullement.

Dit-il que lui évêque est d'avis de le déplacer ? Nullement. Dit-il qu'à la place du cimetière qui est la propriété de la fabrique d'église, on achètera et on fera un cimetière communal ? Mille fois non.

Tout ce que l'évêque a dit incidemment, c'est qu'il serait d'autant plus facile d'orienter l'église, comme il le désirait, qu'il était question de déplacer le cimetière et qu'ainsi le terrain ne manquerait point.

Voici maintenant ce que le collège échevinal fait dire au prélat. Dans sa lettre du 27 novembre 1858, dit-il, Monseigneur Malou a écrit que l'on ne doit faire aucun cas du cimetière actuel, puisqu'il doit incontestablement être remplacé, vu qu'on se propose de transférer le cimetière hors de l'aggloméré des maisons.

N'est-ce pas là un raisonnement fort ?

Mais nous ne sommes pas encore au bout. Ces savants, dans leur haute perspicacité, ont découvert dans les paroles de Mgr Malou, citées plus haut, le désir qu'il avait de voir acheter un terrain hors de l'aggloméré, laissant aux mains de la fabrique d'église l'ancien cimetière catholique et ouvrant un nouveau cimetière communal ; car ils ont exécutés tout cela selon leurs conceptions.

Ne faut-il pas surpasser en finesse d'esprit tous les philosophes, pour découvrir ainsi, sur un mot, les pensées intimes et les plans d'autrui, et pour les réaliser ?

Qui prétendra qu'ils n'ont pas trouvé dans cette simple phrase que M. Aug. Mullie-Derreveaux décrèterait, le 9 mai 1868, par arrêté royal, signé le Roi, A. Mullie, que l'ancien cimetière serait supprimé par la force et que le nouveau serait ouvert ; qu'en sa qualité de Dominé, après avoir outragé les cadavres par de sottes cérémonies, il irait les faire enterrer dans le charnier ?

Quelles conséquences un esprit profond ne sait-il pas déduire ? Ne suffirait-il pas au grand naturaliste Cuvier d'un os d'animal, trouvé dans le sein de la terre, pour en composer tout le squelette ? Et, qu'était Cuvier, dans sa sphère, en comparaison des administrateurs incomparables de Saint-Genois ?

Mais laissons de côté la plaisanterie. Au moment où Mgr Malou écrivit la lettre du 26 novembre 1858, il s'occupait à rédiger une circulaire où il traite de main de maître la question suivante : « Les cimetières sont de leur nature une chose sacrée dont la propriété tombe essentiellement dans les attributions de la fabrique d'église. »

Dans cette dissertation, le savant prélat démontre que, dans tous les temps, chez les Payens comme chez les Juifs, mais surtout chez les Chrétiens, les tombeaux ont été regardés comme des lieux saints et les restes mortels comme des choses sacrées.

Le prélat en déduit la conséquence que les tombeaux appartiennent à l'église et à la fabrique d'église qui la représente.

Cette lettre-circulaire parût sous la date du 31 décembre 1858. Et, c'est à Mgr Malou qui était occupé à composer cet écrit, que le collège échevinal de Saint-Genois ose attribuer l'idée de priver l'église et la fabrique d'église de son cimetière et de laisser ouvrir un cimetière communal ? Mais, c'est insulter l'illustre prélat.

Mais nous avons plus que cette circulaire pour faire connaître l'opinion de Mgr Malou sur cette question. A la date du 27 janvier 1862, alors que l'idée de déplacer le cimetière, conçue par d'autres, avait trouvé place dans le cerveau des libéraux de Saint-Genois, le prélat écrivit au gouverneur de la province une lettre dans laquelle il combattait avec indignation cette idée. Voici un passage de cette lettre :

« En l'absence de toute nécessité et même de tout motif plausible, on est naturellement porté à croire que le projet de transférer le cimetière de Saint-Genois se rattache au système général de dépouiller les églises de leurs cimetières chrétiens, dans le but de séculariser, pour parler le jargon du jour, les lieux de sépulture, et de leur enlever leur caractère religieux. Or, jamais de la vie, je ne pourrais, sans trahir ma mission et mes devoirs les plus sacrés, coopérer à l'application d'un tel système. Je me crois obligé, au contraire, de le combattre par tous les moyens qui sont en mon pouvoir. »

Les libéraux de Saint-Genois sont-ils donc fondés à dire que Mgr Malou était d'avis que le cimetière bénit devait être remplacé ? Il s'en faut.

Et Mgr Faict, l'évêque actuel de Bruges, les a-t-il nourris dans cette idée ? Ce serait une calomnie de le dire. Sa (page 44) Grandeur s'est toujours opposée courageusement aux exigences de la coterie libérale de Saint-Genois.

Du reste, il serait inutile d'insister sur co point, puisque ces petits libérâtres rendent justice, ce sujet, à Sa Grandeur.

Pour conclure nous demandons donc : Qui a conçu l'idée d'ouvrir un cimetière communal à Saint-Genois ?

Réponse : les libérâtres.


Katholyke Zondag, 8 août 1868 (numéro 720)

Moen, 1er août 1868

Monsieur le rédacteur,

Pas d'amélioration encore ici dans mon voisinage. Les libéraux de Saint-Genois continuent à résister avec opiniâtreté à leurs chefs spirituels. Malheureuse paroisse de Saint-Genois ! quel a été votre aveuglement, en choisissant de tels hommes pour vous administrer ! Vous comprenez maintenant la faute que vous avez commise, je le sais, mais il est trop tard, et vous devez, hélas ! l'expier durement.

Où faut-il en effet chercher la première, la principale cause de tous les malheurs qui pèsent sur Saint-Genois ? dans les élections communales. Comment peut-on comprendre que des catholiques aillent choisir pour administrateurs leurs ennemis de la pire espèce, les ennemis de leur Religion et de leur repos ? et cependant, il est hors de doute, que, si quelques catholiques de Saint-Genois n'avaient pas trahi leur conscience et leur parti, jamais, ces deux ou trois gros bonnets libéraux n'eussent été élus, et jamais ceux-ci n'eussent pu marcher en avant comme de puissants persécuteurs de l'Eglise. mais Dieu les attend : son tour viendra.

La politique si partiale du ministère, qui gouverne le pays, porte une fois de plus ici ses fruits amers. Dans tout le conseil communal de Saint-Genois composé de 11 membres, il y avait à peine trois ou quatre libérâtres. Eh bien ! le ministère, au mépris de la majorité et de la commune, est allé chercher ces hommes pour former le collège échevinal, leur donnant ainsi un pouvoir, une autorité, qui ne leur revenaient pas de droit. Combien de communes en Belgique ne voient pas de cette manière fouler sous les pieds leurs désirs et leurs vœux les plus fondés ? Guerre donc à cet élément liberticide ! Si nous voulons voir la Belgique heureuse, nous devons combattre partout les libérâtres, nous devons les repousser et du conseil communal et du conseil provincial, et de la chambre des Représentants et du sénat, et ainsi du conseil du Roi. Catholiques nous devons partout et toujours travailler et élire contre les libéraux.

Toutefois, la cause immédiate de tous les maux qui pèsent maintenant sur la commune de Saint-Genois, jadis si heureuse, aujourd'hui si triste, c'est cette coterie libérâtre, qui siégé à la maison communale, et qui laisse peser son bras de fer sur ces braves gens qui aidèrent à les placer sur les coussins. Ce sont ces libéraux qui ont imposé à la commune des frais inutiles pour acheter et embellir le nouveau cimetière ; ce sont eux qui l'ont fait contre le gré et la volonté de l'autorité ecclésiastique ; ce sont eux qui ont empêché la députation permanente de donner son approbation à l'adjudication de la nouvelle église, et qui ont empêché jusqu'ici la reconstruction si urgente de l'église ; ce sont eux qui, après avoir démoli le mur de l'ancien cimetière, et après en avoir ajouté une partie à la place, n'ont pas fait rebâtir ce mur, quoiqu'ils eussent donné leur parole de le faire ; ce sont eux qui empêchent d'enterrer les cadavres en terre bénite et qui les font enfouir dans le charnier, y mêlant des singeries insultantes ; ce sont eux, par conséquent, qui sont cause que les cadavres doivent être enterrés sans les prières et les cérémonies de l'église ; ce sont eux qui sont cause de la ruine de la commune de Saint-Genois, qui est devenue un objet de dérision ; ce sont eux qui ont jeté la douleur et la tristesse dans le cœur de tous les bons habitants de Saint-Genois et de beaucoup d'autres courageux chrétiens. Ils sont donc la cause de toutes les douleurs, de tous les maux qui attristent la commune de Saint-Genois, et avec eux ...... quelques femmes libérales. Oui, quelques femmes libérales qui, oubliant que la mission de la femme dans la société est de guérir et d'adoucir, attisent le feu de ce libéralisme impie, et qui s'en vont ensuite à l'église allumer une chandelle au diable.

Cette aubergiste qui porte dans sa main l'eau et le feu qui, en paroles, voudrait donner mille francs pour réparer le mal et qui y excite en cachette ; cette boutiquière qui a deux faces, l'une, pour admirer son petit bonhomme libéral et exalter ses gestes, et une autre, pour aller louer le Seigneur et tromper ainsi le monde ; et puis, cette petite dame charlatanesque qui croit faire une œuvre de miséricorde, quand, au milieu de singeries outrageantes pour la Divinité, elle aide à traîner au charnier le cadavre d'une femme catholique. Qui vivra, verra à quoi tout cela va aboutir, mais ce ne sera pas, je le crains, bien brillant. Puisse la fin de tout cela n'être pas triste !

Voilà, Monsieur, quelques-unes des causes de l'état déplorable dans lequel se trouve la commune de Saint-Genois. Ne croyez pas, néanmoins, que l'œuvre de démolition qu'ils exécutent ici tourne à l'honneur de ces libérâtres au petit pied ; non, pas même chez les hommes de leur parti. Il n'y a pas longtemps, quelques libérâtres de Saint-Genois se trouvaient dans une auberge d'Avelghem. Là, se croyant entre amis, ils entonnèrent la chanson de ainSt-Genois. mais le bourgmestre d'Avelghem, quoiqu'il soit de leur bord, leur fit si bien la leçon qu'ils n'auront aucune envie de le raconter. Oui, parmi les libéraux de Moen, Coeyghem, Helchin, Avelghem, tous ceux qui ont quelque dose d'esprit, désavouent hautement la manière d'agir de la coterie libérâtre de Saint-Genois.

Je tiens encore en réserve quelque chose pour une prochaine correspondance.

N. N.


Katholyke Zondag, 15 août 1868 (numéro 721)

Moen, 10 août 1868

Monsieur le rédacteur,

Les suites funestes de la guerre, que les petits libérâtres de Saint-Genois y font à l'Eglise et à ses ministres, se font sentir de plus en plus.

« Je rendrai Saint-Genois protestante », osait dire naguère un des chefs du libéralisme de Saint-Genois. Notre homme n'a pas réussi, mais il fait de son mieux pour déchristianiser la paroisse autant que possible, et déjà avec l'aide de ses partisans, il en est venu à ce point, qu'une partie des habitants, oubliant ce qu'elle doit à l'Eglise et à ses ministres, soutient ce rebelle et devient rebelle avec lui.

Qui pourra calculer combien de larmes ces gaillards irréligieux ont fait verser aux bons Chrétiens ? Combien de soupirs ils leur ont arrachés ? Ces larmes et ces soupirs crient vengeance au Ciel.

On raconte ici, qu'il règne à Saint-Genois une terreur, de même nature, mais à un degré inférieur, que celle qui régna en Belgique et en France du temps de Robespierre et de Danton.

On inspire la crainte à tout le monde : tantôt on dit à l'un, qu'il doit être plus réservé, s'il ne veut pas qu'on lui enlève telle pièce de terre, tantôt on se rend chez tel père de famille, et on lui dit : vos filles jasent trop ; cela me ferait de la peine, si je devais dénoncer mes voisins à la justice, avec d'autres, dont j'ai ici les noms. Puis arrive M. le procureur du Roi de Courtrai ; le matin il se promène dans la commune avec les chefs de la clique ; après-midi, il va, accompagné de deux gardes-champêtres, faire des visites chez les principaux habitants ; et de cette manière on inspire la terreur à beaucoup de gens simples. Que ce moyen de domination est moral !

Saint-Genois court vers sa ruine. Je vous le disais, monsieur, dans ma précédente lettre, je veux maintenant vous en donner la preuve : beaucoup de personnes dégoûtées de ces taquineries libérales, ne veulent plus aller le dimanche à la messe à Saint-Genois, et l'après-dîner, elles fuient les cabarets de la place. Quelle perte pour les personnes commerçantes.

La kermesse célébrée dernièrement à Saint-Genois, était insignifiante. Comme je vous ai annoncé, déjà plusieurs malades aisés ont quitté la commune pour aller souffrir ailleurs et pour pouvoir être enterrés en terre bénite, s'ils meurent.

D'autres familles entières cherchent l'occasion et saisiront la première qui se présentera, pour quitter Saint-Genois, ce lieu de tristesse, et pour chercher ailleurs une existence plus agréable.

Vous savez, monsieur, que depuis quelques semaines quelques dommages très regrettables ont été causés aux propriétés des libéraux. Ainsi dans la nuit du 11 au 12 du mois précédent, deux meules de foin, appartenant à Désiré Glorieux, le boutefeu de toutes les difficultés, et une meule de colza, à Henri Vandeghinste, autre libéral, sont devenues la proie des flammes. Plus tard, dans la nuit du 26 au 27, trois petites parties de tabac, propriété de libéraux, furent fortement endommagées et plusieurs arbrisseaux libéraux, plantés à l'enfouissoir, furent cassés. Comme il était à prévoir, ces actes blâmables furent, mais à tort, mis à charge des catholiques.

Nos chefs libéraux invitèrent donc le procureur du Roi de Courtrai à venir faire une enquête et les recherches nécessaires. Le vengeur du droit public arriva donc à Saint-Genois, il y fut reçu et accompagné par ses coryphées libéraux de la commune. Dans l'après-dîner il se rendit pour prendre des informations, d'abord chez M. Opsomer, notaire, ensuite chez M. le curé, MM. les vicaires et M. le Directeur du couvent. Il paraît que ces messieurs ne purent donner aucun renseignement touchant les malfaiteurs.

Chacun se demande ici dans les environs : mais qu'était-il nécessaire que M. le procureur se rendît chez tous ces messieurs si respectables, accompagné de deux agents de police, comme s'il se fut rendu directement chez les malfaiteurs pour les arrêter et les emmener en prison ? Vous êtes venus à moi comme à un voleur avec des épées et des bâtons ! disait le Christ aux juifs qui venaient l'arrêter.

Si nous avions l'occasion de faire entendre notre voix à M. le procureur du Roi, nous lui dirions : M. le procureur, voulez-vous mettre la main sur les coupables, dirigez surtout vos recherches du côté des adversaires des catholiques ; ceux-là sont capables de poser de tels actes ; oui, ceux-là sont capables de les poser dans l'intention d'en faire retomber tout l'odieux sur les catholiques. Voilà ce que tout le monde dit ici à Moen, à Saint-Genois et dans tous les environs.

Je vous disais, monsieur, dans ma dernière lettre que Dieu aurait son tour et qu'il trouverait les instigateurs de tout le mal dont souffre Saint-Genois. Nous voyons déjà dans quelques familles certains signes, qui montrent déjà que Dieu est toujours le Dieu juste. Mas je traiterai ce triste sujet dans une prochaine correspondance.

Salut!

N. N.


Katholyke Zondag, 22 août 1868 (numéro 722)

Saint-Genols, bords dé l'Escaut, 15 Août 1868.

Monsieur le rédacteur,

J'ai dû quitter ma chère commune de Moen, depuis plusieurs jours, pour affaires de famille, et je vous écris aujourd'hui d'une commune, pittoresquement située sur les bords de l'Escaut. Voilà pourquoi aussi les renseignements que je vous transmets, sont un peu en retard ; ils n'en sont (page 46) pas moins importants et je ne les ai trouvés jusqu'ici dans aucun journal.

Dimanche dernier, 9 du courant, a eu lieu à Saint-Genois un nouvel enfouissement, notamment celui de la femme de Pierre Petit. Un nombre infini de gens, tant de Saint-Genois que des communes environnantes, était accouru pour cette navrante circonstance. Cet enfouissement était d'autant plus triste que le mari et les autres parents comprenaient bien et sentaient profondément l'outrage fait à sa femme défunte par les libéraux. Tout se passa néanmoins tranquillement : la triste cérémonie de la procession, la présentation à la porte de l'église, la sonnerie forcée des cloches, tout cela n'eut pas lieu : la famille s'y était opposée énergiquement. Elle avait refusé de se servir de la civière et du poêle de la commune ; les personnes, désignées par la famille pour porter le corps, se sont dirigées ainsi directement de la demeure au charnier, pour le descendre là dans la fosse ; le corps était couvert d'un drap de lit. Les ministres du nouveau culte étaient absents : tant mieux. Ils semblent donc enfin le reconnaître, ce que je vous ai dit si souvent dans mes lettres, qu'ils manquent à leurs devoirs par ces cérémonies sacrilèges sur le corps des chrétiens, auxquels ils se font refuser les cérémonies et les prières publiques de l'Eglise. Il est permis à l'homme de rougir de ses actes blâmables de jadis.

Vers le soir du même jour, a éclaté de nouveau à Saint-Genois, un de ces malheureux incendies, qu'on est enclin dans nos environs, à attribuer à la malveillance : la meule de colza de Pierre Samain, membre du conseil communal, a été dévorée par les flammes. C'est un accident déplorable, et ce qui n'est pas moins à déplorer, c'est que cet accident a donné lieu à un fait, qu'il sera difficile, à mon avis, de justifier.

Comme leur devoir le prescrivait, les autorités de Saint-Genois, ont donné connaissance de cet incendie au procureur du Roi de Courtrai. Ce monsieur, un grand libéral, un favori de M. Bara, est arrivé à Saint-Genois, le mardi 11, parfaitement équipé et accompagné pour faire les informations nécessaires et des recherches ; mais, monsieur, vous ne devineriez jamais sur qui sont tombés les soupçons de M. le procureur du Roi..... je le dis avec indignation : sur les zélés prêtres de Saint-Genois. Personne de Saint-Genois n'est plus affligé de tous ces faits malheureux, personne ne souhaite plus vivement d'y voir mettre fin, personne ne travaille plus pour ramener la paix parmi les paroissiens, sans manquer à leurs devoirs, et c'est chez eux qu'on va faire des visites domiciliaires pour obtenir des renseignements afin de découvrir le coupable d'incendie et de dévastation ! Est-ce bien la saine raison qui a guidé M. le procureur du roi ?

Arrivé à Saint-Genois, le représentant de la police judiciaire escorté de la force publique, s'est rendu successivement chez les quatre prêtres de la paroisse : chez M. le curé, chez MM. les vicaires et chez le directeur du couvent ; on a interrogé ces messieurs et puis on a fureté partout, on a examiné tout ce qui se trouvait dans la maison ; on a fait ouvrir tous les tiroirs et on a enlevé et emporté tous les papiers : papiers de famille, sermons, lettres privées et des écrits de tout genre.

Telle est l'oppression, telle est l'humiliation que ces messieurs ont eu à subir ! Comment justifier cela ? Car tout ne peut être permis envers le premier venu, qu'on regarderait comme coupable.

On m'a rapporté que le jeudi suivant, savoir le 13, une division de 7 gendarmes a été envoyée à Saint-Genois, pour y prévenir de nouveaux crimes. Ceci se comprend encore. J'apprends à l'instant que l'incendiaire présumé, Camille Van Overschelde, jeune homme de 19 ans, cordonnier, domicilié à Saint-Genois, a été arrêté par ordre du parquet et conduit à la prison de Courtrai.

Salut !

N. N.


Katholyke Zondag, 29 août 1868 (numéro 723)

Bords de l'Escaut, 23 août 1868.

Monsieur le rédacteur,

Saint-Genois est comme en état de siège : le procureur du Roi y a passé presque toute la semaine ; douze autres gendarmes sont venus se joindre aux sept qui y étaient déjà et l'on ne parvient pas à mettre la main sur les coupables. A quoi cela tient-il ? Je pense que c'est parce qu'on ne fait pas les recherches là où l'on devrait les faire. On veut nécessairement trouver le coupable parmi les catholiques ; on ne soupçonne qu'eux ; on serre la main de quiconque est libéral : un libéral est incapable de commettre des crimes, oui, il est une chose sacrée ; et entre-temps on ne trouve pas les scélérats et les crimes se commettent toujours. Ainsi, deux nouveaux incendies ont éclaté vendredi et samedi. Vendredi, vers le soir, toute la provision de paille d'un cultivateur, qui avait fait battre sa moisson au moyen d'une machine, a été consumée par le feu, et samedi matin, une meule de froment, appartenant à un autre fermier libéral, est devenue la proie des flammes.

Les braves gens commencent à rire ici de la simplicité des autorités libérales. Voici, monsieur le rédacteur, deux petites réflexions que chacun fait à Saint-Genois et dans les environs, et qui sont bien propres à confirmer les bonnes gens dans leur opinion : 1° Il n'y a pas eu jusqu'ici de grands incendies ; les objets endommagés n'avaient pas relativement une grande valeur ; 2° Ce qui est détruit par le feu était, pour la plus grande partie, assuré contre l'incendie et les sociétés ont réparé le dommage causé. L'empereur Néron fit un jour mettre le feu aux quatre coins de la ville de Rome, et il accusa les chrétiens de ce crime, pour avoir un motif de les persécuter et de les punir. mais les libéraux de nos jours sont incapables de cela, quoique Néron, un grand libéral, fut un de leurs ancêtres.

Saint-Genois est entre-temps plongée dans le deuil et la (page 47) terreur, comme Arras, du temps de la terreur, en France. On n'ose plus ni parler, ni bouger ; il n'y fait pas bon car si vous dites un mot de trop, vous êtes conduit devant le procureur et vous êtes bien heureux si vous pouvez rentrer chez vous en liberté.

D'après ce qu'on me rapporte, un père de famille, tonnelier de profession, et demeurant à la Place, fut mandé hier chez le procureur du Roi. Il est aussi coupable que le procureur lui-même. On l'interrogea et on lui dit qu'une personne, portant une grande barbe noire, avait été vue aux environs du lieu où l'incendie avait éclaté ; et le procureur aurait ajouté : vous portez une pareille barbe. Le tonnelier aurait répondu : mais, M. le Procureur, cela suffit-il ? vous aussi, vous portez une pareille barbe : On dit que cette réponse n'étant pas du goût de la force publique, le procureur, sans avoir d'autres preuves de culpabilité, donna ordre d'enlever et de transporter le tonnelier, père de quatre enfants. Si les choses se sont passées ainsi, c'est tout au moins un odieux arbitraire. Quoiqu'il en soit, ce père de famille, qui est considéré ici comme appartenant au parti catholique, a été arraché aux bras de sa femme et de ses enfants, et envoyé hier, samedi, vers cinq heures et demie du soir, à la prison de Courtrai.

Le procureur du Roi a fait afficher ces jours-ci un placard portant que le gouvernement accordera une récompense de 1,000 francs à celui qui pourra faire connaître le coupable des crimes commis. Cet avertissement qui prouve qu'on n'a pas encore mis la main sur le coupable, est en même temps la justification de toutes les personnes, tant ecclésiastiques que séculières, qui ont été impliquées dans cette triste affaire, bien entendu, si elles pouvaient avoir besoin de justification.

Saint-Genois devient de plus en plus épuisée : plus de trafic dans les boutiques, plus de débit dans les auberges ; les marchés languissent ; ceux qui en ont les moyens quittent la commune ; déjà huit personnes sont parties ainsi, d'autres sont sur le point de les suivre, et les gendarmes mangent le reste. La commune doit payer journellement 3 francs à chacun de ces dix-neuf hommes, soit 57 francs par jour et 1,710 francs par mois. Que cela dure six mois, et cela fera 10,260 francs, beau cadeau, en vérité, que l'administration libérale fait à ses subordonnés. Les électeurs de Saint-Genois pourraient bien commencer à savoir ce qu'il en coûte d'élire des membres libéraux qui savent si bien embrouiller l'écheveau.

Puissent-ils, ainsi que d'autres, profiter de cette leçon !

Salut ! A plus tard.

N. N.


Katholyke Zondag, 29 août 1868 (numéro 723)

Nouveaux renseignements.

Dans la soirée de vendredi, 21 du courant, deux agents de la police se trouvaient dans un cabaret pour surveiller une meule d'avoine, située à Coeyghem et appartenant à la veuve Everaert, cultivatrice à St-Genois ; ils y restèrent jusque vers onze heures, quinze minutes à peine après leur départ, la meule était en feu.

La même nuit, deux gendarmes se trouvaient à la ferme du cultivateur Seynaeve pour surveiller la ferme et les meules adjacentes. Les gendarmes quittèrent la ferme vers trois heures et une demi-heure après, deux meules brûlaient, mais grâce à de prompts secours, les bâtiments ont été préservés.

Ces incendies ont réellement quelque chose de singulier, quelque chose de mystérieux. Bien des personnes dans les environs commencent à penser et à dire, que ce sont des châtiments de Dieu, et que les morts, dont les corps sont enterrés au charnier, sont à cette fin des instruments dans la main de Dieu. Nous pensons que ceci est en dehors de la vérité. Dieu punira bien les coupables, mais le châtiment de Dieu arrive d'ordinaire lentement ; il ne se sert pas ordinairement de moyens qui peuvent frapper des innocents, et ses châtiments n'ont pas ce caractère de vengeance.

Lundi dernier on voyait encore afficher au coin de toutes les rues de Courtrai :

« On payera 1,000 francs de la part du parquet de justice et 300 francs de la part de la commune de Saint-Genois à celui qui pourra faire connaître l'incendiaire. »


Katholyke Zondag, 5 septembre 1868 (numéro 724)

Saint-Genois.

Nous venons de recevoir le journal l'Etoile belge, dans lequel nous trouvons avec plaisir la réhabilitation des prêtres, que les feuilles libérales ont si honteusement calomniés et injuriés au point de jeter sur eux la faute de tous les incendies, allumés dans cette commune.

Nous traduisons les paroles de l'Etoile belge : « maintenant que nous apprenons l'arrestation d'une espèce de vieille sorcière et d'un vacher, comme prévenus d'être les auteurs des incendies de Saint-Genois, nous trouvons que c'est à tort qu'on a voulu faire remonter au clergé de Saint-Genois la responsabilité des actes criminels commis dans cette commune, et nous nous empressons de le constater. »

Après les coups viennent les caresses !


Katholyke Zondag, 12 septembre 1868 (numéro 725)

Saint-Genois.

L'épisode des incendies dans la question de Saint-Genois semble être à sa fin pour l'opinion publique les incendies ont cessé, les coupables, à ce qu'il paraîit, sont arrêtés.

Reste maintenant à attendre le résultat devant les tribunaux.

La promesse du parquet de Courtrai de payer 1000 fr. à celui, que ferait connaître les coupables, a produit son effet : on assure que déjà quatre ou cinq personnes soupçonnées (page 48) sont arrêtées. Ces arrestations sont la justification complète des catholiques dans cette affaire.

Sans pouvoir donner la moindre preuve de ce qu'elles soutenaient, les feuilles libérâtres criaient et hurlaient que les incendiaires étaient excités par les catholiques, voire même par les prêtres, et que les incendies étaient l'œuvre des catholiques. Aveuglées par leurs passions, elles voyaient dans les prêtres des ennemis de l'ordre public, et dans chaque catholique, un instrument dans la main du prêtre, capable de tout faire.

Certain jour, un vacher, alléché par les 1000 francs, alla dénoncer sa maîtresse au parquet de Courtrai : maîtres et domestique furent arrêtés ; toute la fantasmagorie d'accusations non fondées et d'imputations fausses gisait renversée, et ii fut constaté que les sauvages, cause de tant de malheurs, avaient appliqué, non les maximes de la religion, mais celles du libéralisme, qui, dans les grandes comme dans les petites choses, foule facilement aux pieds les principes de droit et de justice. Si les feuilles libérâtres pouvaient rougir encore, ne devraient-elles pas rougir de honte après une pareille équipée ?

Il régnait, il est vrai, pendant que ces crimes inexplicables se commettaient, parmi la partie saine de la population de Saint-Genois une opinion, que les libéraux auraient bien pu être la cause de ces incendies, pour en faire retomber l'odieux sur leurs adversaires. mais quoiqu'on nous ait souvent communiqué cette idée dans nos correspondances, jamais nous n'avons pu y ajouter foi, ni soutenir cette accusation, parce que le chrétien n'accuse pas sans preuves.

Maintenant que cet épisode est presque terminé, la question capitale reviendra bientôt sur le tapis ; car les libéraux de Saint-Genois ne cessent de soutenir leurs projets destructeurs et d'appliquer leurs principes sacrilèges, et les catholiques ne peuvent pas se laisser dépouiller de leur cimetière bénit, qui est érigé selon la loi et où ils désirent avec raison reposer un jour en paix à côté de leurs ancêtres.


Katholyke Zondag, 19 septembre 1868 (numéro 726)

Saint-Genois.

Fausse accusation.

Nous voulons fixer pendant quelques instants encore l'attention de nos lecteurs sur les affaires de Saint-Genois, pour mettre en évidence tout l'odieux des accusations, mises à cette occasion à charge des prêtres par la presse libérale. On se rappelle avec quelle impudence la presse libérâtre accusa, sans honte ni retenue, le clergé d'être la cause des incendies, qui pendant un certain temps ont attristé Saint-Genois. Quelles raisons avait-elle pour cela ? Sa haine contre la religion et les prêtres ; elle n'en avait pas d'autre.

Dès que la Justice a cessé de chercher et de vouloir trouver, coûte que coûte, les coupables parmi les catholiques, elle a mis la main sur une nommée Virginie Tack, dénoncée par un vacher, et les incendies ont cessé.

Et qui était cette femme ? Une espèce de sorcière, dit l'Etoile Belge. Une femme, disons-nous, que les libéraux les plus opiniâtres n'essaieront jamais de faire passer pour un instrument des cléricaux. Ses habitudes, ses relations, ses principes de morale indépendante protestent contre cette idée. Elle fut au contraire toujours au service de plusieurs libéraux de la commune et la protégée spéciale de l'administration libérale exclusive du bureau de bienfaisance de Saint-Genois.

Des magistrats libéraux, poussés par l'idée, voire même par l'espoir de découvrir la main d'un curé ou d'un vicaire dans ces événements, font toutes sortes de recherches et d'investigations, on soupçonne ceux dont toute la vie proteste contre de telles accusations, on fouille leurs papiers, on ouvre des lettres, on tâche de découvrir un mot, un signe, une supposition, et après trois semaines de recherches diligentes, on n'a rien découvert, absolument rien.... ! C'est une preuve évidente qu'il n'y avait rien à découvrir.

Ah ! quelle satisfaction pour le ministre Bara ! Quelle capture pour ces magistrats, frappés à son image ; s'ils avaient pu attraper l'un ou l'autre prêtre et le conduire, les mains liées sur le dos, assis sur une charrette découverte et entouré de gendarmes, à la prison de Courtrai. Huit gendarmes n'eussent pas été de trop cette fois-ci pour entourer la charrette et toutes les feuilles libérâtres de la Belgique eussent crié hosanna, parce qu'il s'était trouvé un prêtre, qui avait souillé sa robe. C'eut été une fête pour M. Bara et le procureur du roi qui la lui eût donnée, eût obtenu bien vite de l'avancement ou, tout au moins, la croix d'honneur de l'ordre Léopold. Nonobstant les recherches les plus minutieuses, continuées avec une espèce d'acharnement, cette consolation n'a pu être donnée au digne boursier des chanoines de Tournai.

On sait que la presse libérâtre est en relation intime avec la magistrature-Bara. Cette presse a là ses relations, là elle a ses entrées, là elle trouve des correspondants et des rédacteurs. Plus d'une fois déjà elle a commis, par la faute de l'un ou de l'autre magistrat libéral, des étourderies, qui sont loin de donner une bonne idée de l'impartialité et de l'honnêteté de la justice en Belgique. Qu'est-ce que le dossier des affaires de Saint-Genois a appris à la clique libérâtre contre le clergé ? Rien, car ils n'ont pu produire quoique ce soit.

C'est pour toutes ces raisons que la feuille libérale, l’Etoile Belge, disait dernièrement avec une loyauté qui l'honore : Nous trouvons que c'est à tort, qu'on a voulu faire remonter au clergé de Saint-Genois la responsabilité de ces actes criminels et nous nous empressons de le constater.


Katholyke Zondag, 3 octobre 1868 (numéro 728)

(page 49) Visites judiciaires

Samedi passé ont été posés à Bruges des actes, que toute la presse désapprouvera, si elle a conservé le sentiment de sa dignité le pouvoir judiciaire a fait notamment avec grand appareil et sans raisons fondées, une visite domiciliaire dans notre imprimerie, chez M. Van den berghe-Denaux, éditeur du Jaer 30 et chez un de nos rédacteurs. Nous donnons ici le récit impartial des deux visites qui nous regardent plus spécialement :


Une surprise judiciaire.

Le samedi, 26 septembre, à 11 1/2 heures du matin, deux ou trois messieurs se présentèrent à mon domicile et demandèrent à ma petite fille, qui se trouvait sur le seuil à la porte : Votre papa est-il à la maison ? » - « Oui, Messieurs, je vais l'appeler ; donnez-vous la peine d'entrer. »

Je descendis au magasin et je saluai ces messieurs. Bientôt trois ou quatre autres se présentèrent, de sorte que je me trouvais dans un groupe de personnages barbus, qui n'étaient autres que les membres des parquets de Bruges et de Courtrai.

Le juge d'instruction de Bruges prit la parole ; « Monsieur, vous êtes l'éditeur du Katholyke Zondag ? »

- Oui, Messieurs, l'imprimeur et l'éditeur ou expéditeur.

- Nous venons vous entretenir de ce que vous avez imprimé au sujet des affaires de Saint-Genois, commune où des incendies ont éclaté depuis quelques semaines. Voilà messieurs les procureurs du Roi de Courtrai et de Bruges, et voici le juge d'instruction de Courtrai, je suis le juge d'instruction de Bruges.

- Fort bien, Monsieur le juge, prenez place, je vais vous chercher encore des chaises.

Tous ayant pris place, le greffer me mit sous les yeux une dizaine de numéros de mon journal qu'ils avaient apportés. On me demanda si je reconnaissais ce journal comme le mien ? — Certainement, Monsieur, il n'y a pas à en douter répondis-je.

Le Juge. - D'où émanent les articles que vous avez publiés sur les affaires de Saint-Genois ?

L'éditeur. - De correspondances.

Le Juge. - Bien, de correspondances, mais ces correspondances d'où viennent-elles ?

L'éditeur. - II me semble, M. le juge, qu'il est facile de voir d'où elles viennent ; ouvrez le journal : en tête de chaque article se trouve indiquée l'origine.

Le Juge. - Oui, mais ne se pourrait-il pu que ces lettres eussent été écrites à Saint-Genois et expédiées de Moen ?

L'éditeur. - La chose serait possible ; mais je ne puis rien à ce sujet, parce que je ne reçois jamais de correspondances pour notre feuille.

Le Juge. - Vous avez bien là pourtant les noms de correspondants, et je suis certain que vous les connaissez.

L'éditeur. - Nullement. Les articles n'étaient pas signés, sauf un seul. J'ai vu un nom mal écrit au bas d'un de ces articles, mais ce nom je l'ai oublié.

Le Juge. - Vous le connaissez ; déclarez-nous quel est ce nom, dans votre intérêt et dans celui de votre famille ; nous nous en contenterons.

L'éditeur. - Je ne le sais pas, et lors mème que je le saurais, ce serait mon secret.

Le Juge. - Vous ne le savez pas, et lors même que vous le connaitriez, vous garderiez le secret ?

L'éditeur. - Oui, M. le juge.

Le Juge. - Greffier, actez cela.

Le procureur du roi de Courtrai. - Ne vous rappelez-vous pa.s que ce nom que vous avez vu une seule fois, était Verschuere.

L'éditeur. - Verschuere, Verschuere ; je crois me rappeler ce nom ; il me semble que c'est celui d'un échevin de Saint-Genois, auquel j'envoie chaque semaine ma feuille.

Le Procureur du Roi. - Non, ce n'est pas cela ; songez-y bien.

L'éditeur. - Ce n'était pas ce nom ; la terminaison était différente.

Le Juge. - Si vous ne voulez pas déclarer l'auteur, voUs êtes responsable de tout ce qui a été écrit dans votre feuille.

L'éditeur. - Nullement, M. le juge, car je n'imprime pu dans mon journal ce que j'écris moi-même.

Le Procureur du Roi. - Vous ne savez probablement pas écrire.

L'éditeur. - Vous voulez vous moquer de moi, Monsieur ?

Le Procureur du Roi. - Vous dites que vous n'imprimez jamais ce que vous écrivez.

L'éditeur. - Ce n'est pas un motif pour ne pas savoir écrire.

Le Juge. - Si je vous apportais un article pour l'insérer dans votre journal, le feriez-vous ?

L'éditeur. - De mon propre chef, non ; mais je l'insérerais après l'avoir montré au rédacteur.

Le Juge. - Quel est le rédacteur de votre journal ?

L'éditeur. - II est connu de tout le monde et il ne s'en cache pas.

Les Juges et le Procureur du Roi tous à la fois. - Vous tenez un registre de vos abonnés ? Nous désirerions la voir.

L'éditeur. - Je vous le montrerai, mais il n'est pas ici.

Le Procureur du Roi. - Vous possédez sans doute encore les manuscrits ou correspondances de ce que vous publiez dans votre journal.

L'éditeur. - Rien, dans toute ma maison vous ne trouverez pas un mot d'écrit, et la raison en est que le samedi (page 50) matin, j'expédie à mon beau-frère tout ce qui est manuscrit et dont il peut avoir besoin pour la rédaction.

Le Juge. - Il vous reste bien sans doute quelques notes. Nous allons faire une perquisition. Ouvrez votre secrétaire.

Le secrétaire est ouvert. - Quels sont ces papiers-là, et ceux-ci ? - Des lettres de change, quittances, factures, lettres de commerce, etc. Je leur montrai tout, mais ils ne trouvèrent rien de ce qu'ils cherchaient. Vous comprenez bien qu'un sourire était sur mes lèvres, pendant que je les voyais fureter partout.

Après qu'ils eurent terminé leur perquisition dans mon magasin, ces messieurs, prétendirent visiter l'imprimerie.

- Venez, leur dis-je, suivez-moi. Je montai au deuxième étage ; quatre d'entre eux me suivirent.

Arrivés à l'imprimerie : - Tous vos ouvriers sont partis ! demandèrent-ils.

L'éditeur. - Rien d’étonnant ; midi est sonné depuis longtemps.

Le Juge. - Vous n’avez ici aucun fragment de correspondance ?

L'éditeur. - Vous pouvez chercher où vous voulez, ce sera peine perdue ; vous ne trouverez rien, je n'ai rien.

Il y avait dans cette salle un bac rempli de vieux journaux : on en prit à foison. Ils descendent ensuite au premier étage, et là, pénétrant dans ma chambre à coucher, ils me font ouvrir les tiroirs d'un meuble où se trouvait le registre des abonnés. Ils s'emparent de ce registre et se mettent à le parcourir. Nous allons l'emporter, dit le procureur du Roi ; on vous le retournera aussitôt que possible, quand nous n'en aurons plus besoin. Ils sortent de la chambre, en demandant qui couchait dans cet appartement, et qui dans tel autre. Arrivés au rez-de-chaussée, ils poussent la tête dans la chambre donnant sur la cour, puis dans le lavoir, enfin dans la cuisine, où l'on préparait le repas. Enfin rentrés dans le magasin, ils se mettent de nouveau à fureter dans les livres et ouvrent encore deux tiroirs négligés jusque là.

Après que cette comédie eut duré une heure et demie, quatre d'entre eux sortirent et se rendirent à l'estaminet la Cour de Bruxelles, en face de ma demeure... Quelques moments après, le commissaire en chef reçut l'ordre de requérir trois agents de police. Ceux-ci ne furent pas difficiles à découvrir, car ma maison en était littéralement assiégée. Ces hommes reçurent divers ordres. Bientôt je vis arriver une voiture devant ma porte. Mes enfants, grands et petits, se mirent à pleurer et à crier : Ils vont emmener notre père ! Le peuple qui remplissait la rue, s'exclamait de même. Mes enfants étaient inconsolables. Je me trouvais prisonnier dans ma propre demeure, et personne ne pouvait approcher de moi. Enfin M. le juge d'instruction rentra dans la chambre, en même temps que ma femme, qui était toute consternée et plus morte que vive... Heureusement le juge nous dit enfin « M. Tremmery nous sommes satisfaits, nous partons. » « - Fort bien, M. le juge, » et je les accompagnai jusqu'à la porte. Quelques minutes après, ils avaient disparu et ils étaient en route pour Vyves, dans l'intention de surprendre mon beau-frère.

M. Tremmery.


Perquisition judiciaire à la prévôté de Vives.

Sainte-Croix, le 28 septembre 1868

Monsieur,

Vous me faites l'honneur de me demander s'il est vrai que j'aie été, comme M. Van den Berghe-Denaux, arrêté par la justice, et si les rumeurs répandues au sujet de nom arrestation ont quelque caractère d'exactitude. - Non, cher ami, je suis encore en liberté, et je vous écris de nom charmant presbytère gothique de Notre-Dame de Vyves. Cependant le récit que vous sollicitez de moi et que je vous adresse, vous convaincra qu'il s'en est fallu de peu que j'ai eu l'honneur de partager le sort des témoins de la foi. Que devient donc la liberté de la presse en notre chère Belgique ? Voilà une liberté inscrite par les libéraux et surtout pour les libéraux dans notre pacte fondamental : ils la mutilent néanmoins, comme beaucoup d'autres libertés, d'une pitoyable façon. Un pas encore dans cette voie et la liberté de la presse aura vécu ! mais venons aux faits.

Les lecteurs du Katholyke Zondag connaissent les articles fort modérés publiés, depuis trois mois, dans votre feuille au sujet des déplorables événements de Saint-Genois. Eh bien ? qui le croirait ? Ce sont les articles qui ont amené le parquet de Bruges dans ma demeure habituellement si paisible. C'est bien là du mauvais vouloir ou il n'en existe plus au monde. Donc, le samedi, 26 septembre, après avoir fait le catéchisme aux enfants qui se préparent à la première communion et après les avoir, selon mon habitude, reconduits jusqu'à l'école, je vis une voiture attelée de deux chevaux s'arrêter à la porte du cimetière. Il en descendit quatre messieurs qui, m'apercevant à quelque pas de là, se dirigèrent aussitôt vers moi. Je laissai les enfants de l'école poursuivre leur chemin et je m'avançai vers mes visiteurs. On se salue réciproquement. Un de ces messieurs prend la parole et s'adresse à moi : « Monsieur, êtes-vous bien M. le curé de Vyves-Capelle ? »

- Oui monsieur, votre très humble serviteur...

- Ce Monsieur, reprend mon interlocuteur, est le procureur du Roi de l'arrondissement de Courtrai ; cet autre est le procureur du Roi de Bruges ; ce troisième est le greffier de Bruges et moi, Monsieur, je suis juge d'instruction. Nous désirerions avoir avec vous un entretien particulier, dans votre demeure.

Croyant ces personnages sur leur parole, je leur répondis :

« Volontiers, Messieurs ; donnez-vous la peine de me suivre. » Ils m'accompagnent. Nous entrons dans la prévôté. J'introduis ces messieurs dans mon salon et l'on s'assied.

- M. le curé, reprend M. de Gottal, juge d'instruction à Bruges, êtes-vous le rédacteur de la feuille hebdomadaire, le Katholyke Zondag ? »

- « J’en suis tout au moins, monsieur, l’un des collaborateurs. »

Lui : « Vous y avez publié dernièrement plusieurs (page 51) correspondances prétendument datées de Moen ; veuillez avoir l'obligeance de nous les remettre. »

Moi. « M. le juge, il m'est impossible de vous satisfaire : je n'ai plus ces pièces en ma possession. »

Lui. « Comment, vous n'avez plus ces pièces :... C'est bien étrange !... Des documents d'une telle valeur !... Si j'étais rédacteur de journal, avant d'insérer de pareilles pièces, je demanderais de mon correspondant une attestation. écrite, de nature à couvrir ma responsabilité. »

Sans m'émouvoir le moins du monde, je réponds : « Monsieur, vous seriez le maître d'en agir de la sorte ; j'agis moi différemment. »

Lui. « Mais si, comme vous le dites, vous n'avez plus ces correspondances, faites au moins connaitre le nom de votre correspondant ! »

Moi.« Monsieur, je ne me crois pas obligé de vous révéler ce nom. »

M. le juge se levant : « Comment ! vous nous cacheriez ce nom ! Sachez, monsieur , que vous êtes ici devant la justice et que vous êtes obligé de l'éclairer. Déclarez-nous donc le nom de votre correspondant de Saint-Genois ? »

Moi. « M. le juge, ma résolution est prise, je ne vous dirai pas le nom de mon correspondant. S'il le faut, j'endurerai la prison, mais vous livrer ce nom, jamais ! »

Ces quatre messieurs se regardèrent pendant quelques instants.

« Mais reprend bientôt M. le juge d'instruction, - car c'est lui seul qui prend la parole - que faites-vous donc de vos articles et de vos correspondances, après qu'elles ont paru ? »

« - «Voici, messieurs : ces articles et correspondances me reviennent habituellement de Bruges, le samedi soir. Je les laisse reposer le dimanche, étant trop occupé à l'église, ce jour-là. Le lundi je revois la copie qui m'est adressée ; j'y prends les extraits que je juge convenables et j'anéantis le reste. Attendez ! Voulez-vous voir comme cela se fait voici un paquet qui m'arrive. »

Je me rends dans mon cabinet de travail et ils me suivent tous les quatre sur les talons.

- « M. le curé, me dit alors M. le juge d'instruction, je ne puis croire que vous n'ayez pas cette importante correspondance. Comprenez bien votre position : elle est grave. Il ne m'appartient pas absolument de vous en avertir. Ce serait plutôt de M. le procureur du Roi, mais je le fais par sympathie pour vous et je veux bien vous avertir. Vous êtes devant la justice et vous êtes obligé de l'aider à découvrir les criminels de Saint-Genois. Voyez ce que nous pouvons : ce matin, nous avons fait mettre en prison Van den Berghe-Denaux, l'imprimeur du Jaer 30. »

J'allais répondre : « M. le juge, merci bien de vos sympathies. Je crois comprendre la gravité de ma position, et précisément parce que je n'y découvre pas la moindre connexité avec les incendies de Saint-Genois, je refuse d'obtempérer à votre demande, » mais mon interlocuteur ne me laisse pas le temps de la réplique et reprit avec violence : « Selon moi, c'est un devoir, devant Dieu comme devant les hommes, d'aider à la recherche des coupables : telle est ma conviction. »

Je m'inclinai en signe d'assentiment.

Soudain, prenant un ton beaucoup plus doux : « Vous connaissez me dit le juge, la lettre de votre évêque ; il dit que quiconque peut coopérer la justice et à lui désigner les coupables, est tenu de le faire. Et maintenant faites-nous connaître le nom de votre correspondant ! »

Moi. « Monsieur, c'est mon secret et je m'en tiens à ma première déclaration. Ces noms ne pourraient en rien vous servir à la découverte des coupables. »

M. de Gottal se tourne alors vers M. le Procureur du Roi de Bruges, et celui-ci prend la parole : « Au nom de la loi, j'ordonne la visite domiciliaire. » S'adressant à moi : « Y consentez-vous, monsieur ? » Réponse : « Oui, monsieur.» (Quelle simplicité de ma part !) « Greffier, actez la déclaration, » et M. Den Hane, commis-greffier, ouvre son grand portefeuille et se met à enregistrer mes paroles. Sur ces entrefaites, M. le procureur du Roi et M. le juge d'instruction de Bruges se mettent à fureter dans tous les livres et papiers qui leur tombent sous la main dans mon cabinet. Tous les portefeuilles sont ouverts, toutes les lettres parcourues, tous les tiroirs, coins et recoins fouillés. Après que ces messieurs ont examiné un à un tous les papiers déposés sur ma table de travail, ils se dirigent vers le panier et y examinent fragment par fragment tous les débris de correspondance qui s'y trouvent jetés. Finalement, ils découvrent trois morceaux d'articles relatifs aux affaires de Saint-Genois, articles écrits de ma main. Ils les saisissent et me prient de les parapher, en même temps que l'épreuve d'un article inséré dans votre numéro du 19 septembre.

Ils insistent alors de nouveau sur la manière dont sont rédigés les correspondances adressées à votre journal. Sans y être obligé, je leur fais cette réponse : « Messieurs, lorsque je retranscrive, c'est pour en rejeter, y modifier ou y adoucir ce que je juge convenable. J'envoie alors mon manuscrit à l'impression, et voilà comment vous avez découvert un extrait de correspondance de Moen, écrit de ma main. »

Les fragments furent saisis, mais cela ne suffisait pas : on tenait à mettre la main sur les correspondances.

M. le curé, me dit M. le juge d'instruction, n'avez-vous pas de place où vous déposez votre correspondance particulière ?

- Certainement, répondis-je, là-bas, dans l'autre place.

- Ouvrez votre secrétaire !

On retourne au grand salon. J'ouvre un tiroir : on met la main sur mes lettres de famille. Toutes sont parcourues, une à une. On en remarque quelques-unes de mes frères réunies en liasse. « Il est étonnant, observe M. le procureur De Vos, que vous collectionnez un si grand nombre de lettres de famille, et que vous n'ayez pas les correspondances de Saint-Genois. » - M. le procureur, dis-je, vous ignorez de quel prix ces lettres peuvent être pour moi.

(page 52) Le secrétaire est ensuite ouvert, et l'on scrute mes livres d'affaires, puis l'on ouvre les cinq petits tiroirs destinés à contenir de l'argent ; enfin l'on tire les tiroirs de dessous et l'on met l'œil et le nez partout.

O libre Belgique ! pensai-je alors, ô liberté de la presse, ô inviolabilité du domicile, que vous dégénérez parfois en odieuse servitude ! Je dus plusieurs fois me contenir, pour ne pas laisser éclater mon impatience. Grâce à Dieu, je réussis à conserver mon calme.

« Je désire poursuivre la visite domiciliaire de ce côté, » dit alors M. le procureur du Roi de Bruges, indiquant mon cabinet de travail et mes chers livres. On pénétra de nouveau dans la bibliothèque et l'on s'y met à fouiller toutes les paperasses. Peine inutile ! La correspondance tant pourchassée ne se découvre point.

Là-dessus, nouvel interrogatoire : « mais ces correspondances venaient-elles bien de Moen, d'où elles étaient datées ? Non, Monsieur, elles venaient de diverses localités de Courtrai, d'Avelghem, etc., mais elles ont été hypothétiquement datées de Moen. » « En avez-vous reçu de Saint-Genois, de telle ou telle personne ? » « Monsieur, je m'en tiens à ma première déclaration : je ne ferai point connaître mes correspondants. » - « Connaissez-vous le clergé d'Avelghem ? » « Oui. » - « N'avez-vous rien reçu de M. le doyen ? » « Rien. » « De M. le vicaire Planckaert ? » « - Rien. » « Persistez-vous dans votre résolution de ne pas faire connaître votre correspondant ? » « J'y persiste. »

La scène semblait toucher sa fin. On me lut le procès-verbal ; après cette lecture, je dis : « Messieurs, je proteste contre ce que M. le greffer a écrit, que je reconnais avoir reçu des correspondances de Saint-Genois. Je ne l'ai pas reconnu. » - Ma protestation fut actée, et nous signâmes tous ensemble.

Pendant ce temps, je remarquai que ces messieurs examinaient mon presbytère gothique avec quelque intérêt.

« Comment trouvez-vous cette maison ? dis-je à M. le procureur du Roi. » Jolie, me dit-il. Et ces petits carreaux de vitre ? Non, point cela. - Est-ce là votre jardin que nous voyons là, M. le curé ? - Oui, monsieur, il s'étend jusqu'à la haie, et j'ouvris les deux châssis de la fenêtre pour donner à mes visiteurs une plus libre vue du jardin. Ils le trouvèrent fort beau et prirent leurs chapeaux. On se salua réciproquement et j'éconduisis poliment ces messieurs jusqu'à la porte.

La pièce était jouée ; il était temps : elle avait duré près de deux heures. Pour bien apprécier le caractère odieux de cette mesure, il suffit de remarquer que les articles relatifs à Saint-Genois insérés dans le Katholijke Zondag se bornent au récit pur et simple des scandales dont cette paroisse a été témoin à propos du cimetière. Qu'on rende ces scandales impossibles et nous n'aurons plus à les raconter et à les flétrir !