(Première édition parue en 1833 à Bruxelles, seconde édition en 1834. Quatrième édition parue à Bruxelles en 1876 avec une « Continuation » par Théodore JUSTE)
Marche adoptée par le gouvernement belge à la suite des ratifications – Mariage du roi Léopold
(page 286) Nul doute que la Belgique ne fût en droit d'exiger des ratifications pures et simples ; les trois cours du Nord venaient, par leurs réserves, de consacrer un précédent nouveau en diplomatie. La ratification d'un acte politique est subordonné à cette seule question : le plénipotentiaire a-t-il agi dans les limites de ses pouvoirs, oui ou non ? En cas d'affirmative, le souverain est tenu d'approuver l'acte ; en cas de négative, le souverain peut refuser son approbation à l'acte ; mais alors il désavoue l'agent. Pas de milieu possible : ratification de l'acte, ou désaveu de l'agent.
M. de Muelenaere, en communiquant le texte du traité aux Chambres belges, avait dit : « Le traité ayant été conclu par les plénipotentiaires munis de pleins pouvoirs, qui ont été trouvés en bonne et due forme, l'échange des ratifications et la ratification elle-même ne sont plus que de simples formalités diplomatiques. » Et il devait en être ainsi. Ce n'est qu'en violant la loi des négociations qu'on a donné un démenti aux paroles du ministre belge.
Ce qu'il importe toutefois de remarquer, c'est que les réserves laissent subsister le traité à l'égard de la (page 287) France, de la Grande-Bretagne, et même de l'Autriche, de Prusse et de la Russie. Les deux premières puissances ont ratifié purement et simplement, le 31 janvier, et les réserves subséquentes leur sont totalement étrangères ; les trois cours du Nord, en ratifiant, n'ont pas déclaré que, tel cas échéant, leurs ratifications seraient caduques ; elles ont ratifié le traité en ce qui les concernait, mais en ajoutant une stipulation en faveur de tiers, à savoir, la Diète germanique, relativement au Luxembourg, et le roi Guillaume, au sujet de certaines modifications éventuelles à faire de gré à gré. En droit civil, on contracte souvent sauf les droits de tierces personnes, ce qui n'empêche pas le contrat d'être parfait entre les parties principales. C'est aussi ce que la Conférence a reconnu d'une manière formelle, en déclarant, à la suite de l'échange des dernières ratifications, que le traité se trouvait revêtu de la sanction commune des cinq cours, et que leur tâche consistait désormais à en amener l'exécution. Or, on n'exécute que ce qui existe en principe.
L'exécution pouvait être ou volontaire ou forcée. C'est de l'exécution volontaire que la Conférence dut s'occuper d'abord. Toutes ces idées se trouvent exprimées dans le protocole du 4 mai, qui définit nettement la position des parties :
« Après avoir terminé l'échange des ratifications du traité du 15 novembre 1831, les plénipotentiaires se sont réunis à l'effet de prendre en considération la marche que les cinq puissances, placées dans la même attitude par la sanction commune dont cet acte est (page 288) revêtu, auraient à suivre pour en amener l'exécution de la manière la plus conforme aux vues de paix dont elles sont animées.
« Dans ce but, les plénipotentiaires ont été unanimement d'avis qu'il était du devoir de la Conférence de Londres de ne pas se départir des principes qui l'ont dirigée jusqu'à présent, de consacrer de nouveaux soins à l'accomplissement de l'œuvre auquel les événements l'ont appelée et, en regardant le traité du 15 novembre comme la base invariable de la séparation, de l'indépendance, de la neutralité et de l'état de possession territoriale de la Belgique, de rechercher à amener entre S. M. le roi des Belges et S. M. le roi des Pays-Bas une transaction définitive, dans la négociation de laquelle la Conférence s'efforcerait d'aplanir, par des arrangements de gré à gré entre les deux parties, toutes les difficultés qui peuvent s'élever relativement à l'exécution du traité mentionné ci-dessus. »
Le protocole du 4 mai laissait indécise une question grave : il déclarait, d'une part, que l'état de possession territoriale était irrévocablement fixé ; d'autre part, qu'il serait ouvert une négociation pour aplanir quelques difficultés. Cette négociation devait-elle être ouverte avant ou après que la partie du traité relative à l'état de possession territoriale eût reçu son exécution ? C'est sur ce point que la Conférence ne s'était pas prononcée. .
Le ministère belge saisit l'initiative pour combler cette lacune, et soutint la nécessité de l'exécution immédiate de la partie du traité relative aux arrangements (page 289) territoriaux ; nous avons, dans le chapitre précédent, cité un passage du rapport officiel de M. de Muelenaere, du 12 mai ; la conception de ce plan est antérieure à cette époque et aux débats des Chambres. Sous la date du 7 mai, le plénipotentiaire belge, M. Van de Weyer, avait demandé l'évacuation préalable du territoire ; cette demande reçut de plus amples développements dans une note du 11 mai, qui ne fut pas remise à la Conférence, mais qui, par la publicité qui lui fut donnée, ne resta pas sans influence.
Cette note, écrite pour ainsi dire sous la dictée du Roi, était ainsi conçue :
« Le soussigné, ministre des affaires étrangères de S. M. le roi des Belges, ayant porté à la connaissance de son souverain que le traité du 15 novembre se trouve aujourd'hui revêtu de la sanction commune des cinq cours, a été chargé par Sa Majesté de présenter, avec toute la précision possible, à LL. EE. les plénipotentiaires d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, réunis en conférence à Londres, les considérations suivantes sur la marche que son gouvernement se croit en droit de suivre ultérieurement.
« La Conférence en arrêtant, au nom des intérêts d'un ordre supérieur qui lui sont confiés, les vingt-quatre articles du 15 octobre 1831, a déclaré, dans les notes y annexées, que ces articles étaient destinés à être insérés mot pour mot dans un traité direct avec la Hollande, lequel ne renfermerait, en outre, que des stipulations de paix et d'amitié ; que les cinq cours se réservaient la tâche et prenaient l'engagement d' obtenir (page 290) l'adhésion de la Hollande à ces articles, quand même elle commencerait par les rejeter. Le plénipotentiaire belge ayant appelé l'attention de la Conférence sur diverses modifications que son gouvernement désirait obtenir dans les vingt-quatre articles, LL. EE. les plénipotentiaires, dans une note en date du 12 novembre 1831, déclarèrent que, ni le fond ni la lettre des vingt-quatre articles ne sauraient désormais recevoir de modifications, et qu'il n'était plus même au pouvoir des cinq puissances d'en consentir une seule. C'est plein de confiance dans des déclarations aussi expresses et aussi solennelles, que le roi des Belges a consenti à adhérer purement et simplement aux vingt-quatre articles, dont plusieurs sont si onéreux à son peuple ; cette adhésion pure et simple, faite sans arrière-pensée, a formé entre Sa Majesté et chacune des cinq cours un lien indissoluble. Le roi des Belges n'élève aucun doute que les cinq cours, en ratifiant le traité du 15 novembre, n'aient entendu remplir pleinement des engagements solennellement contractés et non sujets à rétractation, et il n'hésite pas à attacher à chacun des actes qui ont sanctionné le traité tout l'effet d'une ratification pure et simple.
« Considéré en lui-même, le traité renferme deux genres de dispositions : les unes, à l'abri de toute contestation sérieuse et susceptibles d'une exécution immédiate ; les autres, sujettes à de nouvelles négociations pour devenir susceptibles d'exécution.
« Si le roi des Belges pouvait se montrer disposé à ouvrir des négociations sur ces derniers points, ce ne pourrait être qu'après que le traité aurait reçu un commencement (page 291) d'exécution dans toutes les parties à l'abri de controverse ; ce commencement d'exécution consisterait au moins dans l'évacuation du territoire belge ; jusque-là, Sa Majesté ne prendra part à aucune négociation nouvelle.
« Elle doit, en outre, à la bonne foi qui a caractérisé toutes ses relations politiques, de déclarer que, dans les négociations qui pourraient s'ouvrir après l'évacuation du territoire, son gouvernement ne pourrait accepter de changements à quelques dispositions du traité que d'après les principes d'une juste compensation.
« Persistant d'ailleurs à considérer les vingt-quatre articles comme formant la transaction définitive entre la Belgique et la Hollande, le roi des Belges conserve le droit de maintenir purement et simplement les dispositions qui seraient devenues l'objet des négociations, si le résultat de ces négociations n'était pas de nature à pouvoir être accepté par son gouvernement.
« Que si la marche indiquée dans la présente note pouvait être réprouvée par un des derniers actes posés par le plénipotentiaire belge, Sa Majesté, pour ne pas perdre ou affaiblir des droits irrévocablement acquis, se verrait dans la pénible nécessité de désavouer son agent.
.« Le soussigné saisit cette occasion, etc.
« Bruxelles, le 11 mai 1832.
« (Signé) DE MUELENAERE »
Nous pouvons considérer cette pièce comme le résumé des notes qui ont été successivement remises à la Conférence par le gouvernement belge, pour soutenir le (page 292) principe de l'évacuation préalable.
(Note de bas de page de la quatrième édition) Il existe ici une lacune qu'il est nécessaire de remplir.
M. Van de Weyer, peu de jours après avoir adressé à la Conférence sa note du 7 mai 1832, par laquelle il demandait l'évacuation territoriale préalablement à toute nouvelle négociation, quitta Londres pour se rendre à Bruxelles et y donner au ministre les explications nécessaires sur les circonstances qui devaient justifier l'acceptation des réserves.
La note signée par M.de Muelenaere le 11 mai arriva à Londres, au moment où M. Van de Weyer s'apprêtait à partir; cette seconde note, paraissant d'ailleurs offrir une espèce de double emploi avec celle du 7 mai, ne fut point remise.
Le ministère, voulant constater ses intentions de la manière la plus évidente, communiqua officieusement, dans la matinée du 13 mai, la note du 7 mai et la minute de la note du 11 mai à la commission chargée par la Chambre des représentants de préparer un projet d'adresse au Roi; c'est probablement à cette circonstance qu'il faut attribuer la publicité donnée plus tard à la seconde note. Dans la discussion, il n'a été fait aucune mention de cette communication qui explique la concordance entre l'adresse au Roi et la marche déjà arrêtée par le gouvernement; cette adresse, en apparence hostile au ministère, n'était qu'une paraphrase vague d'une note ministérielle très précise.
M. Van de Weyer ne reprit que le 18 août le poste de plénipotentiaire près de la Conférence.
Dans l'intervalle, le général Goblet y remplit seul ses fonctions.
Il réclama l'évacuation préalable par les notes du 1er juin, du 8 juin, du 29 juin, du 7 juillet, du 9 juillet, du 30 juillet, et le mémoire du 9 août qui renferme un précis des négociations depuis leur origine, au point de vue belge.
Les deux plénipotentiaires réitérèrent cette demande dans une note du 31 août.
Toutes ces pièces n'ont point été annexées aux actes de la Conférence; on les retrouve dans le Recueil de Bruxelles (rapports des 12 et 13 juillet, et du 16 novembre 1832), et dans le 2e vol. du Recueil de Paris, p. 64-91.
La Conférence ne fit que deux réponses au général Goblet, l'une par la note du 11 juin, dont le texte est rapporté et le sens expliqué dans le chapitre XVII, l'autre par la note du 10 juillet, qui se réfère à celle du 11 juin, tout en abandonnant le principe de l'évacuation préalable, abandon dont les conséquences sont exposées dans le chapitre XVIII.
Cette note complète les indications sur la mission du général Goblet antérieurement à la conception du nouveau plan de négociation, à la suite de la rédaction du thème de lord Palmerston.
M. de Muelenaere refusa de se désister de l'ancien plan, malgré les instances du baron de Stockmar qui se rendit en personne à Bruxelles.Voyez Denkwürdigkeiten, p. 249. (Fin de la note)
La Conférence approuva le plan de conduite de la Belgique et adressa, sous la date du 11 juin, au nouveau plénipotentiaire belge, M. Goblet, une note qui sert, pour ainsi dire, de complément au protocole du 4 mai.
(page 293) « Les soussignés, plénipotentiaires d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, réunis en conférence à Londres, se font un devoir d'informer le plénipotentiaire de S. M. le roi des Belges, à la suite des demandes qu'il leur a adressées, que la Conférence de Londres fait, auprès de S. M. le roi des Pays-Bas, les démarches qu'elle a jugées, d'un commun accord, les plus propres :
« 1 ° A conduire aussitôt que possible à l'évacuation complète et réciproque des territoires respectifs entre la Belgique et la Hollande ;
« 2° A amener un état de choses qui assure immédiatement à la Belgique la jouissance de la navigation de l'Escaut et de la Meuse, ainsi que l'usage des routes existantes pour les relations commerciales avec l'Allemagne, aux termes du traité du 15 novembre ;
« 3° Enfin, à établir, quand l'évacuation réciproque aura été effectuée des négociations à l'amiable entre les deux pays, sur le mode d'exécution ou la modification des articles au sujet desquels il s'est élevé des difficultés.
« Les soussignés saisissent cette occasion, etc.
« Foreign-Office, le 11 juin 1832.
« (Signé) WESSENBERG, NEUMANN, TALLEYRAND, PALMERSTON, BuLOW, LIEVEN, MATUSZEWIC. »
(page 294) Telle était l'attitude que la Belgique et la Conférence avaient prise dans la première période des négociations qui suivirent l'échange des ratifications.
Nous avons exposé la marche du ministère belge sans faire mention des Chambres ; nous voulons que le public le sache : le plan adopté par le gouvernement était son propre ouvrage. Il se rattachait à deux questions dont vous chercheriez en vain une solution dans les adresses du 14 et du 21 mai et dans les débats qui les ont précédées ; ces questions, les voici : les ratifications sous réserves pouvaient-elles être restituées ? Dans le cas de la négative, quel était le meilleur parti à prendre pour la Belgique ?
Ces deux questions n'ont pas été examinées dans le sein des Chambres, elles l'avaient été dans le cabinet..
Les ratifications une fois acceptées, il était impossible de les restituer ; n'était-ce pas là un de ces cas extraordinaires qui échappent aux règles étroites du droit civil et où il faut, par dessus tout, tenir compte des circonstances ? Restituer les ratifications à l'Autriche, à la Prusse et à la Russie, c'était rompre avec ces puissances, c'était s'exposer à des dangers politiques plus grands que ceux-là mêmes qu'on eût voulu prévenir.
Et, si ces puissances avaient refusé de recevoir leurs ratifications et de nous rendre les nôtres, qu'aurions-nous fait ? La nationalité belge n'eût-elle point été compromise dans son principe ? Et, au pis aller, l'acceptation des réserves n'offrait pas ce danger. Quel est l'homme réfléchi qui n'eût pas craint d'en venir à une pareille extrémité ? La restitution ne pouvant se faire, il n'y avait d'autre parti à prendre que celui que le ministère (page 295) avait adopté de son propre mouvement. La situation eût été différente dans le cas où il se fût agi de savoir s'il fallait ou non accepter une ratification conditionnelle ; si telle avait été la question, le gouvernement belge aurait pu suivre l'exemple des États-Généraux de Hollande, qui, en 1607, refusèrent de recevoir une ratification défectueuse de Philippe III.
Nous avons conduit les négociations jusqu'au mois d'août 1832 ; ici vient se placer un événement qui n'est qu'un épisode dans un écrit politique. Ce fut le 9 août . que le roi des Belges épousa, à Compiègne, la fille ainée du roi des Français[2]. Depuis les premiers jours de la révolution, une idée préoccupait la nation, c'est qu'il fallait au trône belge un prince ou une princesse de la maison d'Orléans. La Belgique demanda d'abord un roi, puis une reine à la France. Le pressentiment populaire n'a pas reçu un second démenti.
(Note de bas de page de la quatrième édition) La princesse Louise-Marie d'Orléans était née à Palerme, pendant le premier exil de ses parents, le 3 avril 1812 ; le roi Léopold 1er, plus âgé qu'elle de vingt-deux ans, devait être condamné à un second veuvage ; cette femme angélique, d'une rare distinction d'esprit, qui est devenue comme la patronne de la Belgique, mourut à Ostende le 1. octobre 1850, après avoir assisté à la chute du trône de juillet, à la dispersion de sa famille et à la mort de son père alors méconnu, malheurs devant lesquels s'étaient effacées de sa mémoire tant d'épreuves d'un règne que de terribles catastrophes ont réhabilité. Une douleur a été épargnée à la première reine des Belges : le spectacle de l'infortune de sa fille unique, l'impératrice du Mexique. (Fin de la note).