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Les débuts d'un grand règne (1865-1868). Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine
GARSOU Jules - 1934

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Jules GARSOU, Les débuts d'un grand règne. Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine

(Paru à Bruxelles en 1932 (tome I) et 1934 (tome II), aux éditions L'Eventail)

Tome II. De la démission du général Chazal à la retraite de Rogier et Vandenpeereboom (octobre 1866 janvier 1868)

Chapitre X. Le conflit des écoles d'adultes et autres questions intérieures

Encore les écoles d'adultes. Un oubli singulier de Frère-Orban

(page 129) Ce jour-là, Vandenpeereboom rencontra Rogier, Frère et Goethals.

Le ministre des Finances ayant soutenu qu'il n'avait pas eu connaissance de l'arrêté royal du 1er septembre 1866 instituant les écoles d'adultes, Vandenpeereboom qui croyait se souvenir du contraire, fit à Ypres des recherches dans ses papiers et retrouva une lettre de Frère du 4 juillet 1866. Le ministre des Finances lui avait renvoyé le projet communiqué et avait marqué son parfait accord « sur le principe », réservant quelques observations de détail sans grande importance.

Vandenpeereboom ramena la conversation sur cet objet. Frère répéta qu'il n'avait pas vu l'arrêté. « J'ai la preuve écrite du contraire », rétorqua Vandenpeereboom.

« Frère a rougi très fort et s'est contenté de me dire : « J'avais oublié ». Etant d'accord sur le principe avec moi, Frère aurait bien dû faire un peu défendre cet acte comme il sait si bien défendre les siens, et loin de là, il a, ainsi que Bara, laissé attaquer pour ne pas dire plus. Cela n'est pas très loyal. »

Dans une conversation avec Rogier, Vandenpeereboom apprit que le Roi tenait à ce que la session parlementaire s'ouvrit le 15 octobre ; le Conseil préférait la date ordinaire, mais comme il s'était engagé pour le 15 vis-à-vis du Roi, on devait se rallier à l'avis du Souverain s'il insistait.

Vandenpeereboom à ce propos. prête à Frère-Orban une assez méchante malice : « Ne bougeons pas, dit-il, Goethals oubliera de faire imprimer les pièces, et quand (page 130) le Roi insistera on lui dira : Impossible, les documents ne sont pas prêts. » Et c'est Goethals qui aura le mauvais bout ! Est-ce bon, cela, entre collègues ?

Vandenpeereboom reprend ses fonctions

Le 21 septembre, au soir, Vandenpeereboom revint d'Ypres à Bruxelles, rappelé par Rogier pour les fêtes de septembre. Il fut l'objet, de la part du Roi, de la plus aimable attention. Léopold II le prit à côté de lui, publiquement, dans sa voiture de grand gala, faveur exceptionnelle et unique. Le brave ministre prend, dit-il, « tout cela pour ce que cela vaut et assure que son goût du repos l'emporte sur son amour-propre, qu'il aimerait autant « rouler libre dans la voiture traînée par un âne » que de se prélasser, ministre, dans une voiture de la Cour à côté de Sa Majesté. »

Un Conseil des ministres fixe la session extraordinaire au 11 octobre.

Quel que fût le désir des ministres de n'ouvrir le Parlement qu'à l'époque ordinaire, le second mardi de novembre, ils furent obligés de tenir la parole donnée au Roi. Une objection de Frère quant à la non-impression des documents fit seulement retarder au 11 octobre la convocation des Chambres.

Le douaire de l'impératrice Charlotte et les dettes de Maximilien.

Léopold II entretint aussi longuement ses ministres des difficultés suscitées par l'Autriche pour régler les affaires privées de l'impératrice Charlotte. Il était « très vexé » et « très indigné » de ces manœuvres, qui tendaient à se soustraire à l'obligation de payer le douaire de 40,000 florins prévu par le contrat de mariage, et à faire solder par la veuve les dettes du défunt.

Les conditions mises par les évêques à leur concours à l'organisation des écoles d'adultes

Le 1er octobre, Vandenpeereboom reçut la visite de l'inspecteur diocésain Bormans, venu pour lui dire « que l'archevêque de Malines et probablement les autres (page 131) évêques prêteraient leur concours à l'organisation des écoles d'adultes si les principes exposés par lui dans une note à Son Eminence étaient admis par le Gouvernement. »

Cette note pouvait ainsi se résumer : l'enseignement religieux n'était pas exclu des écoles d'adultes ; il formait partie essentielle des études dans la division inférieure composée d'élèves de douze à quinze ans. Dans la division supérieure, l'enseignement religieux ne se donnerait pas ex professo ; les inspecteurs ecclésiastiques et les ministres du culte pourraient s'assurer si l'on n'enseignait rien de contraire aux dogmes et à la morale. Il serait imprudent de vouloir traiter en enfants ces jeunes gens qui pourraient se sentir humiliés et déserter les cours.

Vandenpeereboom promit d'en référer à ses collègues.

L'affaire du général Prim

Le général espagnol Prim avait échoué dans une tentative de pronunciamento et s'était réfugié en Belgique. Le gouvernement espagnol redoutait fort ses menées et signalait à nos ministres qu'il abusait de notre hospitalité. Il dut se présenter chez Rogier; l'entretien fut très vif de part et d'autre ; Rogier lui dit qu'il aurait à quitter le pays. Prim demanda un délai. Aucun décret d'expu sion ne fut pris, mais le général accepta de partir « d'assez mauvaise grâce. »

Le Roi et d'Elhoungne

Parmi les députés de gauche mal disposés pour les crédits militaires figurait le célèbre avocat gantois d'Elhoungne. Léopold II eut à Ostende plusieurs entrevues avec, lui, relativement à la démolition de la citadelle de Gand, fort désirée par ce représentant.

« Le Roi - dit Vandenpeereboom - résiste ou plutôt fignole et semble vouloir résister, mais au fond il céderait si on voulait lui promettre de donner des fonds pour fortifier encore Termonde (4,000,000). Il espère en résistant d'abord arriver à cette concession. Ce système est celui adopté souvent par Sa Majesté. Il se montre difficile sur un point, puis il cède à condition qu'on lui donne une autre chose à laquelle il tient plus au fond.

« Cette affaire de la citadelle de Gand est peu grave, paraît-il, au point de vue de la défense; beaucoup de (page 132) militaires, Chazal entre autres, tiennent peu à cette bicoque, mais elle est importante au point de vue parlementaire, car si les Gantois votent contre le projet de réorganisation de l'armée, ce projet peut, avec l'aide des jeunes et les efforts de la droite tomber et le ministère aussi. J'ai prévenu Goethals ainsi que le Roi, mais ce dernier poursuit son système. Nous verrons ce qui arrivera. »

La présidence de la Chambre

A la suite de sa pénible réélection du 19 août, Ernest Vandenpeereboom avait déclaré qu'il ne solliciterait plus le renouvellement de son mandat présidentiel. On parlait, pour le remplacer, d'Orts, de Tesch, de Dolez. Ce dernier, malgré ses opinions très modérées, fut le favori de toutes les nuances libérales. Orts aurait désiré la présidence ; Tesch l'avait nettement refusée, en invoquant ses multiples affaires, et ne voulant pas « qu'on lui reproche d'inévitables absences et de soigner ses intérêts au détriment des devoirs de sa charge ». Vandenpeereboom avait d'abord cru que Dolez n'accepterait pas : il présumait que le Roi avait agi sur le député de Mons.

Graves nouvelles d' Italie

Les nouvelles d'Italie et de Rome étaient fort inquiétantes, car elles mettaient en péril la paix de l'Europe, toujours précaire. « L'histoire se fait, observe judicieusement Vandenpeereboom. Je pense que, la France intervenant, le domaine temporel du Pape restera au Saint-Père, que le statu quo sera maintenu, que les garibaldiens avec leur chef se retireront, à moins que Garibaldi ne soit tué, ce qui est possible, puisqu'il a dit qu'il ne reviendrait pas vivant en Italie. Qu'arrivera-t-il ? La position est presque sans issue... Qui vivra verra ! »

Plaintes contre Frère et Bara

Vandenpeereboom souligne le parfait accord de Frère et de Bara, les soupçonne de tenir souvent conseil à deux et de lui être hostiles. Il en veut pour preuve le peu de bienveillance de leurs journaux, « L'Echo du Parlement », où écrit Canler, le secrétaire de Bara, et « Le Journal de Liége » « dirigé par le M. professeur Trasenster, ami (page 133) intime de Frère », qui reproduisent en tout ou en partie les attaques des feuilles radicales. De plus, « L’Echo » a cherché à le ridiculiser, en lui faisant faire « un tour de France comme un garçon coiffeur. » (Note de bas de page : Il faut avouer que Vandenpeereboom avait l'épiderme bien sensible. « La Meuse » avait annoncé sa démission. « L'Echo » rectifia, disant qu'il apprenait que le ministre de l'Intérieur se proposait de partir « pour Paris et de là pour un tour de France qui se prolongera pendant semaines. »

Entretien avec d'Elhoungne

Après avoir rappelé. à la date du 31 octobre, que c'était le sixième anniversaire de son entrée au ministère de l'Intérieur, et gémi, selon sa manie, sur sa décadence physique, intellectuelle et morale, Vandenpeereboom rapporte l'entretien qu'il eut la veille avec d'Elhoungne. Le député de Gand lui déclara que jamais, malgré les racontars des journaux, le Roi ne lui avait offert le portefeuille de l' Intérieur. Sa Majesté l'avait entretenu de la citadelle de Gand. D'Elhoungne se plaignit de l'enthousiasme militaire de Léopold II et se montra mal disposé pour les projets militaires du Gouvernement. Il était prêt, cependant, à voter les crédits nécessaires pour fortifier Termonde, si la citadelle de Gand était démolie.