(Première édition parue en 1833 à Bruxelles, seconde édition en 1834. Quatrième édition parue à Bruxelles en 1876 avec une « Continuation » par Théodore JUSTE)
Les vingt-quatre articles du 15 octobre 1831 – Le traité du 15 novembre 1831
(page 239) Nous avons montré la Hollande s'appuyant sur les bases de séparation du 27 janvier, la Belgique s'appuyant sur les dix-huit articles ; parcourant deux lignes parallèles, comment les deux parties auraient-elles pu se rencontrer ? Ce n'était pas d'elles-mêmes que pouvait venir un arrangement définitif. En face de deux ordres d'idées si opposées, en face de prétentions si inconciliables, la Conférence était dans l'alternative, ou d'abandonner la question belge sans solution, ou de la résoudre définitivement par un arbitrage forcé.
Abandonner la question belge sans solution, c'était rendre hommage à l'indépendance absolue des deux pays, mais c'était perpétuer toutes les incertitudes, remettre au hasard des armes une décision que la raison politique n'avait su procurer, s'exposer à voir sortir d'une lutte partielle une guerre générale.
Résoudre la question belge par un arbitrage forcé, c'était porter atteinte à l'indépendance absolue des deux peuples, mais c'était rendre hommage à la souveraineté européenne, prévenir le renouvellement d'hostilités de nature à amener un bouleversement universel.
(page 240) Ainsi se trouvaient en présence deux genres de souverainetés : la souveraineté individuelle .des deux peuples et la souveraineté collective de l'Europe. (Note de bas de page : « Chaque nation a ses droits particuliers, mais l'Europe a aussi son droit; c'est l'ordre social qui le lui a donné. » Protocole n° 19, du 19 février 1831.)
Cette dernière souveraineté avait pour organe la Conférence de Londres, qui, en l'absence d'une représentation politique plus parfaite, était appelée à exercer tous les droits de l'Europe.
C'est à ce titre que la Conférence se constitua de nouveau arbitre, puisant sa compétence dans des considérations d'un ordre supérieur.
. Le roi de Hollande était d'autant moins fondé à décliner cette compétence, qu'il avait fait le premier appel aux puissances, en novembre 1830, et adhéré à l'arbitrage du 27 janvier 1831.
Or, cet acte, comme nous l'avons dit, renfermait les germes d'un deuxième arbitrage ; la Conférence, en admettant la nécessité d'un échange territorial et en déclarant que cet échange se ferait par ses soins, s'était attribué le droit de faire l'application définitive des bases de séparation ; en exposant son système dans le protocole du 19 février 1831, elle avait annoncé qu'elle interviendrait dans les arrangements définitifs.
Pour soustraire la Belgique à cette intervention, les deux commissaires du régent à Londres avaient fait stipuler, par les dix-huit articles du 26 juin 1831, que l'échange territorial serait facultatif, qu'il s'effectuerait du gré des parties, enfin, que les puissances ne prêteraient leurs bons offices que lorsqu'ils seraient réclamés.
(page 241) Dans sa protestation du 21 juillet 1831, le gouvernement hollandais s'est élevé avec force contre cette partie des dix-huit articles qui tendait à interdire tout nouvel arbitrage à la Conférence et à rendre aux parties leur liberté naturelle dans l'interprétation des principes de séparation ; après avoir fait ressortir les avantages de la disposition du 20 janvier, par laquelle les puissances se réservaient le droit d'ajuster définitivement les différends de la manière la plus conforme aux bases de séparation, il ajoutait que les dix-huit articles, en se bornant à réclamer les bons offices des puissances, fournissaient les moyens de tout remettre en problème par des interprétations arbitraires.
La Belgique aurait eu le droit de décliner le nouvel arbitrage forcé en invoquant les dix-huit articles ; la Hollande n'aurait pu décliner l'arbitrage qu'en se prévalant d'un acte contre lequel elle avait protesté.
En reprenant l'arbitrage, la Conférence se conformait au principe des bases de séparation, acceptées par la Hollande, et violait le principe des préliminaires de paix acceptés par la Belgique ; elle exposa les motifs de ses déterminations dans deux notes en date du 15 octobre 1831.
Extrait de la première note.
« Ne pouvant abandonner à de plus longues incertitudes des questions dont la solution immédiate est devenue un besoin pour l'Europe ; forcés de les résoudre, sous peine d'en voir sortir l'incalculable malheur d'une guerre générale ; éclairés, du reste, sur tous les points (page 242) en discussion par les informations que M. le plénipotentiaire belge et MM. les plénipotentiaires des Pays-Bas leur ont données, les soussignés n'ont fait qu'obéir à un devoir dont leurs cours ont à s'acquitter envers elles-mêmes comme envers les autres États et que tous les essais de conciliation directe entre la Hollande et la Belgique ont encore laissé inaccompli ; ils n'ont fait que respecter la loi suprême d'un intérêt européen du premier ordre ; ils n'ont fait que céder à une nécessité de plus en plus impérieuse, en arrêtant les conditions d'un arrangement définitif que l'Europe, amie de la paix et en droit d'en exiger la prolongation, a cherché en vain, depuis un an, dans les propositions faites par les parties ou agréées tour à tour par l'une d'elles et rejetées par l'autre. »
Extrait de la deuxième note.
« Les cinq cours, se réservant la tâche et prenant l'engagement d'obtenir l'adhésion de la Hollande (de la Belgique) aux articles dont il s'agit, quand même elle commencerait par les rejeter, garantissant de plus leur exécution, et convaincues que ces articles, fondés sur des principes d'équité incontestables, offrent à la Belgique (à la Hollande) tous les avantages qu'elle est en droit de réclamer, ne peuvent que déclarer ici leur ferme détermination de s'opposer, par tous les moyens en leur pouvoir, au renouvellement d'une lutte qui, devenue aujourd'hui sans objet, serait pour les deux pays la source de grands malheurs et menacerait l'Europe d'une guerre générale, que le premier devoir des (page 243) cinq puissances est de prévenir. Mais, plus cette détermination est propre à rassurer la Belgique (la Hollande) sur son avenir et sur les circonstances qui y causent maintenant de vives alarmes, plus elle autorisera les cinq cours à user également de tous les moyens en leur pouvoir pour amener l'assentiment de la Belgique (de la Hollande) aux articles ci-dessus mentionnés, dans le cas où, contre toute attente, elle le refuserait. »
La Conférence comprit que les territoires et les dettes devaient se partager suivant le même principe, et elle appliqua, sous l'un et l'autre rapport, à la Hollande le postliminium de 1790.
Il eût été possible d'établir un système de compensation entre les territoires et les dettes.
On aurait pu, d'une part, accorder à la Belgique quelques-unes des possessions hollandaises dans la province du Limbourg, Et, d'autre part, dégrever la Hollande d'une portion de son ancienne dette.
On aurait pu en même temps donner à l'Europe les garanties nécessaires en confiant la garde de la forteresse de Maestricht à la Confédération germanique, déjà gardienne de celle de Luxembourg.
Mais, depuis la défaite du mois d'août, pouvait-on songer à des innovations aussi hardies ?
La Conférence parvint à introduire un premier principe de compensation dans le partage des territoires et un deuxième dans le partage des dettes.
(page 244)
A. PARTAGE DES TERRITOIRES
Échange d'une partie du Luxembourg contre une partie du Limbourg.
Dans le partage territorial, le gouvernement hollandais, d'après le principe fondamental des bases de séparation, n'aurait pu revendiquer que les territoires, villes, places et lieux qui appartenaient à la république des Provinces-Unies en 1790 ; par conséquent, il n'aurait eu droit dans la province actuelle du Limbourg qu'à une portion indivise de la souveraineté de Maestricht, à la possession de Venloo et des 53 villages dits de la généralité ; de plus, il aurait perdu tout droit, dans le Brabant septentrional et la Gueldre, aux enclaves cédées à la République batave par le traité du 15 janvier 1800 ; cette interprétation avait été formellement consacrée par les dix-huit articles ; il est permis de croire qu'elle eût prévalu dans le traité final, si les Belges avaient été vainqueurs au mois d'août 1831 ; mais pouvaient-ils échapper au vae victis ? La Conférence s'arrêta à l'interprétation contraire, en supposant, nonobstant le postliminium de 1790, que la Hollande avait droit à la souveraineté exclusive da Maestricht et à toutes les enclaves allemandes du Brabant septentrional et de la Gueldre. Dans son mémoire du 4 janvier 1831, la Conférence avoue que l'interprétation donnée par les dix-huit articles est la seule conforme au texte primitif :
« Aux termes de l'article 1er de cet acte, dit-elle, les (page 245) limites de la Hollande doivent comprendre tous les territoires, villes, places et lieux qui appartenaient à la ci-devant république des provinces-unies des Pays-Bas en l'année 1790.
« D'après l'article 2, la Belgique doit être formée de tout le reste des territoires qui avaient reçu la dénomination de royaume des Pays-Bas, dans les traités de l'année 1815, sauf le grand-duché de Luxembourg.
« Comme le sens littéral fait état, on pouvait soutenir que le premier article n'assigne à la Hollande que strictement ce qu'elle possédait en 1790 ; et que, selon l'article 2, la Belgique devait obtenir, dans le royaume-uni des Pays-Bas, tout ce que la Hollande n'y possédait point en 1790 ; cette interprétation eût donné à la Belgique les enclaves allemandes que la Hollande ne possédait pas en 1790, les dix cantons détachés de la France en 1815, que la Hollande ne possédait pas non plus en 1790, et ceux des droits que la Hollande n'exerçait pas dans la ville de Maestricht dans la même année.
« Cependant, à cette même interprétation la Hollande opposait le titre onéreux auquel elle avait acquis les enclaves allemandes en 1800 ; le défaut de titre de la Belgique à l'héritage des droits qu'exerçaient sur ces enclaves et dans la ville de Maestricht des princes de l'ancien empire d'Allemagne, enfin, la circonstance que les dix cantons n'avaient pas reçu la dénomination de royaume des Pays-Bas dans les traités de 1815, mais qu'ils étaient une acquisition commune de ce royaume déjà constitué.
« Dans les vingt-quatre articles du 15 octobre, la Conférence, après avoir mûrement pesé ces réclamations (page 246), a, d'un côté, assuré à la Hollande la possession entière des enclaves allemandes et de la ville de Maestricht. »
Mais ce n'était pas assez de donner ce sens forcé à l'article 1er des bases de séparation ; il fallait trouver le moyen d'établir entre Venloo et Maestricht une contiguïté de territoire ; la Hollande possédait sur la rive droite 40 communes éparses, et sur la rive gauche 13.
Pour lui assurer la possession intégrale de la rive droite, les 13 communes de la rive gauche données en échange ne pouvaient suffire. C'est ainsi qu'on fut amené à démembrer le grand-duché de Luxembourg, que l'on considérait comme en dehors de la Belgique.
D'autres considérations venaient se rattacher à cet échange.
La Hollande, se prolongeant le long de la Meuse, s'assure une plus grande influence continentale et subsiste comme deuxième barrière contre la France. La partie septentrionale du Luxembourg étant réunie à la Belgique, la frontière française depuis Givet jusqu'à Longwy est protégée contre l'Allemagne par la neutralité belge.
Le grand-duché de Luxembourg, réduit à la partie allemande, offre, disait-on encore, un tout plus homogène et subsiste, malgré la cession, comme État de la Confédération germanique, qui conserve la propriété de la forteresse.
La partie wallonne de la province peut d'ailleurs être considérée comme dans une position particulière, par suite de l'adjonction de l'ancien duché de Bouillon, (page 247) position que le prince de Talleyrand a, dès le 17 avril 1831, signalée à la Conférence.
(Note de bas de page) « Quant aux observations de détail dont le plénipotentiaire français a accompagné sa déclaration, la Conférence, après les avoir pesées, est convenue d'un commun accord...
« Que, par suite du même principe, les plénipotentiaires des cinq cours, réunis en conférence à Londres, procéderont à un examen des traités existants en ce qui concerne le duché de Bouillon, dans le but de constater, d'après les observations faites par le plénipotentiaire de France, ce que la position de ce duché peut avoir de spécial et afin que les plus justes égards soient conservés pour cette position dans les mesures dont l'adoption deviendrait nécessaire dans le grand-duché de Luxembourg. » (Protocole n° 21, du 17 avril 1831.)
M. le comte Sébastiani s'était expliqué d'une manière plus formelle dans les instructions transmises au prince de Talleyrand sous la date du 1er mars 1831 et annexées au protocole n° 20, du 17 mars; tout le système territorial des vingt-quatre articles se trouve dans ces instructions; nous en extrayons le passage suivant:
« Il a toujours paru au gouvernement français qu'on ne devait pas attribuer à ce grand-duché tout le territoire que le roi des Pays-Bas y a ajouté lorsqu'il en a formé une province de son royaume et qu'il en a appelé les députés dans la seconde Chambre des États-Généraux, au lieu de le soumettre à un régime spécial et de le gouverner comme un État séparé, ainsi que les traités de 1815 semblaient le prescrire. Le gouvernement français croit donc que, pour se conformer à ces traités, l'on doit distraire le duché de Bouillon du grand-duché de Luxembourg. Il lui parait évident que le duché de Bouillon a été donné au royaume des Pays-Bas, et non à la maison de Nassau, qui n'a reçu, en compensation de ses anciennes possessions de la rive droite du Rhin, que l'ancien duché de Luxembourg autrichien. Ces territoires ne sauraient donc rester annexés au nouveau duché; ils doivent, au contraire, être réunis à la Belgique. Mais pour en opérer la réunion de manière à donner aux deux États, conformément à l'article 4 de l'annexe A du protocole n° 12, une juste contiguïté de territoire, il est indispensable de régler préalablement des échanges. Cette contiguïté, dont la Conférence a senti les avantages et la nécessité sur toutes les frontières de la Hollande et de la Belgique, a aussi besoin d'être établie entre Maestricht et Stephanswerd, et entre Stephanswerd et l'ancienne limite hollandaise, où elle n'a jamais existé. Il faut pour y parvenir que la Belgique renonce à des portions du territoire qui lui est assigné et qu'elle en soit indemnisée par des portions équivalentes, prises sur l'ancien territoire hollandais ou sur l'ancien duché de Luxembourg. Avant qu'on se soit expliqué et entendu sur ces points importants, le gouvernement français ne peut adhérer complètement à la délimitation fixée par le protocole du 20 janvier. » (Fin de la note)
(page 248) Les cinq puissances avaient, le 30 août, demandé à la Diète les pouvoirs nécessaires pour arrêter cet échange ; le 9 septembre, la Diète délivra ces pouvoirs, du consentement du roi grand-duc.
(Note de bas de page de la troisième édition) La Diète avait, dès le mois de novembre 1830, pris une espèce d'initiative à l'égard de la Conférence, en s'adressant à elle pour s'assurer si elle n'avait pas trouvé ou si elle ne s'occupait pas à trouver des moyens qui rendraient superflue l'intervention germanique. (Annexe C du protocole n° 6, du 18 décembre 1830.)
Le protocole n° 24, du 21 mai 1831, qui admet la possibilité de la cession du grand-duché de Luxembourg, n'a été l'objet d'aucune protestation de la part de la Diète.
Le gouvernement belge s'étant, sous la date du 29 juillet 1831, adressé au gouverneur militaire de la forteresse de Luxembourg pour réclamer la paisible continuation du status quo, en vertu du troisième des dix-huit articles, la Diète transmit cette lettre à la Conférence par une résolution du 11 août,. et renouvela de cette manière l'initiative déjà prise envers cette assemblée diplomatique. La Conférence saisit cette occasion pour demander des pleins pouvoirs. (Protocole n° 26, du 30 août 1831.) La Conférence reçut avec les pleins pouvoirs des explications qu'elle consigna au protocole n° 42, du 24 septembre 1831. (Fin de la note)
La Belgique, en cédant à la Hollande la rive droite de la Meuse, cessait d'y être limitrophe de l'Allemagne, tandis que le rétablissement du status quo de 1790 l'y eût mise sur plusieurs points en contact avec la Prusse ; la Conférence, agissant toujours dans un système de compensation, mit pour condition à l'échange que la Belgique conserverait le transit libre vers r Allemagne~ soit par les communications existantes ~ soit par les communications nouvelles qu'elle voudrait établir à ses frais.
La rédaction définitive des vingt-quatre articles est du (page 249) 15 octobre ; le gouvernement belge eut officieusement connaissance d'un projet antérieur qui adoptait pour limite la ligne qui sépare l'arrondissement de Neufchâteau de celui de Luxembourg ; c'est sur une réclamation, partie de Bruxelles et transmise de Paris à Londres par le télégraphe, que cette délimitation fut changée le 14 : une ligne fut tirée, presque au hasard, à partir de Rodange, pour donner à la Belgique la ville d'Arlon et la route de Longwy. Lorsque des instructions plus précises arrivèrent à Londres, il était trop tard. Le gouvernement belge avait aussi fait de grands efforts pour conserver Ruremonde, mais ce fut en vain.
B. PARTAGE DES DETTES.
Avantages commerciaux.
La Conférence avait, dans son protocole du 27 janvier 1831, proposé un premier système de compensation qui eût consisté à faire acquitter par les Belges 16/31 des dettes prises en masse, sans distinction d'origine, et à les admettre à la jouissance de la navigation et du commerce des colonies hollandaises, sur le même pied, avec les mêmes droits et les mêmes avantages que les habitants de la Hollande.
Ces propositions ayant été repoussées par les Belges, la Conférence adopta un nouveau système de compensation, en procédant au partage des dettes d'après leur origine.
Les dettes antérieures à la réunion avaient été déclarées (page 250) communes par le sixième des huit articles du 21 juillet 1814, portant : « Les charges devront être communes, ainsi que les bénéfices ; les dettes contractées, jusqu'à l'époque de la réunion, par les provinces hollandaises d'un côté, et par les provinces belgiques de l'autre, seront à la charge du trésor général des Pays-Bas. »
En même temps qu'elle proposait le premier mode de compensation, la Conférence s'était exprimée en ces termes sur les effets de l'article 6 de l'acte du 21 juillet 1814 :
« D'après cet article, c'est évidemment sur la réunion des provinces hollandaises aux provinces belges que se fonde la communauté des charges, de dettes et de bénéfices, dont le même article consacre le principe. Ainsi, du moment où la réunion cesse, la communauté en question semblerait devoir également cesser et, par une autre conséquence nécessaire de cet axiome, les dettes qui, dans le système de la réunion, avaient été confondues, pourraient, dans le système de la séparation, être redivisées.
« Suivant cette base, chaque pays devrait d'abord reprendre exclusivement à sa charge les dettes dont il était grevé avant la réunion. Les provinces hollandaises auraient donc à pourvoir aux dettes qu'elles avaient contractées jusqu'à l'époque où les provinces belges leur furent annexées, et les provinces belges, aux dettes qui pesaient sur elles à cette même époque ; le passif de ces dernières se composerait ainsi en premier lieu :
« De la dette austro-belge, contractée dans le temps où la Belgique appartenait à la maison d'Autriche.
(page 251) « De toutes les anciennes dettes des provinces belges.
« De toutes les dettes affectées aux territoires qui entreraient aujourd'hui dans les limites de la Belgique.
« Indépendamment des dettes qui viennent d'être énumérées ci-dessus et qui sont exclusivement belges, la Belgique aurait à supporter dans leur intégrité, d'abord les dettes qui ne sont retombées à la charge de la Hollande que par suite de la réunion, puis la valeur des sacrifices que la Hollande a fait pour l'obtenir. »
La Conférence avait donc hypothétiquement mis à la charge de la Belgique deux genres de dettes anciennes, étrangères à la Hollande et à la communauté.
Occupons-nous d'abord des dettes que le protocole du 27 janvier qualifiait de dettes exclusivement belges.
Le traité du 30 mai 1814 avait libéré la France de toutes les dettes étrangères inscrites au grand-livre de l'Empire ; Il portait, art. 21 :
« Les dettes spécialement hypothéquées dans leur origine sur les pays qui cessent d'appartenir à la France, ou contractées par leur administration intérieure, resteront à la charge de ces mêmes pays. Il sera tenu compte, en conséquence, au gouvernement français, à partir du 22. décembre 1813, de celles de ces dettes qui ont été converties en inscriptions au grand-livre de la dette publique de France. Les titres de toutes celles qui ont été préparées pour l'inscription et n'ont pas encore été inscrites, seront remis au gouvernement des pays respectifs. Les états de toutes ces dettes seront dressés et arrêtés par une commission mixte. »
Nous pourrions appeler cette première dette franco-belge, (page 252) belge.. pour la distinguer d'une autre dette dont l'origine est plus contestable.
L' article 21 du traité de Paris, que nous venons de citer, ne faisait, en ce qui concernait la Belgique, que révoquer l'article 8 du traité de Lunéville ; mais le traité de Lunéville avait expressément stipulé que la France ne prendrait à sa charge que les dettes résultant d'emprunts formellement consentis par les États des pays cédés, ou des dépenses faites pour l'administration effective des dits pays. Ainsi, les dettes que la maison d'Autriche avait hypothéquées sur les Pays-Bas (Note de bas de page : Histoire abrégée des traités, par SCHOELL, t. XI, p. 119. , sans que les États de ces provinces les eussent formellement autorisées, étaient restées à la charge de l'Autriche.
Dans la vue d'amener la libération entière de l'Autriche, on ajouta au traité de Vienne du 31 mai 1815 un article secret.. par lequel le nouveau roi des Pays-Bas s'engageait à ouvrir également de ce chef une liquidation avec l'Autriche (Note de bas de page : Recueil de MARTENS, t. VI, p. 662.)
Par suite de cette extension donnée, dans une réserve secrète, aux traités de Lunéville et de Paris, le roi des Pays-Bas conclut avec l'Autriche deux conventions, l'une qui a été rendue publique et qui porte la date du 11 octobre 1815 (Note de bas de page : MARTENS, t. VI, p. 660. ), l'autre qui est restée secrète et qui est datée du 5 mars 1828.
Ces conventions créèrent la dette dite austro-belge.
Passons aux dettes que le protocole du 27 janvier (page 253) proposait de mettre à la charge de la Belgique, bien qu'elles ne fussent pas belges.
C'étaient d'abord les dettes retombées à la charge de la Hollande par suite de la réunion ; ceci ne pouvait, s'entendre que, de l'emprunt russe de 25 millions de florins, dont la moitié avait été mise à la charge du royaume-uni des Pays-Bas par la convention du 19 mai 1815 (Note de bas de page : MARTENS, t. VI, p. 290 .
C'était, en second lieu, la valeur des sacrifices faits par la Hollande pour amener la réunion c'est-à-dire l'indemnité due pour la perte du Cap de Bonne-Espérance, de Démerari, d'Essequebo et de Berbice, anciennes colonies hollandaises, conquises par l'Angleterre sur la France, et la république batave, et non restituées aux termes de la convention du 13 août 1814 (Note de bas de page : MARTENS, 1. VI, p. 57).
Cette double proposition, qu'on pouvait déduire dprotocole du 27 janvier, était insoutenable. La Belgique, ignominieusement assimilée à une colonie, avait recouvré la propriété d'elle-même et annulé un échange qui n'avait rien d'obligatoire pour elle : victime, en 1814, par l'échange, elle eût été une deuxième fois victime, en 1831, par le rachat. L'Angleterre, de son côté, n'avait pas garanti la Hollande contre les révolutions (Note de bas de page : L'Angleterre pouvait garder toutes ces colonies sans que la Hollande eût un mot à dire: 1° à titre de conquête; 2° à titre de compensation pour les frais de guerre contre la France dont la république batave était l'alliée. Le Parlement s'est plus d'une fois plaint du désintéressement qu'a montré l'Angleterre en 1814. Voyez la lettre du pseudonyme de la Marre (M. Van de Weyer) à lord Aberdeen, p. 114. Londres, février 1832.) : si les habitants de l'ancien Cap des tempêtes, de (page 254) Démerari, d'Essequebo et de Berbice, s'étaient séparés de la métropole, en se déclarant indépendants, est-il quelqu'un qui eût soutenu que la Hollande était tenue de réintégrer la Grande-Bretagne dans sa possession ? Les colonies eussent été perdues pour l'Angleterre, sans indemnité, comme la Belgique est perdue pour la Hollande. Le peuple hollandais et son roi doivent d'ailleurs s'imputer la révolution belge ; ils n'ont rien fait pour la prévenir ; à eux la faute, à eux le châtiment : en échange du Cap de Bonne-Espérance ils avaient reçu un autre Cap des tempêtes.
La Belgique était étrangère aux arrangements relatifs à l'emprunt russe ; mais fallait-il faire supporter cette charge par la Hollande ou par le débiteur primitif, la Russie ? Ici se présentaient de graves difficultés, que l'Angleterre a noblement résolues, en restant chargée de cette dette (Note de bas de page : Convention du 16 novembre 1831, entre la Grande-Bretagne et la Russie. Cette question a été discutée par le Parlement, en comité général, le 12 juillet 1832.).
Les obligations de la Belgique, antérieures à la réunion, se réduisaient donc à la dette française et à la dette austro-belge (Note de bas de page : Les plénipotentiaires hollandais ont compris la dette ancienne dite arriérée des Pays-Bas, dans les dettes de la communauté comme provenant à peu près par parties égales des provinces du Nord et de celles du Midi. Voyez les tableaux annexés au protocole n° 48. )
La Conférence évalua la dette française à . fl. 2,000,000 (Note de bas de page : La Conférence, procédant toujours d'après les règles de l'équité, a trouvé qu'il rentrait dans les principes et les vues qui la dirigent qu'une autre dette, qui pesait originairement sur la Belgique avant sa réunion avec la Hollande, savoir la dette inscrite pour la Belgique au grand-livre de l'empire français et qui, d'après ses budgets, s'élevait, par aperçu, à 4,000,000 de francs, ou 2,000,000 de florins des Pays-Bas, de rente, fût mise encore maintenant à la charge du trésor belge. Le passif, dont la Belgique se chargerait de ce chef, serait donc de 2,000,000 de florins des Pays-Bas de rente annuelle. (Extrait du protocole n° 48, du 6 octobre 1831.))
(page 255) Et la dette austro-belge à fl. 750,000 (Note de bas de page : L'intérêt, à 2 p. c., de la partie dite active de cette dette, ainsi que le service de l'amortissement de la partie différée, étant évalués, en nombre rond, à 750,000 florins des Pays-Bas, de rente annuelle, la Belgique aurait à Supporter de ce chef un autre passif de 750,000 florins de rente. (Extrait du protocole n° 48, du 6 octobre 1831.)
Ces deux évaluations, dont la première surtout peut être contestée, donnaient un total de fl. 2,750,000
La Conférence ne s'était pas, dans le protocole du 27 janvier, exprimée sur les dettes contractées durant la communauté d'une manière aussi précise qu'elle l'a fait dans son protocole du 6 octobre 1831 ; voici en quels termes elle établit, dans cet acte, cette deuxième partie des obligations de la Belgique :
« La Conférence, reconnaissant que la Hollande possédait, pendant la réunion, un droit au concours de la Belgique à l’acquittement de la dette agrégée du royaume des Pays-Bas, et qu'il devait y avoir communauté entière de charges et bénéfices entre les deux pays, est unanimement convenue qu'il serait contraire à ce principe fondamental d'évaluer les bénéfices particuliers que la Hollande ou la Belgique ont pu retirer des emprunts faits pendant la réunion, ou de, spécifier les charges auxquelles ces emprunts ont été affectés, et qu'ainsi on ne pouvait suivre, pour le partage des dettes contractées (page 256) en commun, que la proportion de la population respective, ou celle des impôts acquittés par les provinces dont la Belgique et la Hollande se composeront en se séparant.
« Cette dernière proportion ayant paru la plus juste, attendu qu'elle se fonde sur la part pour laquelle chacun des deux pays a réellement contribué à l'acquittement des dettes communes contractées pendant la réunion, et la Conférence ayant constaté, . . . lors de la rédaction du protocole n° 12, du 26 janvier 1831 . . . que, selon une moyenne proportionnelle résultant des budgets du royaume des Pays-Bas de 1827, 1828 et 1829, les deux grandes divisions de ce royaume ont contribué à l'acquittement des contributions directes, indirectes, et accises, l'une pour 15/31 et l'autre pour 16/31, les plénipotentiaires des cinq cours ont adopté ce calcul, en observant toutefois que la moyenne proportionnelle dont il s'agit devait, selon les règles de l'équité, être réduite en faveur de la Belgique, parce que, d'après les arrangements territoriaux arrêtés, la Hollande possédait des territoires qui ne lui appartenaient pas en 1790. En conséquence, la Conférence a jugé équitable que les dettes contractées pendant la réunion par le royaume des Pays-Bas fussent partagées entre la Hollande et la Belgique dans la proportion de 15/30, ou par moitié égale pour chacune.
« La rente annuelle de la totalité des dettes susdites, se montant en nombre rond à 10,100,000 florins des Pays-Bas, il résulterait de ce chef un passif pour la Belgique de 5,050,000 florins des Pays-Bas. »
L'évaluation de la dette commune était faite, indépendamment de la liquidation du syndicat d'amortissement, qui est devenue l'objet d'une réserve.
Il est donc constaté par un acte émané des plénipotentiaires des cinq grandes puissances, que quinze années d'administration, au milieu d'une paix profonde, avec des ressources immenses, ont produit une dette de dix millions cent mille florins de rente annuelle ; c'est la somme des déficits de l'ancien royaume. Ce fait ne justifie-t-il pas à lui seul la révolution belge ?
La Conférence était donc parvenue aux résultats suivants :
1° Dettes belges antérieures à l'union fl. 2,750,000 ;
2° Dettes contractées pendant la communauté, la moitié. . . . . . » 5,050,000
Total. . . fl. 7,800,000
Arrivée à ce point, la Conférence crut devoir adopter un nouveau mode de compensation qu'elle exposa en ces termes :
« Enfin, eu égard aux avantages de navigation et de commerce, dont la Hollande est tenue de faire jouir les Belges, et aux sacrifices de divers genres que la séparation a amenés pour elle, les plénipotentiaires des cinq cours ont pensé qu'il devait être ajouté aux trois points indiqués ci-dessus une somme de 600,000 florins de rente, laquelle formerait, avec ces passifs, un total de 8,400,000 florins des Pays-Bas. » (Protocole n° 48 du 6 octobre 1831.)
Les avantages de navigation et de commerce, dont le prix d'acquisition est ainsi fixé, sont principalement :
(page 258) 1 ° Le transit libre vers l'Allemagne, à travers le Limbourg ;
:2° L'abolition des anciennes servitudes de droit public, imposées à l'Escaut, et la liberté de ce fleuve ;
3° La navigation des eaux intermédiaires entre l'Escaut et le Rhin.
Certes, les réclamations que les Belges sont en droit d'élever contre le partage des dettes sont en grand nombre ; nous n'en énumérerons que les principales :
Les Belges peuvent contester l'évaluation et même la légitimité de la dette française ;
Ils peuvent contester l'origine de la dette austro-belge, (page 259) qui provient de la complaisance du roi Guillaume envers l'Autriche ;
Ils peuvent demander, quant aux dettes de la communauté, s'il n'eût pas été conforme à l'équité d'en rechercher la cause et de faire retomber la dette sur celui des pays qui en avait directement profité ;
S'il n'eût pas été conforme à l'équité de réparer les injustices de l'amortissement, en y faisant participer les anciennes dettes belges, par parts égales ;
S'il n'eût pas été conforme à l'équité de tenir compte à la Belgique du produit de l'aliénation de ses domaines, et de lui assigner une part de la flotte ;
S'il n'eût pas été nécessaire de n'arrêter le passif qu'après avoir évalué l'actif, soit par une liquidation régulière, soit par aperçu.
(Note de bas de page) A l'appui de ces réclamations, on peut citer le passage suivant du mémoire de la Conférence, du 4 janvier 1832 :
« L'intérêt de toutes les dettes exclusivement belges, le service de la partie différée de ces mêmes dettes et l'intérêt des dettes communes réparties dans la proportion suivant laquelle chacun des deux pays avait contribué à leur acquittement pendant la communauté ne se montaient, en nombre rond, qu'à une somme annuelle de 5,800,000 florins. Cette même somme a été élevée à 8,400,000 florins. Toute la différence de 2,600,000 florins de rente annuelle allège donc d'autant le fardeau de l'ancienne dette hollandaise. Il n'appartenait pas à la Conférence de se prononcer sur une dette étrangère du royaume-uni des Pays-Bas, régie par une convention spéciale; mais du reste elle paraît en droit d'affirmer que, dût-on même évaluer la rente annuelle à 8,400,000 florins d'après les indications du protocole du 27 janvier, et la composer, par conséquent, de l'intérêt total des dettes qu'il fait retomber intégralement sur la Belgique; de l'intérêt total des sacrifices de colonies faits par la Hollande pour obtenir la réunion, suivant l'acte qui détermine la valeur de ces sacrifices; de l'intérêt proportionnel des charges que le protocole du 27 janvier qualifie de communes, en les partageant d'après le principe de division établi ci-dessus; enfin même de l'intérêt et de la moitié des contributions de guerre, auxquelles le royaume-uni des Pays-Bas a renoncé en faisant l'acquisition des dix cantons dans l'année 1815, on trouverait encore que cette rente offre au gouvernement néerlandais une pleine et entière compensation. » (Fin de la note).
La Conférence, comme nous l'avons vu, a trouvé une fin de non-recevoir contre plusieurs prétentions dans l'article 6 des huit articles du :21 juillet 1814, qui avait établi la communauté la plus absolue, et elle a renvoyé à une autre époque la liquidation du syndicat. Nous ignorons si la Conférence a sérieusement compté sur cette liquidation ou si elle a seulement voulu, pour le moment, se tirer d'embarras. C'est une question de moralité, aussi bien qu'une question d'argent, pour l'ancien chef du gouvernement. Lorsqu'une communauté se dissout, lorsqu'une tutelle cesse, le gérant, le tuteur rend ses comptes ; dans le droit commun, rien n'est plus simple et un tribunal civil n'aurait rien à opposer à l'action en reddition de comptes qu'intenteraient les Belges à leur ancien mandataire. Sa gestion a duré quinze ans ; il a tout fait par lui-même, dans le (page 260) mystère et le silence ; et vous voulez qu'aujourd'hui le vieux monarque descende de son trône, que vous avez à moitié brisé, qu'il se place à la même table que ses anciens sujets, qu'il dépose sur le même tapis vert ses cartons et sa couronne, qu'il dresse un compte de clerc à maître, par avoir et devoir, le tout pour prouver qu'il ne les a point volés ? Ne voyez-vous pas qu'il y a là une impossibilité morale ? Les révolutions n'admettent point ces mesquines procédures. Les rois rejetés par leurs peuples prennent silencieusement le chemin de l'exil ou trouvent une retraite parmi les sujets restés fidèles ; mais, en les détrônant, on ne leur dit pas : Rendez vos comptes. On a vu des rois monter sur l'échafaud, c'était pour mourir, ce n'était pas pour être attachés au pilori.
Il était juste sans doute de tenir compte à la Belgique de l'actif du syndicat d'amortissement, mais il ne fallait pas se reposer sur une liquidation impossible ; on pouvait calculer cet actif approximativement, par mesure de transaction, et le déduire du passif dès le 15 octobre 1831.
La Conférence a opéré d'après des tableaux fournis par les plénipotentiaires hollandais ; dans son protocole n°48, du 6 octobre, elle déclarait que, si ces tableaux se trouvaient inexacts, elle serait en droit de regarder comme non avenus les résultats des calculs ; mais dans un memorandum du 7 octobre, elle révoqua ou chercha à atténuer cette déclaration.
Nous avons eu pour but principal de faire connaître la marche suivie par la Conférence dans des opérations aussi compliquées ; nous n'avons fait qu'indiquer les (page 261) critiques dont son travail peut être l'objet. Ceux qui veulent être justes envers tout le monde, ceux qui veulent, après avoir inculpé la Conférence, reconnaître ce qui peut exister à sa décharge, diront peut-être : qu'elle devait accepter la communauté telle que l'avaient établie les huit articles du 21 juillet 1814 et les lois intérieures du royaume ;
Que, si les intérêts de la Belgique ont été méconnus pendant quinze ans, si ses domaines ont été vendus, si les emprunts ont tourné au profit de la Hollande, si l'amortissement s'est fait avec partialité, les Belges doivent l'attribuer aux États-Généraux ;
Que, des dettes anciennes, la Conférence n'a fait retomber sur la Belgique que celles qui lui étaient originairement propres et qu'elle eût supportées si dès 1815 elle eût formé un État indépendant ;
Qu'obligée de reconnaître les faits accomplis, elle n'a pu annuler la dette austro-belge ;
Qu'elle n'avait pas le droit de punir un roi, qui expiait d'ailleurs ses torts par une révolution, ni de rectifier des opérations financières légalement faites ;
Que, dans le partage des dettes communes, elle a traité favorablement la Belgique, en suivant la proportion des impôts, et non celle de la population ;
Que, pressée par les circonstances, elle a dû se livrer à des calculs approximatifs chaque fois que les évaluations précises manquaient ; , Enfin, que le défaut de documents l'a forcée de tenir en suspens la liquidation du syndicat.
Il nous reste une dernière observation à faire : dans le partage des dettes, il n'est pas question du grand- duché (page 262) de Luxembourg. Cependant ce pays a successivement participé, avec les autres provinces belges, à la communauté établie sous le régime autrichien, sous l'empire français et sous la domination hollandaise. Le grand-duché de Luxembourg, que la Conférence maintient comme État distinctif, pouvait donc être considéré comme tenu de contribuer au paiement des dettes belges antérieures à 1815 et des dettes contractées depuis cette époque. Nous croyons qu'il résulte implicitement du traité du 15 novembre que le territoire qui subsiste, comme formant le grand-duché de Luxembourg, est aujourd'hui libéré de toute dette : libération qui l'indemniserait en quelque sorte de la perte de ses biens domaniaux, vendus au profit du royaume des Pays-Bas, et de la part qu'il a supportée dans les dettes de ce royaume pendant quinze ans.
(Note de bas de page de la troisième édition ) Les bases de séparation du 27 janvier 1831 gardent également le silence sur la part des dettes qui peut incomber au grand-duché de Luxembourg; la Conférence, dans son protocole n° 22, du 17 avril i83i, avait supposé que les arrangements proposés pour la dette pourraient être rectifiés de manière à en faire supporter par le grand-duché de Luxembourg une portion. « Relativement aux dettes, est-il dit dans le protocole n° 22, lord Ponsonby ferait observer au gouvernement belge que si une partie des dettes du royaume des Pays-Bas pesait sur le grand-duché de Luxembourg, cette charge devrait nécessairement retomber aujourd'hui encore dans une juste proportion sur le grand-duché et alléger d'autant le fardeau de la Belgique.» Cette rectification n'a point été faite par les vingt-quatre articles du 15 octobre. (Fin de la note)
Les vingt-quatre articles s'écartaient trop des instructions que le plénipotentiaire belge, M. Van de Weyer, avait reçues, et des préliminaires de paix du 26 juin, qui avaient servi de base à ces instructions, pour qu'il pût y apposer sa signature ; il se borna donc à en (page 263) accuser réception le 15 octobre 1831, et en référa à son gouvernement.
Les propositions de la Conférence furent communiquées aux deux Chambres le 20 octobre ; le lendemain, le ministre des affaires étrangères présenta un projet de loi tendant à autoriser le Roi à conclure et à signer le traité définitif de séparation entre la Belgique et la Hollande, arrêté le 15 octobre ; sous telles clauses, conditions et réserves que Sa Majesté pourrait juger utiles ou nécessaires dans l'intérêt du pays.
Les désastres du mois d'août avaient détruit bien des espérances ; les esprits réfléchis n'avaient pu se défendre de sinistres pressentiments ; mais personne n'avait mesuré d'avance l'étendue possible des sacrifices.
Vaincue sur le champ de bataille, la Belgique pouvait-elle prétendre à une victoire complète dans le cabinet ? Les dix-huit articles avaient été pour la diplomatie le contre coup des journées de septembre, les vingt-quatre étaient le résultat des journées d'août. Il n'y avait qu'une question à examiner : celle de la nécessité. Tout était secondaire à côté de cette haute considération. Placée en face d'une loi européenne, la Belgique devait-elle accepter ces conditions d'existence ou les rejeter ? Les Belges devaient-ils répondre : Nous voulons périr ensemble, ou vivre ensemble ? Ce mouvement eût été beau, généreux, sublime peut-être ; mais existait-il une alternative ? Pouvait-on espérer de vaincre l'Europe et de vivre ensemble ? Ou bien la question n’était-elle pas plutôt de savoir s'il fallait périr tous ou quelques uns ? Ce n'est pas Rome qui se jeta dans le gouffre pour sauver Curtius. Menacé d'un grand malheur, l'individu (page 264) peut dire : Je consens à mourir plutôt que de me soumettre ; mais, pour les nations, la première loi, c'est d'être, c'est de se conserver. Exiger de la Belgique qu'elle résistât à l'Europe, c'était lui imposer le suicide social. A Dieu ne plaise que je veuille insulter à de justes regrets ; j'ai eu ma part de ces grandes douleurs ; le souvenir en restera dans ma mémoire, ineffaçable ; mais, il faut qu'on le sache, la nécessité absout. (Note de bas de page de la quatrième édition : Voyez le mémorable discours prononcé par M. Nothomb, dans la séance du 26 octobre 1831, p. 33 du Recueil.)
Le projet de loi présenté par le gouvernement fut adopté le 1er novembre par la Chambre des représentants 2, à la majorité de 59 voix contre 38, et par le Sénat, à la majorité de 35 voix contre 8. (Note du webmaster : Deux notes de bas reprennent l’appel nominal de ces deux votes sont repris dans la version papier. Elles ne sont pas reprises dans cette version numérisée).
(page 265) Le ministère avait pris envers les Chambres l'engagement de ne donner son adhésion :
1° Qu'après avoir obtenu ou tenté d'obtenir quelques modifications,
Et :2° qu'après avoir acquis la certitude que le roi élu par les Belges serait immédiatement reconnu.
Pour remplir ce double engagement, le plénipotentiaire belge remit deux notes à la Conférence, le 12 et le 14 novembre.
La Conférence répondit : 1 ° par une note du 12, que les vingt-quatre articles ne pouvaient subir de modification, et qu'il n'était plus au pouvoir des cinq puissances d'en consentir une seule ; et 2°, par une note du 14., que rien ne s'opposait à ce que les vingt-quatre articles reçussent la sanction d'un traité entre les cinq puissances et lia Belgique. Elle s'adressera en même temps aux plénipotentiaires hollandais pour les informer de l'acceptation de la Belgique et pour leur offrir l'initiative de la signature du traité. La réponse des plénipotentiaires hollandais fut négative.
Le lendemain, 15 novembre, le traité fut signé entre les plénipotentiaires des cinq cours et le plénipotentiaire belge, M. Van de Weyer ; ce traité consiste dans (page 266) la reproduction des vingt-quatre articles et dans les trois articles suivants :
« Art. 25. Les cours d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie garantissent à S. M. le roi des Belges l'exécution de tous les articles .qui précèdent.
« Art. 26. A la suite des stipulations du présent traité, il y aura paix et amitié entre S. M. le roi des Belges d'une part, et Leurs Majestés l'empereur d'Autriche, le roi des Français, le roi du royaume-uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, le roi de Prusse et l'empereur de toutes les Russies de l'autre part, leurs héritiers et successeurs, leurs États et sujets respectifs, à perpétuité.
« Art. 27. Le présent traité sera ratifié et les ratifications en seront échangées à Londres, dans le terme de deux mois ou plus tôt, si faire se peut. »