Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Histoire de la Belgique (partim : 1815-1914)
PIRENNE Henri - 1926

PIRENNE Henri, Histoire de Belgique. Livre III (le royaume des Pays-Bas - La révolution) et libre IV (De la révolution de 1830 à la guerre de 1914)

(Tomes VI et VII, parus respectivement en 1926 et 1932 (première édition) à Bruxelles, chez Maurice Lamertin)

Tome VI. Le royaume des Pays-Bas et la Révolution belge

Livre IV. Le Révolution belge

Chapitre III. Le Gouvernement provisoire et le Congrès national

(page 430) Une révolution n'a pas le temps de se donner des chefs ; elle suit ceux qui se mettent à sa tête, quitte à les renverser plus tard. Les périls qu'ils courent et les responsabilités qu'ils assument justifient leur usurpation. Ainsi en était-il du Gouvernement provisoire. En réalité, ses membres risquaient leur vie et leur honneur - leur vie, si le roi l'emportait, leur honneur, s'ils se montraient incapables de la tâche dont ils s'étaient chargés.

Cette tâche, ils l'avaient définie eux-mêmes. Elle consistait à créer un « centre général d'opérations » en vue « de vaincre l'ennemi et de faire triompher la cause du peuple belge » c'est-à-dire de réaliser l'indépendance nationale. Dix jours après la naissance de la Commission administrative, ce but était atteint. Le 4 octobre, le Gouvernement provisoire déclarait solennellement que « les provinces de la Belgique, violemment détachées de la Hollande, constituent un Etat indépendant ».

Il avait le droit de parler au nom de la nation, car « l'assentiment du peuple avait confirmé son mandat ». La révolution ne pouvait, sans se désavouer elle-même, désavouer les hommes (page 431) qui, au moment décisif, en avaient pris la direction. En faisant entrer de Potter parmi eux, ils s'étaient assuré d'ailleurs le bénéfice de la popularité. Il était arrivé au moment de la victoire, juste à point pour en récolter les fruits sans en avoir couru les dangers. Mais son prestige était trop grand pour n'être pas indispensable, et ses collègues se résignèrent, en acceptant sa primauté, à sacrifier leur amour-propre au salut public. En s'associant à leur autorité improvisée, il la légitimait. Dès les premiers jours d'octobre, des députations apportaient au Gouvernement provisoire, l'adhésion de toutes les provinces.

Il se sentait soutenu aussi par l'union des partis. Sans doute, la plupart de ses membres appartenaient aux diverses nuances de l'opinion libérale et beaucoup d'entre eux « n'allaient pas à la messe ». Mais la présence de Félix de Mérode suffisait à rassurer les catholiques. Personne ne songeait, au surplus, à soulever des questions irritantes. L'unanimité du sentiment patriotique s'accompagnait d'une confiance généreuse des uns dans les autres. Les catholiques s'abstinrent de revendiquer dans le Gouvernement provisoire une importance en rapport avec la majorité qu'ils possédaient dans le pays. Ils firent confiance à ces libéraux qui, depuis le début des événements, s'étaient toujours, en dépit de leur petit nombre, trouvés à l'avant-garde, et leur confiance fut bien placée. L'esprit national l'emporta sur l'esprit de parti. La jalousie et les intrigues qui, mettant aux prises les Vonckistes et les Vandernootistes, avaient provoqué la chute de la Révolution brabançonne, furent épargnées à la Révolution de 1830.

En fait, les pouvoirs du Gouvernement provisoire étaient illimités. N'ayant reçu aucune délégation, il n'avait non plus de comptes à rendre à personne. Il jouissait « d'une puissance arbitraire et dictatoriale » (J'emprunte ces mots très justes à de Gerlache, op. cit., t. II, p. 84) dont il n'appartenait qu'à lui de fixer les limites. Dans les circonstances où l'on se trouvait, il était indispensable qu'il en fût ainsi. Tout étant à faire et tout pressant, il fallait que le pouvoir exécutif n'eût d'autre souci que celui de décider, que personne n'eût à (page 432) discuter ses ordres, et que son autorité ne fût contenue que par le sentiment de sa responsabilité. Il importe de reconnaître à son honneur qu'il n'en fît usage que dans l'intérêt de sa mission, qu'aucun de ses membres n'encourut l'accusation d'en avoir abusé et qu'avec le désintéressement le plus complet, il s'empressa de prendre les mesures qui devaient réaliser sa promesse de déposer le pouvoir aussitôt qu'il le pourrait.

Son premier arrêté, prorogeant de vingt-cinq jours l'échéance de tous les effets de commerce créés antérieurement au 26 septembre, a visiblement pour but de faire renaître, au sein du chaos, la confiance du public. Le lendemain, un autre arrêté, jetant les premières bases de l'organisation de la garde civique, atteste sa résolution de maintenir l'ordre et la sécurité. Puis tout de suite, il s'adapte aux fonctions de tout genre auxquelles il doit satisfaire. Le pouvoir exécutif est délégué au « Comité central » institué dans son sein (28 septembre). Des comités de la guerre, de l'intérieur, de la sûreté publique, des finances, de la justice et enfin des affaires diplomatiques, dirigés par des administrateurs généraux, lui constituent des ministères responsables devant lui seul. Des « commissaires » remplacent les gouverneurs de province destitués ou en fuite. Dès le 5 octobre est créé le « Bulletin des arrêtés et actes du Gouvernement provisoire de la Belgique ».

A cette date, le gouvernement s'est transporté de l'hôtel de ville, où il s'était d'abord installé, dans le palais des Etats-Généraux et a établi ses services dans les bureaux de l'administration centrale. Avec une rapidité merveilleuse, il institue le régime nouveau. Peu de révocations d'ailleurs, les autorités hollandaises ayant spontanément quitté leurs postes. On se borne à destituer les agents les plus impopulaires, et à introduire à leur place des patriotes, jeunes gens pour la plupart, que signalent leur activité politique ou le rôle qu'ils ont joué dans la presse. Le plus grand soin fut pris de ne pas ébranler le principe de l'inamovibilité des magistrats. On laissa même en fonctions plusieurs juges dont l'orangisme était notoire. D'autres furent remplacés par des membres du barreau. Dès le 11 octobre, la justice était régulièrement rendue (page 433) dans tout le pays « au nom du Gouvernement provisoire de la Belgique ».

Pour les finances, les impôts furent maintenus à l'exception de la taxe sur l'abattage que certaines communes avaient conservée. En octobre, ils rapportaient 1.230.000 florins, en novembre-décembre, 2.600.000. On se garda soigneusement d'inquiéter le crédit et les capitalistes. Dès le 7 novembre, une ligne de douanes était établie le long de la frontière hollandaise. Il s'en fallait naturellement de beaucoup que le trésor pût se contenter des revenus ordinaires gravement atteints par la cessation des affaires et par l'insuffisance d'une administration de fortune. Il fallut, le 22 octobre, décider un emprunt de 5 millions de florins qui réussit mal, et solliciter le concours de banquiers parisiens. En même temps, le Gouvernement provisoire s'ingéniait à mettre sur pied une armée régulière. Les généraux Goethals et L.-P. Nypels étaient chargés de son recrutement. Le 1er octobre, Chazal, nommé munitionnaire général, organisait tant bien que mal l'intendance militaire en créant des dépôts de vivres, d'armes et de munitions.

Il était indispensable de s'assurer l'appui des administrations communales. Dans les « régences » des grandes villes, les partisans du régime disparu étaient nombreux, et cela se comprend sans peine si on se rappelle qu'elles avaient été élues sous la pression des autorités. L'arrêté du 8 octobre qui ordonna de les « recomposer par voie électorale », substitua aux opérations compliquées et aux triages successifs dont elles étaient sorties jusqu'alors, le système de l'élection directe. Le corps électoral ne perdit pas son caractère restreint, mais conformément aux principes libéraux, la fortune cessa d'être la seule condition du droit électoral : on le fit dépendre non seulement du cens, mais de la « capacité » présumée des adeptes de certaines professions. Les élections nouvelles se passèrent presque partout dans le calme le plus parfait. Presque partout aussi, elles tournèrent naturellement en faveur de la révolution. Dans les villes où il en fut autrement, les vaincus accusèrent les vainqueurs, comme il fallait s'y attendre, de ne l'avoir emporté que par l'intrigue, et on ne s'étonnera (page 434) point de l'accueil que leurs réclamations trouvèrent auprès du Gouvernement provisoire. Le 17 novembre, il cassait, sous prétexte d'irrégularité, les élections qui à Gand avaient maintenu au pouvoir l'administration orangiste.

Si, en pleine crise révolutionnaire, l'activité du Gouvernement provisoire réussit à empêcher la Belgique de tomber dans l'anarchie, c'est grâce au dévouement et à l'activité de ses membres, mais c'est aussi que son autorité fut volontairement acceptée par la nation. Ni les appels du prince d'Orange, on l'a vu plus haut, ni les tentatives de quelques meneurs soudoyés par sa cassette, ni les attaques furibondes de la presse orangiste ne réussirent à ébranler sa situation. Il est remarquable encore que, malgré la divergence de leurs opinions et l'opposition de leurs caractères, les hommes dont il se composait aient eu l'abnégation de se tolérer mutuellement. Des scènes violentes les mirent souvent aux prises (de Potter, Souvenirs personnels, t. I., p. 179 et suivantes), qu'ils réussirent à cacher au public et dont aucun d'eux ne chercha à tirer parti par ambition personnelle ou esprit d'intrigue. Leur force reposa sur leur union, sur la communauté de leur esprit civique et de leur sentiment du devoir. Grâce à eux, ils purent sinon surmonter du moins supporter les difficultés et les périls de l'heure.

Car, s'ils firent tout qu'ils devaient faire, il n'était pas en leur pouvoir d'épargner au pays une crise redoutable. La révolution, en arrêtant l'industrie, avait plongé le peuple dans la misère. Les impôts rentraient mal. Il était impossible de payer les créanciers de l'Etat et de rétribuer les fonctionnaires. Les expédients auxquels on avait recouru pour occuper les travailleurs ne suffisaient pas, et on devait refuser aux fabricants les avances qu'ils réclamaient sous menace de fermer leurs ateliers. Dans quantité de villes, la charité publique était le seul soutien des pauvres. A Gand, le 4 octobre, le conseil communal empruntait 100.000 florins destinés à venir en aide à la classe ouvrière. Et cette détresse qui explique suffisamment les troubles du mois d'octobre dans le Borinage, était (page 435) d'autant plus dangereuse que des émissaires orangistes ne laissaient pas de l'exploiter à leur profit.

Pourtant la confiance dans l'avenir restait entière. Le succès de la Révolution consolait du reste. Tout en s'occupant de parer aux nécessités les plus urgentes, le Gouvernement provisoire préparait avec ardeur le statut définitif de la Belgique. Le jour même (4 octobre) où il proclamait l'indépendance du pays, il annonçait que son « Comité central s'occupera au plus tôt d'un projet de constitution et qu'un Congrès national sera immédiatement convoqué ». Fidèle à sa promesse, il créait, deux jours plus tard, une commission chargée d'élaborer cette Constitution et, le 10, convoquait le corps électoral à nommer les membres du Congrès.

Sans en attendre d'ailleurs la réunion, il réalisait à l'avance, par une série d'arrêtés, les grandes réformes libérales que réclamait depuis 1829 l'union des partis : liberté complète de l'enseignement (12 octobre), droit d'association illimité (16 octobre), liberté absolue de la presse et de l'exercice de tous les cultes (16 octobre), abolition de la censure des théâtres (21 octobre), suppression de la haute police (22 octobre), publicité obligatoire des budgets et des comptes des administrations publiques (26 octobre) ainsi que des instructions et des débats judiciaires (7 octobre), abolition de la bastonnade pour les soldats (7 octobre). Il était impossible de répondre plus complètement au sens profond de la Révolution. La Belgique était comblée de ces libertés qu'elle avait été contrainte de conquérir par les armes. Un mois après les journées de septembre, elle les possédait toutes. Le Gouvernement provisoire en avait fait la récompense de la victoire. Il en avait jonché, si l'on peut ainsi dire, la route qu'allait parcourir le Congrès national. Il était certain qu'elle le conduirait à la constitution la plus libérale de toute l'Europe.


(page 436)

Le Congrès de 1830 n'a pas reçu seulement son nom du Congrès de la Révolution brabançonne, il lui ressemble encore en ceci qu'il est comme lui une assemblée souveraine succédant au monarque dépossédé. La ressemblance, il est vrai, s'arrête là. Elle fait place au contraste le plus absolu dès que l'on compare et la composition et l'esprit des deux assemblées. L'une ne s'ouvre qu'à un petit nombre de privilégiés prétendant exercer, en vertu des antiques constitutions du pays, la souveraineté nationale : elle fonde ses droits et sa légitimité sur le passé, et c'est en vertu de la tradition qu'elle se substitue à l'empereur (Pirenne, Histoire de Belgique , t. V, 2ème édition, p. 474 et suivantes). L'autre, au contraire, ne s'attribue les pouvoirs du roi que parce que ces pouvoirs, d'après la théorie révolutionnaire, n'appartiennent qu'à la nation dont elle émane et qu'elle représente. Le Congrès de 1789 invoque, en face de Joseph II, les droits acquis ; celui de 1830, en face de Guillaume, invoque les droits de l'homme. L'indépendance nationale que celui-là voulait organiser par un retour à l'Ancien Régime, celui-ci la fonda conformément à la pure doctrine du libéralisme politique.

Un seul, parmi les membres du gouvernement provisoire, eût souhaité d'aller plus loin et de profiter des circonstances, non seulement pour réformer la constitution politique mais la constitution elle-même de la société. Louis de Potter appartenait à ce groupe de démocrates pour lesquels la liberté n'était que le prélude de l'égalité économique. Humanitaire et radical, il s'intéressait au sort des prolétaires et des humbles, exploités par le « boueux bourgeoisisme » qui en France venait de détourner la révolution à son profit. Son idéal paraît avoir été celui d'une république de citoyens jouissant des mêmes droits, où il n'y aurait ni riches ni pauvres et où la médiocrité des conditions et des désirs répondrait à un gouvernement économe et faible. Pour mieux assurer encore la liberté, cette (page 437) république serait fédérative, la centralisation du pouvoir poussant nécessairement ses détenteurs à en abuser. Par une contradiction curieuse, il entendait imposer au peuple le bonheur qu'il lui réservait. Défiant du suffrage universel, qui d'ailleurs eût infailliblement soumis le pays aux catholiques, il rêvait d'une réforme venant d'en haut. Le Gouvernement provisoire lui paraissait tout désigné pour purifier le « cloaque d'immondices » qu'était la société. A ses yeux, il avait le droit de se servir pour le bien général du pouvoir dictatorial qui lui avait été délégué par la nation. La révolution avait été faite par le peuple ; le moment était venu de la terminer pour le peuple en faisant régner la justice. S'en remettre aux décisions d'une assemblée, ce serait fatalement capituler entre les mains de la bourgeoisie et sans doute, comme en France, retomber bientôt sous le joug d'un roi. S'il fallait absolument convoquer un Congrès, du moins convenait-il de borner sa mission à l'acceptation pure et simple de la constitution qui lui serait proposée par le Gouvernement provisoire. (Je résume ici les idées qu'il exprime dans ses Souvenirs personnels, t. I, p. 179, 214, 342, t. II, p. 178, 181 et passim.)

Peut-être l'ambition personnelle ne laissa-t-elle pas d'influencer l'attitude de de Potter. Sa popularité lui permettait d'aspirer à la présidence de cette république belge dont il portait le plan dans son esprit. Mais ses collègues avaient les meilleures raisons du monde de ne pas le suivre. Tout d'abord, la loyauté les poussait à déposer le plus tôt possible une autorité qu'ils n'avait prise que pour suppléer à la carence de tout pouvoir. Ils étaient bien décidés à remettre leur démission au Congrès, organe de la souveraineté nationale, au lieu de profiter de leur situation pour disposer des destinées du peuple. Leur libéralisme s'effarouchait et de l'esprit autoritaire de de Potter et de ses projets de réforme sociale. Leur programme n'allait pas au delà de la liberté politique. Sincèrement démocrates et même pour la plupart républicains, ils considéraient que, pour servir le peuple, il suffisait de lui donner la liberté.

Il serait aussi injuste qu'inexact de les soupçonner d'avoir (page 438) voulu, de propos délibéré, fonder la domination de la bourgeoisie. Ce qui est vrai, c'est que, comme tous les démocrates de leur temps, ils se défiaient de l'ignorance et de l'incapacité des masses. Par respect pour la souveraineté du peuple, ils voulaient en garantir la durée et l'efficacité en n'appelant à y coopérer que ceux-là seulement qui en seraient dignes. Ce n'est point pour donner un privilège à la fortune et à l'instruction qu'ils exigèrent des électeurs du Congrès le payement d'un cens et des conditions de capacité : c'est parce qu'ils voulurent entourer leurs votes de toutes les garanties de l'indépendance. Dans la situation où se trouvaient alors les classes populaires, ce ne sont point les conservateurs qu'effrayait le suffrage universel, car il eût joué, sans doute possible, en faveur de la réaction, et c'est parce que les libéraux et les démocrates en étaient convaincus qu'ils laissèrent subsister le suffrage restreint. Leur bonne foi apparaît d'ailleurs dans les précautions qu'ils prirent pour le mettre à l'abri de toute pression. La pratique de l'élection à plusieurs degrés, si habilement machinée pour confisquer au profit du pouvoir la volonté des électeurs, fit place à l'élection directe. Le secret du vote, cette autre sauvegarde de la démocratie, fut imposé. Les membres du Gouvernement provisoire ne doutèrent point d'avoir constitué le corps électoral du Congrès de telle sorte que celui-ci fût vraiment l'émanation de la nation et eût le droit de parler au nom du peuple belge. Respectueux de son pouvoir, ils se gardèrent bien de lui tracer un programme. (page 439) A lui seul appartenait de définir et d'accomplir sa tâche avec l'indépendance qui découlait de sa souveraineté.

(Note de bas de page : Benjamin Constant, Cours de politique constitutionnelle, p. 48 (Bruxelles, 1837), ne reconnaît de droits politiques qu'aux citoyens possédant « le revenu nécessaire pour exister indépendamment de toute volonté étrangère ». Il en prive les salariés comme « dépendant d'autrui ». Ses idées, qui n'envisagent le gouvernement que du côté politique, étaient celles de tous les libéraux belges. Ils croyaient sincèrement instituer la démocratie (Voy. Huyttens, Congrès national, t. I, p. 248), et c'est en réalité de la vouloir instituer que le roi et les Hollandais les blâmaient. Il faut reconnaître d'ailleurs que le système électoral établi par le Gouvernement provisoire fut attaqué comme trop peu populaire par des membres du club de Bruxelles et par quelques journaux. Voy. Buffin, Documents, p. 273. Le 16 octobre, à la suite des réclamations d'un grand nombre d'habitants des campagnes, le cens fut réduit de moitié pour les électeurs ruraux. Fin de la note.)

(page 439) Le Congrès devait se composer de deux cents membres et d'autant de suppléants. Les élections eurent lieu le 3 novembre. Pour y prendre part, il fallait être âgé d'au moins vingt-cinq ans, exercer certaines professions libérales ou payer le cens, proportionnel à la richesse présumée des localités, fixé par les règlements hollandais. Le minimum dans les campagnes en était de treize florins ; le maximum dans les grandes villes, de 150. Il y eut en tout 46,099 électeurs inscrits dont les deux tiers, soit 30,000 environ, firent usage de leur droit, chiffre très élevé si l'on tient compte des mœurs politiques de l'époque et de la situation troublée du pays. Un grand nombre des abstentions doit être attribué aux Orangistes, soit qu'ils aient craint de se compromettre en prenant part au vote, soit qu'ils aient voulu protester contre lui en restant chez eux.

Les opérations électorales se passèrent dans le calme le plus complet. Fidèles au principe de l'union, les partis s'abstinrent de lutter l'un contre l'autre et leurs candidats figurèrent souvent côte à côte sur la même liste. Très souvent même, les électeurs ne purent savoir à quelle opinion ils appartenaient, tous se réclamant du même programme de liberté nationale. Aucune condition d'éligibilité n'ayant été fixée, il était loisible à chacun de solliciter un mandat. En fait, les électeurs n'eurent à choisir que parmi des candidats que leur condition sociale, leurs fonctions, leur expérience et leur notoriété locale recommandaient à leur choix. Tel qu'il fut composé, le Congrès apparaît nettement comme une assemblée de propriétaires et de membres des professions libérales, bref, pour employer l'expression courante, comme une assemblée bourgeoise. On y relève 45 nobles, 34 membres des ex-Etats-Généraux, 13 propriétaires, 38 avocats, 13 prêtres, 21 magistrats, 13 bourgmestres et échevins, 3 professeurs d'université, 1 journaliste, 14 négociants. Les villes nommèrent surtout des membres du barreau et des professions libérales. Le petit nombre des industriels s'explique peut-être par le fait que plusieurs d'entre eux (page 440) étaient orangistes. Quant aux campagnes, leurs élus appartenaient presque tous à la noblesse ou à la classe des propriétaires fonciers.

A la différence du Gouvernement provisoire où les libéraux possédaient la majorité, les catholiques l'emportèrent par le nombre au sein du Congrès (L. de Lichtervelde, Le Congrès national de 1830, p.35 et suivantes (Bruxelles, 1922).). Il faut remarquer cependant que, respectueuse de l'union, l'assemblée ne se divisa point en partis. Nul engagement n'en liait les membres à une opinion déterminée, nulle discipline extérieure ne s'imposait à eux, et elle ne connut officiellement ni droite ni gauche. Néanmoins il va de soi que les deux tendances politiques de la nation se retrouvèrent dans son sein. Les hommes qui y jouèrent le rôle le plus actif s'y répartissent en nombre à peu près égal en un groupe catholique et un groupe libéral comportant chacun une soixantaine de députés. Mais la masse des unionistes votant la plupart du temps avec les premiers, leur assurait la prépondérance. En cela, le Congrès ne fit que refléter exactement la situation du pays.

Plus catholiques que les provinces wallonnes, les provinces flamandes étant aussi plus peuplées, furent naturellement les plus largement représentées, mais cette prépondérance de l'élément flamand et catholique n'altéra nullement la bonne entente des députés. Il y eut moins d'opposition encore entre Flamands et Wallons qu'entre catholiques et libéraux. Appartenant tous au même milieu social, parlant tous la même langue, le français, dévoués tous à la même cause et, pour créer la patrie commune, attentifs à éviter ce qui divise, les membres de l'assemblée ne voulurent être et ne furent que des Belges.

Une dernière caractéristique du Congrès, c'est la jeunesse de la plupart de ses membres. On ne peut s'en étonner si l'on se rappelle que ce sont des jeunes gens qui, en 1828, avaient fondé, les uns s'inspirant de Lammenais, les autres du libéralisme parlementaire, l'union dont la révolution était sortie. On retrouve sur les bancs de l'assemblée presque tous les hommes (page 441) qui avaient naguère soulevé l'opinion. Le corps électoral les chargea d'achever, à titre de législateurs, l'œuvre qu'ils avaient commencée comme agitateurs politiques. Et c'est un symptôme bien significatif de la profondeur du mouvement qu'ils avaient déchaîné que cette fidélité de la confiance publique.

Le Congrès s'ouvrit solennellement le 10 novembre, au milieu d'une simplicité républicaine, dans la salle où avaient siégé avant 1830, les Etats-Généraux. Le Gouvernement provisoire, au nom duquel de Potter prit la parole, fut accueilli par des acclamations enthousiastes. Le moment était venu où, sa tâche achevée, il allait remplir sa promesse de disparaître. L'opposition de de Potter se brisa contre l'unanimité de ses collègues. Le 12 novembre, Rogier communiquait au Congrès leur décision de « remettre à cet organe légal et régulier du peuple belge le pouvoir qu'ils avaient exercé depuis le 24 septembre dans l'intérêt et avec l'assentiment du pays ». La réponse de l'assemblée n'était pas douteuse. Elle témoigna au Gouvernement provisoire la reconnaissance de la nation et lui exprima son désir et « sa volonté même » de le voir « conserver le pouvoir exécutif jusqu'à ce qu'il y ait été autrement pourvu par le Congrès ».

Le lendemain de Potter envoyait sa démission. S'il avait espéré que le peuple empêcherait qu'elle fût acceptée, il se trompa. Elle ne produisit pas plus d'émotion que la lettre qu'il adressa dix jours plus tard « à ses concitoyens » pour en exposer les motifs. Sa popularité, née au milieu de l'agitation politique, avait disparu avec elle. La persécution la lui avait donnée, le pouvoir la lui fit perdre. Ce démocrate personnel et autoritaire était au fond un homme de cabinet, un agitateur en chambre. Il n'avait rien de ce qu'il faut pour soulever les masses auxquelles il ne portait qu'un amour de tête. Trop orgueilleux pour servir le Congrès qu'il aurait voulu dominer, il préféra n'être rien plutôt que de se contenter d'un rôle secondaire. L'indifférence du peuple pour son idéal républicain et démocratique le remplit d'amertume. Brouillé avec ses amis, aigri, désillusionné, considérant la révolution comme manquée, il finit par se retirer à Paris dans une retraite qu'il (page 442) ne réussit pas à faire prendre pour celle d'un philosophe désabusé.


La commission chargée le 6 octobre par le Gouvernement provisoire d'élaborer un projet de constitution se composait de van Meenen, de Gerlache, Tielemans, P. Devaux, Ch. de Brouckère, H. Fabry, Bailliu, Zoude, Thorn, auxquels on adjoignit bientôt Lebeau, Nothomb, du Bus, Jullien et Blargnies. Ces noms prouvent que l'opinion libérale y était plus largement représentée que l'opinion catholique. Personne n'y prit garde, puisque tout le monde était d'accord pour réaliser le programme d'union sur lequel les deux partis s'entendaient. Aussi les travaux marchèrent-ils avec une rapidité extraordinaire. Le 25 octobre, la commission avait rédigé le projet. Il fut soumis au Congrès dès sa réunion.

Telle qu'elle sortit, le 7 février 1831, des délibérations de l'assemblée, la constitution belge apparaît comme le type le plus complet et le plus pur que l'on puisse imaginer d'une constitution parlementaire et libérale. Durant un demi-siècle, elle a passé en son genre pour un chef-d'œuvre de sagesse politique. Elle a exercé une action directe et souvent profonde sur tous les Etats qui, au cours du XIXème siècle, ont remanié ou élaboré leurs institutions suivant les principes du parlementarisme. Aucun d'eux pourtant n'a poussé aussi loin qu'elle les conséquences de ces principes, dispensé aussi largement la liberté et abandonné aussi entièrement le gouvernement de la nation à la nation elle-même.

Un concours de circonstances aussi extraordinaire que fugitif a entouré sa naissance. A vrai dire, elle est une réussite. Sans l'accord momentané du catholicisme libéral et du libéralisme politique, elle eût été impossible. Elle se trouve pour ainsi dire au point de croisement de deux courants d'idées qui avaient divergé dans le passé comme ils devaient diverger dans l'avenir, et elle a bénéficié de leur rencontre momentanée. L'union des catholiques et des libéraux conclue en 1828 n'eût (page 443) plus été concevable après la publication, en 1832, de l'encyclique lancée par Grégoire XVI contre les libertés modernes, si bien que la constitution belge s'explique en réalité par sa date. Elle est le fruit de l'alliance imprévue qui unit en un même enthousiasme pour la liberté les fidèles et les adversaires de l'Eglise. Lamennais fut l'instrument de la brève entente des catholiques belges avec les libéraux ou, plutôt, il les transforma pour un instant en libéraux. Il importe peu que les uns aient revendiqué la liberté en faveur de la société religieuse, les autres, en faveur de la société civile. L'essentiel est qu'ils la revendiquèrent en commun. Leurs buts lointains différaient, leur but immédiat était le même, et de cette collaboration, dans laquelle chaque parti avec une bonne foi entière céda aux désirs de l'autre, sortit l'œuvre commune qui, ayant confondu en un seul deux programmes, ayant donné à chacun ce qu'il demandait, ayant prodigué les libertés à l'Eglise comme elle les prodiguait aux citoyens, n'ayant ni marchandé, ni restreint, ni chicané, trouva finalement sa sauvegarde dans les satisfactions qu'elle donnait à tout le monde.

Ce n'est pas assez de dire que la Constitution belge est libérale. Elle est encore démocratique et quasi-républicaine. Dans les conditions où se trouvait le Congrès, aucune tradition ne pesait sur lui. Il n'avait à tenir compte d'aucun droit acquis, d'aucune légitimité historique. Seul maître des destinées de la nation, il n'avait à légiférer que pour elle. Rien de semblable en Belgique aux légitimistes, ou même aux Orléanistes de France. Le petit groupe d'Orangistes qui eût voulu conserver au moins la dynastie était à peine représenté au Congrès et n'y joua aucun rôle. La noblesse, au lieu de se grouper autour du trône, n'avait cessé de lui être hostile. Le pouvoir monarchique contre lequel la révolution s'était faite, était l'objet d'une défiance universelle. On voulait bien un roi, mais en se réservant de le choisir dans la plénitude de la souveraineté nationale et en l'obligeant à la reconnaître. Les constituants de 1830 se trouvent en présence d'une table rase. Rien ne les gêne dans l'application de leurs principes et ces principes découlent directement des droits de l'homme. En France, (page 444) la charte de Louis-Philippe, par ménagement pour la couronne, n'a pas reproduit l'affirmation républicaine de la souveraineté de la nation. La constitution belge, au contraire, l'emprunte à la constitution française de 1789, mais en l'empruntant, elle l'accentue. Au lieu de dire « tous les pouvoirs émanent essentiellement de la nation », elle dit « tous les pouvoirs émanent de la nation », et cette suppression de l'adverbe rend la déclaration plus catégorique et plus absolue.

L'esprit républicain va de pair avec l'esprit démocratique. Sans doute, le Congrès n'a admis ni le suffrage universel ni l'appel au peuple. Il y voyait un danger pour la liberté, et les plébiscites de l'Empire ne justifiaient que trop ses appréhensions. L'indépendance de l'électeur lui a paru la condition primordiale du gouvernement libre. Il la garantit contre le pouvoir en organisant l'élection directe, et contre les tentations de la misère en la faisant reposer sur le bien-être. Visiblement, il ne conçoit pas que le pauvre puisse échapper aux atteintes de la brigue et de la corruption. Il va même si loin dans cette voie qu'il n'admet plus que l'instruction suffise à légitimer le droit de suffrage. Il en prive les «< capacitaires » que le Gouvernement provisoire avait appelé à l'élire et il fonde exclusivement sur le cens, le droit électoral. Il suffit pourtant de lire ses délibérations pour se persuader qu'il n'a pas voulu confisquer le pouvoir au profit de la classe possédante. Aux yeux des constituants, la bourgeoisie apparaissait comme l'élite du peuple, comme un groupe ouvert à tous les travailleurs intelligents et économes, comme ce Tiers-Etat qui, affranchi par la Révolution, avait le droit de représenter la nation puisqu'il en rassemblait dans son sein les forces vitales et qu'il était accessible à tous. Ce n'est certainement pas par sentiment conservateur que les jeunes idéalistes soucieux de baser la constitution sur la liberté ont restreint le suffrage : c'est par sentiment civique. Autant ils redoutaient la « populace », autant ils faisaient confiance au peuple. Ils se crurent d'autant plus autorisés à agir comme ils le firent, que le peuple ne réclamait pas le droit de vote. Son indifférence lors de la démission de de Potter venait tout récemment de le (page 445) prouver. (Note de bas de page : (De Potter, lui-même était d'ailleurs partisan du suffrage restreint. Voyez Souvenirs personnels, t. I, p. 154. Il est intéressant de remarquer que Condorcet, dont la pensée a tant agi sur les démocrates au début du XIXème siècle, se défiait aussi du suffrage universel. Il se flattait de parer à ses inconvénients par l'élection à deux degrés. Voyez H. Sée, L'évolution de la pensée politique en France au XVIIIème siècle, p. 288 et suivantes (Paris, 1925). Au contraire, les constituants de 1830, par crainte de la pression gouvernementale à laquelle se prête l'élection à deux degrés, considéraient l'élection directe comme indispensable à l'établissement de la liberté. Fin de la note.) La question sociale ne se posait pas encore et l'esprit de classe n'était pas né ; on ne voyait que la question politique. Pour affranchir le peuple, on était convaincu qu'il suffisait de lui donner la liberté.

Cette liberté, on ne la lui donne pas seulement, on la lui prodigue. Si tous les pouvoirs émanent de la nation, leur exercice doit être limité par les droits du citoyen. L'individualisme libéral qui imprègne la constitution ne recule devant aucune conséquence. Son idéal est de réduire au minimum la contrainte gouvernementale et la contrainte sociale. La communauté est souveraine, mais chacun de ses membres étant également souverain dans la sphère propre de ses intérêts, sa souveraineté particulière doit être respectée par la souveraineté collective. La liberté individuelle doit donc n'avoir d'autres bornes que la liberté d'autrui. Elle ne peut être ni restreinte, ni même surveillée. Seuls les tribunaux sont compétents pour réprimer ses abus. Aussi les bornes dont l'ont entourée les gouvernements de toutes les époques et de tous les régimes sont-elles abolies si complètement que la constitution belge, comparée à celles qui l'ont précédée, semble, par l'outrance de son libéralisme, aboutir à l'anarchie. Le pouvoir de l'Etat y est réduit à la portion congrue. Par crainte du despotisme, on l'énerve ; par réaction contre l'absolutisme éclairé de Guillaume et par principe libéral, on n'a foi que dans la liberté. Sur ce point, catholiques et non-catholiques pensent de même. Leur confiance dans la liberté est aussi robuste que celle de Rousseau dans la bonté native de l'homme. Contraindre l'individu, c'est le diminuer et en même temps l'avilir. La liberté est aussi salutaire dans l'ordre moral que le libre échange dans (page 446) l'ordre économique. Abandonné à lui-même, l'individu trouvera spontanément ce qui lui convient. L'Etat n'est pas là pour le guider mais pour lui faire place ; son rôle est de s'abstenir. Il ne lui appartient pas de s'imposer au peuple ; son devoir est de le laisser librement se manifester.

Aussi le Congrès reprend-t-il pour les préciser et les garantir toutes les libertés déjà promulguées par le Gouvernement provisoire et les accueille-t-il sous la forme la plus illimitée : celle de la presse, celle de la parole, celle des langues, celle des cultes, celle de l'enseignement. Sur chacune d'elles, le gouvernement perd tout contrôle. Et, donnant l'exemple, le Congrès laisse la presse orangiste se déchaîner contre lui avec impunité. Il ne lui suffit pas d'admettre la liberté confessionnelle, il affranchit encore l'exercice de toutes les religions du contrôle de la police. Non seulement chacune d'elles pourra sans obstacles organiser ses cérémonies à l'intérieur ou à l'extérieur des églises, mais aucune autorisation ne sera imposée aux ordres monastiques, confréries ou corporations quelconques qui s'établiront à l'avenir dans le pays, à condition qu'ils en respectent les lois. Plus de concordat. L'Eglise étant parfaitement libre, l'Etat n'a plus à conclure avec elle de modus vivendi et renonce à toute influence sur les nominations épiscopales. En revanche, il assume l'obligation de rétribuer les ministres de tous les cultes, puisque les Eglises, ayant cessé d'être des personnes juridiques, ont perdu le patrimoine qui subvenait jadis à leurs besoins. Bref, son abdication est aussi complète qu'il est possible, et l'attitude qu'il adopte répond exactement à la formule de Nothomb : « il n'y a pas plus de rapports entre l'Etat et la Religion, qu'entre la Religion et la géométrie ».

Cette abdication n'est pas moins frappante dans le domaine de l'instruction. Elle ne laissa pas de provoquer ici certaines résistances. Abandonner les écoles sans le moindre contrôle à l'initiative des particuliers et au choix des pères de famille, effrayait ceux des libéraux chez lesquels l'anticléricalisme l'emportait sur la logique. Si la liberté de l'enseignement découlait de leurs principes, ils ne pouvaient se dissimuler (page 447) qu'elle soumettrait en fait presque toutes les écoles libres à l'influence du clergé. Ils ne se résignaient pas à voir l'Etat ne disposer que d'un enseignement soumis aux surenchères de la concurrence. Il leur était dur de laisser disparaître toutes les réformes excellentes que Guillaume avait réalisées dans l'enseignement public. Mais l'union des partis était à ce prix. Pour les catholiques, la liberté de l'école avait été l'un des buts essentiels de la Révolution (Elle fut votée par 75 voix contre 71. Félix de Mérode, s'attendant à la voir repoussée, s'écria : « Il ne valait pas la peine de faire une révolution. » Voyez ses Souvenirs, t. II, p. 244). Elle fut admise sans autres restrictions que le recours aux tribunaux en cas d'abus.

La publicité de toutes les assemblées publiques ou judiciaires, de tous les budgets, de tous les comptes d'administration est une conséquence, au même titre que le rétablissement du jury, de l'esprit libéral de la Constitution. Et l'on peut en dire autant de l'institution de la garde civique, armée de citoyens que le Congrès établit à côté de l'armée régulière comme une garantie indispensable de l'ordre et un recours contre la possibilité d'un coup d'Etat militaire.

Cet Etat, sur lequel l'emprise des citoyens s'exerce si puissante et dont le domaine est si étroitement restreint par la liberté de ses membres, comment convient-il de l'organiser ? En théorie, la plupart des constituants étaient républicains. Ils l'étaient, non seulement par principe mais aussi par l'absence de tradition monarchique. Les quelques légitimistes qui, en 1815, avaient encore défendu les droits de la maison de Habsbourg sur le pays avaient disparu. La maison d'Orange était trop impopulaire pour que ses partisans osassent élever la voix en sa faveur. La noblesse, au lieu de se grouper autour d'elle, lui avait toujours témoigné une hostilité déclarée. Bref, à défaut d'une dynastie qui eût des titres à faire valoir, aucun parti ne pouvait opposer la souveraineté d'un prince à la souveraineté nationale. Personne d'ailleurs ne s'effrayait de la République. N'était-ce pas elle qu'après la chute de Joseph II, la Belgique avait adoptée ? Le préjugé monarchique n'avait aucune raison d'être dans ce pays qui, depuis l'époque (page 448) bourguignonne, n'avait plus vécu que sous des souverains étrangers et qui venait de renverser le dernier d'entre eux. Van de Weyer et Rogier se déclaraient républicains en principe. Leclercq considérait la république américaine comme l'idéal à atteindre.

Pourtant, après de longs débats, la monarchie constitutionnelle fut admise comme forme de l'Etat par 174 voix contre 13. Si l'on se prononça pour elle, c'est d'une part que l'exemple de l'Angleterre la recommandait au jugement de la majorité comme le summum de la sagesse politique, c'est que l'avènement de Louis-Philippe en France justifiait cette opinion, c'est qu'enfin et surtout l'Europe n'eût pas admis que la Belgique, après le scandale de son indépendance, donnât au monde le spectacle plus scandaleux encore d'une Constitution républicaine.

Entre la monarchie telle qu'elle fut instituée par le Congrès et la république, la différence ne consistait guère d'ailleurs que dans l'hérédité du chef de l'Etat. Comme le disait très exactement Rodenbach, c'était une « monarchie républicaine». Toutes les précautions avaient été prises pour que le roi ne pût abuser du pouvoir qu'on lui laissait. Beaucoup se flattaient d'avoir renoué la tradition nationale en établissant, comme sous la maison de Bourgogne ou Marie-Thérèse, un régime intermédiaire entre la monarchie et la république. Le futur roi des Belges aurait à prêter serment à la Constitution, et, dès lors, à reconnaître que ses pouvoirs il les tenait non de lui-même, mais de la nation. Il ne pourrait gouverner que d'accord avec elle. Il serait, sur le continent, le modèle achevé d'un roi parlementaire. Chargé du pouvoir exécutif, il ne peut prendre aucune décision qui ne soit contre-signée par un ministre, et les ministres sont responsables devant le parlement.

Organe de la volonté nationale, le parlement est appelé par cela même à jouer le rôle essentiel dans la constitution politique. Plusieurs membres du Congrès eussent voulu le concentrer en une assemblée unique. Ils faisaient valoir que les anciennes constitutions du pays n'avaient institué qu'un seul corps représentatif, que, sous le régime hollandais, la première (page 449) Chambre des Etats-Généraux n'avait exercé aucune influence, et qu'au surplus, un Sénat héréditaire tel que l'avait proposé la Commission constitutionnelle, était incompatible avec la souveraineté du peuple.

Le Congrès cependant adopta le système des deux Chambres que prônaient tous les théoriciens politiques : Benjamin Constant, Lammenais, Thiers, Adams, etc. Il institua un Sénat à côté de la Chambre des représentants. Mais, par scrupule libéral et démocratique, il le priva du caractère que présentait, en Angleterre, la Chambre des lords ou, en France, celle des pairs. Il voulut qu'il émanât du même corps électoral qui nommait les représentants. Sa mission devait être simplement celle d'une assemblée modératrice et conservatrice, composée de propriétaires payant un cens élevé et capable de faire contre-poids à la Chambre populaire, pour laquelle aucune condition d'éligibilité n'était exigée. Ainsi le dogme de la souveraineté nationale était intact. Aucun privilège politique n'était réservé à la noblesse et le pouvoir était d'avance enlevé au roi d'influencer le parlement en y faisant entrer des « fournées » de pairs. Les deux Chambres sortaient également du peuple. Elle ne différaient point par leur nature mais uniquement par leur fonction, comme avaient différé dans la constitution de l'an III, le Conseil des Anciens et le Conseil des Cinq-Cents. L'une et l'autre d'ailleurs possédaient le même pouvoir. Toutes les lois leur étaient soumises et ne pouvaient être sanctionnées par le roi qu'après avoir été votées dans chacune d'elles. En somme, les rapports du Sénat et de la Chambre des représentants ressemblaient de très près à ceux d'une cour d'appel et d'un tribunal de première instance, avec cette différence pourtant que le Sénat n'avait point le pouvoir de casser les décisions de la Chambre. Toute loi modifiée par lui revenait devant celle-ci pour lui être soumise à nouveau et autant de fois qu'il serait nécessaire pour aboutir au consentement des deux assemblées.

La Constitution consacre naturellement ce principe de la responsabilité ministérielle vis-à-vis du parlement, que l'opinion avait si obstinément réclamé de Guillaume durant les (page 450) dernières années. Il en résulte que si le roi nomme les ministres et peut même les choisir en dehors de la représentation nationale, il est obligé de les prendre dans l'opinion qui possède la majorité au sein de celle-ci. Les agents du pouvoir exécutif sont donc soumis tout à la fois et au contrôle et à la volonté du parlement. Entre eux et lui, l'opposition n'est pas concevable parce qu'elle rendrait immédiatement impossible, en entraînant le refus des budgets, l'exercice même du gouvernement. Et pour mieux encore assurer leur subordination, la Constitution s'est bien gardée d'instituer un Conseil d'Etat. Elle n'a pas voulu permettre au pouvoir exécutif de collaborer avec les Chambres à la confection des lois.

Elle restreint aussi, autant qu'elle le peut, sa participation à l'administration du pays. Chaque commune possédera dans son Conseil communal une sorte de petit parlement local auprès duquel les échevins et le bourgmestre, recrutés dans son sein, exerceront le pouvoir exécutif. En ceci, se manifeste cet esprit d'autonomie communale qui caractérise d'une manière si frappante l'histoire de la Belgique. Le Congrès s'est gardé, en revanche, de rétablir les anciennes autonomies provinciales. L'indépendance des communes ne pouvait mettre en péril l'unité de l'Etat : elle ne diminuait que l'autorité du gouvernement. Laisser au contraire à chaque province la faculté de s'administrer elle-même, c'eût été risquer d'en revenir à l'Etat fédératif de l'Ancien Régime. La souveraineté nationale entraînait comme corollaire l'unité nationale. On s'abstint soigneusement de ressusciter le particularisme de l'Ancien Régime, dans la crainte d'en ressusciter en même temps les abus.

L'Etat conserva donc le caractère unitaire que lui avait donné l'annexion française et qu'avait soigneusement respecté le royaume des Pays-Bas. Aussi, rien ne fut-il changé au système général de l'administration. Dans ses lignes principales, elle resta fidèle au type napoléonien tel qu'il avait été remanié par le roi Guillaume, avec ses gouverneurs de province, ses cours de justice, ses bureaux ministériels, sa cour des comptes, son corps des mines et des ponts et chaussées, etc. Mais l'autorité centrale étant étroitement tenue en lisière par le (page 451) Parlement, ses agents jouirent d'une influence et d'un prestige bien moindre que ceux qu'ils avaient possédés auparavant. A partir de 1830, l'administration fut considérée comme un « mal nécessaire ». On se préoccupa beaucoup plus d'en restreindre l'intervention et surtout les dépenses, que d'en assurer le bon fonctionnement et le bon recrutement. Conformément à l'esprit général des institutions, la seule autorité qui parût naturelle, ce fut l'autorité élective.

Avec cette défiance qu'elle pousse jusqu'à l'énervement du pouvoir, la Constitution belge ne pouvait convenir qu'à un petit pays. N'ayant à s'occuper ni de défendre de grands intérêts à l'extérieur, ni à imposer sa puissance et à la faire respecter, le Congrès a restreint son horizon au peuple même pour lequel il légiférait. La force du gouvernement central qui est, dans un grand Etat, la garantie primordiale de l'existence de la nation, lui est apparue comme un danger pour la liberté. Si la Belgique eût été une grande puissance, jamais elle n'eût poussé aussi loin les conséquences du libéralisme politique dont procèdent ses institutions.

Mais, c'est justement parce qu'elle s'en est inspirée avec tant de logique que sa Constitution est apparue à tous les peuples comme la charte par excellence des libertés modernes. Elle pouvait leur convenir à tous parce qu'elle formulait vraiment le programme du gouvernement constitutionnel et parlementaire. Répondant au sentiment intime d'une nation traditionnellement attachée à la liberté politique, elle sut donner à cette liberté la forme qui lui convenait au XIXème siècle. Son éclectisme, ses emprunts aux constitutions et aux théories politiques de France, d'Angleterre et d'Amérique la préparaient encore à la fortune cosmopolite qui fut la sienne (Sur les sources de la Constitution, voyez E. Descamps, La Constitution belge comparée aux sources modernes et aux anciennes constitutions nationales (Bruxelles, 1887), et La mosaïque constitutionnelle. Essai sur les sources du texte de la constitution belge (Louvain, 1892)). L'Espagne, le Portugal, l'Italie, la Roumanie, la Hollande elle-même devaient plus tard s'en inspirer largement. Quant aux Belges, ils furent fiers de l'œuvre du Congrès. Ils se considérèrent comme le (page 452) peuple le plus libre de l'Europe et cette conviction contribua à assurer la stabilité du régime qu'ils s'étaient donné. Jamais la Constitution ne fut l'enjeu des luttes de partis qui devaient dans la suite agiter la nation. Par cela même qu'elle était l'œuvre commune de ces partis, elle demeura au-dessus et en dehors de leurs querelles. L'influence politique qu'elle réservait à la bourgeoisie, influence qui devait devenir à la longue de plus en plus exclusive, était trop largement compensée par les droits qu'elle reconnaissait au peuple, pour que celui-ci pensât à s'élever contre elle. Comme le disait déjà Jottrand, en 1838, elle lui fournissait les moyens de partager un jour la puissance dont elle n'avait gratifié que les seuls censitaires (Voyez sa brochure intitulée : L'association du peuple de la Grande-Bretagne et de l'Irlande (Bruxelles, 1838)).


Le jour même de l'ouverture du Congrès, le 10 novembre, le Gouvernement provisoire avait adhéré à la trêve imposée par la Conférence de Londres aux Belges et au roi Guillaume. Les Puissances reconnaissaient donc implicitement à la nation soulevée la qualité de belligérant. Mais elles se réservaient le droit de régler ses destinées et il n'était pas douteux que leur décision dépendrait de l'ajustage de leurs convoitises, de leurs rivalités et de leurs intérêts. La question de la Belgique étant une question européenne, les Belges n'auraient qu'à attendre la solution qu'il plairait à l'Europe de lui donner, et tout semblait indiquer que cette solution ne serait pas celle pour laquelle ils avaient pris les armes et que, dès le 4 octobre, le Gouvernement provisoire avait proclamée, c'est-à-dire l'indépendance de la Belgique. Pour éviter la guerre générale, elles s'accorderaient probablement sur un expédient qui, sans donner satisfaction complète à chacune d'elles, serait pourtant acceptable par toutes. On pouvait prévoir que tout en conservant la dynastie, elles reconnaîtraient aux provinces soulevées (page 453) une autonomie plus ou moins étendue. En divisant le gouvernement du royaume, mais en maintenant la souveraineté de la couronne, les monarchies absolutistes éviteraient de reconnaître le droit à l'insurrection, l'Angleterre n'aurait plus à craindre de voir la France à Anvers, et la France elle-même, satisfaite de la disparition ou tout au moins de l'affaiblissement de la barrière élevée contre elle en 1815, se contenterait de cet avantage. Peut-être aussi, le prince d'Orange recevrait-il la Belgique à titre de royaume séparé. On savait qu'il intriguait à Londres, et ses chances de succès paraissaient considérables, car, appelé à régner un jour sur la Hollande, il réunirait tôt ou tard les deux parties des Pays-Bas sous le pouvoir de la dynastie. De quelque façon que l'on envisageât l'avenir, il apparaissait donc que la Conférence réservait au conflit l'une des deux issues que les Belges avaient rejetées : soit la séparation administrative, soit une indépendance provisoire et fallacieuse sous le prince d'Orange.

L'une et l'autre méconnaissaient également le sentiment populaire et le principe de la souveraineté nationale. Elles résultaient de nécessités diplomatiques et de combinaisons d'intérêts ; elles s'inspiraient de la force et non de la justice ; elles sacrifiaient la Belgique à la tranquillité de l'Europe. Le Congrès s'empressa de faire entendre la voix de cette Belgique dont les Puissances prétendaient disposer sans la consulter.

Le 18 novembre, reprenant la déclaration du Gouvernement provisoire et la sanctionnant définitivement au nom de la nation, il proclamait à l'unanimité des cent quatre-vingt-huit députés présents et au milieu des acclamations des tribunes, l'indépendance du peuple belge. Par égard pour l'Europe et en considération de ce que la révolution ne s'était faite que contre le roi de Hollande, cette déclaration réservait « les relations du Luxembourg avec la Confédération germanique ».

Le vote du Congrès n'affirmait pas seulement les droits du peuple à disposer de soi-même, il renouait encore la tradition historique. Par-dessus les trente-six années qu'avaient duré sa réunion à la Hollande et son annexion à la France, la Belgique moderne se rattachait à cette Belgique ancienne dont (page 454) l'autonomie, depuis l'époque bourguignonne, s'était conservée sous les rois d'Espagne comme sous les souverains autrichiens. En face de la Conférence, elle fondait son droit à l'existence non seulement sur sa volonté présente, mais sur son passé. Ce n'était pas une nation nouvelle qui sollicitait son entrée dans le monde, c'était une nation ancienne qui, après avoir subi des régimes imposés par la conquête ou la diplomatie, revendiquait l'indépendance dont elle avait été dépossédée. Ce que voulait le Congrès, c'est ce qu'avaient voulu en 1789 les Etats-Généraux de la Révolution Brabançonne, en 1792, le Comité des Belges et Liégeois unis, en 1814, les négociateurs de Châtillon. Ce que les querelles des partis avaient alors empêché de réaliser, on l'atteignait enfin grâce à l'union des partis dans le sentiment national. Sans doute, si le vote du 18 novembre fut unanime, les tendances ne l'étaient pas. Parmi les députés eux-mêmes, quelques-uns eussent souhaité le maintien du royaume des Pays-Bas sous une forme nouvelle, ou un retour à la France. Ces préférences s'expliquent sans peine. Les uns doutaient que la Belgique, privée des débouchés que les colonies hollandaises avaient fournis à son industrie, pût subsister par elle-même. D'autres se rappelaient la prospérité que le marché français avait jadis donné aux fabriques. D'autres, enfin, ne croyaient pas à la possibilité d'une séparation définitive d'avec la Hollande et, plutôt que de revenir au royaume des Pays-Bas et de retomber sous le gouvernement de Guillaume, préféraient se donner à la monarchie libérale de Louis-Philippe. Ce qui est étonnant, ce n'est pas que ces divergences aient existé, c'est qu'elles n'aient pas été plus nombreuses, et que le sentiment de l'indépendance se soit manifesté si vigoureusement après tout ce que la République française, l’Empire et le gouvernement de Guillaume avaient fait pour l'anéantir.

En votant l'indépendance de la Belgique, le Congrès, s'il froissait la Conférence en prenant les devants sur sa décision et en lui signifiant la volonté du peuple, la rassurait en même temps. Il faisait disparaître, en effet, la crainte des Puissances et particulièrement de l'Angleterre, de voir le pays se donner (page 455) à la France, mais il laissait subsister la possibilité d'un retour sous la dynastie hollandaise, soit en la personne de Guillaume, soit en celle du prince d'Orange. Tout en admettant l'indépendance de la Belgique, la Conférence pourrait se réserver le choix de son souverain et ce choix n'était pas douteux.

Dès les premières séances du Congrès, quelques membres, pour parer à ce péril, avaient proposé d'exclure la maison d'Orange-Nassau du droit de régner sur le pays. La question ayant été écartée, les Orangistes avaient aussitôt repris courage. C'est pour couper court à leurs menées et pour mettre l'Europe devant un fait accompli, que le député le plus populaire des Flandres, Constantin Rodenbach, la reprit le 23 novembre. Elle souleva une discussion passionnée. Les adversaires de la proposition invoquaient les dangers que son vote ferait courir à Anvers et à Maestricht, les catastrophes qu'elle attirerait sur le commerce et sur l'industrie, l'effet désastreux qu'elle produirait sur l'Europe. Mais le sentiment populaire s'imposait trop violent aux députés pour les rallier à cette argumentation opportuniste. Le 24 novembre, par 161 voix contre 28, le Congrès écartait « à perpétuité de tout pouvoir en Belgique » les membres de la famille d'Orange-Nassau.

C'était provoquer la Conférence que d'empiéter ainsi sur les droits qu'elle s'était réservés. L'impression à Londres fut déplorable. Les libéraux, en revanche, applaudirent à cette affirmation du droit révolutionnaire. Lafayette en l'apprenant, félicita le Congrès d'avoir « si fièrement répondu à l'Europe » (Lafayette, Mémoires, correspondance et manuscrits, t. VI, p. 474.). Par bonheur, les événements tournaient à l'avantage de la cause belge. Le 19 novembre, la victoire des Whigs venait de faire succéder, en Angleterre, le cabinet Grey au cabinet Wellington et de donner le portefeuille des affaires étrangères à lord Palmerston. Quelques jours plus tard (29 novembre), l'insurrection de Varsovie empêchait le tsar d'envoyer ses troupes au secours de Guillaume. Il n'était plus douteux désormais que la Conférence consentît à laisser aux Belges l'indépendance qu'ils s'étaient donnée sans la consulter. (page 456) Elle la reconnut par son protocole du 20 décembre. C'était reconnaître en même temps le principe de la souveraineté nationale dont cette indépendance se réclamait. De même que la création du royaume des Pays-Bas avait été en 1815 la manifestation la plus caractéristique de la réaction contre le droit des peuples, de même sa dissolution en 1830 attesta le recul de la politique monarchique et légitimiste de la Sainte-Alliance. Une ère nouvelle s'ouvrait dont la révolution belge fut le prélude.

Mais par cela même que le protocole du 20 décembre avait une signification plus haute, il importait de l'entourer de plus de garanties pour en assurer la durée et l'accommoder à l'équilibre européen. Comment s'y prendre afin de conserver à la Belgique, ce point sensible de l’Occident, l'indépendance qu'elle venait de conquérir, mais qu'elle serait évidemment incapable de protéger contre les convoitises, les ambitions ou les agressions de ses voisins dont elle avait été depuis tant de siècles le champ de bataille ? Le problème était d'autant plus délicat que chacune des Puissances se réservait d'interpréter à sa manière la déclaration à laquelle les circonstances l'avaient acculée. Bien des difficultés restaient à vaincre, bien des intrigues à déjouer, avant que l'ouvre fût achevée et que la Belgique reçût enfin le statut qui devait placer sa nationalité restaurée sous la sauvegarde de l'Europe.