(Première édition parue en 1833 à Bruxelles, seconde édition en 1834. Quatrième édition parue à Bruxelles en 1876 avec une « Continuation » par Théodore JUSTE)
Deuxième ministère du Roi. - Tentatives de négociation directes avec la Hollande. - Refus du gouvernement hollandais. Adoption du principe des mesures coercitives. - Désaccord sur la nature de ces mesures
(page 296) Nous avons vu, dans le chapitre XVI, quelle est l'attitude que le gouvernement hollandais avait prise à la suite de la proposition des vingt-quatre articles du 15 octobre 1831 ; nous nous sommes arrêtés au projet présenté confidentiellement, le 30 janvier 1832, projet qui détruisait le traité du 15 novembre dans toutes ses parties ; on pouvait supposer que les ratifications successives du 31 janvier, du 18 avril et du 4 mai, feraient fléchir la politique hollandaise ; c'est dans cet espoir que la Conférence s'adressa, le 4 mai, aux plénipotentiaires hollandais, en même temps qu'au plénipotentiaire belge, pour proposer l'ouverture d'une négociation propre à amener l'exécution volontaire du traité ; le cabinet de Bruxelles crut devoir mettre pour condition à l'ouverture de cette négociation l'évacuation préalable des territoires ; les plénipotentiaires hollandais répondirent, le 7 et le 29 mai, en renouvelant leur protestation du 14 décembre contre les vingt-quatre articles, et en exprimant leur surprise et leurs regrets de voir la Conférence disposée à regarder le traité du 15 novembre comme la (page 297) base invariable de la séparation, de l'indépendance, de la neutralité et de l'état de possession territoriale de la Belgique. La Conférence, ayant regardé la Belgique comme fondée dans sa demande de l'évacuation préalable, rédigea, le 11 juin, trois articles explicatifs destinés à être annexés aux vingt-quatre articles, et d'après lesquels l'évacuation réciproque devait s'effectuer le 20 juillet, et les articles 9 et 12, relatifs à la navigation fluviale et à la dette, être soumis à l'examen des commissaires (Note de bas de page : Propositions annexées au protocole n° 65, du 11 juin 1832. ). Les plénipotentiaires hollandais, en réponse à cette communication, reproduisirent, sous la date du 30 juin, le projet du 30 janvier légèrement modifié : la Conférence fit subir, le 10 juillet, quelques changements aux propositions du 11 juin, en déclarant que l'évacuation aurait lieu quinze jours après l'échange des ratifications de la nouvelle convention ; le gouvernement hollandais rejeta également cette nouvelle rédaction (Note de bas de page : Propositions annexées au protocole n° 67, du 10 juillet 1832.)
La Conférence, toutefois, en n'assignant plus à l'avance d'époque fixe à l'évacuation réciproque, s'était désistée d'une condition essentielle, qui formait toute la politique belge ; le cabinet de La Haye tira habilement parti de cette circonstance. C'est ici que commence la deuxième période des négociations qui suivirent l'échange des ratifications.
La Belgique avait déclaré qu'elle ne consentirait à l'ouverture d'une nouvelle négociation qu'après l'évacuation territoriale.
La Conférence avait, dans sa note du 11 juin, posé (page 298) le même principe ; elle s'en était désistée par ses propositions du 10 juillet.
La Belgique, qui avait pris acte de la note du 11 juin, renouvela sa première déclaration.
La Hollande prit acte du désistement qui résultait des propositions du 10 juillet, et, sans déterminer de bases, elle offrit d'ouvrir une négociation directe.
Cette offre du gouvernement hollandais avait pour lui un double avantage.
Dans sa pensée, il ne s'engageait à rien, certain qu'il se croyait que la Belgique persisterait dans une condition préalable rejetée par la Conférence.
Il se rapprochait de la Conférence, en faisant passer tous les torts du côté de la Belgique.
Les parties restèrent ainsi en présence pendant le mois d'août et la première moitié du mois de septembre 1832.
La Belgique s'adressa, à plusieurs reprises, à la Conférence, pour demander l'évacuation préalable et, en cas de refus de la Hollande, l'emploi de moyens coercitifs ; la Conférence pouvait-elle faire droit à cette demande ?
L'emploi des mesures coercitives devait supposer que toutes les mesures pacifiques étaient épuisées ; ceci n'a pas besoin de démonstration. .
Or, les mesures pacifiques étaient-elles épuisées ?
Non ; l'offre de la Hollande venait de faire naître une ressource nouvelle et imprévue ; les réserves russes lui accordaient le droit d'ouvrir une négociation avec la Belgique, pour parvenir à un arrangement à l'amiable sur quelques points ; elle n'avait fait qu'user de ce droit.
(page 299) La Belgique, en mettant une condition à l'ouverture de la négociation, avait également usé d'un droit incontestable : mais ici, comme dans toutes les affaires politiques, il y avait, outre la question de droit, la question d'utilité.
Reportons-nous au jour de l'échange des dernières ratifications et rappelons-nous les incertitudes et les alarmes qu'elles renouvelèrent dans les esprits, sous l'empire de la première impression.
Les ratifications des cinq Cours n'étant pas toutes pures et simples, il se présentait deux hypothèses : 1 ° Il pouvait entrer dans les vues de la Conférence de se prévaloir des réserves, pour se saisir de nouveau de quelques questions et les trancher par un arbitrage forcé ;
2° La Hollande pouvait également se prévaloir des réserves pour exiger que quelques parties du traité fussent modifiées dans une négociation directe.
Le plus grand danger était dans la première hypothèse ; pour la repousser, il fallait trouver immédiatement un point d'arrêt ; et le principe de l'évacuation préalable fut posé.
La Conférence ne tarda pas à reconnaître, dans plusieurs actes, et de la manière la plus expresse, que son action, comme arbitre, était épuisée, que le traité était complet et irrévocable à l'égard de chacune des cinq cours, qu'il restait un traité direct à conclure entre la Hollande et la Belgique, que les réserves ne pouvaient influer que sur ce dernier traité.
Le gouvernement belge était de la sorte parvenu à écarter la première hypothèse ; restait la deuxième, qui (page 300) ne tarda pas à se réaliser, en plaçant toutes les parties dans la position la plus bizarre.
La Conférence s'était reconnue incompétente comme arbitre, en posant le principe d'une négociation directe entre la Belgique et la Hollande, et en déclarant que le temps de prendre des mesures coercitives n'était pas arrivé.
La Belgique et la Hollande étaient disposées à ouvrir cette négociation, mais l'une avant, l'autre après l'évacuation territoriale.
Véritable impasse, où il n'était possible ni de négocier, ni de recourir à la force.
Nous avons dit que le gouvernement hollandais avait offert de négocier, mais sans déterminer de bases ; c'est là qu'était le principal danger de la deuxième hypothèse, et, ce danger, il fallait l'éviter.
C'est dans cette intention que le ministre anglais, lord Palmerston, concerta des propositions avec les deux plénipotentiaires belges, MM. Van de Weyer et Goblet ; la nouvelle négociation cessait d'être non définie ; ces propositions, qui furent communiquées à tous les membres de la Conférence, posaient des bases au delà desquelles le gouvernement belge ne pouvait être entraîné dans la négociation directe ; personne, dès lors, n'était en droit de lui dire, après un premier essai : il faut négocier sur des bases plus larges y vous montrer plus traitable encore et faire un pas de plus. Les membres de la Conférence avaient écrit d'avance : Si vous allez jusque-là, nous sommes satisfaits ; le dernier intervalle sera franchi. (Note de bas de page : hème et rapport de lord Palmerston, annexés au protocole n° 69, du 30 septembre 1832)
(page 301) L'un des plénipotentiaires belges, le général Goblet, se chargea de porter à Bruxelles les nouvelles propositions ; il y arriva le 9 septembre ; après plusieurs jours de délibération, les ministres, tout en reconnaissant la nécessité d'un changement de système, crurent devoir se retirer, pour rester fidèles à des engagements publics : retraite doublement honorable, car les mêmes hommes n'ont usé de leur indépendance de députés que pour prêter à leurs successeurs un courageux appui.
(Note de bas de page de la troisième édition) Non seulement le ministre des affaires étrangères, M. de Muelenaere, avait pris ces engagements devant les Chambres, mais il les avait réitérés dans une lettre adressée directement à lord Palmerston, sous la date du 10 août 1832, lettre qui se terminait par ces mots: « J'ai attaché mon existence politique au système que j'ai cru devoir adopter à la suite de l'échange de toutes les ratifications, et si ce système devait être abandonné, je n'hésiterais pas à résigner le portefeuille que Sa Majesté a bien voulu me confier. » (Papers relative to the affairs of Belgium, B. 1re partie, n° 41.) (Fin de la note).
Le Roi était dans l'impossibilité de recomposer immédiatement le cabinet ; cédant à la conviction profonde qui l'animait, le général Goblet consentit, le 15 septembre, à se charger du portefeuille des affaires étrangères, et il accepta seul, jusqu'au 20 octobre, toute la responsabilité des événements ; les ministres sortants restèrent à la tête de leurs départements comme simples administrateurs. (Note de bas de page : Composition du deuxième ministère: Affaires étrangères, M. le général Goblet. (Arrêté du 18 septembre1832.) Justice, M. Lebeau. (Arrêté du 20 octobre.) Intérieur, M. Ch. Rogier. (Id.) Finances, M. Duvivier. (Arrêté du 30 octobre.). Guerre, M. le général Evain. Ministre d'État, membre du conseil, M. le comte F. de Mérode0).
Si le nouveau ministre demeura si longtemps sans (page 302) collègues, c'est qu'il avait le malheur de ne pas être compris. On supposa, en Belgique, en France, en Angleterre, en Hollande, que le général Goblet n'avait d'autre intention que de faire accepter le thème de lord Palmerston par le gouvernement hollandais, et qu'il avait conçu cet espoir ; on s'attacha dès lors à démontrer que cet espoir était chimérique et on crut avoir condamné le système. C'était précisément en proclamer le triomphe : préoccupé qu'on était d'une hypothèse, on avait négligé l'hypothèse contraire.
La Belgique offrant de négocier en prenant pour bases, de l'aveu de la Conférence, les propositions du ministre anglais, des deux choses l'une : le cabinet de La Haye devait se prêter à cette négociation ou s'y refuser.
S'il s'y était prêté, l'on aurait probablement vanté l'habileté du ministre belge, et cependant c'était là qu'était l'écueil ; le ministre aurait échoué au milieu des panégyriques de la presse.
Le gouvernement hollandais, en se refusant à la négociation, en rétractant son offre de négocier, entrait dans toutes les vues du ministre belge ; le refus de la Hollande, c'était l'hypothèse de l'homme d'État : là se trouvait la véritable pensée politique.
Le général Goblet ne fit rien pour détromper la presse ; il savait qu'il eût détrompé en même temps le gouvernement hollandais ; et, en l'absence des Chambres, la discrétion était possible.
(Notes de bas de page) Le général Goblet ne se dissimulait point les dangers de sa position; voici ce qu'il écrivait, le '25 septembre, à M. Van de Weyer, en apprenant le premier refus du plénipotentiaire hollandais:
« Je m'applaudis avec vous de la marche des événements qui, jusqu'à, répondent à tontes nos prévisions et justifient la grande mesure que le Roi s'est déterminé à prendre. Cette résolution de Sa Majesté a déplacé les torts, et c'est maintenant de la Hollande que vient la résistance.
« En consentant à ouvrir la négociation directe, le Roi avait moins en vue de parvenir à .un arrangement à l'amiable que de constater, dans un court délai, l'impossibilité de cet arrangement; depuis plus d'un mois, le roi de Hollande s'offre à traiter directement avec nous, et cette offre a été, à tort ou avec raison, considérée comme un obstacle à l'emploi des mesures coercitives. Notre but a été de faire disparaître cet obstacle. Si la négociation s'ouvre sur le fond sans que les bases concertées avec lord Palmerston aient été agréées, du moins quant à leur esprit, si la négociation se traîne de détail en détail, si nous laissons au roi de Hollande le temps de comprendre quel a été notre but principal, il est à présumer que les fruits de notre politique nouvelle seront perdus et qu'en définitive, nous nous trouverons engagés dans une négociation sans autre issue que d'onéreuses concessions. » (Note de la 1re édition.)
Le général Goblet a lui-même rendu compte de son ministère dans l'ouvrage qu'il a publié de 1864 à 1865, sous le titre de Mémoires historiques: dix-huit mois de politique et de négociations se rattachant à la première atteinte portée aux traités de 1815. 2 vol. in-8°. (Note de la 4e édition.) (Fin des notes)
(page 303) La Conférence se réunit le 21 septembre, pour prendre connaissance des premières communications des deux parties, et, le 1er octobre, elle reconnut à l'unanimité la nécessité des mesures coercitives ; elle ne parvint pas à s'entendre sur la nature de ces mesures, mais le principe était posé. Dix jours avaient suffi pour amener ce résultat ; faisons connaître en peu de mots les actes de cette période, si courte et si pleine.
En quittant Londres, le général Goblet avait laissé la Conférence entre l'offre de la Hollande et le refus de la Belgique ; les rôles vont changer.
Le 20 septembre, le plénipotentiaire belge, M. Van de Weyer, écrit à la Conférence qu'il est muni des pouvoirs nécessaires pour négocier directement avec la Hollande.
(page 304) Le même jour, le plénipotentiaire hollandais, M. van Zuylen van Nyevelt, lance contre la Conférence une espèce d'acte d'accusation, car c'est le seul nom qu'on puisse donner à la note qui porte cette date. Voici quelle était la conclusion de cette pièce étrange :
« Dans cet état de choses, le soussigné a ordre de réclamer de la Conférence de Londres, dans un terme aussi rapproché que comporte la matière, la signature du traité de séparation de la Hollande d'avec la Belgique, sur le pied des notes néerlandaises du 30 juin et du 25 juillet, et des modifications dans la rédaction, auxquelles le soussigné se trouve autorisé à souscrire, et de déclarer en même temps, au nom de son auguste souverain, que Sa Majesté, ne possédant pas seule les moyens de maintenir le droit public européen, a pu subir la loi de la nécessité, en multipliant ses offres, mais que la mesure des concessions se trouve désormais comblée et que le Roi ne transigera jamais ni sur les droits territoriaux et de souveraineté de la Hollande, ni sur les principes vitaux de l'existence de ses habitants. Les orages politiques ont passé sur la tête de Sa Majesté comme sur celle de ses augustes aïeux ; la Hollande, sous leurs auspices, a traversé des siècles de crise, d'épreuve et de gloire ; et son expérience, chèrement achetée, a mis en évidence qu'une nation se relève même des plus grands revers, aussi longtemps qu'elle ne manque pas à soi-même. Le Roi veillera à ce que les fruits de cette expérience ne soient point perdus ; et tandis qu'il attend avec confiance le résultat des délibérations de la Conférence de Londres, d'après le degré de maturité auquel la négociation est parvenue entre (page 305) elle et le gouvernement néerlandais, Sa Majesté écarte toute responsabilité des complications que produiraient de nouveaux retards et proclame hautement qu'elle ne sacrifiera jamais au fantôme révolutionnaire les intérêts vitaux et les droits de la Hollande ; que le peuple libre, aux destinées duquel elle est appelée à présider, s'en remettant à la Providence, saura tenir tête à tout ce que les ennemis de l'ordre public et de l'indépendance des nations pourraient vouloir lui prescrire, et que si, à la dernière extrémité, une cruelle destinée décevait sa religieuse attente, cette funeste issue entraînerait à la fois le système européen et le repos du monde. »
La Conférence, doutant, pour ainsi dire, de l'authenticité de la note qu'elle venait de recevoir, résolut d'interroger le plénipotentiaire hollandais en personne ; dans sa séance du 24, elle arrêta une série de questions et résuma, dans un mémorandum, la position où la plaçait la réponse hollandaise. Ce mémorandum rend compte de tous les efforts faits par la Conférence, depuis l'échange des ratifications, pour amener l'exécution volontaire du traité, et se termine par les considérations suivantes :
« Le premier effet de cette note, qui a tout l'air d'un manifeste contre la Conférence, a dû donner à celle-ci la pensée que toutes les voies de conciliation étaient épuisées, qu'il n'y avait plus aucun moyen de rapprocher les parties et que ses propres délibérations devaient prendre une autre marche, porter sur un autre objet.
« Cependant, toujours remplie du désir unanime de (page 306) s'interposer dans une lutte si animée, pour en éloigner les périls, elle a résolu de faire encore auprès du baron van Zuylen une dernière tentative, dans la vue de s'assurer si, nonobstant le silence peu convenable de son cabinet sur les propositions confidentielles que lui-même lui a transmises, il n'a pas reçu des instructions et pouvoirs suffisants pour discuter, sous les auspices de la Conférence et avec le plénipotentiaire belge, les rédactions proposées, de manière à en faire sortir un arrangement définitif.
« En lui faisant cette première question, il paraît indispensable que la Conférence rappelle à M. van Zuylen que le traité du 15 novembre donne, aux yeux des cinq puissances, un droit acquis à la Belgique, sauf, pour quelques unes d'entre elles, la valeur des réserves qui ont accompagné leurs ratifications, et que les réserves obtiendraient leur effet dans les rédactions proposées.
« Si donc M. van Zuylen a des pouvoirs suffisants pour négocier et pour conclure sur des termes semblables ou analogues à ceux qu'il a communiqués à sa Cour, et que la Belgique paraît disposée à admettre, il sera possible encore d'espérer le dénouement de cette grande affaire.
« Mais si M. van Zuylen se déclare sans pouvoirs ou si, prétendant les avoir, il se réserve encore d'en référer à sa Cour, ou si même il n'en fait usage que pour proposer des choses inadmissibles pour la Belgique, tout espoir de conciliation semble pour le moment devenir illusoire, et il ne resterait plus à la Conférence que d'envisager la question belge sous ce point de vue et de se concerter sur la marche ultérieure à adopter. »
(page 307) L'interrogatoire tant écrit que verbal du plénipotentiaire hollandais acheva de mettre à nu la pensée du cabinet de La Haye ; la Conférence, après avoir fait des observations écrites sur chaque réponse, arrive à cette conclusion :
« En résumant ces observations, on acquiert la conviction que le cabinet de La Haye ne veut pas accepter les vingt-quatre articles dans leur ensemble, et que son refus porte même sur des stipulations essentielles. Il commence par attacher une réserve importante aux articles 1er jusqu'au 6e inclusivement, relatifs aux arrangements territoriaux ; il proteste contre la majeure partie des stipulations de l'article 9 sur la navigation de l'Escaut et sur celle des eaux intermédiaires entre ce fleuve et le Rhin ; il entend changer le 11e article de manière à rendre son effet illusoire ; il demande sans compensation la suppression de l'article 12 ; enfin, sans faire mention d'autres modifications moins importantes qu'il réclame, il altère les stipulations des articles 13 et 14 relatifs aux arrangements financiers, en refusant à la Belgique la part dans l'actif qui résulterait pour elle de la liquidation du syndicat d'amortissement. »
Les hypothèses prévues par le mémorandum du 24 septembre, comme devant nécessiter l'emploi des mesures coercitives, s'étaient donc réalisées, et la Conférence se trouvait en face d'une de ces questions qui changent les situations, qu'on peut contempler sans effroi dans le lointain, mais qui, de près, frappent par leur grandeur et leurs périls.
La Conférence se réunit le 1er octobre ; elle était (page 308) appelée à décider : 1° si les mesures coercitives étaient devenues nécessaires, 2° quelles seraient ces mesures.
Aucun plénipotentiaire ne révoqua en doute la nécessité des mesures coercitives en elles-mêmes.
Ces mesures pouvaient être de deux espèces : pécuniaires ou matérielles.
Les plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie déclarèrent que leurs cours ne pourraient s'associer à d'autres mesures qu'à des mesures pécuniaires. (Note de bas de page de la troisième édition : Les plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse reproduisirent à Francfort les raisons invoquées à Londres contre J'emploi des mesures coercitives physiques, raisons auxquelles adhérèrent les autres membres de la Confédération germanique. (Voyez le protocole de la Diète, du 6 décembre 1832.))
Les plénipotentiaires de France et de la Grande-Bretagne, regardant ces mesures comme insuffisantes, annoncèrent en ces termes l'intention de leurs cours d'en venir à de plus efficaces :
« Le plénipotentiaire britannique (lord Palmerston) exprime son regret de n'être pas à même de consentir à la proposition faite par les plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie. Il est profondément convaincu des avantages qui résulteraient d'une unanimité d'action de la part des cinq puissances, s'il était possible de l'obtenir, et il se flatte d'avoir donné une preuve de l'importance qu'il attache à cette unanimité par la manière dont il a suggéré, à la précédente réunion de la Conférence, l'idée de recourir, en premier lieu, à des mesures pécuniaires, préférablement à des mesures d'un caractère plus rigoureux, idée qui, il l'avait espéré, obtiendrait le concours actif de la Conférence.
(page 309) « Mais le plénipotentiaire britannique est convaincu, que, dans l'état actuel de la négociation, il est nécessaire, pour le maintien de la paix de l'Europe, que quelques mesures décisives soient adoptées par les puissances qui ont ratifié le traité de novembre et qui ont garanti l'exécution des dispositions de cet acte, et il regrette de ne voir dans la proposition des plénipotentiaires des trois cours aucune mesure qui réponde à l'exigence du cas. La tendance de cette proposition est de renouveler des négociations que l'expérience de beaucoup de mois et l'aveu de la Conférence elle-même ont démontré être stériles, de les renouveler, non avec le poids réuni des cinq cours représentées en conférence, mais par l'action séparée de quelques unes de ces cours, et cela après l'expérience faite par ces cours elles-mêmes de l'inefficacité de leurs efforts pour entraîner, par l'influence de leurs conseils, les déterminations du cabinet de La Haye.
« Le plénipotentiaire britannique ne saurait, par conséquent, consentir à une proposition dont un nouveau délai semblerait devoir être le seul résultat certain ; et en réservant au gouvernement de Sa Majesté britannique la décision qu'il jugera convenable de prendre en exécution des engagemens contractés par Sa Majesté, il se borne, pour le moment, à l'expression de son regret de ce que les plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie ne soient pas préparés à concourir à des mesures efficaces, dans le but de mettre à exécution un traité qui, depuis tant de mois, a été ratifié par leurs cours, et dont l'inaccomplissement prolongé expose à des dangers continuels et croissants la paix de l'Europe.
(page 310) « Le plénipotentiaire de S. M. le roi des Français (le baron Durand de Mareuil), adhérant en tous points à la déclaration qui vient d'être faite par le plénipotentiaire de Sa Majesté britannique, exprime, comme lui, son regret de ne pouvoir accepter la proposition des plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie, et, persistant dans celle qu'il a présentée lui-même à la Conférence, réserve d'ailleurs à son gouvernement la pleine faculté d'agir pour l'exécution du traité conclu avec la Belgique, ainsi que le droit lui en est acquis, et suivant ce que la teneur de ses engagements et l'intérêt de la France pourront exiger. »
Le protocole du 1er octobre 1832 est le dernier acte de la Conférence de Londres ; elle a été dès lors considérée comme dissoute ; mais, en se retirant, elle n'a pas emporté son ouvrage ; le traité de Londres du 15 novembre1831 est entré dans le droit public de l'Europe et remplace les articles 66-73 de l'acte général du Congrès de Vienne et la Convention de Londres du 21 juillet 1814 ; les assemblées politiques et législatives ne sont pas éternelles, mais les lois et les traités qu'elles ont faits leur survivent.
La Conférence a de plus indiqué le mode de l'exécution du traité du 15 novembre, en reconnaissant que les mesures coercitives étaient devenues nécessaires ; le désaccord des plénipotentiaires a porté sur un point secondaire que chaque puissance pouvait décider séparément, selon sa volonté et ses intérêts. La résolution de la France et de la Grande-Bretagne devait prévaloir ; en quittant La Haye, le comte Orloff avait dit au nom (page 311) des trois cours : Vos alliés ne peuvent plus rien pour vous. C'étaient là de prophétiques paroles. (Note de bas de page de la quatrième édition : Voyez, page 281, le texte de la déclaration du comte Orloff.
(Note de la bas de page de la quatrième édition.) Le comte Alexis Orloff, né en 1787, était l'homme de confiance de l'empereur Nicolas et comme son alter ego, ce qui avait donné à la démarche le caractère le plus significatif. Il est le père du prince Nicolas qui, comme envoyé à Bruxelles de 1859 à 1865, y a laissé de si excellents souvenirs. Il a été élevé au rang de prince, à l'occasion du couronnement de l'empereur Alexandre II, et mourut à Saint-Pétersbourg le 21 mai 1861.)