(Première édition parue en 1833 à Bruxelles, seconde édition en 1834. Quatrième édition parue à Bruxelles en 1876 avec une « Continuation » par Théodore JUSTE)
Les ratifications
(page 275) Les deux mois fixés par le traité du 15 novembre pour l'échange des ratifications expirèrent avant la solution complète de la question des forteresses ; le terme fut prorogé du 15 janvier au 31 du même mois ; la déclaration du 23 janvier fit disparaître le seul obstacle qui pût arrêter la France et la Grande-Bretagne ; à l'échéance du nouveau terme, les plénipotentiaires de ces deux puissances échangèrent leurs ratifications avec le plénipotentiaire belge.
La ratification de la Belgique porte la date du 22 novembre 1831, elle est pure et simple comme l'adhésion donnée aux vingt-quatre articles le 14 novembre 1831.
La ratification de la France est datée du 24 novembre 1831 ; elle est également sans condition et se termine par une promesse absolue d'exécution.
La ratification de la Grande-Bretagne porte la date du 6 décembre 1831 ; la formule de ratification est pure et simple ; la formule de garantie est ainsi conçue :
« Nous engageant et promettant sur notre parole royale que nous exécuterons et observerons sincèrement et fidèlement toutes et chacune des clauses contenues et exprimées dans le susdit traité, et que nous (page 276) ne souffrirons jamais qu'elles soient violées par personne ou transgressées d'aucune manière, en tant qu'il est en notre pouvoir (as far as it lies in our power). » Quelques personnes ont voulu voir une restriction dans ces expressions de la chancellerie anglaise.
Dans les premiers jours de l'année 1831, le gouvernement belge avait acquis la certitude que les plénipotentiaires des deux cours seulement avaient reçu les ordres définitifs d'échanger les ratifications, dès que l'affaire des forteresses serait terminée ; il se trouvait donc dans l'alternative de voir, au 31 janvier, le terme prorogé purement et simplement à l'égard de toutes les puissances, ou bien de recevoir les ratifications de deux d'entre elles et de voir le terme prorogé pour les trois autres. « Après de mûres réflexions, dit le ministre des affaires étrangères, M. de Muelenaere, dans son rapport du 12 mai 1832, nous avons regardé le dernier parti comme préférable. La ratification pure et simple de deux puissances suffisait, en liant chacune d'elles, pour assurer au traité ce caractère d'immutabilité qu'on pouvait essayer de lui enlever par la prorogation pure et simple, qui l'aurait soumis, à l'égard de toutes les puissances, à des éventualités. Le doute ne portait plus que sur trois puissances ; il y avait certitude à l'égard des deux autres. Tel fut le sens des instructions transmises à nos plénipotentiaires et dont je viens de citer les principaux passages. C'est pour ces raisons que le gouvernement renonça au projet d'obtenir des ratifications simultanées. » D'ailleurs, par la nature même du traité, l'échange des ratifications n'était pas un acte indivisible ; le traité (page 277) du 15 novembre a la valeur d'une Convention conclue par la Belgique avec chacune des cinq puissances séparément ; chacune d'elles contracte des obligations indépendamment des quatre autres, bien que ces obligations soient identiques ; et la Belgique peut s'adresser à l'une de ces puissances, sans s'adresser aux autres, pour réclamer l'exécution de ces obligations. Le traité n'emporte donc simultanéité ni dans les ratifications, ni dans l'exécution. .
Les plénipotentiaires de France et de la Grande- Bretagne ayant procédé à l'échange des ratifications avec le plénipotentiaire belge, la Conférence ne fixa pas de nouveau délai pour les trois autres cours, mais il fut déclaré que le protocole leur resterait ouvert.
Il n'entrait pas dans les vues de l'Autriche, de la Prusse et de la Russie de ne pas ratifier le traité ; mais pour rester fidèles à certaines doctrines politiques, ces cours auraient désiré obtenir préalablement l'adhésion du roi Guillaume.
La Hollande s'était singulièrement exagéré l'influence que son triomphe du mois d'août devait exercer sur les négociations, et les vingt-quatre articles n'avaient pas répondu à son attente.
Par les propositions adressées à la Conférence le 5 septembre, les plénipotentiaires hollandais avaient réclamé, dans le Limbourg, les deux rives de la Meuse et le Luxembourg en entier, en réservant à la Hollande le droit de traiter ultérieurement sur les territoires ajoutés au royaume des Pays-Bas.. lesquels autrefois n'avaient pas fait partie des Pays-Bas autrichiens.. tels que la province de Liége et les cantons cédés par la France ; ils avaient (page 278) manifesté le désir que toutes les questions relatives à la navigation des rivières fussent ajournées ; ils avaient adopté, quant au partage des dettes, le mode de compensation proposé par le protocole du 27 janvier.
Nonobstant la conclusion du traité du 15 novembre, le gouvernement hollandais n'hésita pas à reproduire, à quelques modifications près, le même système dans la note et le mémoire qui portent la date du 14 décembre ; il s'éleva vivement contre la communauté de la surveillance du pilotage du balisage et de la police de l'Escaut, en revendiquant le cours de ce fleuve, sur son territoire, comme une propriété hollandaise, et contre la participation des Belges à la navigation des eaux intermédiaires entre l'Escaut et le Rhin ; il déclara, en outre, n'adhérer au partage des dettes que sous la condition d'une capitalisation. Quant à l'ensemble du traité, il soutint que la Conférence s'était mise en opposition avec le § 4 du protocole d'Aix-la-Chapelle du 15 novembre 1818, et qu'elle avait dénaturé les bases de séparation du 27 janvier 1831.
La Conférence répondit à la Hollande par la note et le mémoire du 4 janvier 1832, pièces écrites avec une grande supériorité de raison et qui forment, pour ainsi dire, l'exposé des motifs du traité du 15 novembre.
La Conférence démontra que le roi Guillaume avait lui-même provoqué la dissolution du royaume-uni des Pays-Bas, ct qu'en rédigeant les vingt-quatre articles, elle n'avait fait que développer les bases de séparation du 27 janvier dans le sens le plus favorable à la Hollande.
Les plénipotentiaires hollandais essayèrent de réfuter (page 279) le mémoire de la Conférence dans une note du 30 janvier à laquelle ils annexèrent un projet de traité qui avait pour bases principales : la possession des deux rives de la Meuse et du grand-duché de Luxembourg, la capitalisation de la quote-part de la dette assignée à la Belgique, l'assimilation de l'Escaut au Rhin, le retranchement absolu des articles relatifs aux eaux intérieures et au passage commercial à travers le Limbourg.
(Note de bas de page de la troisième édition) On lit dans cette note cette phrase qui trahit les arrière-pensées du roi Guillaume: « Pour ce qui concerne l'impossibilité où se trouverait le gouvernement des Pays-Bas d'exécuter les huit articles (constitutifs du royaume), le mois d'août eût mis un terme à tous les obstacles, sans 1'intervention étrangère en faveur de l'insurrection. ))
Le gouvernement hollandais ne tenait pas le même langage en octobre 1830, où, s'avouant dans l'impossibilité de reconquérir la Belgique, il implorait l'intervention des puissances, en annonçant qu'il accepterait un armistice avec reconnaissance. (Note de M. Falck. à lord Aberdeen du 21 octobre 1830.) 2 Le mémoire hollandais du 30 janvier resta sans réponse de la part de Ja Conférence.
Sous la date du 27 février 1832, le comte de Nesselrode rédigea au nom du gouvernement russe un précis des négociations, spécialement destiné à démontrer que le cabinet de La Haye avait résolu la question de souveraineté politique en adhérant aux bases de séparation des 20 et 27 janvier 1831, et en se désistant de ses protestations contre le protocole du 20 décembre 1830. (Papers relative to the affairs of Belgium, 2e partie, n° 80.) (Fin de la note)
En faisant cette communication la veille du jour fixé pour les ratifications, les plénipotentiaires hollandais avaient espéré obtenir un nouvel ajournement ; la Conférence ne crut pas devoir s'occuper d'une note aussi étrange, qui remettait tout en question ; elle s'abstint même d'en faire mention dans le protocole du 31 janvier.
(Note de bas de page de la troisième édition) Le mémoire hollandais du 30 janvier resta sans réponse de la part de la Conférence.
Sous la date du 27 février 1832, le comte de Nesselrode rédigea au nom du gouvernement russe un précis des négociations, spécialement destiné à démontrer que le cabinet de La Haye avait résolu la question de souveraineté politique en adhérant aux bases de séparation des 20 et 27 janvier 1831, et en se désistant de ses protestations contre le protocole du 20 décembre 1830. (Papers relative to the affairs of Belgium, 2e partie, n° 80.) (Fin de la note)
(page 280) Plus d'une fois les agents des trois cours du Nord à La Haye avaient essayé de vaincre les répugnances du roi Guillaume ; l'empereur Nicolas résolut de faire une démarche solennelle, et il chargea le comte Alexis Orloff de se rendre à La Haye. Cette mission extraordinaire eut pour effet de tenir les affaires en suspens pendant les mois de février et de mars 1832 ; le comte Orloff, ayant vu échouer tous ses efforts, fit, avant de quitter La Haye, une déclaration officielle des intentions de son gouvernement.
(Note de bas de page de la quatrième édition) Cette déclaration n'est pas le seul document relatif à la mission du comte Alexis Orloff; il existe deux notes remises par le baron Verstolck van Soelen avant cette déclaration et un mémorandum rédigé par lui après le départ de l'envoyé russe.
La première note, en date du 4 mars 1832, concerne les modifications à faire aux vingt-quatre articles; la seconde, du 7 mars, la reconnaissance du roi des Belges, Les modifications demandées par le cabinet de La Haye sont au nombre de cinq:
1 ° Rectification de l'article relatif à l'Escaut, de manière à attribuer à la Hollande seule les droits de pilotage et de balisage dans tout le cours du fleuve où la Hollande. est riveraine;
2° Suppression de la servitude de route ou de canal dans le Limbourg;
3° Capitalisation de la part de dette imposée à la Belgique et, jusqu'à réalisation de cette mesure, continuation de l'occupation de la citadelle d'Anvers;
4° Liquidation du syndicat d'amortissement comme opération d'ordre, sans qu'il puisse en résulter de charge pour la Hollande;
5° Cession de la rive droite de la Meuse et de la rive gauche jusqu'au canal du Zuid-Willems-Vaart, non en échange d'un partie du Luxembourg, mais en compensation des colonies cédées par la Hollande, en 1814 et de sa part dans les dix cantons réunis au royaume des Pays-Bas en vertu du deuxième traité de Paris; conservation intégrale du grand-duché de Luxembourg, sauf négociation ultérieure.
Quant à la reconnaissance du roi des Belges, on lit dans la seconde note du 7 mars: « S. Exc. le comte Orloff, ayant déclaré de la part de la cour impériale de Russie que la reconnaissance du prince Léopold de Saxe- Cobourg était une condition sine qua non pour arriver au terme de la négociation, et MM. les envoyés d'Autriche et de Prusse ayant annoncé, au nom de leurs cours respectives, se joindre et adhérer dans les circonstances actuelles aux démarches de M. le comte Orloff, le Roi, voulant donner aux fidèles habitants de la vieille Néerlande un nouveau gage de l'affection qui l'a constamment déterminé, ainsi que ses aïeux, à porter à leur bien-être tous les sacrifices commandés par les circonstances, consent à reconnaître le prince-de Saxe-Cobourg lorsqu'on se sera entendu sur les conditions de séparation. Dans le cas contraire, la présente déclaration sera considérée comme nulle et non avenue. »
Dans le mémorandum, destiné évidemment à la publicité, la mission du comte Orloff est présentée comme ayant amené un progrès par rapport à la Hollande. (Recueil de La Haye, t. Ill, p. 13-24, et Recueil de Paris, t. Il, p. 31.-42.)
Les documents les plus propres à faire connaître la politique russe durant cette importante période sont les pièces relatives à la mission du comte Orloff en février et mars 1832 et le remarquable mémoire du comte de Nesselrode du 27 février 1832; dans l'une et l'autre occasion, la Russie agit isolément, sans que son opinion se perde ou se confonde dans l'action collective de la Conférence.
Aucun recueil ne renferme à la fois toutes ces pièces; le mémoire du 27 février 1832 ne se trouve que dans le Recueil de Londres, où manquent les documents relatifs à la mission du comte Orloff; ces derniers se trouvent dans les recueils de Paris, de Bruxelles et de La Haye. Le comte Orloff, devenu prince, est mort le 21 mai 1861. (Fin de la note)
(page 281) Cette pièce, qui est datée de La Haye ; 10-22 mars 1832, et à laquelle les agents d'Autriche et de Prusse adhérèrent, renferme plusieurs passages très remarquables et qui, depuis, ont acquis un mérite historique. Voici le texte de cette déclaration ; nous omettons le préambule :
« Après avoir épuisé tous les moyens de persuasion et toutes les voies de conciliation pour aider S. M. le roi des Pays-Bas à établir, par un arrangement à l'amiable et conforme tout à la fois à la dignité de sa couronne et aux intérêts de ses sujets qui lui sont (page 282) restés fidèles, la séparation des deux grandes divisions du royaume, l'Empereur ne se reconnaît plus la possibilité de lui prêter dorénavant aucun appui ni secours.
« Quelque périlleuse que soit la situation où le Roi vient de se placer, et quelles que puissent être les conséquences de son isolement, Sa Majesté Impériale, faisant taire, quoique avec un regret inexprimable, les affections de son cœur, croira devoir laisser la Hollande supporter seule la responsabilité des événements qui peuvent résulter de cet état de choses.
« Fidèle à ses principes, elle ne s'associera point à l'emploi de moyens coercitifs, qui auraient pour but de contraindre le roi des Pays-Bas, par la force des armes, à souscrire aux vingt-quatre articles.
« Mais considérant qu'ils renferment les seules bases sur lesquelles puisse s'effectuer la séparation de la Belgique d'avec la Hollande (sauf les amendements admissibles dans un traité final entre les deux pays), Sa Majesté Impériale reconnaît comme juste et nécessaire que la. Belgique reste dans la jouissance actuelle des avantages qui résultent pour elle desdits articles, et nommément de celui qui stipule sa neutralité déjà reconnue en principe par le roi des Pays-Bas lui-même.
« Par une conséquence nécessaire de ce principe, Sa Majesté Impériale ne saurait s'opposer aux mesures répressives que prendrait la Conférence pour garantir et défendre cette neutralité, si elle était violée par une reprise des hostilités de la part de la Hollande.
« Dans ce cas, si malheureusement il venait à se (page 283) réaliser, Sa Majesté Impériale se réserverait de se concerter avec ses alliés sur le mode le plus propre à rétablir promptement cette neutralité, afin de préserver la paix générale de toute atteinte.
« Telles sont les déterminations auxquelles l'Empereur a cru devoir s'arrêter. Ne se trouvant plus à même, dans la conjoncture actuelle, d'offrir à S. M. le roi des Pays-Bas des preuves d'amitié et d'intérêt plus directement utiles, il abandonne à la sagesse du cabinet de La Haye de considérer les conséquences d'un état de choses qu'une amitié sincère et désintéressée aurait voulu lui éviter. »
Les trois cours, ayant ainsi constaté l'impossibilité d'obtenir l'adhésion préalable du roi Guillaume, transmirent à leurs plénipotentiaires l'ordre définitif de procéder à l'échange des ratifications.
Les plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse effectuèrent cet échange le 18 avril, les plénipotentiaires de Russie, le 4 mai.
La ratification autrichienne est datée du 21 mars 1832 ; elle porte que le traité est pleinement approuvé, sous la réserve" cependant des droits de la sérénissime Confédération germanique quant aux articles qui concernent la cession et l'échange d'une partie du grand-duché de Luxembourg. (Reservatis tamen juribus serenissimœ Confederationis germanicœ intuitu eorum articulorum qui concessionem et permutationem partis magni-ducatûs Luxemburgensis concernunt.) .
La ratification prussienne porte la date du 7 janvier 1832 ; elle est pure et simple ; mais, dans une déclaration (page 284) particulière, le plénipotentiaire de cette puissance reproduisit la réserve autrichienne.
La ratification russe est datée du 18 janvier 183 :2 et contient la réserve suivante : Après avoir suffisamment examiné ce traité, nous l'avons agréé et nous le confirmons et ratifions sauf les modifications et amendements à apporter dans un arrangement définif entre la Hollande et la Belgique aux articles IX, XII et XIII.
Le plénipotentiaire belge, en acceptant les ratifications de l'Autriche et de la Prusse, déclara, quant à la réserve, qu'il s'en référait purement et simplement à la garantie donnée à la Belgique par les cinq puissances, et fondée sur les engagements contractés par le traité du 15 novembre ; en acceptant la ratification russe, il s'exprima à peu près dans les mêmes termes, après avoir obtenu des plénipotentiaires russes la déclaration que f arrangement définitif entre la Belgique et la Hollande, dont il est question dans la réserve, devait être un arrangement DE GRÉ A GRÉ.
Dans son rapport du 12 mai, le ministre des affaires étrangères, M. de Muelenaere, rendit aux deux Chambres le compte suivant des circonstances qui avaient accompagné l'échange des diverses ratifications :
« Nous comptions sur une ratification pure et simple de la part de la Russie, et c'est dans cette prévision qu'ont été conçues les instructions relatives à l'exécution du traité, données à notre plénipotentiaire pendant son dernier séjour à Bruxelles. Dès son retour à Londres, la Conférence s'est réunie, et les plénipotentiaires russes ont présenté un acte par lequel S. M. l'Empereur (page 285) ratifie le traité, sauf les modifications à apporter aux articles 9, 12 et 13, dans un arrangement définitif entre la Hollande et la Belgique, et ont déclaré, dans un acte séparé, qu'il s'agissait de modifications à faire de gré à gré. Le plénipotentiaire belge n'était pas autorisé à recevoir de ratification partielle ; je regrette qu'il n'ait pas voulu courir les chances d'un nouveau retard, en prenant le parti d'en référer au gouvernement : il a été dominé sans doute par cette idée, qu'il importait au plus tôt de mettre le traité du 15 novembre à l'abri de toutes les fluctuations ministérielles, et il a cédé à des nécessités que, par sa présence sur les lieux, il se croyait plus à même que le gouvernement d'apprécier. »
Le traité du 15 novembre se trouvant ratifié par toutes les puissances, les plénipotentiaires des quatre cours et celui de Belgique procédèrent à l'échange des ratifications de la convention du 14 décembre, relative aux forteresses.